Gravius avait accompagné Zéa sans perdre une miette de leur ballade. Bien sûr, il avait troqué son éternel haut bleu en doublure zibeline pour un pourpoint plus saillant dont le velours offrait des nuances bleues foncées. Et accompagné par de nouvelles chausses aux rayures grises anthracites, ces vêtements accordaient une certaine élégance à l'acteur. Tout à sa volonté de se changer les idées, il s'était fixé pour but de passer une bonne soirée. Pour une fois, il ne penserait pas aux Corbeaux, à la Rébellion, à Barzillai et à Shensen. Observant régulièrement le profil atypique de sa compagne, Gravius essayait d'anticiper les événements de la soirée en se préparant une ou deux phrases d'accroche pour les conversations à venir.

Ce n'est qu'une fois installé dans le café qu'il comprit que les choses ne se dérouleraient pas comme prévu. Le silence à leur arrivée avait été le premier signal déclencheur éveillant sa méfiance. Puis le signal produit par Zéa finit de convaincre le jeune kintagois que sa soirée changerait du tout au tout. L'arrivée du halfelin le confirma dans sa pensée. Il abandonna donc sa légèreté pour arborer le masque du Corbeau conspirateur.

« Ne t'inquiète pas. Tu n'as rien à craindre avec nous ici. Je suis moi-même un ami de Shensen et je suis à sa recherche depuis quelques temps déjà. Tout ce que tu pourras nous dire me permettra de la retrouver plus vite afin de l'aider. » lâcha t-il à mi-voix.

Je le savais ! JE LE SAVAIS !!!

Gravius n'avait pu s'empêcher de serrer un poing victorieux en découvrant le tuyau que l'halfelin venait de lui révéler. Submergé par l'émotion qui s'était faite soudainement très vive, il avait ensuite rejeté sa tête en arrière afin de masquer les larmes qui lui étaient montées aux yeux. Reprenant tout de même rapidement contenance, il reporta son attention sur l'halfelin. « Merci. » C'était le seul mot qui était sorti de sa bouche.

Pour la première fois depuis longtemps, l'acteur avait été pris totalement au dépourvu. En fait, il l'était tellement qu'il n'avait même pas pensé à demander son nom à l'informateur ou à remercier Zéa, personne grâce à qui Gravius avait enfin un début de piste sérieux à remonter. Il restait planté là sur sa chaise à dodeliner doucement de la tête, les mains jointes devant son visage à la manière des fidèles de Sarenrae. Un rire nerveux finissait de venir compléter ce tableau un peu fou. Mais de tout cela, l'acteur n'était pas conscient. Pour lui, les plans commençaient déjà à se succéder dans sa tête. Il aurait besoin d'un contact à l'intérieur... Non, ses amis pourraient très bien lui procurer des plans... A moins qu'on ne fasse usage de la magie... Qu'avait-on fait de ces uniformes du guet qu'on avait utilisé pour libérer les Chiens de la troupe ?... Le mieux serait de frapper seul et de nuit... Qui fallait-il prévenir au sein du mouvement ?... Et si les soeurs Fushi l'accompagnaient sur cette mission de sauvetage... Il fallait un leurre ou au moins une diversion... Le bal organisé !...

Les pensées de Gravius se succédaient à toute allure. Ce fut la main de Zéa posée discrètement sur son genou qui le tira de sa rêverie. Revenant subitement à lui, il vit deux visages l'observer avec une certaine appréhension. « Pardon, je me suis égaré un moment. » glissa t-il en guise d'excuse. Comprenant que la main lui revenait, il reprit le fil de l'échange. « Merci beaucoup, M... heu... pardon, mais je ne vous ai pas demandé votre nom. » déclara t-il à l'adresse du messager. Il lui fallait encore se renseigner sur les entrées que ce dernier utilisait et des rondes dont il avait connaissance. Mais il s'imaginait aussi pouvoir revenir auprès de Rexus ou de la libraire pour rechercher les plans souterrains de l'opéra de Kintargo.

Attendant sa réponse, il coula aussi un regard en direction de sa colocataire. « Merci... » put-elle voir lire sur ses lèvres alors qu'un sourire éclatant et plein d'une sincère reconnaissance venait arborer le visage du beau brun. En lui-même, Gravius se promit de récompenser la tiefeline d'une manière ou d'une autre.

S’il y avait d’autres choses qu’il voulait demander à Alfi ? Des tas !

A quel point l’opéra avait changé depuis la prise des quartiers du nouveau maire dans ce bâtiment illustre ? Y tenait-on toujours beaucoup de représentations ? Si oui, qui avait le privilège de s’y produire ? Croisait-il également beaucoup de soldats ? Si oui, faisaient-ils parti de la garde personnelle de Barzillai ? Ou bien faisaient-ils plutôt parti du guet ? Qui étaient ceux qui contrôlaient ses allées et venues ? Est-ce que le bâtiment était plutôt désert de nuit ? Quelles entrées le messager était-il habilité à emprunter ? Pouvait-on espérer monter une opération de sauvetage en passant par l’Opéra ? Existait-il des passages oubliés ou secrets passant uniquement par les sous-terrains ?

Oui, des tas de questions trottaient dans la tête du roublard car de ces réponses dépendaient la probabilité de réussir un sauvetage de la diva qu’il recherchait depuis tant de temps. Puis de questions factuelles et urgentes, celles-ci bifurquèrent peu à peu vers un autre terrain. A quel point avait-elle changé avec cette détention prolongée ? Ses cheveux avaient-ils toujours l’éclat soyeux du soleil ? Ses yeux étaient-ils toujours un brasier inextinguible qui le captivait jusqu’à s’oublier ? Sa silhouette conservait-elle toujours cette souplesse et cette fermeté qui promettait à quiconque s’approchait le piquant des épines d’une rose et la douceur de son parfum suave ?

Oui, décidément, il avait des tas de questions… Mais en voyant le pauvre Alfi trembler de peur, Gravius retint son flot de paroles. A la place, il essaya de trouver quelque chose d’intelligent à dire, ou au moins d’a propos. « Peut-on se revoir dans un autre lieu à un autre moment, quand tu ne serais pas pressé par le temps. J’ai la ferme intention de sauver Shensen, même si je dois y laisser ma peau. Mais la moindre bribe d’information pourrait m’aider à mener ma tâche à bien. » L’humain ne voyait rien de plus pertinent à ajouter. Aussi attendit-il la réponse d’Ali tout en sortant 5 pièces d’or qu’il lui remettrait à la fin de l’entretien. L’halfelin avait pris de gros risques personnels et il était juste qu’il soit récompensé à la hauteur des risques qu’il avait pris et des informations qu’il venait de révéler.

Modifié par un utilisateur mardi 22 mai 2018 19:45:48(UTC)  | Raison: Non indiquée

Gravius comprenait les précautions de Zéa. Alors qu’elle s’excusait entre les lignes de lui avoir fait une cachoterie, lui-même se dit qu’il n’aurait sans doute pas fait mieux à sa place. Il préféra donc ne conserver que sa gratitude pour l’occasion. « Ne t’en fais pas. Tu t’es débrouillée comme une chef et une info de ce calibre veut bien quelques secrets. »

Puis se tournant vers l’halfelin, il embraya. « Evidemment que je sais que tu ne fais pas ça pour le fric. Les gens honnêtes ne font jamais cela pour le fric. Mais une bonne action devrait toujours être récompensée. Alors qu’est-ce qu’un peu de gratitude accompagnée d’une pièce d’or ou deux par les temps qui courent ? Un peu de beurre dans les épinards ne fait jamais de mal. Fais simplement attention à toi en retournant au travail. Reste naturel et recontacte-nous dès que tu le pourras. Ne change surtout rien à tes habitudes. Ne vas pas fureter là où tu pourrais te mettre en danger !

Et comme le dit Zéa, recontacte-nous dès que possible. Un rendez-vous un soir en rentrant du travail serait parfait - et le plus tôt sera le mieux -. Tu n’aurais alors plus à regarder par dessus ton épaule comme ce soir, et nous, nous pourrons prendre le temps de te poser les questions adéquates pour préparer une mission de sauvetage. »

Voyant l’halfelin resté sur des charbons ardents malgré tout, Gravius s’arrêta là pour le libérer de l’entretien. Il savait que tôt ou tard, le messager reviendrait vers Zéa et donc vers lui. Ils auraient alors le temps de peaufiner les détails.

Lorsque Alfi finit par prendre définitivement congé pour la soirée, Gravius se mit à regarder Zéa droit dans les yeux sans piper mot. Bien sûr, les deux compagnons étaient amants à l’occasion et l’acteur trouvait un charme certain au naturel discret, presque gêné, aux traits graciles et à la taille fine de son amie. Mais ce n’était pas pour cette raison qu’il la fixait avec autant d’insistance tout en restant silencieux. Impénétrable, il resta muet comme une carpe tout en continuant à la dévisager.

Gravius s'était attendu à ce que le sujet soit abordé tôt ou tard. Il ne fut donc pas surpris lorsque Zéa posa le sujet sur le tapis. Néanmoins, il se dit que l'endroit n'était pas bien choisit pour parler d'un sujet aussi délicat. Trop d'oreilles à proximité pouvaient entendre ce qui relevait de leur sphère privée. L'acteur proposa donc à son amie de revenir sur cette discussion plus tard. « Nous devrions en discuter tout à l'heure, une fois que nous seront rentrés. Profitons de notre soirée pour l'instant. Nous aurons le reste de la nuit pour discuter plus sérieusement. »

Le jeune homme savait que sa réponse ne conviendrait sans doute pas à Zéa. Mais il comptait sur la dynamique du moment et son caractère maléable pour botter en touche.

Gravius se sentait assez mal à l’aise à présent qu’il avait la tête occupée par le sujet délicat de ses relations amoureuses, et ce, malgré la conversation agréable de son amie. Zéa comptait pour lui. Ça, il en avait conscience. La jeune femme possédait cette fragilité et cette souplesse de caractère qui lui plaisait. Et physiquement, elle possédait quelque chose qui lui faisait tourner les sens lors de leurs ébats. Mais sur un autre plan, Shensen aussi. Et il lui était impossible de trancher entre les deux. Là était le drame. D’habitude, l’acteur ne s’engageait pas avec les femmes. Pour lui, les relations se rapprochaient plus du jeu que d’un échange dont on ressortait grandit. Un peu comme un gourmandin, il se régalait de la saveur de ses conquêtes jusqu’à accusé un trop plein, puis il changeait. D’une certaine manière, on pouvait donc dire que tout cela était assez nouveau pour lui. Il décida donc se montrer prudent dans un premier temps, le temps de récupérer son assurance naturelle.

Décidant de partir du café alors que la luminosité commençait à baisser, il offrit son bras à son amie. Puis ils marchèrent ainsi de paire à travers le dédale des rues du quartier. Meublant la conversation d’anecdotes historiques ou personnelles, Gravius essayait de trouver une idée original qui lui permettrait de mettre derrière lui ce sujet qui le préoccupait. Il avait tout d’abord pensé à une salle de jeu - maintenant clandestine - mais il doutait que le jeu intéresse son amie. Et puis, appartenant à l’un des gangs de la ville, il prenait le risque de se retrouver dans une situation délicate. C’est que les grands pontes de la mafia connaissait son rôle clandestin ainsi que son visage.

Le jeune chélaxien se fit donc une raison et opta plutôt pour une rue où la foule des passants s’amassait. Derrière ce mur de spectateurs se trouvait l’objet de sa quête du moment : du théâtre d’impro. L’activité était rapide et le but ici était tout simple. La personne présente « sur scène » tenait une pose, et la première personne du public qui se retrouvait inspirée devait venir compléter cette pose. Les passages s’enchaînaient donc selon l’inspiration de chacun. Proposant à son amie de participer, il jugeait que cela pourrait leur changer les idées. « Tiens, regarde-moi ça. As-tu déjà essayé de participer à ce genre d’activité ? »

Un sourire mutin sur les lèvres, il espérait qu’il ferait mouche avec Zéa. Même si le temps filait et que la nuit arrivait, ils avaient encore un peu de temps devant eux.

« Ne t'inquiète pas de ça. Je connais cette troupe. Ses membres aiment la nouveauté et l'originalité. Et tant que le public est diverti, en général, le reste lui importe peu. Allez, viens. On va essayer. » lança t-il à la tiefeline alors qu'il la tirait doucement par la main.

Finalement, la pièce arriva à son apogée lorsque les deux amis et héros se retrouvèrent dans un climax dramatique. Le héros de basse extraction avait cru pouvoir fuir avec sa noble dulcinée en soudoyant le propriétaire d’une caravane. Manque de chance, il fut rattrapé par sa belle-famille qui le passa au fil de l’épée. Il mourut avec panache dans les bras de sa belle ainsi que sous les applaudissements du public qui applaudit à tout rompre.

Saluant la troupe en se relevant, il en profita pour également encenser son amie qui avait su faire preuve d’inventivité et de réactivité. De fait, lorsque les applaudissements faiblissaient, Gravius trouvait toujours un nouveau moyen de les prolonger en la mettant en avant tout en complimentant son jeu d’actrice. Cela dura au point que Zéa se mit à rougir de tant d’attention générale.

Goguenard, l’acteur arrêta enfin son char et invita son amie à passer à la suite de la soirée. « J’espère que ça t’a plu ? » lança t-il sur un ton dont on percevait clairement qu’il connaissait déjà la réponse. Un sourire niais collé sur le visage, il jubilait de cet épisode haut en couleurs. « Que dirais-tu maintenant de rentrer ? Je t’aurai bien fais découvrir une adresse que j’affectionne particulièrement car cet exercice m’a ouvert l’appétit. Mais j’imagine que ce sera certainement pour la prochaine fois. Je pense qu’il va nous rester juste assez de temps avec le couvre-feu. A la place, je vais plutôt nous concocter de bons petits plats. Tu m’en diras des nouvelles. Qu’en dis-tu ? »

Profitant une nouvelle fois de l’aide de son amie et amante du moment, Gravius jongla entre les différents plats. Sachant que l’heure était déjà relativement avancée, il évita cette fois de jouer avec son amie en lui enfarinant le nez. Il fallut finalement moins d’un quart d’heure pour préparer le diner. Bien que frugal, celui-ci était équilibré et complet. Plus varisienne que chélaxienne, la salade comportait plus de charcuterie qu’à l’accoutumée et le plat principal, des légumes verts accompagnés d’un pavé de viande rouge, avait été arrosé d’une sauce à base de d’huile et d’épices venues du nord.

Aussitôt prêts, les deux locataires s’installèrent à table pour engloutir le repas. Gravius laissa tout d’abord vagabonder ses pensées. Observant régulièrement son amie, il se demanda ce qu’elle pensait actuellement. Sentait-elle aussi monter comme lui son envie de l’autre ou bien était-elle encore contemplative de leur activité de la soirée ? Ne pipant mot, il attendit d'abord la réaction de la tiefeline.

Soupirant ostensiblement, Gravius dut une nouvelle fois aller sur le terrain des discussions sérieuses. Mais cette fois, il semblait clairement désappointé. « Oui, oui. Ça m'arrive. Mais il y a des moments pour ça. » répondit-il brièvement. Puis, il baissa ensuite le nez sur son assiette. Zéa venait de réussir à le faire repenser aux Corbeaux et à tous les problèmes qu'ils devaient gérer. La plan pour sauver Shensen. Les gangs à brosser dans le sens du poil. Les infiltrations possibles dans leur mouvement. Les problèmes de désinformation et de propagande. L'utilisation de la presse. Les problèmes d'argent pour maintenir la Rebellion à flot. Le manque d'alliés fiable pour les assister.

Non, Zéa ne savait vraiment pas lire l'humeur du moment et elle venait clairement de casser l'ambiance de la soirée. Comprenant qu'il ne tirerait que des soucis et des problèmes du reste de la soirée, l'acteur choisit de finir son assiette avant de remercier Zéa pour son aide et d'aller s'isoler dans sa chambre.