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Orphelin

Environ 8 ans…



Les pavés humides des ruelles de Lepidstadt défilaient à toute vitesse tandis qu’il sentait ses poumons atteindre leur limite. Si elle ne lui tirait pas le bras de toutes ses forces, il aurait abandonné la course depuis longtemps, c’était une évidence. Pourtant, derrière lui, la mort l’attendait.

Pourquoi n’appelaient-ils pas la garde ?
Pourquoi lui avait-elle interdit de parler voire même de crier ?
Pourquoi ne cherchaient-ils pas à entrer dans n’importe quelle maison aux alentours ?

Après tout, ils avaient beau faire partie des répudiés de la ville, personne ne reste les bras croisés quand il y a risque de mort d’homme.

En tout cas, pas dans sa vision du monde.

Une vision utopique et irréaliste, bien loin de leur quotidien.

Il trébucha, sans crier. Crier aurait été gâché de l’air. Il en avait à peine assez pour respirer. Elle se retourna et lui attrapa les épaules :
- Lève-toi, Syl. Vite !
Mais il n’était qu’un poids mort. Trop jeune et trop frêle pour survivre dans ce monde infâme.

Elle redressa la tête et inspecta les environs, les pupilles dilatées, à l’affût du moindre son. Il ne comprenait pas ce qu’ils fuyaient. Il ne voyait rien même. Pourtant, il se savait capable de percer la pénombre bien mieux que sa mère.

Malgré tout, ses sens lui faisaient défaut en cet instant, car le danger était bien là.

Elle avisa d’un amas de caisse en bois laissée à l’abandon contre le mur d’une vieille bâtisse. Une odeur abominable émanait de l’endroit : des effluves de pourriture certes, mais surtout d’urine. Sans perdre un instant, elle souleva le bois et le plaça en dessous malgré ses protestations.
- Reste là et ne bouge surtout pas. Ne parle pas, ne regarde pas et surtout ne crie pas, c’est clair ?

Il hocha la tête, complètement terrorisé. Son regard s’adoucit un instant et elle lui caressa la joue.
- Je t’aime, Syl. Ne l’oublie jamais…

Puis elle remit en place quelques planches de sorte qu’il ne puisse plus rien voir.

Il entendit encore le son de ses pas piétinant quelques instants sur place avant de reprendre leur course.

Moins d’une minute plus tard, il l’entendait hurler à la mort à peine deux ruelles plus loin.



L’Ecole de la Rue

Environ 13 ans…



Aelith plaqua violemment ses mains sur ses oreilles, tentant tant bien que mal de bloquer les sons qui leur parvenaient, tout en fermant les yeux :
- Pas un mot de plus, c’est trop horrible ton histoire !
Il s’interrompit donc, un sourire mis amusé au coin des lèvres. Après tout, c’est elle qui avait insisté pour qu’il lui raconte dans quelles circonstances sa mère avait connu la mort, il n’y avait pas de quoi en faire tout un plat.

Malgré tout, cela lui faisait quelque chose encore de repenser à ces événements. Il en avait la gorge noué, comme à chaque fois. Et comme à chaque fois, il faisait comme si ça ne l’atteignait pas.

Il ouvrit son baluchon en soupirant :
- Tout ceci m’a ouvert l’appétit je dois dire. Tu veux un gâteau ?
Elle lui lança un regard écœuré :
- Tu as une pierre dans la poitrine en fait.
La remarque le blessa, mais il préféra éclater de rire.
- C’est ma souillure elfe qui veut ça !
Il savait que cette fois-ci, c’est elle qui serait blessée. Elle aurait été une bâtarde : une demi-elfe. Mais leur regard sur leur sang respectif était diamétralement opposé : dans son cas, l’elfe de couple avait été son père qui les avait rapidement abandonnés. Pour Aelith, son père avait été le violeur d’une elfe rejetée par la suite par sa communauté.

Sa pique était tout à fait volontaire cependant en réponse à l’agression de son amie. Sur le moment, il faillit se mordre la lèvre de remord.

Mais la sensation ne dura pas. Après tout, la vie lui en avait fait baver plus que de raison. Pourquoi devait-il se montrer prévenant vis-à-vis d’un monde qui n’avait toujours cherché que son malheur ?

De longues minutes s’écoulèrent sans que ni l’un ni l’autre n’ouvre la bouche. A la place, ils regardaient les rues de Lepidstadt s’animer comme chaque jour de marcher. Il y aurait de bonnes bourses à délester normalement.

Il faisait très froid ce matin-là. L’automne tirerait bientôt sa révérence et l’hiver allait couvrir de blanc les pavés de cette ville maudite qu’il détestait tant.

Mais il n’avait pas vraiment fait le choix d’y vivre…

- Tu en veux encore à ton père ?
La voix était timide et cherchait à amorcer une réconciliation maladroite. Le sujet était dangereux, mais il accepta la main tendue d’un haussement d’épaule :
- Comment ne pas lui en vouloir ? S’il ne nous avait pas abandonné, s’il avait accepté son rôle et son devoir, ma mère n’aurait pas été chassée ainsi de sa ferme natale. Elle n’aurait jamais connu les affres de la mendicité pour survivre. Elle n’aurait jamais été tuée par cette chose. Et nous vivrions certainement tous ensembles, heureux.

Elle hésita encore avant de poser la question suivante, mais son histoire avait décidément aiguisé sa curiosité :
- Est-ce que… est-ce que tu sais s’il est encore vivant ?
Un sourire amer lui fendit le visage :
- Je ne connais même pas son nom ! Je ne sais rien de lui à vrai dire.
« Je sais juste qu’il est venu un jour à la ferme, blessé. Que ma mère s’en est occupé pendant plusieurs jours. Qu’il l’a engrossé et qu’il est reparti. Je ne sais pas à quoi il ressemble. Il parait que j’ai ses yeux. Ca me donnerait presque envie de les crever !
« Quand je pense qu’elle ne lui en a jamais voulu, ça me donne envie de vomir. Même à la fin, quand elle parlait de lui, elle avait un petit sourire attendrissant.
Il sentit sa gorge se nouer une fois de plus tandis que le bleu de ses yeux commençait à s’embuer. Il fallait rediriger la conversation :
- Ecoute Aelith, je sais que tu espères retrouver en moi le même besoin de figure paternelle que tu ressens, mais ce n’est pas le cas, je suis désolé. J’ai toujours vécu sans lui, et je continuerai ainsi. Il ne me manque pas, et ton père ne devrait pas te manquer non plus.

Sur ces paroles un peu sèche, il se releva et s’épousseta le pantalon.
- Mettons-nous au travail sinon nous allons rentrer bredouille et Varlick va nous passer un savon !




Mauvaise Rencontre

Environ 15 ans…



Il noua sa chemise avec beaucoup de minutie, un sourire aux lèvres. C’était la première fois qu’ils faisaient l’amour et il devait avouer qu’il était plutôt satisfait de ses performances. Bien entendu, il avait déjà eu l’occasion d’en discuter avec des amis plus expérimentés qui avaient tous vantés leurs mérites et leurs prouesses mais… dans son cas, il s’avait qu’il pourrait en parler sans mentir, ce qui était déjà un bon point.

Pour elle par contre ce n’était pas une découverte, il le savait. Malgré tout, c’était la première fois qu’elle était consentante ou qu’elle le faisait par plaisir. Ce qui les plaçait presque tous les deux dans la même situation.
- Pourquoi tu ne restes pas un peu ?
Il leva les yeux et croisa son regard. Elle avait de magnifiques pupilles bleues marines, presque violettes. Avec ses propres yeux bleus ciels, presque blancs, il y avait de quoi faire une belle palette de nuance pour d’éventuels enfants.

Cette pensée absurde le fit sourire.

Elle ne trouvait rien de drôle à la situation et se redressa, révélant son corps nue, en tentant de défaire les nœuds qu’il venait de serrer.
- Nous pourrions passer la nuit ensemble, non ?
Il lui saisit doucement les mains et lui déposa un baiser langoureux sur la bouche. Tandis que leurs langues se caressaient, il se retira brusquement avant que sa volonté ne cède :
- Rien ne me ferait plus plaisir, Aelith. Mais j’ai un travail ce soir. Je dois rencontrer quelqu’un et ce qu’il va me proposer pourrait bien nous mettre à l’abri du besoin, pendant longtemps !

Elle lui lança un regard lourd de reproche :
- Tu es sûr que tu n’es pas en train de te défiler après avoir obtenu ce que tu voulais ?
Il éclata de rire malgré lui :
- Ecoute, je crois avoir suffisamment galérer pour que tu m’ouvres tes bras pour ne pas devoir filer maintenant que tu reconnais enfin mes qualités sans une raison valable, tu ne crois pas ?
L’argument ne sembla pas la convaincre plus que cela, mais elle n’avait de toute façon pas le choix.

Cependant, tandis qu’elle l’embrassait de nouveau avant de la quitter, elle sentit sa poitrine se serrer sans en comprendre la raison.

Elle avait cette impression tenace et mélancolique que… c’était la dernière fois qu’elle le voyait.



Le Début du Cauchemar

Durée inconnue par Faol



Une douleur lancinante dans son épaule le réveille. Il essaie de bouger, mais se rend rapidement compte qu'il est attaché en croix. Des sangles de cuir maintiennent ses poignets et ses chevilles solidement au chevalet. La panique s’insinue tranquillement dans les méandres embrouillés de son esprit.

Plus la peur chasse le brouillard de ses pensées, plus il réalise la situation dans laquelle il se trouve et plus il tire sur ses liens. Il entend un vague grognement dans son dos et il se met à se débattre avec ses liens, mais sans succès.

Une main se pose sur son épaule et un homme d’un certain âge entièrement vêtu de blanc entre dans son champ de vision, une seringue dans l’autre main.
« Calme-toi, il ne sert à rien de te débattre. »
Un grognement dans son dos vient appuyer les dires du médecin.

Il peut sentir que ses yeux sont agrandis par la panique.

L’homme lui sourit avant de faire pénétrer la longue aiguille de la seringue dans son avant bras. C’est à ce moment qu’il note que le liquide dans la seringue est d’un rouge sang mêlé d’un vert inquiétant.
« Qu… que faites-vous… qu’est-ce que c’est… qu… »
« Shhh. »
L’homme poursuit son injection sans se soucier des questions de son cobaye.

Dès que la concoction étrange entre en contact avec son sang, il a l’impression que de l’acide a été déversé dans ses veines; il se met à hurler de douleur. Son dos se cambre et il tire de toutes ses forces sur ses liens qui ne cèdent pas.

L’homme lui sourit avant de lui faire une autre injection directement dans le cou.

La douleur est si grande que ses yeux se révulsent. L'acide ronge ses pensées.

Après ce qui lui semble des heures de douleur intense, il retombe inerte sur le chevalet, essoufflé.

L’homme lui ferme les yeux.
« Tout se passe très bien, on reprendra plus tard. Dors maintenant. »
L’idée lui semble excellente, dormir… il sombre dans l’inconscience.



Il se réveille de nouveau. Il est en petite boule sur un sol en pierre froid et humide. La pièce est plongée dans l’obscurité, mais ses yeux d’elfe lui permettent de distinguer assez bien ce qui l’entoure. Il est indéniablement dans un cachot. Il lève la tête et constate qu’il est tombé de sa couche.

Il se relève péniblement et entend un grognement provenant de la cellule adjacente.

Il s’appuie aux barreaux et lance d’une voix très rauque
« Il y a… quelqu’un? »
Cette simple question lui donne l’impression qu’on enfonce une multitude d’éclats de verre dans le fond de sa gorge. Il tousse et tente de se racler la gorge. Il se rappelle soudainement où il se trouve. Sa gorge est irritée tellement il a crié.
« Bois de l’eau, ça ira mieux, » lui répond une voix grave, mais douce.
Il se tourne et voit un pichet en métal avec de l’eau à l’intérieur, il se précipite dessus et avale toute l’eau qu’il peut. L’eau coule sur son menton et son torse. Il est assoiffé.

Lorsque le pichet est vide, il émet un petit gémissement de dépit.

Il retourne aux barreaux de sa cellule et demande
« Qui êtes-vous? »
« Une expérience, comme toi. »
« Mais où sommes-nous? »
« Quelque part dans les méandres du château Caromarc. »
« Mais pourquoi? Pourquoi suis-je ici? »
« Je ne sais pas, mais ça ne sert à rien de te poser toutes ces questions, personne ne sort d’ici sans le consentement du professeur. »
Il continue à poser des questions, mais la voix s’est tue.

Il finit par se rassoir sur sa couche, les bras entourant ses genoux afin de garder sa chaleur. Après quelques minutes, le froid, la noirceur et la fatigue viennent à bout de sa résistance et il se rendort.



Il se réveille, de nouveau attaché à une table. Il a perdu le compte du nombre de fois que cela s'est produit, tout ce qu'il sait, c'est qu’il va souffrir, encore.

Cette fois, de nombreuses aiguilles d'une trentaine de centimètres sont enfoncées dans ses chairs. Elles semblent être placées stratégiquement, mais ses connaissances en anatomie sont insuffisantes pour comprendre le chemin que les aiguilles tracent sur son corps.

Les aiguilles se terminent par des bulles de verre remplies du même liquide qui est injecté dans ses veines chaque fois qu’il est conscient.

C’est de la véritable douleur liquide. Un acide qui brûle dans son corps et qui ronge sa mémoire.

Il ne sait toujours pas de quoi il s’agit, ni pour quelle raison il se trouve dans cette triste posture.

L’homme vêtu de blanc est encore à ses côtés, supervisant l'expérience. Chaque fois que son regard croise celui du chercheur, il n'y voit qu’une expression clinique et dénuée d’empathie.

Comme la douleur s’est répandue uniformément dans son corps, sa conscience a momentanément refait surface.

L’homme se penche sur lui et oriente une tige lumineuse vers ses yeux. Il lui ouvre les yeux avec ses doigts et observe leur réaction à la lumière, celle-ci semble le satisfaire, alors il se retourne et s'éloigne.

Il tourne la tête pour essayer de le suivre des yeux, mais son regard tombe sur une surface réfléchissante et ce qu’il y voit le fait sursauter. Les yeux qui le regardent ne sont pas les siens, ce sont des yeux reptiliens. Il pense même distinguer des écailles noires sur le haut de ses joues. La panique, sa grande compagne des derniers temps, fait son apparition et il se met de nouveau à tirer sur ses liens, oubliant un instant toutes les aiguilles perforant sa peau.

La douleur est telle qu’il perd connaissance.



Il se réveille couché sur sa couche dans sa cellule. Il entend des hurlements terrifiés qui se rapprochent. À la sonorité, il dirait qu’il s’agit d’une femme. Des pas lourds semblent traîner quelque chose par terre. Il écoute attentivement et il croit reconnaître le son d’un corps tiré par terre. Probablement la femme qui hurle.

Le son réveille quelque chose en lui, la faim.

Il est ici depuis longtemps, combien de temps, il n’en sait rien. Ses seules compagnes sont sa propre terreur, la faim et la soif, et parfois la voix douce et grave de l’autre prisonnier.

Pendant de nombreux jours, on ne lui a rien apporté à manger, probablement pour l’affaiblir. Puis, on lui a proposé des lapins vivants ou des poules. Il a donc jeûné plusieurs jours de plus, jusqu’à ce que la faim soit trop forte. Les hurlements se rapprochent. Il tourne la tête vers eux dans un mouvement saccadé.

Une gigantesque forme se dresse devant lui, derrière les barreaux. Son visage est couvert par un capuchon. Il tient une femme par les cheveux. Celle-ci se débat et des larmes coulent sur ses joues, traçant des coulisses claires dans la saleté recouvrant sa peau et dans le sang coulant de son cuir chevelu.

Ses yeux sont rivés sur elle et il ne peut s’empêcher de se lécher les lèvres. Il fait un mouvement pour se lever de sa couche, mais le géant cogne sur les barreaux, un avertissement clair. La dernière fois qu'il a essayé de s'échapper, il s'est fait assommer et jeter douloureusement dans sa cage. Il se contente donc de s’accroupir sur sa couche, comme un animal prêt à bondir. Le regard de la femme se pose sur lui et elle se met à hurler de plus belle. Le géant ouvre la porte de la cellule et y jette la femme sans ménagement.

Celle-ci s’adosse contre les barreaux, essayant de reculer. Le géant referme la porte, la verrouille et s’éloigne.
« Ne me laissez pas ici… noooooooooooooooooon! »
Il sait que ses cris sont futiles, personne ne viendra la sauver.

Il s’approche d’elle à quatre pattes, mi-fauve, mi-reptile, son odeur et ses cris l’attirent. Il s’approche d’elle pour mieux la sentir et sa langue fendue comme celle d’un serpent caresse sa joue et goûte toute l’étendue de sa terreur. Soudainement, il veut la faire taire. Il lui arrache la jugulaire d’un coup de crocs acérés. Le sang chaud coule dans sa gorge et apaise son irritation.

Un son témoignant d’une profonde tristesse provient de la cellule d’à côté.

Il en dévore une partie et lorsqu’il est repu, il retourne se coucher. Il ferme les yeux et s’endort.

Quelques heures plus tard, il se réveille en frottant ses yeux. Il regarde avec confusion ses mains couvertes de sang. Il s’assoit et regarde autour de lui. Ses yeux tombent sur le corps démembré de la femme sur le plancher et il a un mouvement de recul. Puis son cerveau fait les connexions nécessaires et sa conclusion n’est pas très plaisante. Il se penche en deux pour vomir et le torrent de sang qui sort de sa bouche confirme ses suppositions. C'est à son tour de hurler.

Il a le temps de s’arracher quelques mèches de cheveux avant que l’homme vêtu de blanc n'arrive avec sa tige lumineuse dans une main et une baguette dans l'autre. Il observe la scène d'un air calculateur puis lance un mot magique « Vdri! » et une douce lumière blanche s’échappe de la baguette et se dirige inexorablement vers lui. « Rendors-toi. » Ses paroles font écho au mot qu’il a utilisé pour activer la baguette. Pour une raison qu’il s’explique mal, cette langue lui est complètement compréhensible.

La lumière se rend jusqu’à lui et tente de pénétrer son cerveau sans succès. L‘homme en blanc lance un juron, suivit de mots marmonés, dont « immunités elfiques », et appelle le géant. Ce dernier entre dans la cage et l’assomme.






Percée du Brouillard

Période inconnue par Faol



Eliana était avec sa sœur dans l’une des auberges de Lepidstadt.
« Je ne peux pas croire, chère sœur, que ton idée de vacances est de venir ici… »
« Je ne suis pas en vacances Eliana, je suis ici pour le travail. L’académie de magie m’a envoyé ici pour donner une conférence sur l’art de la magie de l’eau et de la glace. »
Eliana étudiait les traits froids, hautains et magnifiques de sa sœur qui correspondaient si bien à sa spécialité. Elle portait d’ailleurs encore des vêtements qui rappelaient davantage Irrisen où elle avait étudié que la nation brumeuse d’Ustalav. Les rumeurs racontaient d’ailleurs qu’elle avait étudié auprès des terribles sorcières de glace, mais Eliana savait que ce n’était pas que des rumeurs. Sa sœur était froide comme l’hiver, encore plus depuis son retour, mais leur relation de bonne entente n’avait jamais été touchée par ce froid glacial et brûlait toujours de chaleur et d’amitié.
« C’est bon, mais à quoi allons-nous occuper nos temps libres? J’ai très peu envie de me remettre le nez dans les bouquins, alors que je suis en congé, » ajouta-t-elle à l’intention d’Alisa.

Cela faisait quelques années qu’elle avait rejoint l’académie pour apprendre à utiliser ses dons magiques et qu’elle avait quitté la vie de gipsy qu’elle aimait tant.

Les deux sœurs avaient pris une chambre dans l’une des plus belles auberges de la ville, après tout, elles étaient nobles et pouvaient se le permettre, mais ce genre d’auberge était souvent un peu trop ennuyeuse pour les deux femmes, elles étaient donc sorties dans un quartier plus animé.

Lorsqu’elles étaient ensemble, les deux sœurs s’amusaient à flirter avec les hommes en armure, qu’ils fussent paladins, mercenaires ou gardes de la ville, ou même l’occasionnel chevalier des enfers, ou avec la racaille. Elles avaient toutes deux un penchant assez marqué pour les mauvais garçons. Les paladins, c’était plutôt une blague, car Alisa était clairement à l’antipode du bien et pourtant, sa beauté en faisait frémir plus d’un. Nombreux étaient-ils à avoir accepté ses avances dans l’espoir, disaient-ils, de la convertir, ce qui faisait bien rire les deux sœurs d’ailleurs.
« J’ai entendu une rumeur selon laquelle des meurtres d’une sauvagerie sans nom ont lieu dans la ville. Je me disais qu’il pourrait être amusant de voir de quoi il en retourne. Évidemment, la populace crie aux loups-garous, mais je crois qu’il s’agit d’autre chose, car certains corps ont été retrouvés brûlés. Je suis donc allez faire un petit tour à la morgue de l’université et j’ai pu moi-même observer les blessures. Ça ressemblait à de l’acide… »

Eliana releva la tête de sa chope de bière et fixa sa sœur.
« Dis-m’en plus, tu m’intéresses. »
Alisa connaissait bien la curiosité sans bornes de sa cadette, elle poursuivit donc.
« Après discussion avec l’un des gardes de la ville, on m’a dit que les meurtres avaient lieu dans le quartier près du château du Professeur Caromarc. » Alisa omit de dire comment elle avait réellement obtenu ces renseignements. Elle savait que le comte était responsable et elle avait envie de lui nuire. Elle n'avait toujours pas digéré ce qu'il avait osé lui faire.
« Ah! Excellent, allons-y. » Eliana se leva sans plus attendre et se dirigea vers la porte d’un pas gracieux, sous le regard lubrique de la clientèle de la taverne où elles étaient. Alisa ne put s’empêcher de sourire, elle savait que sa sœur connaissait l’effet qu’elle avait sur les hommes. C’était un jeu pour les deux sœurs, depuis très longtemps. Elle se leva à son tour et se dirigea vers la porte. Un homme tenta de la retenir, mais le regard noir qu’elle lui lança l’arrêta net sur place.
Si sa sœur pouvait passer pour une fille du peuple, tout dans Alisa criait noblesse et danger.

Les deux sœurs se dirigèrent donc vers le quartier en question, le corbeau d’Alisa volait haut au-dessus des maisons, puis son cri attira l’attention des deux sœurs qui se dirigèrent vers l’endroit autour duquel il volait en cercle.

Arrivées sur place, elles se firent discrètes et décidèrent de grimper sur le muret le plus près. Toutes deux accroupies sur celui-ci, elles purent observer l’étrange scène qui se déroulait devant elles.

Un magnifique demi-elfe à la longue chevelure noire de jais était en train de se repaître des entrailles d’un homme dans la ruelle adjacente. Les bruits lourds de quelqu’un qui s’en venait à la course lui firent relever la tête et regarder dans la direction des pas qui approchaient.

À la lumière des lampadaires, elles remarquèrent que ses yeux étaient reptiliens et qu’il avait quelques écailles noires dans le visage. Lorsque sa salive tombait sur la chair de sa victime, on pouvait voir celle-ci grésiller.

Eliana frémit d'horreur un instant, puis tourna un regard interrogateur vers sa sœur qui sourit. Alisa avait une idée en tête, mais elle n’était pas certaine. Soudainement, une créature géante couverte de haillons qui cachaient toutes ses formes déboucha sur la ruelle.

Le demi-elfe se releva, prêt à attaquer le nouveau venu. Ses mains étaient griffues et ses bras couverts de sang jusqu’aux coudes. Le grognement qu’il poussa n’avait rien d’humain. Mais le géant ne semblait pas impressionné. Il évita l’attaque de l’elfe et l’assomma d’un coup. Il le mit sur son épaule et repartit avec celui-ci.

Les deux femmes se regardèrent sans dire un mot et attendirent quelques minutes que le géant ait disparu avec son fardeau.

Elles descendirent de leur muret et s’approchèrent de la victime. Les battants des fenêtres avoisinantes étaient tous fermés. Les habitants de Lepidstadt pouvaient bien rire des superstitions du reste de la population de l’Ustalav, mais quand quelque chose d’obscur se tramait dans leurs belles rues, même eux savaient qu’il était préférable de se faire discret et de se faire oublier.

Elles se penchèrent sur la victime. Alisa mit un doigt sur la chair brûlée et sa propre chair se mit à grésiller. Elle regarda sa sœur et dit sur un ton victorieux, « c’est de l’acide. »

Eliana arqua un sourcil face aux méthodes cavalières de sa sœur, mais déjà, d’un simple mot magique dont la signification échappait à Eliana, les blessures de sa sœur se refermaient. Elle se permit donc d’émettre une hypothèse.
« Des écailles noires, des yeux reptiliens et de l’acide… un demi-dragon peut-être? »
« Non, il est trop bestial. Un demi-dragon saurait se contrôler… mais que se passe-t-il donc? Qu’est-ce que le professeur est encore en train de manigancer? »
« Qu’est-ce qui te fait croire que c’est lui? »
« Le géant… », mais Alisa n’élabora pas davantage sur ce sujet.
« Mais là, il est parti avec notre proie… qu’allons-nous faire? »
« Rien, attendons à demain et soyons prêtes à intervenir. »
Les deux sœurs retournèrent donc à leur chambre d’hôtel.
« Il était quand même beau cet elfe, malgré son visage plein de sang, ses griffes, ses yeux... » Eliana était attirée par les hommes dangereux comme un phalène par une flamme vive.
« En effet, si tu le veux, ça ne sera probablement pas un problème ma sœur. »



Le lendemain, les sœurs étaient prêtes. Dès la tombée du jour, elles observèrent le château Caromarc, mais sans que Desna ne leur sourit. Elles retournèrent déçues à leur chambre. Elle répétèrent le même manège quelques soirs et éventuellement, elles virent une forme noire s’en échapper.

Elles le suivirent discrètement et dès qu’il fut seul et suffisamment loin, elles s’approchèrent.
« Hey, vous là-bas! » lança Eliana.
Le demi-elfe se retourna vers elle et fixa son regard reptilien sur cette proie qui semblait facile. Son regard en était un de faim et de désir, ce qui fit sourire Eliana. Elle se mordilla la lèvre inférieure en se disant que la soirée allait être palpitante, d’une façon ou d’une autre.

Alisa sortit de l’ombre en lançant des paroles magiques qui immobilisèrent l’homme qui s’apprêtait à bondir. Les deux femmes s’approchèrent curieuses.
« Il est vraiment magnifique et terrifiant. »
« Ramenons-le avec nous, nous pourrons mieux l’étudier qu’ici. Suis-nous, » ordonna Alisa d’une voix qui obligeait le respect et qui était appuyée par la magie, puis elles se dirigèrent vers les quartiers riches, le demi-elfe les suivant docilement.

Avant d’arriver dans ces quartiers, Eliana attacha sa cape au cou du demi-elfe et en leva le capuchon afin de cacher ses traits bestiaux. Lorsqu’elle fut satisfaite, ils reprirent leur marche vers l’auberge. Une fois arrivés, elles le guidèrent vers leur chambre.

Rendu en haut, elles l’attachèrent solidement à une chaise, vérifiant plusieurs fois les noeuds, et Alisa se mit à l’observer sous toutes ses coutures. Après une heure de cela, elle ne put conclure qu’une chose.
« Je ne sais pas ce que le professeur lui a fait, mais c’est comme s’il était possédé par un animal sauvage. Manifestement, la corruption semble draconique, mais c’est comme si son intelligence et celle de son sang draconique avaient été effacées au profit des instincts animaux. Il a probablement du sang de dragon dans son héritage, ça serait l’explication la plus simple pour son allure. Du dragon noir je dirais… mais cela n’explique pas son comportement. Même les dragons noirs sont intelligents. »
Le demi-elfe se démenait contre la chaise et ses liens, mais malgré sa force prodigieuse, il n’arrivait pas à s’en défaire. Chaque fois que l’une des sœurs s’approchait, il grognait et tentait de les mordre, ce qui faisait frissonner et sourire les sœurs.
« Je vais devoir faire quelques recherches supplémentaires pour en savoir plus. En attendant, que veux-tu en faire? »
« Je l’aime bien, et je n’ai jamais connu un être aussi bestial au lit? Je suis curieuse… »
Évidemment, pensa Alisa en se disant que sa soeur était peut-être un peu cinglée.
« D’accord, mais bois d'abord ceci. » Elle lança une potion à sa sœur. « C’est pour protéger ta peau de son acide. »
Eliana but la potion d’un trait.
« Je vais lui lancer un sort, qui ne durera pas très longtemps, mais qui devrait être suffisant pour changer ses idées sur un sujet plus de notre goût que celui de nous dévorer. Au pire, je l’arrêterai si ça ne fonctionne pas. »
Elle lança un sort au demi-elfe tout en le détachant de ses liens.

Soudainement le regard de l’elfe devint lubrique, il se leva et saisit Eliana brutalement, la plaquant contre lui d’une main, alors que l’autre s’insinua dans la chevelure blanche de la jeune femme avant de se refermer et de lui renverser la tête vers l’arrière. Il lécha d’abord son cou, puis l’embrassa violemment, écrasant ses lèvres contre les siennes. Eliana émit un petit son ravi avant de le laisser déchirer ses vêtements. Alisa qui était jusqu'alors sur ses gardes ne put que sourire et soupirer soulagement.



Beaucoup plus tard, les soeurs optèrent pour retourner dans le quartier du château et le relâcher. Les trois repartirent donc de l’auberge. Lorsqu’ils atteignirent le quartier, Alisa l’immobilisa à l’aide d’un sort le temps qu’elles s’éloignent, puis les deux sœurs retournèrent se coucher.

Elles s’effondrèrent et dormirent jusqu’au milieu du jour suivant.

Alisa retourna à l’Université avec Eliana et elles se plongèrent toutes deux dans des bouquins pour essayer de trouver une solution au problème. Alisa communia également avec son corbeau et tenta un sort de divination.

Finalement, après quelques jours, Alisa trouva une solution. Elle pourrait faire une potion qui rendrait au demi-elfe ses facultés mentales, même si, de son avis, cela ne le rendrait pas nécessairement plus doux ni gentil ni ne ralentirait la corruption draconique qui semblait courir dans ses veines. Bref, il ne redeviendrait pas lui-même, mais il n'agirait plus comme une bête sauvage. Elle ne s'interrogea pas à savoir ce qu'il ferait de son intelligence ni à savoir si elle relâchait ainsi un monstre encore plus dangereux. Tout ce qui lui importait, c'était que le comte ne pourrait pas poursuivre ses expérimentations.

Elles passèrent donc le reste de la journée à réunir les ingrédients et la soirée à concocter la potion dans les cuisines de l’auberge après qu’Alisa ait lancé un puissant sort de sommeil sur tous les résidents de la place.

Le lendemain et les soirs suivant, elles retournèrent dans le quartier, jusqu'à ce qu'elle finissent par le retrouver, encore en train de massacrer une pauvre victime. Alisa l’immobilisa de nouveau et Eliana lui versa la potion dans la gorge. Grimaçant devant les crocs luisants d’acide du demi-elfe.

Elles attendirent quelques instants pour s’assurer que cela fonctionnait. Bien vite, elles remarquèrent que son regard changeait, il devenait plus intelligent et plus vicieux, plus dangereux, plus meurtrier, plus éveillé.

Eliana lui donna une bise sur la joue et lui expliqua brièvement que le professeur faisait des expériences sur lui et que c’est ce qui l’avait rendu ainsi. Alisa lui dit qu’il devrait partir de Lepidstadt, car le professeur le retrouvait toujours. Seulement loin d’ici allait-il avoir une chance de vivre.

Les deux sœurs repartirent avant que le sort d’Alisa ne cesse de faire effet et elles disparurent dans les méandres de la ville. Lorsqu’il fut libéré du sort, le demi-elfe se dit que c’était sa chance et il décida de suivre la suggestion des deux sœurs. Le monde s’ouvrait à lui.






Douloureux Réveil

Estimation 23 ans



Une fois encore, il se réveilla en sursaut et en nage au milieu de la nuit. Cela faisait bien longtemps cependant qu’il ne criait plus, ce qui était une bonne nouvelle pour ses voisins et pour la compagnie qu’il accueillait occasionnellement dans ses draps.

A cette pensée, il porta un regard sur son flanc et remarqua une forme endormie. Il soupira de frustration : c’était un comportement dangereux de sa part, mais au-delà des plaisirs que pouvaient lui procurer ces étreintes d’une nuit, il y avait une application parfaitement thérapeutique.

En effet, il s’était rendu compte depuis quelques mois que ses pulsions sexuelles le gênaient énormément dans la maîtrise de ses pulsions meurtrières…

Un sourire amer se peignit sur son visage à cette pensée. Non content d’être un tueur notoire, il était aussi un pervers perpétuel. C’était délicieux comme vie, rien à redire là-dessus.

Discrètement, il se leva, tentant de ne pas rêver sa compagne. Comment s’appelait-elle d’ailleurs ? Il n’était même pas sûr de se souvenir de son visage. Il savait juste qu’elle avait été là le soir dernier, intéressée par sa voix et son physique ainsi que par l’idée de passer une nuit avec un barde.

Pour ce qu’il s’en souvenait, elle ne devait pas être désagréable à regarder. Alors pourquoi pas ?

Il quitta la chambre et sortit de l’auberge, vêtu d’un simple pantalon et d’une paire de botte en cuir. Et d’un pieu de frêne aussi.

En Ustalav, il y a des coutumes étranges chez les personnes s’intéressant de prêt à l’ésotérisme. Et ne jamais se séparer d’un pieu en bois en est une. Surtout en pleine nuit.

Il marcha dans les rues de Raveldorf, pensif.

Cela faisait un peu plus d’un an qu’il avait repris pleinement le contrôle de son esprit et de sa vie. Un an qu’il devrait vivre avec le remord de ce qu’il avait été. De ce qu’il avait commis…

Il n’avait pas du tout envie de penser à ce souvenir douloureux, mais son esprit était lancé, il ne pouvait plus l’arrêter.



La première chose dont il se souvenait, c’était la pluie tombant en trombe sur son visage. Une pluie glaciale qui débarrassait sa peau de toute la crasse qui s’y était accumulée durant des mois – des années ?
Et pourtant, il se sentait toujours aussi sale.

La seconde, c’était un long hurlement presque inhumain. Le hurlement d’une voix rauque. Comme brisée. Une voix qui n’avait pas eu l’occasion de s’exprimer depuis des d’année.
Sa voix en fait, mais il ne le comprit que plus tard. Elle ne s’interrompait que pour prendre sa respiration et repartait une fois les poumons emplis d’air.

Le troisième, et le plus important de ses premiers souvenirs était les yeux apeurés de cette petite fille qui le dévisageait, terrorisée.

Il avait voulu la tuer quelques secondes auparavant.

De toute ses forces.

Il le savait.

Mais au moment fatidique, alors que sa mâchoire allait se refermer sur son cou, quelque chose en lui s’était brisé. Il avait perçu… Un effluve.

Une émanation du plus profond de son âme.

Son humanité oubliée.

En fait, il ne savait pas vraiment ce qu’il s’était passé.

Une seconde avant, il était une créature draconienne assoiffée de sang. Et maintenant, il était juste un homme perdu, à l’esprit brisé, à genou au milieu de la campagne, à côté d’une chaumière en flamme et d’une petite fille en larmes.
Il aurait voulu s’écrouler.
Il aurait voulu mourir.
Il aurait voulu ne jamais avoir existé.

Mais elle était là.
Et elle le regardait.
De ses yeux si bleus.

Il fallait faire quelque chose, n’importe quoi.
Il fallait vivre.

Il se leva et s’enfuit.

Loin.

Sans se retourner.

Jamais.



Depuis, des souvenirs de son ancienne vie lui revenaient régulièrement. En général la nuit, quand son subconscient pouvait s’exprimer librement. Plus que des souvenirs, c’était des images. Des impressions.

Des pulsions.

Il ne se souvenait pas vraiment du monstre qu’il avait été. Mais il savait ce qu’il avait fait. Il savait qu’il était responsable de tant de morts.

Et pire que tout : il avait aimé ça.

Parfois, au plus fort de la nuit, dans le plus profond de ses sommeils, cette sensation lui manquait. Cette excitation qu’il ressentait alors que la vie de sa victime la quittait. Alors que son sang chaud coulait le long de sa gorge ou qu’il pouvait voir leur cœur palpitant cesser de battre dans ses mains.

Ce plaisir infini qu’il en tirait…

Oui, parfois tout ceci lui manquait.

Il détestait se l’avouer, mais une part de lui-même avait besoin de ces sensations. Et plus il refreinait et pire c’était. A tel point qu’il pouvait être capable de tuer gratuitement juste pour assouvir ces pulsions.

Il était devenu un monstre. Ni plus. Ni moins.

Non. On l’avait changé en monstre.

Il connaissait son nom.

Et il lui ferait payer.



C’était il y à peine plus d’un an et pourtant ça lui semblait dater d’une éternité. Il s’était réveillé à Brisewald, un petit village fermier en bordure de Bois-Frisson et il se retrouvait à errer maintenant dans les rues d’une bourgade à peine plus grosse du comté de Lozéri, un peu plus au sud.

Partout où il tendait l’oreille, on lui parlait des ravages commis par une bête sanguinaire. Il craignait toujours que ce fusse lui.

Pourtant, l’Ustalav ne manquait pas de créatures démoniaques capables de semer la mort et la terreur. Au fond, il avait fait partie du paysage culturel de son pays.

Cette pensée aurait pu lui arracher un sourire désabusé s’il ne ressentait pas à chaque fois son estomac se retourner et la bile lui remonter dans la fond de la gorge.

Finalement, les premiers mois qui s’étaient écoulés restaient encore flous dans son esprit. A croire que quelqu’un d’autre avait vécu sa vie pendant cette période là.

D’ailleurs, comment avait-il fait pour subvenir à ses besoins aussi facilement ?
- Hey l’Elfe ! C’pas très prudent d’se balader com’ ça au m’lieu d’la nuit…
Il se retourna lentement pour juger son interlocuteur.

Enfin… ses interlocuteurs.

Deux gaillards vêtus de tenues de voyageur en cuir d’assez bonne qualité. Leur visage était masqué par une capuche, mais grâce à ses sens elfiques, il discernait sans mal la mauvaise qualité de leur peau. Des alcooliques notoires donc.

Des détrousseurs de petits chemins ne sévissant probablement que dans de petits villages. Mais c’était suffisant pour leur remplir leurs petites bourses.

Il arbora un sourire de coin tandis que sa main glissait lentement vers son pieu de frêne dans lequel il déchargeait un peu d’énergie magique – un cadeau de son sang draconien.
- Vous tombez bien les gars, j’avais justement besoin de me défouler un peu…





Une Nouvelle Chasse

Estimation 25 ans



La nuit était claire et baignée la douce lumière de la pleine lune.
Claire et Calme.
Très calme.
Trop calme.

Il avait pris soin de repérer les lieux en pleine journée : il ne s’agissait en fait que d’une vieille grange désaffectée dont le reste du corps de ferme avait brûlé depuis longtemps dans des conditions toujours inexpliquées à ce jour.

De quoi donner naissance à des dizaines d’histoires que les enfants se raconteraient le soir au coin d’un feu de bois pour se faire peur.

Sauf que dans le cas présent, ce qu’on pouvait raconter sur cette grande n’avait rien d’une légende.

Et les quelques disparitions d’enfants dans le secteur avaient fini par assurer la réputation maudite du lieu.

S’il ne s’était agi d’autres enfants que de ceux de fermiers pauvres et illettrés de la campagne, nul doute qu’une enquête confiée à de valeureux héros aurait été ouverte depuis longtemps et le problème définitivement solutionné.

Mais non.
Pas pour ces fermiers sans le sous.
Pas pour ces anonymes inutiles.

Heureusement pour eux, il ne faisait pas cela pour l’argent.

Il avait un vieil instinct de chasseur à satisfaire et suffisamment de sens moral pour passer ses pulsions sur des créatures néfastes et démoniaques.

Il restait assis dans la grange, une lanterne à pétrole à la main à attendre, le regard fixé sur une dalle en pierre usée par le poids des années.

Il n’avait pas besoin d’une telle source de lumière, mais par expérience il avait appris qu’avoir une flamme à portée de main dans ce genre de chasse n’était jamais un élément à négliger.

La créature sortirait par là, comme presque toutes les nuits pour aller se restaurer. Mieux valait l’affronter l’estomac vide.

Il perçut un son rauque, comme un râle. De ceux que poussent les monstres que la famine éveille, en général de mauvaise humeur. Ca va commencer…

Il posa la lanterne à côté de lui et sortit un parchemin de sa sacoche qu’il déplia rapidement. Il n’était pas nécessaire d’en lire le contenu, prononcer les deux derniers mots complétant la formule magique suffisait.

Le papier se désagrégea sous ses doigts tandis que l’air sembla trembler légèrement autour de lui, comme si l’espace se déformait.

Enfin, il sortit silencieusement sa rapière de son fourreau.

Il était fin prêt.

Une main griffue et desséchée apparut par l’ouverture, suivie d’un corps noueux et déformé que ponctuait une horrible tête vaguement humanoïde, aux yeux cadavériques et à la dentition acérée. La peau de la créature était comme craquelée, d’une couleur bleutée. Elle avait peut-être été humaine dans une autre vie. Il ressentit un frisson de dégoût en la regardant. Peu de temps auparavant, il n’avait pas été très différent d’elle.

La goule le repéra immédiatement à l’odeur et lui fonça dessus sans crier gare tout en poussant un hurlement à glacer le sang du plus aguerri des guerriers.

Il n’était pas un guerrier.

Mais il n’avait pas peur.

Souplement, il roula sur le côté tandis que les mains griffues frôlèrent sa tête. Elles avaient été déviées, il le savait. S’il n’avait pas lancé le sort avant le combat, ses épaules seraient probablement orphelines l’heure actuelle.

Heureusement, il avait été prévoyant.

A terre, il pivota sur le dos en fouettant l’air de sa rapière qui lacéra le jarret de la créature, lui arrachant un râle de douleur. La blessure n’était pas profonde, mais il ne cherchait pas encore à frapper pour tuer.

Non, pour l’heure, il jouait avec sa proie.

Car il s’agissait de ça en vérité : il était le chasseur.

Et ce monstre serait son trophée.

Un monstre bien singulier au demeurant : les goules étaient des créatures non vivantes, mais certaines d’entre elles conservaient des caractéristiques propres aux vivants. Comme la possibilité de penser, de parler.

Ou de souffrir.

Il bascula ses jambes en arrière et se remit sur pied en se propulsant avec ses bras. A peine se trouvait-il de nouveau en position de combat que la goule mena un nouvel assaut qu’il esquiva en virevoltant.

Là encore, la pointe de sa lame rencontra superficiellement la chair. Du sang. Encore.

Du sang…

De rage, le monstre lança un bras griffu en réponse immédiate à la touche, l’obligeant à faire un pas en arrière pour ne pas finir en lambeau.

Sa chemise en fit les frais, révélant un torse nu et imberbe malgré son ascendance partiellement humaine. Un grand drame de sa vie d’ailleurs.

Plusieurs passes se succédèrent, chaque fois suivant le même schéma : une attaque brutale, une esquive, une touche. Elle ne pouvait pas gagner si elle ne l’atteignait pas.

Et lui prenait le plus grand des plaisirs à la faire souffrir. Chaque frappe était pour une vie qu’elle avait fauchée. Pour chaque destin qu’elle avait brisé.

Quelle hypocrisie…

Il savait qu’il n’avait pas le droit d’agir ainsi. Surtout lui. Combien de meurtres avait-il commis par le passé ? De boucheries immondes dans lesquelles il tirait une jouissance infinie quand il n’était que la créature de Caromac ?

De plus, ces excuses n’étaient que de faux semblants. Il la faisait souffrir parce qu’il aimait ce jeu. Il aimait ressentir sa douleur.

Et plus que tout, il aimait se sentir en danger. Se dire que d’une frappe bien placée, cette créature pourrait le tuer net. Rayer son existence à jamais.

Le libérer définitivement de tous ses cauchemars, de tous ses remords…

La goule sembla comprendre qu’elle ne pouvait pas gagner dans ces conditions et tenta de s’enfuir par la porte branlante de la grange, le prenant par surprise.

Il ne se démonta pas pour autant.

Son fouet apparut en moins d’une seconde dans sa main et d’un geste vif comme l’éclair, il en lança la pointe vers le bras du monstre. La brûlure du cuir arracha un nouveau cri de douleur.

Il s’attendait à ce que la créature cherche à se dégager en tirant le fouet vers elle. Par contre, il fut surpris par la force dévastatrice de cette dernière, bien loin des standards du genre.

Il fut propulsé en avant et rencontra en chemin une poutre vermoulue, porteuse de la toiture, qu’il pulvérisa de son corps, provoquant l’effondrement complet de la structure.

Il atterrit dans l’herbe, le souffle coupé, alors qu’un nuage de poussière et de gravas s’élevait dans son dos. Il avait lâché toutes ses armes et était complètement déboussolé.

Ce n’était pourtant pas le moment.

La goule saisit sa chance et lui sauta dessus, gueule grande ouverte. Le champ de force qu’il avait dressé peu de temps auparavant le protégea de la morsure, mais pas de l’étreinte. La mâchoire fétide claqua une nouvelle fois à côté de son cou. La prochaine serait la bonne.

Sa main fouilla désespérément dans sa sacoche de ceinture et finit par obtenir l’objet de son salut.

Une simple fiole d’eau.
D’eau bénite.

Il éclata le flacon contre le flanc du monstre et une fumée dense et nauséabonde s’échappa de sa peau qui se recouvrit immédiatement d’énormes cloques, comme si elle était ébouillantée.

La goule lâcha prise et recula prestement, blessée dans sa chair.

Derrière, les restes de la grange semblait prendre feu.

Ma lanterne…

Le bois devait être sec à souhait pour s’enflammer aussi facilement, mais en l’espace de quelques secondes un feu de joie s’était déclaré au milieu de la nuit.

Il fit l’inventaire de ses armes. Il ne lui restait plus grand-chose : deux dagues et un pieu en bois. Tout ceci obligerait au combat rapproché, et la prochaine étreinte lui serait certainement fatale.

D’autant plus que le sort de protection dont il avait bénéficié jusqu’alors allait s’achever d’une seconde à l’autre.

La goule hésitait à l’attaquer.

Une pause qu’il devait mettre à profit.

Il psalmodia quelques paroles magiques et désigna son adversaire. Une force invisible enduisit alors son corps d’une sorte de substance huileuse. Ce n’était absolument pas douloureux.

Par contre, tu auras plus de mal à m’attraper…

Il bondit vers la créature qui tenta immédiatement de le saisir. Comme prévu, il lui glissa entre les doigts et se faufila sur le côté, plantant sa dague là où l’eau bénite avait œuvré.

Puis il fit une roulade en avant et d’un geste souple lança son arme en se retournant. Elle se planta dans la poitrine, obligeant le monstre à reculer.

Sans temps mort, il se releva et courut en avant, sa seconde dague en main. Il virevolta plusieurs fois autour de la goule, lui tailladant les bras et les cuisses.

Chaque fois qu’une main griffue se portait sur lui, il lui suffit de réaliser un mouvement brusque pour échapper à l’étreinte.

Il se glissa dans son dos et planta la lame entre les deux omoplates (ou ce qui tenait lieu d’omoplates).

Son adversaire fit deux pas en avant vers le brasier. Il se retourna lentement, à l’agonie. Il n’avait plus la force de répliquer.

Autant abréger ses souffrances.

Il tendit la main en avant et, d’un mot magique, souleva un morceau de bois enflammé qu’il projeta sur la goule. Elle prit feu immédiatement.
Sans un mot.

Elle s’écroula.
Sans un mot.

En quelques secondes, le monstre de la grange n’était plus qu’un tas de cendres.

Il ne resterait plus de lui qu’une légende glauque, et des enfants pourraient de nouveaux se lancer le défi de dormir ici avec pour seul résultat une belle frousse.

Et toi… quand tu mourras, ne restera-t-il qu’un tas de cendres ? Quelle légende laisseras-tu ?



A qui manqueras-tu ?




Un Vrai Barde

Estimation 26 ans



La voix sombre et grave du demi-elfe se tut dans un soupir mélodieux, révélant le silence pesant qui s’était installé dans l’auberge. Il savait parfaitement l’effet de cette balade sur l’humeur des gens. Un mélange de tristesse, de mélancolie et d’horreur.

C’était pourtant une des plus belles chansons de son répertoire et il l’entonnait souvent lorsqu’il était d’humeur nostalgique. Et contre toute attente, c’était en général la balade qui lui rapportait le plus d’or à la fin de la soirée.

Enfin, à condition de savoir l’amener correctement bien entendu.

Or, ce soir-là, il n’avait clairement pas amené les esprits de son assistance là où il aurait dû. Sa mélancolie avait teinté toute sa représentation et il avait clairement manqué de gaité dans son répertoire.

Au moins ne lisait-il pas de colère dans le regard du tenancier. Avec un peu de chance, il conserverait quand même sa paillasse au sec.

Il traversa la foule pour rejoindre une table et une bière qui s’était éventée en l’attendant. Il allait la boire quand une serveuse lui en apportant une nouvelle, fraîche et mousseuse, sans qu’il n’eut rien demandé.

Elle avait de beaux yeux verts et des cheveux tirant vers le roux qui descendaient en cascade le long de ses épaules pour entourer une poitrine jouissant visiblement de la fermeté de son jeune âge.

Dans laquelle battait un cœur qu’il aurait bien arraché…



Elle s’écroula dans un râle de plaisir, le corps couvert de sueur. Lui aussi haletait, mais il retrouva son souffle rapidement.

Quelque chose n’allait pas.

Il voulait toujours la tuer.

Il soupira.

Il avait de plus en plus de mal à lutter contre cette sensation. Cette envie.

Au-delà du côté désagréable de l’expérience, il détestait surtout cette sensation de ne pas être maître de son esprit ou de ses pulsions. Il y travaillait pourtant, au quotidien.

Mais ce n’était pas suffisant.

Eliana…

Son visage lui traversa l’esprit et il eut brusquement très envie d’elle. Une envie violente même. Elle aurait pu être allongée à ses côtés, le corps trempé dans des draps de satin du minkaï.

Sa frustration lui fit crisper ses mâchoires. Mais il resta stoïque. Même lorsqu’elle se redressa pour lui faire une conversation inutile :
- Tu ne ressembles pas tellement à un barde…
Il eut envie de lui dire qu’en ce qui la concernait, elle reflétait l’archétype de la serveuse facile qui couchait pour arrondir ces fins de mois, mais c’aurait été cruel de sa part. Après tout, elle était gentille et ne lui avait pas encore soutiré le moindre sous.

Il refreina un soupir et marqua un sourire à la place :
- En quoi n’ai-je pas l’apparence d’un barde ?
Ses doigts parcouraient doucement son torse nu, marquant la courbure de ses muscles dans un mouvement sensuel :
- Et bien, pour commencer tous ces muscles saillants parfaitement ciselés… On dirait plutôt le corps d’un guerrier.
« D’un guerrier qui a connu son lot de combat sanglant même…
Elle prononça cette dernière phrase alors qu’elle caressait les multiples cicatrices qui lui parsemaient le dos.

C’était agréable.

Mais ce n’était pas de ces mains-là dont il avait besoin…

Cette pensée provoqua une nouvelle montée de désir incontrôlable.
- Laisse-moi te montrer combien je suis un vrai barde !
Il la rejeta en arrière tandis qu’elle gloussa de plaisir.

Ce n’était pas elle, mais elle ferait l’affaire…



Un vrai barde… ?



- Il y a quelque chose que je ne comprends pas avec toi. C’est simplement impossible !
Il affronta le regard courroucé de l’halfelin avec un mélange de surprise et d’amusement. Pour maintenir une sorte de statut quo, il était assis sur un tabouret tandis que le petit être se tenait debout sur une table, une baguette à la main. Mais cela n’altérait que faiblement l’ironie de la situation.
- Ne me regarde pas comme ça et explique-moi plutôt comment une telle chose est possible !

Le professeur frappa le demi-elfe à l’épaule avec son objet en bois, lui arrachant une grimace de surprise. Le coup n’avait pas été douloureux, mais simplement humiliant.

Malgré tout, il ne pouvait s’empêcher de rire :
- Si tu m’expliquais ce que tu veux dire, je pourrais peut-être te répondre !

Vermillon le fusilla du regard avant de lâcher sa baguette, et de faire les cents pas sur la table, furieux.

Il suivait son enseignement depuis presque quatre mois maintenant et une amitié sincère était née entre les deux individus avec le temps.

Pourtant Vermillon ne l’avait pas entendu de cette oreille lorsque Parascel, le petit-fils du halfelin qu’il avait sauvé d’une mort certaine sur une route marchande non loin de Karceau suite à un assaut de détrousseurs malhabiles, l’avait introduit auprès du virtuose en suppliant ce dernier de le prendre comme apprenti.

Il devait avouer lui-même que l’idée lui était apparue comme passablement absurde au premier abord. Après tout, en quoi étudier auprès d’un barde pouvait-il l’aider à assouvir sa vengeance ?

Mais rapidement, il s’était rendu à l’évidence : sans une parfaite maîtrise de sa nature sauvage, il ne pourrait jamais suivre sa propre voie.

Et puis les Bardes – ceux dont le titre s’écrivait avec une majuscule – disposaient d’atouts autrement plus intéressants que de simples berceuses calmant les nerfs. Lorsqu’il s’était moqué de ses talents, Vermillon l’avait remis à sa place avec une facilité déconcertante pour un être aussi frêle d’apparence.

En quatre mois, il ne se sentait déjà plus le même homme. Il faisait preuve maintenant d’une forme de discipline et de raffinement dont il ne se serait jamais cru capable auparavant.

Et même s’il n’arrivait pas parfaitement à refouler ses pulsions, il restait maître de son esprit et de son libre-arbitre, ce qui constituait en soit une véritable prouesse.

Ses progrès étaient évidents, mais ce n’était manifestement pas suffisant pour le virtuose, sans qu’il en comprenne la raison.

- Vas-tu m’expliquer à la fin ou bien faut-il que je devine ce qui se trame au fond de ton esprit torturé ?
Piqué à vif, l’halfelin planta son regard dans celui de son irrespectueux élève :
- Ca ne va pas du tout. La magie est déjà là alors que tu ne l’as pas encore appelé. Ce n’est pas possible !
Cette fois-ci, le sourire insolent quitta le visage du demi-elfe, remplacé par une expression perplexe :
- Sois plus clair, je ne comprends pas un traitre mot à ce que tu racontes.

L’halfelin soupira devant tant de bêtise mais tenta de s’expliquer malgré tout en des termes plus simples :
- Nous autres, Bardes, faisons naître la magie de l’Art. C’est en insufflant une partie de notre âme dans l’œuvre artistique que nous réalisons que nous faisons naitre la Magie, nous permettant d’accomplir de véritable miracle.
« Dans ton cas… L’inverse se produit. C’est un non sens !
Le demi-elfe fronça les sourcils :
- Comment ça « l’inverse se produit » ?
- Je pensais pourtant être clair : tu cherches à teinter ton Art de Magie alors que la Magie doit naître de ton Art.
« C’est quelque chose d’impossible à réaliser, à moins de disposer d’un Sang adéquat. Tu as beau être un sang-mêlé, les elfes ne disposent pas d’une telle faculté.

Tout était clair maintenant. Il n’y avait pas besoin de pousser la conversation plus loin.

Il se renfrogna :
- Est-ce que cela va m’empêcher de suivre ton enseignement ?
Vermillon marqua un temps d’arrêt, circonspect devant l’attitude soudainement sombre de son élève. Mais il ne creusa pas la question. A la place, il secoua la tête en énonçant d’une voix plus douce :
- Nous arriverons à faire quelque chose de toi. Simplement, tu suivras une voie différente. Tu ne seras un vrai Barde.

« Tu seras juste toi. Unique.

« Juste Syl’Marihil.






Retrouvailles

Il y a quelques semaines par Faol



Eliana et Eümir étaient en ville pour quelque temps et elle espérait que cette fois-ci Syl serait là aussi. Par un concours de circonstances, cela faisait plusieurs mois qu’ils ne s’étaient pas vus. Elle poussa la porte de La harpe dorée en retenant inconsciemment son souffle. Cela faisait plusieurs fois qu’elle espérait l’y trouver, en vain. La harpe dorée était le rendez-vous de tous les artistes de la ville. Il savait qu’il la trouverait là et c’était son espoir qu’elle le trouverait là aussi.

La porte s’ouvrit sur le brouhaha habituel et c’est sa belle voix grave qu’elle entendit chanter. Elle soupira d’aise. Elle ne savait pas pourquoi elle se sentait ainsi avec lui. Lorsqu’elle entra, plusieurs habitués se tournèrent vers elle pour la saluer et elle leur rendit leur sourire. Elle se dirigea vers le bar pour commander un délicieux vin elfique et alors qu’elle était dos à la scène, elle perçut un changement tout en douceur dans le timbre de sa voix, qui devint plus grave et plus profonde, mais en même temps plus légère et moins mélancolique. Il inséra l’espace d’un instant un léger effet dans sa voix qui était en fait la signature d’Eümir et Eliana et elle sut qu’il l’avait vu. Elle se tourna vers lui en portant son verre à ses lèvres et lui fit un sourire radieux.

Lorsqu’il eut terminé et que le public eut fini de l’encenser, il vint la rejoindre. Elle passa ses bras autour de son cou et sauta en ramenant ses jambes autour de sa taille. Leurs lèvres s’écrasèrent dans un baiser mi-rieur, mi-passionné. Autour d’eux, les quolibets pleuvaient « Prenez-vous une chambre! » « Cessez d’examiner vos cordes vocales! », etc. Mais ils n’en avaient cure. Il la déposa par terre et elle le traîna vers la porte et vers la maison de sa sœur.



Plus tard, alors que le soleil se couchait, elle accota sa tête sur sa poitrine, écoutant son cœur pendant un instant. Ils reprenaient encore leur souffle, entortillés dans les draps. Elle releva la tête et lui demanda « Que dirais-tu d’aller souper au Badinage? »

« Et comment penses-tu pouvoir entrer dans cet établissement si prisé à la dernière minute? »
« Eümir et moi y chantons chaque fois que nous sommes en ville et nous avons une entente avec Vido pour qu’il nous garde une table. » Il fit une petite grimace au nom de son rival. Chaque fois, elle partait avec lui courir les routes et il savait pertinemment qu’ils couchaient ensemble à l’occasion.
Inconsciente de sa réaction, elle poursuivit « il va sûrement passer la nuit avec Adria ce soir, ça m’étonnerait qu’il aille lui aussi au Badinage, nous aurons donc la table pour nous seuls. » Décidément, cette femme n’était vraiment pas exclusive dans ses relations. Il haussa les épaules et lui sourit.
« Pourquoi pas? »
« Génial! » Elle se leva du lit d’un bon. Elle prit le verre d’eau qui traînait sur sa table de chevet. Il y avait un frimas non naturel sur le verre, vu la chaleur ambiante. Elle en fit tourner le contenu une ou deux fois avant de lui lancer dessus. Le choc de l’eau glacée le saisit et lui fit pousser un grognement de mécontentement.

Il leva un regard mauvais vers elle, mais un large sourire étirait ses jolies lèvres pulpeuses et elle lança un petit cri ravi en voyant son regard. Pour une raison quelconque, ce son éveilla quelque chose en lui, mais il ne sut quoi exactement. Voyant qu’il restait là sur le lit, elle arqua un sourcil avant de lui lancer de nouveau le contenu du verre, qui s’était rempli par magie.
« Arrrghh » rugit-il. Elle ouvrit la porte de la chambre et s’élança dans le corridor en riant alors qu’il se levait du lit et s’empêtrait dans les draps.
Il la poursuivit jusqu’à la salle d’eau de la maison. Comme Alisa était spécialisée en magie de glace et d’eau, leur salle de bain bénéficiait d’une douche magique. Il s’agissait simplement de toucher les bons glyphes sur le mur pour en contrôler la température.

Elle l’attendait sous un jet brûlant. Lorsque le jet d’eau toucha son corps, il s’émerveilla pour la énième fois sur cet immense luxe.

Eliana lui mordilla la peau de l’épaule et il oublia l’eau glacée et l’eau brûlante.



Elle avait enfilé une magnifique robe qui la mettait bien en valeur. Elle lui dit que c’était la mode chélaxienne. La robe était très légère et presque décadente par rapport à la mode de la capitale. Mais c’était l’une des rares soirées chaudes de l’été et elle voulait en profiter. Il n’allait certainement pas se priver de l’admirer.

Comme promis, Vido les mena vers une petite table privée à l’écart et ils mangèrent comme des rois, à la lueur des chandelles du restaurant le plus en vue de la capitale. Elle ne cessait de l’étonner par sa myriade de connexions dans plusieurs cercles différents. Elle savait naviguer les caravanes varisiennes et avait même des contacts chez les sczarnis, mais en même temps elle venait d’une famille noble. Elle lui donnait l’impression de flotter sur tous ces différents mondes, sans jamais s’y arrêter très longtemps.

Il comprenait très bien son désir de bouger. Mais il ne pouvait pas oublier que ce désir ne venait pas de la même place. Que dirait-elle si elle apprenait son terrible secret? Son désir de violence qu’il canalisait en chassant d’autres monstres ou en baisant?

Elle s’interrompit dans ce qu’elle était en train de lui dire lorsqu’elle remarqua qu’il fronçait les sourcils. Elle le voyait parfois partir comme ça dans ses pensées, dans un endroit terrible dont elle soupçonnait trop bien l’origine.

Elle tendit le bras par-dessus la table, mit sa main sous son menton et remonta son regard acier vers ses yeux vert émeraude.
« Où penses-tu t’en aller comme ça, alors que tu es en ma présence? » lui demanda-t-elle sur un ton de défi et d’amusement.

Elle lui souriait, mais il y avait quelque chose d’inidentifiable dans son regard. Lorsqu’elle le regardait ainsi, il ne savait trop que penser.


Elle voulait le distraire de ses pensées qui assombrissaient son humeur. Elle craignait parfois sa réaction s’il en venait à se rappeler dans quelles circonstances ils s’étaient rencontrés la première fois.

Elle le vit secouer la tête et revenir au moment présent. Elle engagea donc la conversation sur un sujet qui l’intéressait et le reste de la soirée se passa à merveille.




Une Journée dans les Rues de la Capitale

Il y a quelques semaines par Faol



Eliana était heureuse qu’il ait décidé de l’accompagner, qu’il se fût laissé convaincre sans trop de peine. Ils ne se voyaient pas très souvent et pour elle, chaque moment comptait. Elle ne savait pas trop pourquoi, mais elle adorait passer du temps avec lui.

Ce jour-là, elle devait faire des commissions et elle décida de lui faire découvrir la rue Barragaro où elle devait acheter certains trucs. La rue était comme toujours très animée et bruyante. Les propriétaires des étals négociaient avec les clients et l’humeur était à la légèreté. Elle fit un petit signe de la main à l’un des artistes de rue qui le lui rendit avec le sourire.

Alors qu’elle était occupée à payer, un jeune garçon de douze ans le poussa en s’excusant. Elle releva la tête et lui lança un mot. Il s’arrêta net et la regarda. Il revint vers Syl et lui remit sa bourse en s’excusant profusément et en disant qu’il ne savait pas. Syl le regarda d’un air perplexe, sans trop comprendre. Il avait compris que ce jeune garçon lui avait volé sa bourse, mais il ne comprenait pas pourquoi il la lui rendait en s’excusant. Eliana répondit en souriant quelque chose au jeune garçon, quelque chose qui lui échappa, et le jeune garçon s’en alla en riant.

« Je lui ai dit que tu étais hors limite, tu devrais avoir la paix, mais si jamais ça venait à se reproduire de nouveau, achète un seul lys calla à madame Camille juste là. » Il suivit des yeux l’endroit où elle pointa et remarqua la vendeuse de fleurs et de chapeaux extravagants.
Ils continuèrent leurs emplettes sans d’autres problèmes du genre. Elle lui fit goûter un poisson apprêté avec des épices du Garund et d’autres du lointain Tian Xia. C’était un véritable plaisir que de découvrir cette rue avec elle. Elle semblait connaître tout le monde. Elle lui expliqua qu’elle venait ici pour réserver une place sur les caravanes qui quittaient la ville.

Elle l’emmena ensuite dans ce qui semblait être un petit salon de thé très enfumé et exigu. Une forte odeur de clous de girofle et de cannelle flottait dans l’air. La dame qui les accueillit portait un voile sur sa tête. Eliana échangea quelques mots avec elle et elle les mena à l’arrière du salon, où elle poussa un meuble qui dévoila un escalier qui montait à l’étage.

En haut, quelques personnes étaient assises sur des coussins à même le sol et fumaient dans des espèces de pipes à eau. Elle le traîna jusqu’à une section fermée par des rideaux. Elle les ouvrit et entra dans un petit box bien intime.

Elle s’assit et lui enjoignit d’en faire autant. Quelques secondes plus tard, une serveuse leur apportait une pipe à eau et l’allumait pour eux. Elle s’éclipsa sans dire un mot. Eliana saisit le tuyau du narguilé et le porta à ses lèvres avant d’inspirer profondément, puis elle le lui tendit. Il le prit incertain, mais comme elle l’encourageait, il fit comme elle.

Après quelques minutes de ce manège, il remarqua ses yeux verts dilatés et il comprit son erreur, mais elle se leva et se laissa tomber sur lui et sur les coussins en riant. Son rire était communicatif et rapidement une douce euphorie s’insinua dans son cerveau. Elle avait accoté sa tête dans le creux de ses jambes et elle lui pointait quelque chose au plafond qu’il ne voyait pas, mais rapidement, il se rendit compte que la drogue était également hallucinatoire.

Il ne saurait dire combien de temps ils passèrent ainsi à se parler de l’histoire qui se déroulait dans les dessins des coussins. Plus ils aspiraient la substance, plus la sensation d’euphorie et les hallucinations étaient puissantes.

Soudainement, elle se retourna vers lui et lui mordit l’avant-bras presque assez fort pour faire perler le sang. Il poussa un cri de surprise et de douleur et un mince voile rouge recouvrit sa raison. Il la prit solidement par les bras et la plaqua violemment contre les coussins, inconscient du grondement dans le fond de sa gorge. Une envie meurtrière traversa son cerveau et il la secoua un peu. Elle planta ses yeux de biche dilatés dans les siens et poussa un petit gémissement, mais la main qui recouvrait son entrejambes ne laissait aucune place à l’interprétation et sa pulsion se mua en quelque chose d’autre et elle en sembla ravie. Il serait toujours temps de s’interroger sur le pourquoi et le comment et de se faire des récriminations plus tard. Le pesh l’empêchait de penser rationnellement.



Absence

Il y a quelques semaines par Faol



Cela faisait maintenant un mois qu’elle était partie avec sa sœur Alisa pour son comté natal de Sinaria. Elle lui avait dit que l’un de ses frères était décédé et qu’elle devait partir.

Pendant son absence, il avait eu le temps de penser à tout ce qui aurait pu mal tourner dans la fumerie de pesh. La drogue avait réveillé son agressivité, mais elle l’avait canalisé dans autre chose et tout s’était finalement bien passé.

Il savait toutefois qu’il devrait partir bientôt pour assouvir ses pulsions, mais il espérait qu’elle reviendrait avant son départ, qu’il retardait sciemment, sinon qui sait quand ils allaient se revoir?



Un soir, quelqu’un cogna à la porte de sa chambre. C’était elle. Elle semblait nerveuse et distraite, presque fragile. Elle n’était jamais fragile. Il ne l’avait jamais vu ainsi à part une fois où elle était revenue d’un voyage avec Eümir en délirant au sujet d’une malédiction de gitan et d’une poupée meurtrière qui la suivait partout. Elle était allée se promener rue Barragaro et était revenue normale, guérie?

Elle se jeta dans ses bras et enfouit son visage dans sa chemise avant de s’effondrer en pleurs. Il l’avait consolé une partie de la nuit et ils avaient fait l’amour jusqu’à l’aube.

Au matin, elle s’était levée, s’était approchée de la fenêtre et avait longuement regardé dehors. Puis, elle s’était tournée vers lui avec un sourire qui n’atteignait pas ses yeux. Elle lui avait dit d’une voix remplie de fausse gaieté qu’elle avait des commissions à faire et qu’elle le rejoindrait en soirée au Palais des voix. Elle lui tendit des billets en lui parlant du spectacle très réputé qui y serait joué ce soir-là et il avait cru un moment qu’elle s’était animée avec enthousiasme pour la représentation. Mais elle ne s’y était jamais présentée.

Il s’était un peu inquiété, puis fâché. Était-elle partie sans même lui dire au revoir ou était-ce la raison de sa visite de la veille? Habituellement, il n’en faisait pas tant de cas, alors en quoi cette fois-ci était-elle différente? Elle était probablement encore partie avec Eümir. De toute façon, il devait lui aussi partir, le temps était plus que venu.



Retour à Caliphas

Ces derniers jours



Il traversa les portes de la ville avec un soupir de satisfaction. C’était agréable de retrouver enfin la civilisation. Une civilisation qu’il avait quittée depuis trop longtemps maintenant…

Il ne pouvait pas considérer Caliphas comme son foyer, parce qu’il n’avait pas de foyer. Mais c’était une ville où il avait beaucoup vécu. Et il y avait des souvenirs agréables aussi…

L’image de la Harpe Dorée s’imposa immédiatement à son esprit, mais il secoua la tête pour la chasser de ses pensées. Il avait autre chose à faire avant cela.

Et puis de toute façon, elle n’y serait pas.

Une douleur fulgurante lui traversa le flanc, lui arrachant une grimace. Cette blessure infectée ne voulait pas guérir et ne répondait pas à ses chants de soin. Un homme sage se serait adressé à un temple de Sarenrae.

Mais il n’était pas sage.

Sans parler du concept même « d’homme »…

Il connaissait quelqu’un qui pourrait l’aider et qui lui devait un ou deux services. Le genre de personne qui poserait beaucoup de questions à n’en pas douter, mais qui préférerait emporter ses secrets avec lui dans la tombe plutôt que de les révéler à quiconque.

Et comble de la providence, cet individu lui devait quelques services…



- Par les saintes burnes de Droskar, c’est une morsure de lycanthrope ça !
Il grimaça en l’entendant blasphémer. Il n’était pas particulièrement croyant, mais il n’appréciait pas particulièrement ce genre de langage. Il s’attendait à chaque fois à voir le toit de la chaumière voler en éclat et une main géante se saisir du nain avant de lui faire subir divers sévices punitifs.

Cette pensée lui arracha un ricanement.
- Bordel, je viens de t’annoncer que tu vas crever en te tordant de douleur et ça te fait rire ?!

Son rire se transforma en toux douloureuse lorsque sa blessure le lança de nouveau. Il prit plusieurs secondes à reprendre son souffle avant d’énoncer dans un râle :
- Mais non je ne vais pas mourir, Ravs. En tout cas, pas si tu fais ton boulot.
« Je n’ai pas la lycanthropie.

- Prends-moi pour un druegar aussi ! Je sais reconnaître une morsure de loup-garou quand j’en vois une !
- Oui, c’est bien un lycanthrope qui m’a fait ça. Mais c’était il y a plus de deux semaines et la nouvelle lune est apparue il y a trois jours.
- Les infectés ne gardent aucun souvenir de leur pre…

Il haussa le ton pour lui couper net la parole :
- J’ai dormi dans une auberge avec deux serveuses ce soir-là !

Le nain recula, incrédule :
- Bordel, tu as… fait quoi ?

Le demi-elfe baissa les yeux, les sourcils froncés :
- Je me suis gavé d’herbe à loup dès que j’ai subi cette morsure, mais il fallait que je m’assure que je n’étais pas infecté. Alors j’ai fait… le nécessaire.
- Par les bourses de Gorem, t’as quand même un sacré culot, espèce de salopard !

Il redressa la tête, furieux :
- Tu comptes prendre le reste de la journée pour m’insulter ou bien on peut passer à la suite et laisser tomber cette histoire de lycanthropie ?
Le nain le défia du regard avant de se repencher sur la blessure :
- D’accord, ce n’est pas de la lycanthropie. Mais alors c’est quoi ?
- C’est pour ça que je viens te voir, répondit-il en haussant les épaules. J’ai pensé à la fièvre des goules un moment…
- Comment ça ? C’était une goule ou un lycanthrope ?

- Je ne sais pas trop, je t’avouerais. Je me suis fait surprendre et c’est assez miraculeux que je sois encore en vie.
« En fait, cette chose m’a attaqué par surprise. Il avait tous les aspects d’un loup-garous. La fourrure, les griffes, les crocs et la forme humanoïde mais… il sentait la chair décomposée, c’était infâme !
Le nain nia fermement :
- Un lycanthrope peut tout à fait mourir de la Fièvre des Goules, mais il devient alors une goule, purement et simplement. Tu aurais donc dû voir un humanoïde, simplement.
- Un charognard alors ?

Ravs haussa les épaules :
- C’est déjà plus plausible que la goule, mais les lycanthropes préfèrent la chair fraiche, sans aucun doute possible.
« Tu as des symptômes particulier ?
- A part la fièvre et les crampes ? Oui, j’ai parfois du mal à respirer et à marcher, comme si mes muscles refusaient de me répondre…

- Le tétanos.

- Le quoi ?
Le nain soupira en regagnant son atelier, à la recherche d’ingrédients :
- C’est une maladie assez commune et du genre… mmmh… gravement mortelle. Je suis surpris que tu sois encore debout.
Tout en allumant le feu sous son alambic, il murmura :
- Je suppose que tu dois ça à ta… constitution.

Il avait raison, mais le demi-elfe préféra faire comme s’il n’avait rien entendu.
- Qu’est-ce que tu faisais loin de Caliphas ?
- J’assistais à des funérailles.
- Sans blague ? Il t’arrive de t’intéresser à quelqu’un d’autre que toi-même ?

La pique était justifiée, il ne releva pas.

Cette mort l’avait affecté. Sœur Kamilia… Une prêtresse de Milani qui vivait en recluse dans les montagnes, non loin de Repos-d’Eran, apportant son soutien et ses soins à toutes les bourgades alentours. C’était une sainte, il n’y avait pas d’autres mots pour la décrire.

Elle avait eu un passé torturé mais ne l’avait jamais évoqué directement.

Simplement, il le savait. Depuis la première fois qu’il l’avait rencontré, il l’avait toujours su.

Les maudits se reconnaissent entre eux…

Depuis qu’il l’avait rencontré, cinq années auparavant, alors qu’elle lui était spontanément venue en aide pour guérir ses blessures, il avait toujours essayé de passer prendre de ses nouvelles une à deux fois par an. En général, il restait plusieurs jours à ses côtés avant de repartir.

Elle avait apprécié sa présence aux derniers jours de sa vie. Elle était vieille et avait déjà suffisamment vécu, même s’il aurait préféré qu’elle reste avec lui… pour toujours.

Quelles qu’aient été tes fautes, tu les as amplement racheté Kamilia… C’est loin d’être mon cas.

- C’est prêt.
Ravs le tira de sa rêverie en lui tendant une fiole encore chaude où frémissait un liquide verdâtre.
- Une cuillère matin, midi et soir. Et beaucoup de repos aussi.
Il s’en saisit avec précaution, tachant de ne pas se brûler.
- Merci Ravs, tu m’en dois une belle !
Le nain grommela un vague juron en se retournant ranger sa paillasse. Il n’avait jamais été doué pour autre chose que la langue verte, aussi était-il inutile de pousser plus loin la conversation.

Le demi-elfe rangea la fiole et se rhabilla avec difficulté. Alors qu’il quittait la boutique, l’herboriste l’interpela :

- Syl ?
- Mmh ?
- Tu devrais arrêter de courir après la mort, mon gars. Elle te trouvera bien assez tôt.

- Je sais, Ravs. Mais je n’ai pas le choix.

La porte se referma sur ces paroles.

Ne restait qu’un murmure grave et triste :
- On a toujours le choix, mon gars.
« Tu as assez payé comme ça…



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