La visite que Shae fit du quartier de Pierre fut décidément pleine de surprise. Certes, elle ne semblait vraiment pas à sa place, surtout au milieu des habitants qui pour la plupart étaient non seulement des nains, mais des forgerons ou des guerriers, portant armures ou tabliers de cuir.

Mais malgré leur apparence plutôt rude, les nains et les humains qui vivaient autour du temple de Torag se montrèrent très chaleureux, et l'aidèrent de leur mieux à trouver ce dont elle avait besoin. Certains des forgerons s'inquiétèrent même de ses talents, lui demandant si elle savait ce qu'elle faisait, et de ne pas hésiter à venir les consulter si elle peinait à réaliser les enchantements qu'elle avait en tête.
D'autres la félicitèrent de s'atteler à une telle tâche, et qu'il était rafraichissant de voir quelqu'un comprendre la beauté qu'il y avait dans l'acte de création.


Dans une large mesure, sa visite au grand sanctuaire de Torag condensa ces impressions. Les forgerons et prêtres, les acolytes et gardes la regardèrent passer, à la fois étonné et curieux. Certains la saluèrent au passage, avant de retourner à leur oeuvre. Au coeur du temple se dressait l'autel, ainsi qu'une immense statue de Torag, un nain au visage sévère, en armure, penché au dessus d'une enclume et martelant une épée à demi-forgée. Elle dominait les lieux, et il s'en dégageait une impression de...solidité. Comme si Torag, d'une certaine manière, représentait les fondements même de l'univers. Sa prière achevée, elle se rendit compte qu'une naine se trouvait à ses côtés. Comme bien d'autres en ces lieux, elle portait une lourde armure. Un anneau de fer était passé dans l'une de ses narines, de la même couleur que ses yeux: gris acier. Elle lui souriait.
« Il est rare de voir une servante de la Rose Eternelle ici. Soyez le bienvenue. Si je ne suis pas indiscrète...puis-je vous demander pourquoi vous vous adressez au Père de la Création? »

La naine hocha la tête en signe de compréhension.
« Une excellente philosophie. Torag nous enseigne également à nous montrer ouverts, mais à ne malgré tout pas oublier nos traditions. J'essaye de concilier les deux. Mais je manque également à mes devoirs...je suis Ulla Sigurdsdottir, haute prêtresse de Torag à Karlsgard. Et...et bien, je ne peux pas prétendre parler au nom du Père de la Création, mais si vous exercez votre art autant pour la joie de créer que pour aider et protéger les vôtres, je sais qu'il vous accordera sa bénédiction. »
Elle sourit.
« Dans tous les cas, sachez qu'une fidèle de Shélyn sera toujours la bienvenue parmi nous.  »

Shae passa beaucoup de temps à trouver tout ce dont elle avait besoin.Elle mettait un point d'honneur à créer tous ces objets pour ses amis avec une application sans faille. Au delà de leur utilité, ils devraient être beau, absolument magnifique. Elle puisa dans ses derniers fonds pour apporter ce petit plus financier afin que chacun des objets ait sa personnalité.
Elle passait en coup de vent auprès des siens, et suivait la vie de groupe d'assez loin. Elle remarqua tout de même une certaine tension entre Aloïs et Kurimi, et elle se demanda pourquoi ... tss...tss... Aloïs a-t-il été maladroit avec elle ? ... sans doute ... mais c'est ce qui fait son charme après tout ... et puis bon, je ne vois pas très bien qui pourrait ne pas être maladroit avec Kurimi ... j'irai leur parler d'ici quelques temps ...

Shae regarda Aloïs de son plus beau sourire :"Je vais bien. Passionnée par ce que je suis entrain de faire pour chacun d'entre vous. Mais à t'entendre à utiliser le Verbe d'une si belle façon, mes propos paraîtront bientôt fade si tu continues. Mais loin de moi l'idée de t'empêcher de dire de belles choses, je t'y encourage même. Mais n'exagère pas trop tout de même. Si je possède une certaine beauté, elle est loin d'égaler celle de ma Déesse.
Et toi comment vas-tu ? As-tu trouvé une femme à aimer, à chérir et à rendre plus belle par ton amour indéfectible ?Parce que c'est bien cela que tu souhaites n'est-ce pas ?
Kurimi peut-être ?... pardon Shelyn ... je suis taquine ...

Avec une réaction toute adolescente :"Amaya ? ... vraiment ?? ... et tu lui a dit ? ... ou tu comptes faire comment ?"Shae l'assène de questions comme le ferait une amie épanouie de bonheur.
"Mais il y a une chose que j'exige : personne d'autre que moi ne vous mariera." dit-elle avec un clin d'oeil.
"Sinon pour t'aider dans ta voix, sache que tous les objets que je confectionne pour tout le monde le sont au nom de Shelyn. Tous porteront une rose quelque part. Dis-toi que la Rose Éternelle te regardera tout le temps désormais et qu'elle te guidera dans ta quête de la beauté absolue. Et ce dans tous les domaines. Et peut-être guidera-t-elle Amaya vers toi ... je prierai pour vous deux. Mais c'est promis cela reste entre nous."
"Et non je ne suis pas vexé le moins du monde."

"Ce qui me fait vibrer dans la vie ? Oh ... simplement la beauté de toute chose : un papillon se posant sur une fleur pour s'abreuver de la rosée matinale, ce vieil homme tenant affectueusement la main de sa femme afin de l'aider à descendre une volée de marche, ou encore ce petit garçon qui aide cette vieille dame à traverser, ou ce jeune homme qui cours après le chapeau du vieux monsieur, envolé sur un coup de vent ou encore cet homme et cette femme qui se bousculent un jour dans la rue et qui ne se quitteront plus..."
Shae sort de son sac trois toiles roulées délicatement.
"Il y a aussi ces moments d'éternité à admirer une toile comme celle-ci ou encore celle-ci ou encore celle-là."
Elle laisse le temps à Aloïs d'admirer ces toiles, elle ne dit pas un mot et laisse la magie de l'Art opérer. Puis les reprends et les range précautionneusement.
"Et enfin, pour ce qui me concerne plus intimement, je me dis que j'ai encore le temps et que ma vocation est de donner à chacun l'occasion de s'aimer. Je ne place pas ma personne au centre de mes préoccupations. Je préfère être plus en retrait. Shayliss est certes une jolie personne mais celle ou celui qui souhaitera me mettre dans son lit devra d'abord toucher mon âme et mon cœur avant de toucher mon corps."

Ceci se passe à un autre moment que la discussion avec Aloïs, si ca ne dérange pas Durdyn de gérer les deux conversations en parallèle ;)

Quoovar aura cherché à rencontrer Shae, mais il voulait faire ça discrètement. Aussi il aura attendu un moment où elle serait réveillée, seule, et également inoccupée car elle était très prise par ses créations d'objets magiques. Il était patient et il aura été discret dans sa surveillance et perspicace dans son choix du moment. Le bon moment venu, Quoovar rentra discrètement dans l'endroit où Shae avait fait son petit laboratoire. Il l'aura certainement surprise : Quoovar ne pouvait s'empêcher de marcher sans un bruit ni échapper aux regards.

« Oh, désolé Shae si je t'ai fait peur. Je... je ne voulais pas t'effrayer, mais je voulais parler avec toi d'un soucis que j'ai. Et... euh, bah t'es compétentes pour ce genre de choses. Puis-je ? » demanda Quoovar en attendant l'invitation de Shae à continuer.

En espérant que celle-ci accepte, Quoovar s'assoit à ses côtés et enchaîne. Il hésite un moment à la manière de tourner cela, mais comme il n'arrive pas à exprimer ses sentiments, il se rabat sur le factuel. Comme d'habitude, son ton quand il n'est pas en négociation est hésitant, utilisant des expressions littéraires qui semblent déplacées et pompeuses pour tout le monde, mais qui caractérisent son mode d'expression quand il est naturel. Cela rappelait également toujours que le commun n'était pas sa langue naturelle.

« C'est... C'est en relation avec Kelda. Il... Je... Je passe beaucoup de temps avec elle et... et je subodore que quelque chose n'est pas comme il le devrait. Je... J'ai du mal avec les émotions, à les ressentir, mais aussi à les comprendre. Par contre, je suis plutôt efficace pour les percevoir et les analyser. J'ai l'intuition qu'un élément inconnu gêne Kelda. Après son temps passé dans les geôles des Ombres Givrées, j'ai tout d'abord émis l'hypothèse d'un enchantement quelconque, mais je n'en ai pas trouvé preuve. Ma déduction suivante a été donc qu'elle ressentait quelque chose que je ne parvenais pas à identifier. C'est... c'est pour ça que je suis venu de voir : tu es tout aussi perspicace que moi, voire plus en ce qui concerne les gens, mais surtout tu n'as pas mon... mes difficultés pour ressentir empathiquement les émotions des autres. Tu possède une meilleure expertise pour les comprendre, les cerner. J'apprécierai ton aide pour savoir ce qui pose problème chez Kelda. Elle a beaucoup souffert, que ça soit dans sa prison, mais également dans sa famille à Karlsgard, avec son père qui l'a déshéritée et sa propre sœur qui l'a vendue aux Runegivres. Je... Ce serait déraisonnable qu'il lui arrive d'autres malheurs. Pourrais-tu intercéder en sa faveur ? Et essaie de ne pas professer que ça vienne de moi, je regretterais qu'elle pense que moi aussi je l'ai trahie. »

Quoovar commença à sourire à l'accord de Shae, avant d'être totalement surpris par sa question.

« Moi ?! Comment je vais ? Bah, je... je vais bien. » Se doutant que Shae veut dire bien plus que cette question que l'habituelle question de salutation à laquelle il avait eu du mal à s'habituer. Quoovar soupira. Quand bien même il serait doté d'une intelligence supérieure, il manquait d'empathie et de sentiments. Savoir comment il allait vraiment était une interrogation qu'il se posait rarement en fait.

« Je vais bien... Je pense. Ça va mieux... La forêt, voire les cavernes, et la solitude me manquent un peu, mais je commence à prendre plaisir à être avec d'autres. Mais... je m'inquiète pour Kelda. C'est... irrationnel car c'est une grande fille qui sait prendre soin d'elle. Je... À vrai dire, je m'interroge sur le bien-fondé de ce sentiment. D'où ma requête auprès de ta personne : je me sens un peu dépassé. J'aurais préféré que ça soit originaire d'un enchantement en fait. Toutes ces histoires autour des sentiments me paraissent si... inutiles ? Non, pas inutiles. J'ai du mal à trouver le bon mot. Ah que c'est frustrant... Futiles. Voilà, futiles. Tu n'es pas d'accord? »

Manifestement, Quoovar semblait un peu perdu dans un des rares domaines où il était à la fois novice et carrément incompétent.

Quoovar n'a manifestement pas bien compris la référence et regarde Shae empreint de doutes.

« Quand je rajoute un ingrédient à une formule alchimique, s'il n'est pas dosé et réfléchit avec précision, la préparation devient le plus souvent inutile, ou tout aussi souvent dangereuse, voire carrément mortelle. Je ne pense pas que ta comparaison soit la bonne Shae. À moins que tu veuilles dire que je dois être le plus réfléchi et posé possible avant de considérer d'intégrer un nouveau sentiment dans mon processus mental intérieur; sous peine de possiblement devenir incontrollable et un potentiel danger pour mon entourage. Est-ce ce que tu voulais m'expliquer ? »

Quoovar faisait un effort pour comprendre, mais ça n'était pas facile. Pour lui, l'alchimie n'est pas une question de hasard ou d'intuition, mais une science tangible, avec des résultats connus à l'avance à partir de notions magico-élémentaires parfaitement rationnelles et déterministes. Shae lui parlait de hasard, de chaos, d'imprédictabilité souhaitable.

« Euh... Justement, il n'y a pas de hasard dans l'alchimie : c'est une science tout ce qu'il y a de plus rationnelle. Mais je crois comprendre ce que tu veux dire... Je crois. Je... Si j'essaie de reformuler, tu formules l'hypothèse que le hasard est une donnée bienvenue dans la vie, en particulier dans le jeu des émotions, car il permettrait de renouveler notre perception de nous-même et des autres en sortant des idées préconçues et des avis pré-établis, ayant pour conséquence une ouverture vers une expérience plus riche et plus profonde de nos liens avec notre entourage. J'ai... Ai-je bien compris cette fois ?  »

Quoovar regardait Shae avec espoir, l'espoir d'avoir compris ce que voulait dire la prêtresse. Mais une idée beaucoup moins agréable survint de son passé.

« Euh... Un peu comme quand je me suis échappé de mes maîtres elfes pour aller vers l'inconnu. C'était un hasard qui aurait pu me donner une expérience plus riche et profonde...
Sauf que j'ai finit à nouveau à des fers. »