Voici une traduction de l’histoire courte postée sur le blog de Paizo à propos de la région de l’Œil de la Terreur, écrite par Chris A. Jackson.J’étais certaine qu’il me rattraperait tôt ou tard. Que je n’échapperais pas à mon destin triplement maudit : mon sang, ma naissance et ma foi. Je savais que je serais choisi. Ma mère m’avait quasiment promise.
« L’an treize arrivera pour toi, ma fille. Tu ne peux pas l’empêcher, mais tu peux t’y préparer. »
Vingt-quatre sabots noirs, quatre roues renforcées de fer, et quatorze yeux rouges qui brillent, ceux du conducteur plus six, l’annonciateur de ma destinée, ma promesse, mon destin funeste, glissait vers moi en suivant la rue pavée sans même un murmure. Les bonnes gens de Cesca s’écartaient et se précipitaient à l’intérieur, fermaient les volets, fuyaient dans les allées comme des rats terrifiés. Je restais debout, attendant mon destin.
Le carrosse ébène s’arrêta devant moi, les yeux charbon ardent du conducteur me transfixaient comme des épingles perçant un papillon exposé. Il y eu un bruit d’armure ressemblant à celui de feuilles mortes hivernales forgées à froid dans le fer, au moment où une de ses mains lâcha les reines pour plonger sous sa cape. Il produisit un rouleau de parchemin couleur ébène attaché avec un ruban rouge sang dans sa poigne morte-vivante et le tendit dans ma direction.
« Votre invitation, fille d’Arudora. » La voix me glaça comme le contact avec un scalpel de glace.
« Bien sûr. » Je pris l’invitation dans une main, enleva le ruban et déroula le parchemin noir qui scellait mon sombre destin. Je lus « Marilisa Balcus Arudora », mon nom, les seuls mots qui se trouvaient sur la page.
Le conducteur en armure fit un geste et la porte du carrosse s’ouvrit en silence. « Bienvenue. »
Le carrosse couleur de minuit m’avala.
Des cuirs noirs, des tissus de satin et des visages pâles empreints de terreur m’accueillirent. Je m’assis et ajustai ma jupe. Le siège était froid, mais moins que les visages, six de mes parents condamnés à un destin commun. Je n’en reconnus qu’un, un cousin que j’avais rencontré une seule fois. Ses yeux m’observèrent sans trop trahir le fait qu’il me reconnaissait. Une de ses mains enserrait la tête de son bâton de marche, un loup d’argent, les crocs dévoilés par un rictus de rage. Les autres, deux paysans, un commerçant, un marchand et une catin, évitèrent mon regard, résignés au destin qui nous était commun. Une perspective pire que la mort assombrissait leur regard.
Le carrosse se mit en mouvement, mais cela ne se sentit pas, et je n’entendis pas un bruit, à part les battements de mon cœur et les tremblements de ma respiration. Le marchand se balançait d’avant en arrière, ses mains si serrées qu’elles en étaient blanches. La catin sortit une flasque d’argent de son ample corsage et avala une gorgée. Son regard croisa le mien et elle esquissa un rapide sourire.
« Une goutte de courage liquide, mon trésor ? » Elle tendit la flasque et une forte odeur de brandy flotta dans l’air.
« Non, merci. » Cela faisait longtemps que j’avais fait une croix sur mon courage.
« Comme tu veux. » Elle but à nouveau puis rangea la flasque.
« C’est pas possible … je ne peux pas... » murmura le marchand agité.
« Oh, mais taisez-vous donc, monsieur ! » Mon cousin lui jeta un regard moqueur.
« Fous-lui la paix ! » répliqua sèchement un des paysans, sa lèvre se soulevant et dévoilant des dents tachées par le tabac.
« Comment osez-vous vous adresser… »
« Je ne peux pas ! » Le marchand hystérique sortit un stylet.
« Non ! » Le mot sortit de ma bouche avant que je ne puisse l’en empêcher, mais cela ne servit à rien.
La main tremblante du marchant traça une ligne rouge en travers de sa gorge. Il coupa profondément, assez profondément pour asperger et repeindre la catin assise à côté de lui. Elle jura et leva un bras pour se protéger du jet de sang. Le marchand toussa et s’étouffa puis se mit à trembler alors que le torrent s’atténuait.
« Quel idiot ! » s’esclaffa mon cousin. « La mort n’est plus une échappatoire maintenant. »
Il avait raison, car le sang du marchand cessa de couler quand son cœur cessa de battre, et seule la surprise resta sur son visage pâlissant. Il cligna des yeux et écarta ses lèvres ensanglantées, choqué, au moment où la mort-vivance s’empara de lui. Nous ne pourrions pas échapper à notre destin si facilement.
La catin sortit à nouveau sa flaque et vida son contenu d’une seule gorgée, ses joues semblant très pâles en contraste de son rouge à lèvres de piètre qualité et des éclaboussures de sang.
« Par l’enfer et les démons, » jura le paysan hargneux, tout en faisant un signe pour tenir le mal à l’écart.
« Ça ne va pas te sauver non plus, stupide ignorant. » Mon cousin fit la moue, peut-être à cause de l’odeur du sang, ou peut-être par pur dédain.
« Pas plus que la lame cachée dans votre cane, monsieur, même si elle est enchantée. » Je ne sais pas pourquoi je pris la parole, mais je ressentis le besoin de remettre cet idiot prétentieux à sa place. « Aucun outil forgé par un mortel ne vous sauvera. »
Il fronça les yeux en me regardant. « Vous semblez plutôt certaine de vous, Marilisa. »
« Je le suis. » J’ajustai ma jupe à nouveau, ma main en explorant les plis à la recherche de mon seul espoir de salut. Ma paume frôla du métal froid. « Toute ma vie, j’ai su quel destin m’attendait, Seigneur Wolthaven. Tout comme vous. »
« Oh, et je suppose que vous avez une quelconque astuce qui, vous l’espérez, va vous sauver ! » Il me fixa du regard, extrayant du courage de sa colère.
« Non, pas d’astuce. » Je saisis mon seul espoir et pria en silence.
« Regardez ! » Le commerçant indiquait le paysage qui défilait de l’autre côté de la fenêtre.
Les bâtiments en ruines, les cottages dilapidés et les tours effondrées étaient parées d’une aura fantomatique d’un bleu brillant qui soulignait l’ombre de leur ancienne grandeur. Nous traversions le village mort de Maiserène. Je le reconnus grâce à mes études. Je me demandai si quelqu’un en-dehors du carrosse pourrait voir l’apparition ou si elle n’existait que pour nos yeux de maudits. Plus loin, le pont spectral menant vers notre destination se formait progressivement au-dessus des eaux sombres du lac Laroba. Notre carrosse ne ralentit pas en traversant, les eaux silencieuses bouillonnant en-dessous de nous, comme si elles s’apprêtaient à dévorer les vivants ou tout simplement pour nous accueillir sur le chemin menant à notre destin.
Nous plongeâmes dans la gueule garnie de dents que constituait le portail de Château-Bâtard, les gémissements des charnières, des engrenages et des chaînes de fer produisant une cacophone de bienvenue. L’un des paysans fondit en larmes. Le carrosse entra dans une vaste cour et s’arrêta devant le sinistre bâtiment principal.
Trois grandes silhouettes nous attendaient : une femme à la peau pâle avec des cheveux aux mèches blanches, une autre femme portant le symbole d’Urgathoa sur la poitrine, et un individu encapuchonné qui portait un paquetage emballé dans ses bras.
Je savais qu’ils avaient préparé cette rencontre depuis longtemps.
La porte du carrosse s’ouvrit et ma destinée me poussa à aller de l’avant. Mes jambes étaient fermes, mes dents serrées pour empêcher tout cri inutile, et ma main enserrait le pieu d’argent qui n’avait été forgé par aucune main mortelle. Les flammes d’un soleil brûlant embrasaient ma paume alors même que j’avançais, tout droit vers mon destin.