Sébrysse savourait sa bière rafraichissante. Elle fit signe à Ellawa. Celle-ci ne semblait pas très loquace. Elle tenta de la dérider.
« Ellawa, cela fait plaisir de te voir. Assieds-toi. Prends donc une chope avec nous. Es-tu bien installée dans la jungle ? Simurgh a-t-il pu y trouver ses marques »

Attendant les réponses de la chaman, elle lui fit ensuite un cours résumé des événements de la journée.

« Jask est en liberté surveillée, le temps que la Justice puisse réinstruire son dossier, ce qu’elle n’est pas pressée de faire, les autorités de la ville étant très préoccupée à réunir la somme qui lui permet de bénéficier de la protection des pirates des chaines dans sa lutte contre sa majestrée qui tente de reprendre le contrôle de ce qu’elle considère comme une colonie chélaxienne. De ce que j’ai compris, nous devons déjà considérer comme une chance que notre ami ait pu ressortir libre en attendant son procès. J’ai simplement laissé en gage mon cimeterre et une importante somme et je suis responsable de sa représentation. Mais je compte bien, dès demain, aller voir où en est cette affaire et me coller comme un strige, jusqu’à ce que j’obtienne pleine satisfaction.

Nous avons aussi accompagné Gélik à la Loge des éclaireurs. C’est la première fois que sa tendance à l’exagération a été mise en défaut et qu’il a fait preuve d’une humilité relative, aussitôt oubliée maintenant qu’il s’est vu confier la mission de faire le récit de notre aventure sur l’île où nous fîmes naufrage. De la qualité de son récit dépendra son admission chez les Éclaireurs.

Et nous avons dégoté enfin le nom d’un érudit local, un dénommé Hémiphon, qui vit plus loin. Il a l’air de s’être longuement aventuré dans les étendues du Mwangi. Il a pris sa retraite depuis quelques temps compte tenu de son état de santé. Il possède une intéressante collection d’objets provenant de la jungle et il devrait pouvoir nous aider à résoudre l’énigme que nous avons trouvée dans le Temple.

Sans doute seras tu intéressée de voir cette espèce de musée ? Tu pourrais nous accompagner demain au moment où le soleil aura bien décliné. Nous lui avons promis un repas et il demande à être rémunéré pour ses services.

Et toi qu’as-tu découvert ? »

Hogo écouta Sébrysse et Ellawa avant de répondre, « D'accord pour un repas chez ce sage, si vous pensez qu'il peut nous être utile. De toute manière, de notre côté, on n'a pas appris ou fait grand-chose à part Tiriji qui a trouvé un boulot chez un forgeron nain... » Puis en baissant la voix, il continua, « Pour l'affaire avec Briga sur le vin non-libré, je pense qu'on va laisser tomber. On n'en retirera rien si ce n'est des histoires avec la maire de la ville qui n'a pas l'air des plus commodes. Pour des gens qui veulent passer discret, je pense qu'on s'est fait assez remarquer comme ça, non ? »

La prêtresse compatissait aux malheurs des habitants mwangis, victimes des préjugés des anciens colons chélaxiens.

Au lieu de compter sur eux pour défendre leur propre terre et de les associer ou de leur reconnaître les mêmes droits, les Sargaviens considéraient les mwangis comme des étrangers sur leurs propres terres. Ils préféraient assécher ce pays de ses richesses pour payer un tribut destiné à les empêcher d'être attaqués au lieu de construire leurs propres défenses et mobiliser les habitants pour qu'ils prennent en main leur destin.

Ce système basé sur l'exploitation du plus grand nombre finirait par une révolte.

Il suffisait que les capitaines libres se retournent contre l'ancienne colonie pour n'en faire qu'une bouchée ou obtiennent un bon prix de sa Majestrée.

Elle partagea ses réflexions politiques avec Ellawa et Hogo. Mais, en voyant arriver Ephrem, Sébrysse lui fit signe de les rejoindre, soulagée, oubliant pour un moment les considérations politiques.

« Ephrem ! Par ici. Où étais tu passé ? Je suis montée frapper à la porte de ta chambre toute la journée, en vain. Au point que je me suis inquiétée et que j'ai pensé que tu avais pris la décision de nous abandonner et de reprendre la mer.

En tout cas, de notre côté, nous n'avons pas perdu notre temps. »

En le regardant d'un oeil noir, Sébrysse lui refit un point de leur journée.

Sébrysse resta stupéfaite par les révélations d'Ephrem.

« Pourtant, nous avons essayé de voir si quelqu'un nous a suivi sans résultat, pas davantage que nous n'avons parlé de ce que nous avons découvert jusque lors ! Nous sommes restés dans le flou à cet égard.

Mais qui d'autre nous a suivi ? »

« Bon, ben tout ce qu'il a put apprendre, c'est qu'on est à la recherche d'un travail... » dit Tiriji, « Et comme demain je vais à la première heure aller travailler chez le forgeron nain que Briga m'a indiqué, cela devrait confirmer ce qu'il a apprit du pécheur - et de ceux qu'il a put interroger. »

Elle se tourna vers Hogo et Ishirou « Peut être faudra t-il que vous continuiez à chercher demain pour que notre ombre se persuade que c'est le cas. Et que ça donne à Ephrem l'occasion d'en apprendre plus sur elle... »

Ishirou croisa la regard de Hogo mais son visages resta relativement inexpressif. Il tourna les yeux vers la direction du bar, où s'affairait Briga et la fixa pendant quelques secondes, l'air un peu pensif. Finalement, il se retourna vers le barbare et haussa légèrement les épaules. « Je suivrai, je n'ai pas vraiment de projet pour demain, ni l'intention de vraiment travailler pour le moment. Mais je n'aime pas non plus laisser les choses non finies. » se contenta-t-il de commenter.

Jask intervint. « Ça peut être n'importe qui… et pas forcément quelqu'un de malveillant. Ça pourrait par exemple être un agent du Gouvernement chargé de garder un oeil sur nous. Ça ne serait pas trop étonnant. Nous sommes tombés sur un Arbitreur plutôt... ouvert à la discussion, mais prudent. » Il consulta Sébrysse du regard en mentionnant l'Arbitreur.

« À part ça, quels sont les plans pour demain ? Nous rencontrons Hémiphon au soir... mais pendant la journée ? Tu avais parlé d'aller à la rue des Temples ? » demanda-t-il en consultant tout le monde du regard.

Sébrysse entendit les remarques d'Ishirou et les sous entendus de Jask.

Elle prit à son tour la parole.

« En tout cas, une chose est certaine, celui qui nous suit en est pour le moment pour ses frais. Nous nous sommes comportés honorablement » elle lança néanmoins un regard significatif à Ephrem « et n'avons rien dévoilé qui puisse nous nuire ou renseigner sur ce que nous avons trouvé sur l'île. Seul Hémiphon a une idée très partielle de ce qui nous intéresse mais sans en avoir vu le moindre morceau et ne pourra guère renseigner celui qui l'interrogera. Je doute également qu'il le fasse sans une bonne raison.

Je vais aller voir Gélick pour tenter de savoir s'il a pu avancer et surveiller son récit. Avec un peu de chance, s'il se dépêche, une lecture publique d'un récit amputé des derniers instants auxquels il n'a pas assisté pourrait permettre de satisfaire la curiosité de ceux qui cherchent à en savoir plus sur nous en expliquant notre soudaine richesse et en expliquant notre mésaventure sans avoir besoin d'expliquer comment cela s'est terminé pour cette créature.

Je doute que celui qui nous a suivi puisse être l'Arbitreur puisque ce n'est pas nous qui avons été suivis, mais nos camarades avec lesquels il ne pouvait savoir alors que nous étions proches. L'explication est sans doute ailleurs et notamment de l'idée que notre amie de l'île ait eu également des complices restés ici à attendre qu'elle mène le rituel à bien par exemple et qui auraient eu vent de notre provenance par des bavardages sur le port. Un groupe comme le nôtre, bien inhabituel, a pu attirer l'attention et provoquer des questions.

Pour la journée de demain, il nous reste à essayer les archives coloniales pour tenter de trouver s'il existe des informations sur les ruines azlantes ou d'autres civilisations et voir s'il y a des expéditions qui se sont montées pour tenter de les explorer. Je demanderai à la déesse de me permettre de pouvoir déchiffrer ce que nous avons trouvé mais il faudra sans doute que d'autres nous aident à parcourir un maximum de volumes si nous voulons arriver à un résultat.

Pour Hémiphon, l'idéal serait d'abord de réunir de quoi le payer. J'ai laissé chez l'Arbitreur une partie de ma récente fortune mais j'escompte bien la récupérer et commencerai par aller voir son secrétaire pour le lui rappeler et éclairer sa journée après avoir été à l'Autel de ma déesse.

Quant à aider Briga, Ephrem, je n'ai pas trop compris de quoi il s'agit. Si c'est une querelle commerciale, es-tu certain qu'il soit bon que nous nous en mêlions ? Nous sommes des étrangers ici, sous surveillance du gouvernement et nous ne connaissons pas grand chose des intrigues. Même si Briga nous est sympathique, violer la Loi ne serait peut-être pas une bonne idée et il ne faudrait pas que cela se transforme en prétexte pour nous arrêter.  »