Hamunaptis leva une main en signe d'apaisement, face à l'agacement qui semblait être celui de l'individu.

« Bonjour, vous devez être sieur Lazne, la personne la plus sage et respectable de cette communauté et qui officie comme guide et chef !?

Je vous prie avant tout de nous excuser pour le dérangement que nous causons, mon amie Isolde et moi-même, Hamunaptis.

Vous n'êtes pas sans savoir que le procès de la bête capturée après que vous l'ayez chassée s'ouvre sous peu, puisque vous êtes cités comme témoin.

Nous sommes ici avec pour mission de recueillir de nouveaux l'ensemble des témoignages, et permettre ainsi de corroborer et reconstituer au mieux les évènements tragiques qui se sont produits, les circonstances de ces évènements, et constituer ainsi un solide dossier pour le procès.

Avant que de connaître les autres personnes susceptibles de nous répondre, conscients de l'aide que vous nous apporterez en la matière, et puisque vous témoignez et avez la connaissance la plus pointue de toute cette affaire, nous sommes venus entendre de nouveau la narration de cette affaire par vos soins ! »

Ledit Lazne sembla plisser les yeux à son tour, il faisait preuve d'une méfiance non dissimulée. Les propos d'Hamunaptis réussirent à lui arracher plus de deux syllabes articulées, une réussite en un sens... il ne bougea toutefois pas d'un pouce, toujours engoncé dans l'encadrure de la porte. Il porta à sa bouche une sorte d'herbe sombre dont il arracha une partie avec les dents et se remit à mâcher.


« Z'êtes des gars de la ville, pas vrai ? Vous bossez pour qui, hein ? Les flics sont pas des vifs mais y font pas les choses deux fois. J'vais témoigner comme vous disez, déjà, ça m'parait louche... vous parlez trop bien pour être honnête. Non seulement, j'vais pas vous répondre mais z'allez expliquez c'que vous foutez là. »

Lazne hésita quelques secondes puis ouvrit la porte. Il déverrouilla les trois loquets puis se glissa à l'extérieur. C'était un homme maigre et nerveux, il portait une hache rouillée de la main gauche, hache qu'il déposa près de sa chaise sur la terrasse. Il montra les autres chaises d'un geste dédaigneux de la tête puis éjecta un crachat noir et gluant entre les planches pourries en s’asseyant. Il reprit un autre morceau d'herbe puis regarda Hamunaptis dans les yeux :



« Bon, c'est quoi que vous voulez savoir précisément ? Si ça peut s'faire vite...  »

Isolde vit un couloir nu dont le sol était couvert de terre et les murs pourrissaient sur place. Aucun confort, les portes l'empêchait de voir au-delà des angles. Lazne, de mauvaise grâce, commença son histoire. Il ponctuait ses phrases par des crachats réguliers, il ne regardait ni Isolde, ni Hamunaptis.

« Ça f'sait que'ques temps que la Bête nous tourmentait, vous d'vez savoir. Les gens qui disparaissent puis nos maisons attaquées, ça pouvait plus durer. On s'vait qu'elle attaquait la nuit. On avait des torches, des fourches, on s'est dit que les gars d'la ville s'en foutaient d'nos vies, qu'on d'vait faire que'que chose. On l'a attendu avec les aut' de l'aut' côté, là Il montre l'une des entrées du village, celle qui donne sur le marais. On s'est j'té sur elle, d'aut' gars l'ont fait tombé 'vec des cordes. Elle nous a r'poussés et s'est cassée dans l'marais. On s'est pas démonté, on a pris les bateaux pour la suivre mais un 'croc s'est chargé d'elle. (il sourit et montre ses quelques dents restantes) Vous l'auriez vu gueuler ! D'quoi faire rougir une trainée. Le 'croc lui a démonté le bras, là (Il montre l'épaule droite) et y'vait plein d'sang. Dans l'marais ... et dans l'cimetière. On pouvait plus enterrer nos morts là-bas, surtout que... bah, on en a fait un aut'. J'aurais su qu'elle était pas morte, j'l'aurais achevé mais on croyait que le 'croc l'avait noyé. Faut qu'elle brule cette saloperie.

V'là comment ça s'est passé. »

Modifié par un utilisateur vendredi 10 juin 2016 18:42:21(UTC)  | Raison: Non indiquée

Lazne montra sa dentition clairsemée dans un sourire ironique et forcé :


« J'peux pas mordre, r'gardez mes chicots ! Un 'croc quoi.... la bête longue et verte, vous d'vez connaitre ça à la ville, non ? Pas que des hurlements, m'dame, mais vos baffles sont trop pures pour que j'répète c'qui s'est dit. On y est pas retourné. »

Lazne sourit de côté, comme un môme qu'on aurait pris sur le fait, une vitalité certaine pétillait dans les yeux de ce vieil homme :

« Je... bah, on a bien l'droit de s'amuser un peu, non ? C'est ça. Y'avait les valides, tous les adultes cap' de tenir une fourche ou une torche. Heu... la maison là-bas, celle-ci, celle-là aussi. (il pointe du doigt trois maisons situées à la bordure du village) S'ils ouvrent... j'veux pas qu'vous forciez qui que ce soit, ok ? Et si vous pouvez faire sans, on tient à not' tranquillité ici... le cimetière est au Nord, à un kilomètre. 'Vous faudra un bateau, on en loue. Y'a pas eu d'autres attaques depuis. »

Lazne cracha droit au visage d'Isolde dès qu'elle évoqua l'inceste et l'éventuelle innocence de la Bête, un mollard noir et gluant atterrit sur sa joue, une odeur immonde qu'elle aurait dû mal à chasser s'invita dans ses narines. Il empoigna sa hache, il tenait la lame vers sa maison, Hamunaptis vit que c'était plus pour faire face à une éventuelle riposte que dans une optique offensive. Il remarqua également que des femmes et des hommes se tenaient prêts, torche ou fourche à la main, regardant la scène de derrière leurs rideaux ou dans l'encadrure de leurs portes. Ils étaient faussement discrets, comme pour prononcer une menace voilée.



« Typique des gens d'la ville, j'aurais dû m'douter. Des diseux et des menteux. Dégagez et r'passez pas ici, ni chez moi, ni dans l'village, compris ?  »

Hamunaptis mit la main sur le pommeau de son cimeterre.

« Il n'est nul besoin de nous menacer, baissez votre arme, et veuillez excuser ma compagne, elle a le verbe acerbe et le tempérament volcanique, et vos insinuations à son encontre ont provoqué, à juste titre, son courroux.

Il n'y a pas de menterie ou de forfanterie de notre part, notre mission est bien de nous assurer qu'aucun élément ni aucune piste n'a été omis par l'enquête.
Nous poursuivrons donc notre enquête sans repasser par chez vous, dans la mesure où vous nous avez dit tout ce que vous saviez, ou croyez savoir.

Je vous remercie pour votre disponibilité, et vous prie de rentrer chez vous : nous ne vous importunerons pas plus longtemps. »

Hamunaptis tira Isolde par la manche, et traversa la ruelle en direction de l'une des habitations qui était de toute évidence habitée par une personne vigoureuse susceptible d'avoir accompagné l'expédition.

Hamunaptis se retourna.
Il marcha résolument jusqu'au pied du perron.

« Qu'est-ce que vous m'avez dit ?
De partir il me semble, mais ni avec élégance, ni avec politesse, et si je n'obéis qu'aux injonctions d'Abadar, je m'en tiens aux lois des pays que je traverse, et je ne vous vois investi d'aucune charge ou mission officielle.

Vous êtes prêt à menacer une personne dépositaire de l'autorité judiciaire, à faire entrave à la justice, à blesser ou tuer des personnes qui ne vous ont pas agressé physiquement !?

J'en réfèrerai à la juge Daramid, au chef Virtein et au sergent Dun.
Si je reconnais qu'une certaine prospérité de cette communauté est nécessaire, force m'est de constater que le respect des lois, de la justice et de l'autorité est également nécessaire.
Je veillerai à obtenir en bonne et due forme la charge officielle de shérif et officier de police judiciaire pour cette communauté : l'autarcie et l'autocratie ne font pas bon ménage avec l'autorité publique ! »

Hamunaptis se tourna vers les habitants qui commençaient à se rassembler en arc de cercle.

« Votre chef de communauté estime qu'il est seul force de loi ici.
Vous dépendez de Lepistadt, et si la ville ne semble guère se soucier de vous, je rapporterai à la juge Daramid les faits qui se déroulent ici : il faut favoriser l'essor de ce village, tout autant qu'il convient de faire cesser une application des lois qui n'appartient qu'à une personne, qui plus est une personne qui n'est pas officiellement investie de cette charge.

C'est un cercle vicieux : moins vous appliquez les lois, plus votre communauté est ignorée, mais plus vous serez investis dans la vie de la région en application des règles qui prévalent, plus les voyageurs et commerçants en auront connaissance et viendront ici pour apporter un peu de richesses et de mieux-être.

Rentrez chez vous, laissez-nous faire notre travail, et je vous promet que j'informerai les autorités de Lepistadt, et prierai mon Dieu Abadar, pour que vous soyez mieux reconnus et récompensés de votre appartenance à cette région.

Il est inadmissible de voir l'état de misère qui prévaut !
Il est tout autant inadmissible de voir la justice et l'autorité être bafouées !

Dispersez-vous, regagnez vos demeures pour veiller sur vos familles et vos proches, notre enquête continue ! »

Modifié par un utilisateur mardi 21 juin 2016 10:27:31(UTC)  | Raison: Non indiquée

Lazne allait donner l'assaut mais Hamunaptis utilisa sa langue plutôt que son épée, brisant l'escalade de la violence pour une tirade qui pourrait peut-être s'avérer être sa dernière. L'ancien posa sa hache devant lui - les deux mains sur le pommeau - et l'écouta avec un sourire méprisant. Son assurance était-elle feinte ? Nul n'aurait su le déterminer clairement. Sa voix éraillée s'éleva dès que le paladin se tut :

« T'as fini le bigot ? 'Vous croyez où ? Dans un d'ces bureaux d'la ville ? D'vant des universitaires ? Z'êtes à Hergstag, chez nous, là où not' loi s'est toujours appliquée. Non, les juges mettent pas leur nez dans not' marais, trop puant pour leurs souliers. Les flics sont v'nus que parce qu'on avait vu la Bête mais on doit s'défendre nous-même. Lepid'tat s'est toujours foutue de nous, Lepid'tat nous a toujours ignorée, on s'est toujours démerdés seuls. Les menteux dans vot' genre font mine de s'intéresser à nous juste par intérêt mais c'est vot' mépris qui colle à nos culs, pas la boue du marais. On nous dit qu'les comtes se sont barrés... vraiment ? Moi j'vois juste plein de p'tits comtes fiers et arrogants, des comtes qui ont peur d'la boue mais qu'aiment beaucoup nos votes, des comtes qui s'déplaçent une fois tous les quat' ans, des comtes qui croient qu'la vérité s'enferme dans des fioles. On s'plie déjà bien assez à vos lois, on va vous plier en deux. »

Il détermina son discours avec un grand sourire, sûr de son fait, mais son regard se brisa en voyant les habitants discuter entre eux. Ils ne l'avaient pas écouté. Des échos considérant que l'étranger avait raison, qu'il parlait bien, que c'était "p'tête vrai", qu'ils ne voulaient pas aller trop loin en attaquant un représentant de Lepidstat. Deux femmes au physique ingrat discutaient à quelques pas d'Isolde, un fichu noir sur la tête, dans un patois qu'elle avait bien du mal à comprendre. La rumeur et le doute faisaient leur chemin dans les crâne, assez pour briser l'autorité de Lazne durant un temps. Lazne enchaina précipitamment, pour ne pas perdre la face :

« Enfin, not' volonté, là, c'est d'voir la Bête bruler et pour ça, faut qu'vous enquêtiez. Allez-y mais r'venez pas chez moi. »

Il posa sa hache sur le côté de sa porte et rentra dans la masure sans jeter un œil derrière lui. Hamunaptis saisit un léger tremblement dans la main du vieil homme.

Modifié par un utilisateur jeudi 23 juin 2016 20:25:26(UTC)  | Raison: Non indiquée