Luka écouta et regarda Grisette un peu étonné, puis éberlué.

Quand elle finit par exposer son point de vue, un long silence permit au tavernier de ranger dans sa tête le flux d'information, d'éventuellement calculer une rentabilité, ou de tourner sept fois sa langue dans sa bouche pour ne pas paraître grossier ou trop cassant.

« Je n'ai pas pour habitude de vendre de la pisse, même à une pièce de cuivre. Si vous prenez la peine de goûter, avec votre palais exceptionnel ou en trempant vos seins dedans, les diverses bières servies ici, vous pourrez convenir qu'aucune, même la moins chère de celles-ci, possède toutes les qualités d'une bière brassée avec sagesse. »

Si ses mots pouvaient traduire une certaine frustration, exaspération ou blessure quant au travail fournit ou la qualité de ses produits, son ton lui restait cordial.

« Tout au plus pourrais-je goûter votre meilleur cru, pas celui ne valant qu'une piècette, pour me permettre de confronter votre travail avec ce que demande habituellement mes clients. »

Il cherchait visiblement à ménager sa clientèle.

« Si vous n'avez qu'un seul type de bière, légère et peut coûteuse, vous aurez peut-être plus de chance dans les tavernes qui se trouvent dans les rues perpendiculaires, moins regardantes sur la qualité et plus sur le prix. »

Luka termina de servir un client tandis que Grisette patientait avec sa bière. Le tavernier accepta de goûter celle-ci de bonne grâce.

D'abord du bout des lèvres, comme on vérifie la température d'un aliment ou sa consommabilité, puis d'une manière plus naturelle quand rien ne semblait être dangereux dans son ingurgitation. Il fit se tapoter ses lèvres plusieurs fois afin de faire fonctionner ses papilles au mieux, laissant une attente insoutenable pour Grisette.

« Elle est correcte. » se contenta-t-il de dire.

« Elle n'a pas beaucoup de mousse, comme une Plate et elle est un peu trop chaude, vu que vous la transportez avec vous sous bâche, si j'ai bien compris. »

Luka termina son verre et fit un signe à un client pour lui faire savoir que la serveuse arrivait de suite.

Il plissait les lèvres en proie à une profonde réflexion.

« Je ne peux pas vous en prendre. » finit-il par lâcher.

Voyant la mine de Grisette se décomposer, il ajouta.

« Ce n'est pas que je ne pourrais pas la vendre, mais elle serait en surnuméraire de mes caves actuelles. Mes stocks actuels me permettent de tenir quelques mois et vous prendre un seul fût de votre bière nécessiterait qu'elle soit servie à faible coût dans un premier temps, pour que certains de mes clients la commandent par la suite. Une fois la demande existant, j'aurai besoin d'un afflux continu que je en sais si vous pouvez assumer, ni si le goût réalisé avec les produits locaux sera identique.

Tout cela se faisant au détriment de mes stocks, qui perdraient en qualité et en valeur.

Donc, je ne peux pas faire affaire avec vous pour l'instant. »

15 Erastus 4711

L'été est arrivé et le soleil réchauffe les corps des travailleurs, qui peuvent donner leur plein potentiel, les plages horaires faisant désormais plus de la moitié d'une journée. Lorsque la nuit est enfin tombée, ils se retrouvent au Daron ou dans des tavernes de moindre qualité, pour prendre le frais autour d'une pinte.

La ville est calme et les discussions concernant le culte de Gyronna démantelé par les dirigeants commencent à s'estomper. Enfin, le peuple est avec ses dirigeants, procurant une relative stabilité politique à Dana, ayant largement félicité ces derniers pour avoir mis fin aux craintes des femmes engrossées vis à vis de leur future progéniture.

Aujourd'hui, les discussions sont plutôt orientées sur la forge que l'on est en train de construire au nord-ouest de la ville, qui permettra d'une part de disposer d'outils de meilleure qualité et d'autre part qui fera un bruit important durant les journées à venir. D'autres, plus rares, parlent du vieux Sycomore qui va désormais être inclus dans le royaume et de la mine d'argent que l'on va prendre aux Kobolds. Le bien fondé de laisser ou pas ces mini dragons en vie cause de nombreux débats.

Arrivée. Enfin. Elle n'a pas eu trop de mal à trouver le chemin de l'auberge. Le poids de son sac sur ses épaules est certes supportable mais l'elfe est plus que ravie d'enfin arriver a un endroit ou elle pourra le déposer...

Un peu plus loin, au comptoir, une humaine alpague l'aubergiste. A sa manière de faire elle est également nouvelle en ville. Non sans laisser quelques secondes son regard s'attarder sur la jeune femme, Jyawenn s'avance et dépose son sac au pied du comptoir. Enfin. Elle récupère sa harpe sous son bras puis, patiente : attend que le maître des lieux puisse s'occuper d'elle.

L'aubergiste prend quelques instants pour servir et répondre rapidement aux questions de la cliente entrée quelques instants avant Jyawenn avant de se tourner vers elle... En lui adressant un sourire aussi engageant que possible, la jeune elfe lui demande :

« - Accepteriez-vous que j'emploie mes maigres talents à offrir a votre clientèle quelques morceaux ? »

Si avec un peu de chance il acceptait de lui accorder le gite en échange ce serrait un bon début... Restait à espérer trouver dans les habitants du cru un publique ouvert.

L'aubergiste haussa les épaules en guise d'assentiment ou d'impuissance en réponse à la question de Jyawenn. Sans doute n'y avait-il pas de règle spécifique en matière de divertissement en ces lieux.

Les clients jugeaient eux-même de la qualité du spectacle et de sa poursuite éventuelle, sans parler des piécettes pour la récompenser.

Si plusieurs têtes se tournèrent vers l'origine du bruit, beaucoup revinrent rapidement sur leur table propres et leur bière ou autres jeux de café.

On ne peut pas dire que cela soit un départ en fanfare...

L'aubergiste servit la bière demandée avec un sourire courtois et engageant. Au moins la bonhomie du personnage présageait d'un certain cadre de vie positif. En ce sens, il ressemblait plus à la femme d'Oleg qu'au patron du comptoir précédent.

Il ne semblait pas inquiet ou curieux de voir une nouvelle tête, car sans doute ne voyait-il que cela depuis les fondations de son établissement.

Sans se départir de son sourire, l'aubergiste montrait malgré tout un air un peu contrit.

« Mes chambres sont toutes complètes actuellement. Trop de gens viennent encore trouver un eldorado en ces lieux récemment ouverts. Si vous voulez vraiment une chambre, il vous faudra offrir un loyer à celui qui voudrait vous laisser la sienne, en plus de mon service.

Sinon, pour le temps que vous trouviez autre chose, vous pouvez dormir dans la salle commune, quand les derniers clients sont partis. Sur une chaise ou sur votre paillasse.

Cependant, pour le long terme, je vous conseille de vous offrir une tente et de rejoindre le village qui s'est formé autour des quartiers. Le temps de trouver un emplacement en dur à louer. »