Il est dit que Yashar al'aswad, fils unique de la première épouse de son père Farid, hérita, à l’âge de 21 ans, de son père à la tête du clan 'Asnan thaealib alsahra', un clan nomade du Grand désert (Alsahra' aleazima, comme l’appellent les natifs), suite à la mort vaillante de son paternel lors d’un raid mené contre un autre clan. Son héritage au titre de chef de clan n’était pas incontestable (Farid avait eu un second fils (Nasim) d’une seconde épouse) mais, comme il était le fils aîné et qu’il avait derrière lui une réputation de guerrier jeune et vigoureux, rares furent ceux qui osèrent s’y opposer. Nasim, ainsi dépossédé de tout héritage, choisit de partir en exil se faire un nom. La même année, Yashar prit pour épouse la belle Alina almudaeabat min alriyah, laquelle lui offrit en retour un fils vigoureux du nom de Dastan. À celui-ci, il apprit les rudiments de la chasse et de l’élevage et, bien plus tard, les bases de l’équitation et du maniement du cimeterre. Beaucoup voyaient en le jeune Dastan le futur héritier au titre de chef de clan. C’est ce qui aurait dû se passer.

Or, vint un jour où, revenu d’outre-contrées auréolé de gloire au combat, Nasim, le demi-frère de Yashar, revint d’exil réclamer ce qu’il estimait être son dû : le titre de chef du clan. Une telle contestation devant se régler par les armes, c’est ce qu’il advint. Le second fils défit le premier, dans un duel au cimeterre qui fut étrangement bref. Et c’est ainsi que la veuve de Yashar et son jeune fils de 8 ans durent quitter le clan, partant en exil au loin. Ils errèrent longtemps dans le désert, avant de se réfugier, à bout de ressources, dans la grande cité de Khangaï. Hélas, la perte récente de son époux et le voyage éprouvant avaient plongés Alina, la mère de Dastan, dans un état d’extrême faiblesse.


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Lorsque les années firent de lui un jeune homme. Fougueux. Courageux. Imbu de l’honneur individuel et des éclats de bravoure des guerriers, seuls hommes véritables de son peuple. Tout en étant tellement naïf. Comme tant de jeunes hommes à cet âge. Comme tant de ces gamins des ruelles de Khangaï. Il rejoignit la troupe en guerre qui s’amassait en bordure de la cité.
Une guerre approchait, disait-on. Le temps des hommes, racontait-on. L’instant fatidique où il pourrait faire ses preuves et sortir de la misère. L’instant parfait où il pourrait

Pour arme, on lui tendit un cimeterre. Pour armure, un pantalon noir.

L’armée. Forme massive. Mouvante. Difforme. Riche de mille et de mille futurs hommes. Et d’un certain nombre qui l’étaient déjà. Avança vers les terres des

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Enfermé avec d’autres de ses semblables dans les geôles du Royaume, prisonnier de guerre déshonoré, Dastan resta longtemps dans l’ombre, réfléchissant (puisqu’il n’avait rien d’autre à faire) en silence aux événements de la guerre, à cette notion de gloire et d’honneur qui berçait la jeunesse de chaque jeune homme de l’Empire, et à la boue et au sang de la réalité; il réfléchit longtemps. Des jours, des semaines, ou peut-être des mois s’écoulèrent ainsi dans le noir presque complet. Et pendant ce temps, un prisonnier était récupéré, de temps à autres, par les gardes pour ne jamais revenir. Un par un, ils disparurent tous, et les murmures familiers en Impérial qui teignaient en toile de fond leur cellule s’éteignirent avec eux; tout ne devint que noirceur et silence.

Un jour (ou était-ce une nuit), alors qu’il était depuis longtemps le dernier prisonnier de sa cellule, comme si les gardes en étaient venus à l’oublier, un homme du Royaume fut jeté [littéralement] aux fers à ses côtés. La première impression que celui-ci laissa au jeune guerrier de Thorn fut : « Bavard. Exubérant. Exaspérant. ». Néanmoins, Dastan était forcé d’avouer le silence de sa cellule commençait à lui peser : bien que ne comprenant qu’à peine quelques mots de la langue de son codétenu, appris en écoutant les gardes, il entreprit de converser avec lui. Une ronde de gardes : il apprit que son interlocuteur s’appelait Alin. Six rondes de gardes : qu’Alin avait été emprisonné parce qu’il avait défié un autre guerrier en combat singulier, chose que la loi de son pays interdisait étrangement (dans l’Empire, c’était pourtant une chose tout-à-fait normale...). Huit rondes de gardes : qu’Alin était un coureur de jupon invétéré, et qu’il pouvait s’estimer lui-même heureux d’être un homme. Au bout de dix-huit rondes de gardes, Dastan commença à le trouver sympathique. À la vingt-quatrième, sa connaissance de la langue du Royaume s’étant améliorée (Alin était tellement bavard, il est vrai), il lui parla du clan de son père et de la chasse dans le désert. Trois rondes plus tard : de l’honneur et de la gloire qui berçaient la jeunesse de chaque jeune homme. Quatre rondes encore : de ses réflexions sur l’honneur, et de la désillusion que le champs de bataille apporte. Ce n’est qu’à la trente-quatrième qu’Alin lui révéla que l’Empire avait perdu la guerre, et que tant des jeunes compatriotes de Dastan étaient morts pour une gloire qui, jamais, ne devait leur revenir. À la trente-cinquième, Dastan lui répondit, sans remord ni haine, le regard seulement teinté de regrets, qu’il comprenait.

Les gardent récupérèrent les deux jeunes hommes à la trente-sixième ronde.

Traînés sans ménagement, ils furent menés dans une grande salle éclairée. La lumière, vive, brûla les rétines du jeune guerrier de Thorn. Un temps de réadaptation lui fut nécessaire pour qu’enfin, entre les flashes de lumière, il aperçu un gibet de deux cordes; on était venu les chercher pour les exécuter. Sa compréhension de la langue du Royaume s’étant développée au contact d’Alin, Dastan comprit qu’on lui laissait le choix de la mort : la corde ou la décapitation, choix auquel il répondit :

Tranchez-moi la tête, puisqu’ainsi je suis le dernier de mon régiment. Tant de jeunes morts pour une gloire qui jamais ne fut. Tant de sang versé pour ce seul but. Tant de vies inutilement perdues. Que mon sang répandu, soit le dernier de cet événement.

On vint lui chercher un billot, pour y appuyer sa tête. Un bourreau vint, équipé de sa lourde hache. La lame se souleva. Dastan ferma les yeux, attendant le coup fatal. Les secondes s’écoulèrent. Le coup ne vint pas. Pris de curiosité, il ouvrit les yeux, et tourna son regard vers les gardes… et Alin que l’on venait de détacher.