Voici la traduction d’une histoire courte publiée sur le blog de Paizo et écrite par Eleanor Ferron.Patros, le chef des employés, avait à nouveau une expression sarcastique sur le visage, et Ivy savait que cela signifiait qu’elle allait bientôt avoir des problèmes. La serveuse n’avait même pas besoin de regarder pour savoir ce qui avait offensé l’homme maussade. Les deux invités qui étaient assis près de la fenêtre qui donnait sur le port – les meilleures places de l’établissement l’aurait reprise Patross – se distinguaient suffisamment de la clientèle habituelle. Ce qu’elle ne savait pas, par contre, était ce qui l’offensait le plus chez eux. Les habits de la femme n’étaient pas trop miteux ; ceux de l’homme étaient trop exotiques. La femme était méchante et déplaisante. En vérité, Ivy pensait que ce qui contrariait principalement Patross, c’est que les deux étaient vieux et que la femme était incroyablement laide.
Il ne pouvait rien dire à ce sujet, cela aurait été à l’encontre des règles de bienséance taldanes. Patross se contentait donc d’avoir l’air maussade et de dire « Mettre ce poulet tout sale sur la table. Qu’est-ce qu’elle croit ? Que c’est une grange ? »
Comme si les autres invités n’amenaient pas constamment leurs chiens dans la taverne et ne lançaient pas sur le sol les os recouverts de sauce qui restaient après leurs repas afin que leurs animaux puissent les mâchonner. Ivy aurait pu lever les yeux au ciel si elle ne s’était pas doutée de ce qui allait suivre. Elle garda le regard baissé vers le sol et tint son plateau de serveuse tout contre sa poitrine, tout en souhaitant devenir invisible. Si elle parvenait à échapper à la vigilance de l’homme, il se contenterait peut-être de se plaindre et n’en ferait pas plus…
« Ivy ! » aboya Patross, et la pauvre serveuse ressentit un frisson glacial remonter entre ses épaules malgré le fait qu’elle s’y était attendue. « Dis à cette femme de mettre ce volatile rempli de puces dehors ou de sortir elle-même ! »
Pleutre, pensa Ivy.
Elle se déplaça aussi lentement que possible, allongeant chacun de ses pas avec un sentiment grandissant d’effroi mais, comme Patross la regardait, elle ne pouvait pas prolonger son mouvement éternellement. Plus Ivy voyait la vieille femme et plus elle devenait terrifiée. Peut-être était-ce parce que la vieille guenaude était si hideuse ? Ivy n’avait pas envie d’être aussi superficielle mais qu’est-ce que ça aurait pu être d’autre ? Elle avait déjà eu affaire avec des soulards bien moins plaisants et ce quasiment lors de chacun de ses services. Les dents de la femme étincelaient comme du fer, mais Ivy avait déjà vu des dentures bien plus ostentatoires auparavant, certaines faites de matériaux bien moins plaisants. La femme s’était mise à lui décocher un regard furieux bien avant qu’elle n’arrive à la table, reniflant comme si elle était capable d’aspirer la serveuse à travers son nez. C’était le prix à payer pour avoir rallongé son mouvement comme elle l’avait fait ; cela rendait toujours les choses pires !
« Eh bien ? » demanda sèchement la vieille femme, et Ivy tenta d’empêcher un autre frisson. « Qu’est-ce qu’il y a, mon enfant ? Tu as perdu ta langue ? Crache ce que tu veux dire ou laisse moi boire mon thé ! »
Ivy déglutit, bien contente que son plateau puisse cacher la sueur sur ses paumes. « Madame… » dit-elle, son esprit cherchant de manière effrénée quoi dire, avant d’opter pour quelque chose de potentiellement inoffensif. « Voulez-vous que je m’occupe de votre poulet pendant que vous êtes ici ? »
La femme renifla fortement à nouveau, cette fois-ci de manière pensive. « Tu es prudente avec tes mots, hein ? Oui, prends soin de mon poulet. Si tu es une brave fille et que tu le traites bien, je te donnerai un cadeau et je ne te ferai rien de plus. »
« Cesse de tourmenter cette jeune femme, » la réprimanda l’homme âgé. Ivy avait quasiment oublié qu’il était là, trop concentrée qu’elle était sur son horrible compagne. Il avait la peau sombre, ce qui n’était pas trop inhabituel au Taldor – beaucoup de familles du Mwangi étaient venues au Taldor profitant du retour au pays des Armées d’Exploration – mais aucun de ces gens ne portaient de tels vêtements. Il continua, « Ne prête pas attention à ta grand-mère, Ivy. Ni au chef des employés d’ailleurs. »
Il a dû entendre mon nom,[ pensa Ivy, parce qu’elle n’imaginait aucune alternative. Elle ne savait pas trop quoi dire, donc elle ne dit rien.
« Une petite chose aussi timide qu’elle, il faut la secouer. Sans ça, elle n’arrivera jamais à rien, » se plaignit la « grand-mère ». « Regarde là, sans cesse bousculée par des femmes querelleuses et des hommes crasseux. Elle serait mieux traitée si elle était un morceau de jambon sur un plateau. »
« N’est-ce pas vrai ? » dit-elle, se tournant soudainement vers Ivy. « Tu sauterais sur n’importe quelle occasion de quitter cet endroit, mon enfant ? Même une occasion aussi horrible que moi ? »
Ivy le voulait. Elle voulait échapper à ces corvées misérables et ce harcèlement continuel plus que tout au monde. Mais Ivy se souvenait des nombreuses histoires anciennes mettant en scène des idiots imprudents qui avaient bercé sa jeunesse, et elle avait bien appris à se méfier de ce qui paraissait trop beau pour être vrai. Elle fit donc un pas en arrière et secoua brièvement la tête.
« De très nombreuses ‘petites choses timides’ grandissent sans être menacées par
toi, » se moqua l’homme. « Ou crois-tu vraiment que tu es si importante ? »
« Bien
sûr, je suis importante, » ricana la grand-mère.
« Oh ? Tu veux parier ? » demanda l’homme.
Les deux jetèrent un coup d’œil en direction d’Ivy à nouveau ; malgré l’absence de paroles, quelque chose se tramait entre eux deux. La vieille femme secoua la tête et prit son poulet sous un bras. « Une perte de temps, » grogna-t-elle, sans donner plus d’explication, puis elle sortit de la taverne d’un pas rapide. Ivy et le vieil homme la regardèrent partir.
« Tu es sage de refuser les cadeaux suspects, et plus sage encore de ne pas t’attendre à être sauvée par quelqu’un d’autre que toi, » dit l’homme après un moment. « Mais pourras-tu vivre avec la curiosité, sans savoir ce qui se serait produit si tu avais dit oui ? »
« Eh bien, je devrai me faire à cette idée, monsieur, » dit Ivy, reprenant facilement son attitude de serveuse plaisante maintenant que la femme était partie. « Merci pour votre support. »
Le vieil homme opina de la tête, ou peut-être s’agissait-il d’un petit salut, avant de prendre son bâton à tête de léopard, de payer la commande et de partir. Ivy poussa un soupir de soulagement, bien contente que la situation se soit résolue d’elle-même sans mener à une confrontation. Patross ne pourrait pas l’enguirlander… du moins, pas trop. La serveuse se mit à enlever les plats qui étaient sur la table, notant que les tasses à thé en argent et en verre ne ressemblaient en rien à ce qu’ils utilisaient au Dauphin dansant. Tout en plaçant une des tasses sur son plateau, elle remarqua un œuf brillant, rouge et doré, qui se trouvait à côté. Il avait la taille d’un œuf de poule normal, mais il brillait comme du véritable or et quelque chose d’étrange et de puissant se mit à vibrer sous les doigts d’Ivy quand elle le toucha.
Ce n’est pas prudent, pensa Ivy, mais elle n’était pas stupide. Elle regarda par la fenêtre, mais ne put voir aucune trace de la vieille guenaude ni de son ami. Était-ce une sorte de test ? La chose la plus intelligente à faire était de laisser l’œuf là, ou peut-être de le donner à Patross et de voir ce qui allait se passer. Mais elle repensa aux mots du vieil homme…
pourras-tu vivre avec la curiosité, sans savoir ce qui se serait produit, si tu le laisses là ?Ivy prit l’œuf de Fabergé et le glissa dans une des poches de son tablier de serveuse…
Pour en savoir plus sur ces mystérieux clients et sur les types de cadeaux qu’ils peuvent offrir, jetez un coup d’œil à Lost Omens Legends quand ce livre sortira le 30 juillet !Modifié par un utilisateur samedi 11 juillet 2020 01:28:33(UTC)
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