u Brévoy, les titres de noblesse passent du père au fils aîné. Ainsi, pour éviter qu'ils ne disparaissent par manque d'héritiers, les nobles même les plus mineurs ont pour habitude de créer des familles relativement nombreuses, pour parer à tous les incidents de la vie : mort, accident débilitant ou, bien sûr, naissance d'une fille. Les aînés reçoivent une éducation qui les prépare à assumer leurs responsabilités futures. Quant aux autres ... ils doivent se faire une place eux-mêmes.

Allister Medvyed s'engagea dans le long couloir du manoir Medvyed, un couloir qui menait vers la porte d'entrée. Il passa à côté d'un présentoir de bois sur lequel reposait un bouclier aux couleurs de sa famille : un ours rampant sur un champ de gueules. Sous le bouclier, il pouvait lire la devise des Medvyed, une devise qu'on lui avait maintes fois répétées : Endurance surpasse tout.

L'endurance vient à bout de tout. Mouais. Peut-être, dans les contes et légendes, mais pour vraiment aboutir à quelque chose, il faut bien souvent donner un bon coup de pouce au destin. Et c'était justement ce que le jeune noble (de nom du moins, car sa famille proche était assez éloignée du patriarche Gurev Medvyed) s'apprêtait à faire, donner un coup de pouce au destin, en se rendant à Restov pour y accepter une mission d'exploration dans les terres du sud, les Terres Dérobées.

Sa famille avait pris la décision du jeune historiographe avec un certain détachement dont il était difficile de dire si c'était une bonne chose ou pas. La seule véritable réaction était venue de celle qu'il appelait parfois sa cousine et plus souvent simplement Lala : Aelaendlara, une demi-elfe recueillie par une cousine de son père. Ils s'étaient connus lorsqu'ils étaient tout jeunes, puis s'étaient éloignés au gré des aléas de la vie, pour finalement se recroiser lorsque lui avait été engagé dans l'organisme qui s'occupait des relations entre le Brévoy et les habitants et autres forces séculaires de la forêt de Gronzi. La jeune demi-elfe avait reçu une formation de rôdeuse et c'est donc tout naturellement qu'ils avaient dû collaborer sur divers projets.

Allister ne savait pas exactement pourquoi Aelaendlara avait décidé de partir avec lui et conquérir les terres du sud. C'est vrai qu'elle n'avait pas vraiment d'attaches dans le coin : même si elle éprouvait sans doute de la reconnaissance et peut-être même de l'affection pour ceux qui l'avaient accueillie après la mort de ses parents, il ne s'agissait pas véritablement de sa famille. D'ailleurs, d'après ce que le jeune homme avait entendu, sa véritable famille, du côté elfique du moins, s'était désintéressée de la sang-mêlé. Peut-être avait-elle tout simplement envie de donner elle aussi un coup de pied au destin, d'accomplir quelque chose digne de ce nom, ou peut-être juste d'aller ailleurs.

Quoi qu'il en soit, la demi-elfe avait immédiatement proposé d'accompagner Allister jusqu'à Restov et dans la mission d'exploration. Et, bien sûr, celui-ci, dont les talents et la formation convenait peut-être moins bien à l'exploration d'une terre dangereuse, avait accepté : les nombreux talents de la rôdeuse se révéleraient certainement utiles.

Lorsqu'Aelaendlara avait fait part de sa décision à ceux qu'elle considérait comme ses parents adoptifs, ces derniers avaient immédiatement accepté : lui était également un rôdeur et elle, une druidesse ... ils comprenaient certainement son désir de se rendre vers de nouvelles terres sauvages et, même s'ils auraient peut-être apprécié de garder "leur" fille près d'eux, ils ne tentèrent rien pour la dissuader. Au contraire, un jour avant son départ, ils lui donnèrent un point de chute à Restov : un ami rôdeur qui avait vécu quelques années à la frontière entre le Brévoy et les Terres Dérobées et qui avait fini par s'établir à Restov pour y passer ses vieux jours en paix.

Allister secoua la tête, détachant son regard du bouclier orné et son esprit des méandres de réflexion où il s'était perdu, puis il continua son chemin le long du corridor vers la sortie du manoir. Le véhicule qui devait les emmener vers Restov était là, ainsi que ses maigres bagages, et bien sûr Aelaendlara. Il leur faudrait deux bons jours pour atteindre la ville, il était temps de partir. Le jeune Medvyed salua ses parents puis embarqua sans hésiter la moindre seconde. Il sourit à sa cousine. Et voilà, c'est parti, se dit-il alors que le véhicule se mettait en mouvement.

Deux jours plus tard, ils se retrouvaient à Restov, devant le grand bâtiment qui abritait les services de la ville et les bureau du Seigneur-Maire Ioseph Sellimous. Lui et sa cousine venaient de déposer leur candidature pour la mission d'exploration des Terres Dérobées. Ils devaient repasser à l'hôtel de ville deux jours plus tard pour prendre connaissance de la décision du Seigneur-Maire.

Le voyage avait finalement semblé rapide à Allister. Ces deux jours passés à discuter avec sa cousine lui avait fait perdre quelque peu la notion du temps et le voyage n'en avait été que plus plaisant. Lorsqu'ils entrèrent dans les faubourgs de Restov, il ne put réprimer une expression de joie sur son visage, néanmoins teintée d'un soupçon de crainte. Enfin nous y sommes ! Si près et pourtant encore si loin !

Ils avaient accompli les démarches pour déposer leur candidature finalement assez rapidement, en tout cas plus rapidement qu'il ne l'avait pensé à l'origine. Et il se trouvait maintenant sur le parvis de l'hôtel de ville a se demander quoi faire pendant ces deux jours qui seraient assurément pleins de tensions. Il lui fallait trouver un moyen de se détendre et la proposition de Lala d'aller rencontrer un vieil ami de ses parents adoptifs lui convenait parfaitement.
« Bonne idée Lala ! De toute manière nous avons deux jours à tuer ici avant d'entendre la décision du Seigneur-Maire. Mais sais-tu où il habite ? Je ne connais pas Restov et, même si elle est plus petite que Nouvelle-Stetven, je n'y ai jamais mi les pieds et nous n'avons pas de carte... »

Pendant qu'il devisait ainsi, il ne put s'empêcher de jeter un œil autour de lui et aperçut d'autres personnes sortir les unes après les autres du bâtiments à l'intérieur duquel leur avenir était en train de se jouer. Visiblement, Lala et Allister n'étaient pas les seuls à avoir posé leur candidature... Combien étaient-ils en tout à vouloir faire le grand saut vers l'inconnu ? Avaient-ils tout les deux ce petit plus qui leur permettrait d'émerger du lot ?

Modifié par un utilisateur jeudi 1 avril 2010 00:56:14(UTC)  | Raison: Non indiquée

Allister s'était réveillé avec le jour. Comme à son habitude, il passa un peu de temps à écrire sur les parchemins qu'il avait réussi à emmener avec lui. Il s'astreignait à annoter son journal tous les jours. Cela lui permettait de continuer à exercer son esprit et à conserver des notes qui pourraient s'avérer utile s'il décidait d'écrire ses mémoires dans ses vieux jours. Ces derniers temps, il avait néanmoins un peu mis cet exercice de côté, trouvant sa vie quotidienne par trop monotone et routinière. Maintenant qu'une nouvelle vie pleine de découvertes commençait pour lui, il avait décidé de reprendre le fil de son ouvrage.

Il aimait ce moment où l'on n'est pas encore totalement éveillé mais suffisamment pour que les sens soit déjà en éveil. Tout ce qui mettait ses sens en action lui rappelait tout les jours qu'il était encore en vie. Et puis la pointe du jour correspondait aussi au moment où le monde s'éveillait. Et il ne trouvait rien de plus beau que l'ouverture d'une fleur au premiers rayons du soleil. C'était comme un cadeau que faisait chaque matin Shélyn à toutes les créatures capables de le percevoir.

Il attendit que sa cousine le rejoigne pour qu'ils puissent prendre le petit-déjeuner ensemble et, tandis qu'il mangeait, il lui demanda « Que comptes-tu faire aujourd'hui ? Pour ma part, je compte me promener dans Restov. Malgré mes études, j'ai beaucoup de lacune quant à l'histoire de cette ville et je m'en voudrais de la quitter sans avoir pu visiter le haut lieu des Seigneurs-Épéistes. M'accompagneras-tu ? »

A moins qu'Aelaendlara n'ait besoin de lui, Allister va se promener dans Restov, y manger à midi et essayer de se renseigner sur la ville auprès des habitants, commerçants... Il reviendra chez Vekkel Benzen en fin d'après-midi pour ne pas passer pour un profiteur auprès de leur hôte.

Allister quitta la petite maison délabrée au début de la matinée, laissant sa cousine seule avec le vieux rôdeur. Les deux avaient pas mal de points communs et des affinités qu'ils pourraient partager. Vekkel accepta bien volontiers l'aide qu'Aelaendlara lui proposait. « J'ai quelques vieilles planches par ici et il doit me rester des clous. L'hiver a été rude, et il n'a pas traité la toiture de ma pauvre bicoque très tendrement, j'en ai peur ! » avait dit le vieux rôdeur.

Ils avaient passé une bonne partie de la journée à rafistoler le toit, la jeune rôdeuse se tenant en hauteur et le vieux loup des forêts restant au sol et lui passant les planches et les clous. Et, forcément, tout en travaillant, ils avaient bavardé. Ils avaient parlé à nouveau des parents d'Aelaendlara, puis le sujet avait glissé vers les Narlmarches. Le rôdeur expliqua qu'il avait passé quelques années dans le coin à chasser et à s'assurer que les bourbiérins et les hommes-lézards qui occupaient les marais à l'ouest ne représentent aucune menace pour le Rostland.

Au fil du temps, sa langue s'était délié et il avait parlé des animaux et des créatures qu'on trouvait dans le coin, les vifs thylacines, les cerfs au port altier, les loups bien sûr. Il avait raconté comment il avait autrefois traqué un ours à travers une bonne partie de la forêt des Narlmarches et comment il avait réussi à l'abattre rapidement et proprement, sans souffrance, de deux flèches bien ciblées. Il avait aussi évoqué sa rencontre avec un troll qui, heureusement, ne l'avait pas aperçu et à qui il était parvenu à échapper en grimpant au sommet d'un arbre.

Après avoir parlé du troll, le vieil homme avait soupiré puis il s'était tu. Aelaendlara n'avait pas osé poser de question ; elle avait préféré attendre et le laisser continuer à son rythme. Au bout de quelques longues secondes, il avait dit « Tout cela, c'était avant. Quand j'avais encore mes deux jambes. Maintenant, je serais bien incapable de grimer à un arbre. Heh. L'infirme que je suis ne parviens même plus à monter sur un toit. »

Vekkel s'était alors tu à nouveau et il avait disparu dans la maison. Aelaendlara avait préféré le laisser seul un instant et continuer ses travaux sur le toit mais, à sa grande surprise, l'homme était ressorti avec un arc en main. C'était un arc long aux courbes élégantes et à la ligne parfaite, un chef d'oeuvre digne d'un maître-artisant. « C'était mon arc. Je ne m'en sers plus guère aujourd'hui, mais il garde une valeur sentimentale. » Le vieux rôdeur l'avait laissée examiner son arme pendant un long instant, puis il l'avait reprise et l'avait examinée longuement.

Il continua « C'est l'éventreur qui m'a pris ma jambe. Un sanglier d'une taille impressionnante, une saloperie de bête féroce qui m'a pris par surprise. J'en avait jamais vu des si gros. » Il secoua la tête, le regard perdu dans ses pensées. Puis il avait levé les yeux vers le toit et Aelaendlara et avait dit « Tu sais quoi ? J'pourrai plus rien faire de c't'arc, et il serait mieux dans les mains d'un chasseur. Si jamais toi ou un autre des explorateurs vous trouvez l'éventreur et que vous lui réglez son compte, j'vous donnerai mon arc et quelques flèches qu'il me reste. Ouaip. J'donnerais mon bon vieil arc pour avoir la tête de cette sale bête accrochée à mon mur. »

Vekkel Benzen était retourné à l'intérieur ranger son arme puis les deux rôdeurs avaient continué leur travail en silence. Ils avaient quasiment fini lorsqu'Allister revint de sa visite de la ville. Le jeune noble avait visité plusieurs des hauts lieux de la ville et pris quelques notes dans son journal. Il avait également ramené de quoi agrémenter le souper, qui serait peut-être le dernier repas civilisé qu'ils pourraient partager avant un bon bout de temps, s'ils étaient acceptés par seigneurs-épéistes. Puis, fatigués par le travail ou les longs trajets, ils trouvèrent rapidement le sommeil.