Le texte qui suit est la traduction d'un billet de blog paru sur le site de Paizo et écrit par Wendy N. Wagner.

Feiya suivit les neuf queues blanches de son familier renard par-dessus les rochers et au-delà du flanc d’une butte rocailleuse. Le froid nocturne se faisait encore ressentir dans certains endroits mais cela ne la dérangeait pas. Après des années au seins des bois enneigés d’Irrisen, les températures basses la réconfortaient. Elle comprenait le froid. Mais ces plaines trop lumineuses avec trop peu d’arbres, par contre, étaient un véritable mystère pour elle.

Daji regarda au-dessus de son épaule tout en penchant légèrement sa tête. Elle ne peut s’empêcher de rire.

« Oui, mon ami, je suis en train de me plaindre. La Numérie, aussi fascinante soit-elle, est une région difficile. »

Il sembla quasiment hocher la tête puis se retourna et continua à bondir sur les pierres et les mousses qui composaient la majeure partie de ces terres grisâtres. Feiya se rendit compte que l’humeur du familier était contagieuse. Après tout, la Numérie l’avait toujours bien traitée. Grâce à ses contacts avec une tribu kellide, elle était sur la piste d’un autel à Desna des plus prometteurs. Un autel construit par des ermites… dans une grotte près du sommet de cette butte, à l’écart des pistes des caravanes et des villages, voilée dans son mystère… Tout cela lui rappelait tant l’endroit où, selon elle, la déesse l’avait appelée à suivre une vie tournée vers la magie.

Non, en fait, elle était contente d’être venue ici. Elle était prête à en apprendre plus au sujet de la déité qui avait transformé la fille peureuse qu’elle était en une puissante sorcière.

La butte se faisait de plus en plus escarpée au fil de leur progression, avec de rares arbres morts qui se frayaient un passage entre les rochers comme s’ils s’étendaient en quête d’humidité. Feiya se mit à marcher plus prudemment et à bien écouter. Quelqu’un au sommet pourrait l’entendre approcher, et les lacets que formait la piste formaient une succession de virages sans visibilité. Machinalement, elle tint son bâton en position défensive, même si elle ne pouvait rien entendre d’autre que le vent et un aigle au loin.

« Daji, » murmura-t-elle, faisant confiance en ses instincts. Elle se faufila entre deux gros rochers, contente de pouvoir profiter de leur protection. « L’autel se trouve dans la falaise, près du sommet de la butte. Il n’est plus très loin d’ici. Tu te sens d’aller en éclaireur ? »

Il s’assit près des pieds de la sorcière et fixa ses yeux dorés sur son visage. Les poils des bras de Feiya se dressèrent. Il était parfois facile de considérer Daji comme un simple animal, un animal très spécial à neuf queues, mais une animal malgré tout. Mais, en ce moment-là, elle pouvait ressentir une sagesse émaner de sa forme vulpine, une sagesse plus ancienne et plus profonde que tout être, humain ou animal.

Il y eut un éclat blanc, puis ses yeux s’ajustèrent, voyant le paysage avec un nouveau registre de couleurs, les ombres plus pourpres, les rochers plus jaunes. Le monde s’élargit également, ses nouveaux yeux étant plus écartés que ceux de son ancien visage. Les yeux de Daji. Le renard jeta un coup d’œil vers le haut en direction du corps de Feiya, calme et insensible pendant la durée du sort. Elle ne voulait pas partager les sens de Daji pendant plus d’une minute ; ces rochers n’offraient qu’un abri temporaire pendant qu’elle regardait à travers les yeux du familier.

Le renard se retourna et bondit au-dessus d’un tas de rochers. La légèreté de son corps était telle que c’était un véritable plaisir de sauter de la sorte. Feiya aurait voulu l’inciter à courir encore plus vite, juste pour ressentir le mouvement de ses pattes.

Il s’arrêta en glissant sur le sol, une puanteur âcre si puissante qu’on aurait dit qu’une main avait repoussé son museau vers l’arrière. Ses yeux se mirent à pleurer légèrement suite à la morsure de l’odeur. Une chose bloquait le chemin, le soleil matinal rendant ses flancs de métal presque aveuglants. L’odeur de brûlé arrivait par vagues.

Un son fit soudainement pivoter la tête de Daji, un bruit si faible que Feiya ne l’aurait jamais perçu avec ses propres oreilles. Le renard se fit tout petit derrière le rocher le plus proche, son cœur battant la chamade. La chose puante l’avait tellement impressionné qu’il n’avait même pas remarqué la créature horrible qui était apparue sur la falaise au-dessus de lui.



Feiya ramena ses sens vers son propre corps. Par tout Golarion, qu’était cette chose que Daji venait de voir ? Elle ferma les yeux pour faire appel à ses souvenirs et tenter de s’habituer à nouveau à sa perspective humaine. C’était quelque chose de gigantesque, ça, elle en était certaine. Aussi grand qu’un ours, ou probablement plus grand encore. Le souvenir de la terreur de Daji la fait frissonner ; elle l’écarta de son esprit, tentant de contraindre les images partielles, les odeurs et les bruits en une combinaison plus ou moins compréhensible.

Mais il ne s’agissait de pas d’une chose qu’elle avait déjà vue, ou dont elle avait déjà entendu parler ; une sorte d’insecte ou de homard géant. Elle fronça les sourcils pour se concentrer. Il y avait quelque chose d’étrange à propos de ses jambes, ces terrifiantes jambes épaisses et recouvertes de piques.

Elle aurait voulu oser prendre le risque de partager les sens de Daji à nouveau, mais le danger était trop grand.

Ce qui lui rappela… Daji n’était pas revenu.

Feiya se mit en position accroupie et se faufila discrètement à travers le champ de rochers. Ici, sur le flanc nord de la butte, elle pouvait apercevoir la chose étrange, dont les flancs était un mélange d’angles et de couleurs qu’elle aurait été bien incapable de décrire. Il en émanait une sensation de puissance étrange qui lui rappela les quelques morceaux de métaux célestes qu’elle avait eu la grande chance de pouvoir inspecter au cours de ses voyages. Des matières anciennes et provenant d’ailleurs, qui avaient causé des fourmillements sur sa peau et des picotements dans son estomac. Ses yeux se mirent à pleurer en regardant la chose. Elle ne savait pas de quoi il s’agissait mais elle était certaine que ça provenait d’au-delà du ciel.

Des cailloux dégringolèrent et elle se pressa contre le sol. Sa vue était bloquée par des rochers mais elle pouvait entendre des pierres grincer, bouger et s’écraser à cause du mouvement d’une chose massive qui descendait la falaise.

Elle aperçut quelque chose de blanc du coin de l’œil et tourna la tête. Daji la regardait, caché sous un rocher, se faisant aussi petit que possible. Elle ne l’avait jamais vu si inquiet.

Puis l’une des pattes avant de la créature entra dans son champ de vision et Feiya dut placer sa main sur sa bouche pour s’empêcher d’inhaler par surprise. La chose était plus grande encore que ce qu’elle avait pu apercevoir lors du coup d’œil rapide de Daji. La patte avant pointue s’enfonça dans le sol à quelques centimètres à peine de sa tête, faisant trembler les rochers autour d’elle.

Elle suivit du regard l’armure verdâtre de la jambe, remontant jusqu’à une jointure, puis plus haut encore, là où la jambe devenait plus épaisse, plus large qu’elle, et…

Un œil.

Un énorme œil rond et orange qui l’observait.

La jambe se souleva puis frappa le sol à nouveau. Les rochers autour de Freiya bougèrent suite à l’impact et elle roula vers la piste pour s’éloigner de leur poids écrasant. Daji courut à ses côtés.

Elle était exposée désormais, mais elle pouvait voir la bête dans son entièreté. Deux fois plus grande qu’un ours, sa carapace ressemblant à une moquerie vert malade de celle d’un homard. Des pinces géantes qui claquaient. Et, sur son dos, des boursouflures rosâtres qui palpitaient rythmiquement autour d’un cerveau humain.

Palpitant comme un cœur qui insufflerait la vie vers l’âme souffrante d’un individu.

Elle n’y réfléchit pas à deux fois. L’un de ses sorts les plus anciens lui vint à l’esprit et elle le lança avec toute la force de sa volonté et de sa concentration, l’énergie se déversant de ses paumes et allant frapper l’une des pustules sur le dos de la créature. Cette puissance éveilla une joie sombre dans le cœur de la sorcière et elle se mit à rire, son rire renforçant la durée et la puissance de son rayon magique. La pustule exposa. Un cri résonna dans l’esprit de Freya, des mots impossibles à comprendre mais une rage palpable. La force de la colère de l’horrible créature ébranla l’esprit de la sorcière.

La créature fit un mouvement avec une de ses pinces et Feiya se sentit voler à travers les airs, agrippée par une griffe invisible. Pendant une seconde, elle resta suspendue au-dessus du sol, le regard fixé sur l’étrange monstre dont la magie la retenait prisonnière.

Puis elle vola horizontalement en direction du tronc d’un arbre mort et tomba le long de celui-ci. Sa tête tournait, le choc lui avait coupé la respiration. Quelque part, au loin, Daji se mit à grogner. Feiya ne put guère faire plus que de lever le regard vers l’horrible créature qui marchait vers elle, sa carapace cachant peu à peu le ciel, ses pustules restantes palpitant encore plus fort qu’avant.

Il n’y avait qu’une seule chose à faire pour éviter que son cerveau ne prenne place dans un nouveau pustule immonde sur le dos de la créature.

Feiya jeta un coup d’œil vers son familier, qui se trouvait désormais juste derrière l’horreur qui approchait, ses queues en épouvantail, ses oreilles collées en arrière et ses babilles relevées. « Oui, Daji, » murmura-t-elle pendant que ses doigts s’agitaient, la puissance magique d’une terrible malédiction se formant tout autour d’eux. « Je pensais exactement la même chose. »

Modifié par un utilisateur samedi 11 juillet 2020 00:23:27(UTC)  | Raison: Non indiquée