Lulel savait que dans de tel petit village, les étrangers pouvaient avoir du mal à interagir avec les inconnus. Même si à Yin-Se la population semblait plus tolérante qu'ailleurs, il suffisait de voir la diversité raciale pour en être sur.
Le jeune femme décida de se poser sur la place. La vue sur la rivière lui faisait du bien, et elle espérait s'attirer la sympathie des villageois. Et pour cela, elle ne connaissait qu'un seul moyen.

Elle s'assit en tailleur sur un banc et commença à fredonner. Mais très vite, sa voix porta et elle entonna un chant doux et reposant. L'eau à ses pieds ondula au grès des notes. Et petit à petit, les flaques d'eau autour d'elle se mirent à danser en rythme.
Elle espérait être aborder par des villageois et ainsi entamer la conversation. Après tout, la musique est universel.

Lulel sourit au féliné. « C'est un mélange d'entrainement et de don naturel je dirais. Je n'ai jamais enseigné à personne, mais je serais ravi de vous guider sur cette voie; mais pas sans retour.
Les traditions orales sont précieuses et perpétuent la mémoire. Sans cela, il n'y a que l'oubli, la peur et la chaos. Mes connaissances contre des récits, cela me semble un bon échange. »
Elle se releva, et s'inclina. « Lulel, des Enflammés. Je suis venu ici avec Koji dans le cadre d'échanges de services proposés par les gouverneurs. »

Lulel sourit de plus belle. « Oh vous savez, n'importe qui peu chanter. Les voix singulières sont d'ailleurs les plus belles à entendre et celle qui marquent le plus les esprits. »

La jeune femme écouta avec attention le récit de Yao. « Vous venez de loin. J'ai vécu quelques temps au Quain, quelques mois, et je dois dire que j'ai été fasciné par les récits que l'on m'a raconté là-bas. Les monastères ont une culture fascinante.
Mais vous avez raison, je ne suis pas d'ici. Je suis née au Minata; j'ai grandi et appris le chant au Hwanggot; et depuis, je vais là où mes pas me mènent. Je suis ce que les gens appellent une baroudeuse. Mais je me vois plus comme un conteur itinérant, avide de récits et de chansons. »

Lulel se leva, et salua le féliné. « Enchanté Yao.
J'accepte avec plaisir votre proposition. Les légendes des mers me sont encore inconnues. Et en échange, je pourrais vous conter les légendes du Minkai, du Hongal ou du Minata.
Autour d'un verre? Je dois dire que j'ai la gorge sèche. »

Lulel eut une petite expression de satisfaction. « Chacun ses spécialités je dirais. Mais il est vrai que je n'ai pas vu beaucoup de personnes capables de faire cela. »

Elle suivit Yao, et s'installa à la table improvisée. « C'est cela, et enchanté Mizuki.
Je dois bien avouer que je ne suis pas très porté sur les prières. Sans vous vexer bien sur. Le divin ne m'a jamais attiré, et je dois dire que tant qu'ils me laissent tranquilles, je n'ai pas envie de me mêler de leurs affaires. »
Elle goutta la liqueur, non sans grimacer. « Fort mais agréable.
J'aurais bien quelques questions, mais j'aime découvrir moi-même les réponses; c'est dans ma nature. Toutefois, il y en a une qui me vient naturellement à l'esprit. En tant que prêtresse, vous devez avoir à faire aux esprits qui parcourent ces terres. Vous ont-ils posé problème? J'ai traversé à plusieurs reprises la Forêt aux Esprits, au nord du Minkai, et je dois dire que j'ai eu de bons comme de mauvais contacts avec eux. »

28 Pharast 4719 - Collines de Siyin, Shenmen
Musique - Printemps sur Siyin


Au cours des jours qui suivirent, Lulel fit la connaissance d'autres membres du village. Très peu des habitants de Yin-Se travaillaient seuls, et pour la plupart ils voyaient d'un bon oeil l'irruption de l'ondine dans leur vie quotidienne. Peu après sa discussion avec Mizuki et Yao la Baleine, elle passa à la forge du village. Après tout, les Enflammés allaient transporter ce matériel, autant qu'elle sache de quoi il s'agissait, pas vrai?

La forge était finalement assez grande pour un village de cette taille, une bâtisse trappue aux murs de pierre taillée située à proximité des berges de la rivière, une cheminée fumante dépassant du toit. La grande porte était toujours ouverte, et en frappant, Lulel découvrit une bien étrange assemblée. L'intérieur était tout ce qu'il y avait de plus ordinaire pour une forge: un grand foyer de pierre où des charbons ardents brûlaient d'une lumière rougeoyante, deux enclumes noircies, plusieurs rateliers de matériel, ainsi qu'un établi recouvert d'outils soigneusement organisés, et plusieurs mannequins de bois sur lesquel des pans d'armure à moitié achevés étaient accrochés. Le seul élément sortant de l'ordinaire était une grande statue de bois verni, représentant une femme aux traits sereins, vêtue d'un kimono, neuf queues de renard enveloppant sa silhouette. Daikitsu, la déesse renard, patronne des forgerons, entre autres.


Mais c'était surtout le trio à l'intérieur qui attira son regard. Un vieux nain aux traits ridés, usés par l'âge, à la longue barbe blanche, portant une simple tunique de lin sous son tablier de cuir, avec les bras musculeux et les mains calleuses d'un forgeron. A ses côtés, deux femme, une aux traits occidentaux, portant une tenue un peu extravagantes mais également une sacoche d'outils de précision à la ceintre, et une autre, à la peau verte, écailleuse, dont la chevelure était une collection de serpents sifflants. Elle portait elle aussi un tablier de cuir mauve, et interrompit la discussion à l'entrée de Lulel.
Le vieux nain la salua d'une voix douce.
« Ah! Bonjour, bienvenu...vous êtes dame Lulel, c'est bien ça? Wolfram Yamae...je suis le forgeron du village. »

Les deux femmes se présentèrent elles aussi, il s'agissait de Jane Pauwel, artificière native d'Andoran, et Saba, une gorgone, ingénieure et amie de Jane venue d'Alkenastre, à l'autre bout du monde. Toutes deux saluèrent Lulel avec amabilité, un peu curieuse d'en savoir plus sur l'ondine.

Au cours de la discussion, Lulel pu en apprendre un peu plus sur les esprits mécaniques du village. Wolfram était un ancien, qui était déjà présent à la fondation de Yin-Se, et ravi de voir le village qu'il avait cru un long moment sur le point de s'éteindre vivre un véritable renouveau. Dévot adepte de Daikitsu, il était également plutôt pacifiste, répugnant à l'idée de forger des armes, préférant consacrer ses talents à la forge d'armures et d'outils, les premières étant souvent des commandes uniques de riches nobles de Lingshen. Jane, elle, était ici contre son gré, bannie de Lingshen après un incident avec le prince Shue Huang. Mais l'artificière était une femme pleine de ressource, et si elle semblait avoir traversé une mauvaise passe, elle semblait être en train de remonter la pente...et surtout, elle était capable de fabriquer des armes à feu, chose que Lulel n'avait que très rarement vu dans le Sud de Tian Xia, en dehors de Minkai. Enfin, Saba, malgré son allure inquiétante et serpentine, était elle aussi ingénieure, mais plutôt une spécialistes des projets civils...et les trois artisans étaient en pleine discussion pour automatister le soufflet de la forge en utilisant le courant de la rivière.

Musique - Printemps sur Siyin



La remarque de Lulel retint l'attention des deux ingénieures. Saba en resta bouche bée un instant, mais approuva vivement.
« Excellente idée! C'est encore un peu tôt, il faut que je construise un prototype, et pour ça il faut que Wolfram forge les pièces dont on a besoin, mais une fois que j'aurais construit un modèle, je serais ravie d'avoir votre aide pour le tester. C'est toujours la phase la plus délicate: tester le matériel sans rien abîmer. »



Dans les jours qui suivirent, alors que les gouverneurs s'apprêtaient à partir vers Pek Peh (et Lulel à les accompagner), elle essaya de faire la connaissance d'autres membres d'importance du village. Le trio qu'elle venait de croiser étaient peut être les artisans les plus talentueux, même si Yin-Se comptait aussi des ébénistes et des charpentiers. Elle avait rencontré Shojiro et son apprentie Kung Jun, et si ces derniers étaient plutôt sympathiques, elle réalisa tout de même relativement vite qu'elle n'avait pas tant que ça en commun avec les samouraï à la discipline de fer.

Sa rencontre suivante fut avec ce qu'on aurait pu désigner sous le terme de leader spirituels? Elle avait déjà fait la connaissance de Mizuki, mais la prêtresse de Desna était un peu particulière, surtout considérant que le culte du Chant des Sphères n'était pas aussi répandu sur ce continent qu'ailleurs. Mais la petite assemblée en train d'entretenir le Cercle des Pierres, le lieu de culte où étaient représentés les esprits de Shenmen ainsi que de nombreuses déités, était plutôt surprenante.

Tout d'abord, il y avait Soeur Jun Song, une moniale qui se présenta comme l'intendante du village. Elle venait du Monastère des Mille Marches, à Quain, et effectuait un voyage à travers le continent, dans une quête de perfection propre aux adeptes d'Irori. Elle était guérisseuse, et également offrait ses services pour gérer le dépôt communautaire de Yin-Se, une réserve où les villageois pouvaient entreposer des outils, biens et du matériel en attendant qu'il soit vendu ailleurs ou que quelqu'un d'autre en ai besoin. Elle ignorait combien de temps elle resterait dans la région, mais pour l'instant, elle estimait que son aide était encore utile. A en juger par l'agilité avec laquelle elle escaladait les statues pour pouvoir les nettoyer et les entretenir, il était difficile d'en douter.

Plus réservée, mais méditative, Lulel fit aussi la connaissance de la shamane Hei Bai Shuang, qui avait auparavant été la dirigeante de la tribu du Pic Blanc, une tribu d'aranéa qui avaient quitté leur mine et leurs cavernes pour venir s'établir à Yin Se, suivant les gouverneurs qui avaient su gagner leur confiance. Hei Bai Shuang lui expliqua que la tribu venait auparavant d'assez loin au Nord, et avait été chassé de ses terres par les Jorogumos, une autre races de métamorphe bien plus dangereuses et capables d'une puissante magie. Sa soeur s'était sacrifiée pour leur permettre de fuir, et les survivants étaient partis vers le Sud, pour s'installer dans les mines désormais exploitée par Yin-Se. Les gouverneurs avaient négocié les mines contre un havre à Yin-Se proposition immédiatement acceptée. C'était l'explication du nombre très important d'aranéa au sein de Yin-Se, faisant d'eux, une race pourtant assez rare, la plus grande minorité des colonies de Siyin. Hei Bai Shuang elle même était shaman, et expliqua qu'elle s'efforçait d'attirer la bonne fortune et la bénédiction des esprits sur elle et les siens.

Complétant se trio se trouvait l'occultiste de Yin-Se elle même, Ling Ten, officiellement en charge du cercle des pierres. La shamane était taciturne, mais rappelait à Lulel les shugenja qu'elle avait croisé à Minkai, de ses robes ornementées jusqu'aux multiples sceaux mystiques, talismans et autres reliques qu'elle portait sur elle. Ling Ten était née à Shenmen, plus loin dans le Nord, mais était descendue ici à la recherche d'un endroit plus paisible où s'établir, et c'est comme ça qu'elle avait trouvé Yin-Se.