La maison de l'ancien assistant du docteur Brada se trouvait aux limites Nord-Est de la ville, près de la rivière, là où Lepidstat commençait à s'éclaircir au profit de la lande. C'était une petite maisonnée charmante faite pour un seul homme, la porte trembla légèrement au moindre coup donné. Une voix s'éleva du fond du cottage.

« Qui est là ? »

Quelques bruits de meubles bousculé plus tard, une cloche teinta et un vieil homme entrouvrit la porte sans plus de méfiance. Il semblait humait l'air et son regard se perdait loin derrière Zorg & Wesley.



« Bonjour, vous êtes ? »

Karl se fendit d'un sourire chaleureux :

« Bien entendu, bien entendu, vous devez savoir que je serai témoin à ce procès, tout de même ? Venez, entrez. »

Il attrapa la main de Wesley sans plus de cérémonie et l'attira à l'intérieur. Le cottage était petit mais très confortable, les boiseries étaient lustrées par d'incessant contacts à certains endroits que Wesley identifia comme stratégiques. Il était ironique - mais sans doute parfaitement conscient de la part du vieil homme - que ce soit l'aveugle qui guide le voyant. Il installa Wesley sur une chaise qu'il tira avant qu'il ne s'assoie. Il en tira une deuxième pour Zorg. Il se dirigea sans hâte vers les meubles du fond de la pièce, il sortit trois verres à vin ainsi qu'une baguette de bon pain et une bouteille de vin de gamme moyenne. Il installa consciencieusement les trois verres, celui de Zorg était légèrement décalé vers la droite. Tout en débouchant la bouteille, il demanda :

« Je ne pensais pas que l'enquête serait rouverte à l'occasion de l'arrestation de la Bête. Vous ne faites pas parti de la maréchaussée, n'est-ce pas ? »

Il identifiait la position de chaque verre grâce à sa main gauche puis la retirait avant de verser de la main droite. Ceci fait - et sans qu'aucune goutte ne soit renversée - il montra l'endroit où se trouvait le pain à quelques centimètres près :

« Honneur aux invités, rompez le pain, je vous en prie. »

Wesley regarda avec une surprise mêlée d'admiration son ami Zorg. Il avait évoqué l'histoire du complice sans dévoiler leur suspicion concernant la manipulation de la Bête, voire en donnant le beau rôle au dénommé Karl : celui-ci pourrait bien être celui qui livrerait ledit complice à la justice grâce à son témoignage, assouvissant par la même occasion une potentielle vengeance contre les responsables de son état. C'était tout simplement brillant, comme toujours. Mais ce n'était pas ça qui avait impressionné Wesley. Il était habitué à ce que Zorg ait des idées de génies, mais sans être capable de les formuler convenablement. Ores, là, il s'y était parfaitement pris - si on omettait le fait de regretter le manque de miroirs chez un aveugle - et sans dénigrer ni brusquer à aucun moment son interlocuteur.

Il sourit à Zorg, se saisit du pain sans dire un mot de plus, et le rompit en trois, selon la demande de leur hôte, puis en posa un morceau devant chacun d'eux, guettant la réaction de Karl.

Wesley écouta avec attention ce que disait l'aveugle. Il mordit dans le morceau de pain, qu'il fit passer avec une gorgée de vin, avant de s'exprimer à son tour.

« Si je comprends bien, vous n'avez vu la Bête qu'un court instant, instant pendant lequel vous ne l'avez pas vue mettre le feu ou tenter de le propager. Tout compte fait, vous n'allez pouvoir que témoigner de la présence de la Bête, et non de sa culpabilité - ou de son innocence, évidemment. Dommage... Que faisiez-vous juste avant que l'incendie se déclare ? D'où est-il parti ? A-t-on retrouvé une preuve qu'il s'agisse d'un incendie criminel ? Et, y avait-il eu déjà des problèmes à l'asile précédemment, telles des incidents, des menaces, voire des sabotages ? »

« Des goules ? » S'écria Zorg, « scheisse ! Je commence à me dire que Fraulein Isolde aurait du nous accompagner, l'ambiance lui aurait plu. Mais bref. J'aurais d'autres questions, si vous me le permettez, Herr Karl. Tout d'abord, pouvez-vous nous expliquer quelle était la spécialité du Dr Prada et de quelles affections souffraient ses patients ? Ensuite, savez-vous si tous les corps ont bien été retrouvés ? Et puisque vous connaissiez bien le bâtiment, vous semble-t-il normal qu'un incendie parti d'une seule pièce le ravage jusqu'aux fondations ? Enfin, et j'aurai momentanément fini de vous assaillir de questions pénibles, vous avez dit que la taille de la bête ne laissait planer aucun doute quant à sa nature. Justement, quelle est, selon vous, sa nature ? »

Modifié par un utilisateur samedi 14 mai 2016 23:31:28(UTC)  | Raison: Non indiquée

« Pas de témoin à part ce cher monsieur, pas le moindre indice qui accuse ou innocente la Bête, un incendie sans origine claire... Nous pataugeons un peu dans cette enquête, mon cher Zorg ! Et je vois mal les goules à l'origine de ce genre de drame... »

Wesley mordit dans son morceau de pain et mâcha quelques temps avant d'avaler sa bouchée. Il but une gorgée de vin, et soupira. « Les patients étaient-ils tous volontaires et coopératifs ? Se pourrait-il que l'un d'entre eux soit à l'origine de cet incendie ? Et, êtes-vous certain que le Dr Prada était bien dans son bureau au moment où l'incendie s'est déclaré ? »

« Eh bien... Merci pour toutes ces informations. Je n'ai pas d'autres questions pour ma part. » Se tournant vers le gnome, il le regarda d'un air interrogatif. « Zorg ? » Il s'apprêtait à se lever, mais il savait que son imprévisible ami pouvait avoir encore des questions en tête auxquelles il n'aurait jamais songé.

« Malgré vos manières brusques, sachez que votre présence m'est agréable. Vous emplissez l'espace, j'ai presque l'impression de vous voir tant vos mouvements se traduisent en bruit et en odeurs. Votre accent est intéressant à défaut d'être agréable. Je comprends que ce ne soit pas du goût des voyants, toutefois. »

Après un silence, il continua :

« Vous vous doutez bien que je n'ai pas pu participer aux recherches, je ne sais pas non plus qui s'en est chargé ni même si quelqu'un s'en est chargé. Le Dr Prada avait ses appartements à l'asile tout comme moi. Cette maison est une acquisition récente, j'avais quelques économies et ... il me faut d'ailleurs vous le dire par souci d’honnêteté, j'imagine, il s'est avéré que j'étais le seul légataire du Dr Prada - il n'avait plus aucune famille - et même s'il ne possédait pas une grande fortune, la plupart de ses finances passaient par et pour l'asile, cela a complété mon petit pécule.  »

Karl raccompagna ses hôtes à la porte et leur souhaita bonne chance. Le sanctuaire se trouvait cinq kilomètres au Nord, ils traversèrent un marais dans lequel la note la plus claire semblait être le gris clair de certaines flaques de tourbe. Les arbres se tordaient et se contorsionnaient comme pour tenter de saisir les quelques rais de lumières qui auraient pu pénétrer les brumes qui couvraient cet ensemble déjà morose. Absorbait-elle aussi les sons ? Pas un insecte, pas un crapaud ne dérangeait le lourd silence des lieux en cette saison. La rivière elle-même semblait lente et apathique, éparpillant ses forces dans les terres humides qui les environnait. Seul le "floc" régulier des pas des chevaux rythmait la marche. Là, au détour du chemin, un isthme s'avançait dans la rivières. Les tristes vestiges du sanctuaire reposaient sur cet ersatz de retraite. Le bâtiment s'était effondré sur lui-même, ne restait que quelques poutres noircies qui disparaissaient dans des taillis d'orties et de chardons qui se développaient sur les vieilles pierres. C'était comme si la nature tentait de s'approprier les lieux et d'effacer le sinistre souvenir de l'incident. Quelques stèles sommaires et tordues dépassaient des herbes à quelques pas drd vestiges.

« Hehehehe. Très drôle, » répondit le gnome, avec un ricanement forcé, à la boutade de son ami. « Si tu veux savoir, je te range dans la catégorie de ceux avec qui je ne m'emmerde pas. Une catégorie très peu nombreuse, » dit-il en secouant la pipe qu'il avait tété compulsivement pour en évacuer la salive chargée de goudrons, avant de la bourrer à nouveau et de l'allumer. L'âcre odeur se répandit bientôt autour d'eux, probablement assez repoussante pour les goules elles-mêmes.

« Creuser ? » Reprit-il, « j'en doute, mais après tout, si tu paies les outils et les transportes, je ne vois pas pourquoi j'aurais un droit de regard sur ce que tu fais de ton argent. Je te rappelle que ton ami à la présence si agréable totalise une quarantaine de livres, dont près de la moitié en matière grise. Me faire creuser ne servira qu'à te faire rire. »

Une fois arrivés sur les lieux du sinistre, Zorg contempla les ruines calcinées avec une moue admirative. « De la belle ouvrage, à n'en pas douter ! Il ne reste effectivement rien. Le jour où je saurai faire ça... Merci pour ton sort mais, si on en croit Karl, les goules ne sortent que la nuit. Ce sont surtout les stèles qui m'intéressent. On peut supposer qu'ils n'ont oublié personne. Je vais prendre note de tous les noms et on pourra au retour demander à Karl des renseignements sur chacun d'entre eux. Je ne serais pas étonné que notre mystérieux maître des golems ait été pensionnaire ici, ou qu'il ait bien connu un patient du docteur Prada. Je te parie que tout le monde n'est pas mort cette nuit-là. »