En pleine nuit, les jeunes gens réunirent leurs affaires à la hâte et dans le silence. Une fois le feu éteint et la charrette de Clepsydre chargée (d'aucuns diront qu'ils avaient littéralement balancé leurs affaires dedans), ils se réfugièrent dans les bois, d'où ils purent observer l'inquiétant spectacle au sommet de la montagne. Les éclairs et la tempête durèrent encore de longues minutes, mais sous la canopée, les jeunes se sentaient moins "visibles" qu'en plein milieu de la cambrousse.

À mesure que leurs respirations redevenaient normales, le tumulte loin au-dessus de leurs têtes se calma, puis disparut. Tous entendirent le puissant grondement des dragons juste avant que les immenses lézards volants ne disparaissent et que le sommet de la montagne retrouve son impassibilité.

Aux noirs et aux bleus de la nuit, il était relativement simple d'estimer que le soleil n'allait pas tarder à poindre et qu'ils avaient le temps d'un petit déjeuner de fortune dans les bois et d'une brève discussion sur les dragons et ce qu'ils pensaient avoir vu, avant de pouvoir se remettre en marche dans une sécurité toute relative, compte tenu de la réputation de cette forêt.

Tous arrivés enfin dans le sous-bois, il allait bientôt être l'heure de se remettre en marche. Nid-du-Faucon les attendait, à quelques heures de là, mais le chemin n'était pas le plus rassurant qui soit. La route s'enfonçait dans un bois à la frondaison si fournie que la lumière du soleil n'y pénétrait que peu, laissant seulement quelques rares rayons de ci de là descendre jusqu'au sol et donnant à cette voûte verte des allures de cartes célestes, lorsqu'on la regardait par en-bas.

Une sorte de silence pesant s'était installé sur le groupe. Les événements de la veille, de cette nuit, la destination ainsi que l'ambiance des lieux ne prêtaient pas vraiment à sourire. Il faudrait probablement du temps aux jeunes gens pour s'habituer à la diversité et aux dangers de leur nouvelle vie, et intégrer tout cela alors même qu'ils n'étaient jusque là que des petits campagnards aux vies tranquilles.

Quatre heures s'écoulèrent dans un silence relatif. Clepsydre faisait comme toujours preuve d'une admirable résolution et tirait sa charge avec la régularité de l'appareil dont elle portait le nom. Les casse-croutes et repas sur le pouce furent pris sans s'arrêter. D'avis commun, il avait été décidé que cette forêt et sa réputation suffisaient à justifier ce choix. À plusieurs reprises, ils avaient croisés ou entraperçus des groupes de bûcherons, l'air fatigué et las, qui partaient dans les bois en suivant des pistes. Certains leur avaient adressé un signe de tête, d'autres ne les avaient même pas vus, mais le point commun entre tous était cet abattement apparent qui marquait leurs visages.

En dépit du test pas franchement folichon, deviner l'abattement et l'état psychologique des bûcherons est d'une simplicité enfantine. Il est évident qu'ils sont déprimés. Ils semblent soucieux, mais pas au sujet de votre présence. Tous tirent des têtes de 4km de long, certains trainent les pieds. Tous sont vêtus de frusques sales et partiellement couverts de poussière de sciure. Quelque chose semble les travailler, et ce quelque chose est probablement la cause de leur déprime. Mais quoi, tu es bien incapable de le deviner.

Alors que Licos les salua, ils levèrent la tête, un air quelque peu étonné. L'un d'eux eut même le reflèxe d'armer sa hache comme pour frapper, comme pour se défendre. D'une voix morne, monocorde et lasse, ils répondirent. Ils étaient 4 et se trouvaient dans une sorte de clairière créée à coups de hache. Deux d'entre eux s'affairaient à débiter un tronc abattu en bûches transportables, les deux autres sciaient un énième tronc en rythme...

Ils s'échangèrent un regard, toujours avec le même air étonné:

«  Ouep, jeune gars... suivez la route, vous pouvez pas le louper, l'Nid...  » et il marmonna quelque chose à voix basse Test de Perception Il continua: «  Pour ce qui est des nouvelles, en dehors des éternelles attaques et autres emmerdes de gob's, loups, fées et consors, rien d'neuf par ici, les jeunes... Allez, 'scusez nous, mais faut vraiment qu'on reprenne le boulot là...  » et tous reprirent le travail, leur visage à nouveau marqué uniquement par un abattement profond.

Thancrède n'était pas sûr d'avoir compris, alors il prit la parole avec le tact que l'on lui connaissait «  Pardon, j'ai pas bien compris l'ami, vous pourriez répété vos messes basse !!  », il poursuivit d'un ton moqueur «  si ça vous ne dérange pô ».Des bouseux comme chez nous

Thancrède et le groupe d'ami reprirent la route en direction du nid...

Après quelques heures de marche donc, les jeunes gens arrivèrent en vue du village de Nid-Du-Faucon. Une ville, presque, pour eux qui venaient d'un lieu-dit, tout au plus. De nombreux bâtiments, plusieurs auberges, toutes en activités. Un lieu de culte, diverses échopes et magasins, et le tout vibrant d'agitation (à leurs yeux en tout cas). Étalé sur le sommet d'une colline ainsi qu'au pied de celle-ci, le village n'est fait presque que de bois, et d'ailleurs, une quantité impressionnante de sciure borde chaque recoin et angle de la ville. Une forte odeur rappelant les scieries émane de tout le village, et bon nombre des villageois croisés ont copeaux de bois ou sciure sur leurs vêtements ou dans leurs cheveux. Ceinte d'une palissade elle aussi en bois, et, à voir, patrouillée par des gens d'arme à l'air peu engageant, la ville semble craindre pour sa sécurité. Mais la menace vient-elle vraiment du dehors ?

Lorsqu'ils arrivent, la matinée touche à sa fin. Dans un ciel où le soleil joue à cache-cache avec les nuages, ils découvrent pour la première fois de leur existence la civilisation et on est très loin de cette ville aux habitants aux mines réjouies et bohommes. Le tout donne une impression de fausse liberté, presque de prison... une prison qui sent le bois.

Alcandre attendait aussi la réponse du jeune garçon.
La lettre trouvée sur les bandits, la morosité et l'abattement de ceux qu'ils avaient croisés, tout portait a croire que quelque chose ne tournait pas rond à Nid de faucon.