Stupéfait par la capacité mémorielle de l'Évêque, Rakyel admira la vieille femme restituer ces informations capitales. Silencieusement, il emmagasina toutes les données en prenant soin de ne pas interrompre la tirade de Keppira d'Ours, devenant de plus en plus précise!
Et même une adresse?! Cette femme est remarquable!

Néanmoins, lorsque la Trinia Sabor dont se souvenait la matriarche fut décrite, un froncement de sourcils marqua le visage du fossoyeur à demi-perceptible sous son capuchon :
« Hmm... Votre mémoire est admirable Ma Mère! Cependant, les informations dont vous me faites part ne me rassurent guère... La piste du bouc émissaire semble s'intensifier : cette femme aura surement été victime d'une machination. La diffusion de son nom risque d'engendrer quelque malheur à son égard. Il en va surement de sa vie si la plèbe met la main sur elle avant nous.
...
Je ne sais comment vous remercier... à nouveau.
Vos sages paroles vont une fois de plus guider mes pas. »

S'inclinant face aux deux ecclésiastes, Rakyel fit volte-face pour rejoindre son sépulcre et une nuit bien méritée.
Demain risque de devenir une course contre la montre...

Dix-sept fois... oui je crois que ça fait dix-sept fois... songea l'oracle en passant son index noirci sur sa cloison nasale. Tous les os de son corps avaient probablement dû être brisés au moins une fois mais son nez avait subi les frais du comportement colérique de Gaedren Laam bien plus souvent que Rakyel ne l'aurait souhaité. Heureusement, depuis, cette pourriture ne faisait plus partie du plan des vivants et l'oracle avait appris à maîtriser les arcanes permettant de se soigner efficacement. C'est d'ailleurs ce qu'il fit lors du trajet lorsqu'un des soldats lui tendit un linge pour éponger l'hémoglobine encore chaude qui dégoulinait sur son visage. soin

Une fois face à la Paravicaire, le fossoyeur garda sa prestance et son calme, convaincu qu'il faisait bien de discuter avec une telle interlocutrice. Les remarques du sergent ne l'atteignirent pas vraiment. La voyant sans son heaume, il entama la conversation par une pointe quelque peu cynique :
« Ainsi dont, il y a bien des êtres de chaire et de sang sous ces armures imposantes...
Mais pardonnez mon ironie : si votre homme m'a amené ici, c'est justement pour que nous échangions sur les méthodes qui sont employées par vos services.
Certes je ne remets pas en question les objectifs que vous souhaitez atteindre. Il est évident que l'ordre et le calme doivent prévaloir en ces temps troublés.
En revanche, ce sont les manières dont vos soldats font preuve pour maintenir la sécurité qui posent problème. La Reine ne souhaite aucunement que de simples innocents soient frappés ou mis en garde à vue sur le simple fait qu'ils se trouvaient sur le chemin d'un chevalier infernal. »

Posant les mains sur ses hanches et inclinant la tête, ce qui eut pour effet de générer un craquement sourd au niveau de ses cervicales :
« Pensez-vous que je sois de la racaille? D'après vous mes actions sont là pour brouiller des pistes?
Car en substance, votre homme m'a frappé au visage et aurait pu être encore plus violent si je n'avais pas sorti mon insigne! Il ignorait parfaitement qui j'étais, ce que je faisais et pourquoi je venais le trouver! Pourtant, il n'a pas hésité un seul instant à frapper d'abord et discuter après!
Ce que je veux dire par là, c'est qu'un manque complet de discernement anime vos troupes lorsqu'il s'agit de patrouiller en ville. J'ai malheureusement d'autres exemples à citer : une perquisition aux Tuiles, des arrestations arbitraires sur les quais... Et tout ça dans quel but? Le maintien de l'ordre? Personnellement j'ai du mal à comprendre en quoi tenter d'éteindre un feu avec de l'huile rend la situation plus efficace.
Voilà le rapport que j'aurais pu faire à la Reine... »

Tournant la tête pour observer son entourage, le fossoyeur constata que son discours était loin de lui apporter les faveurs des chevaliers. Il fixa donc la Paravicaire de ses yeux jaunâtres :
« Mais j'ai préféré venir vous voir d'abord. Je ne juge pas votre travail comme étant un échec, bien au contraire : l'Ordre de la Pointe a pu assister la Garde Rouge lorsque Korvosa en a eu besoin. C'est pourquoi je viens échanger avec vous et vous sommer de bien vouloir rectifier le tir pour que les innocents citoyens korvosiens ne deviennent pas assimilés à des délinquants qui méritent coups et emprisonnements! Pensez-vous pouvoir faire le nécessaire pour que tous les services de la ville travaillent main dans la main? Car dans le cas contraire, je me verrais obligé d'en référer à Sa Majesté qui risque fort d'être moins tolérante, en particulier vis-à-vis des finances que le Trône Écarlate attribuent à votre entité...
A ce propos, le Licteur DiVri a-t-il prévu de venir à Korvosa pour présenter ses respects à la nouvelle souveraine? »

Le monologue de Rakyel n'avait pas eu pour but d'être agressif mais il se doutait que ses phrases ne seraient pas bien accueillies. Que risquait-il? Au final probablement pas grand chose, à moins qu'Acillmar ne souhaite davantage creuser le fossé qui sépare son ordre de la vision des Korvosiens! Les dés étaient donc jetés et la réponse se verrait déterminante pour la suite des événements. Mais l'oracle avait encore quelques atouts dans sa manche... A voir s'il serait nécessaire de les en sortir!

« Bien... » répondit simplement le fossoyeur d'un ton aussi glacial que celui de son interlocutrice.
« Il semblerait que j'ai eu la faiblesse de penser que j'aurais en face de moi un dirigeant capable de discerner les différents aspects du contexte actuel. Mais je constate que votre fanatisme est à l'image des actions excessives de vos chevaliers et que votre attitude antipathique ne me donne guère envie de poursuivre dans cette voie. »
Passant une main sur son visage, il manifesta sa consternation de n'avoir pu avancer diplomatiquement sur ce terrain et reprit avec un peu plus de véhémence, à l'image de ses pupilles jaunes qui s'étrécissaient en regardant la militaire :
« Vous parlez du devoir de vos hommes? J'aimerais bien savoir quel est-il exactement... Je n'ai pas vu ni les citoyens, ni la Couronne les remercier de ce devoir. Il semblerait qu'à part votre auto-complaisance, nul ne soit satisfait de leur devoir.
...
Et vous parler de rechercher Trinia Sabor? Hmm... Là encore, vos méthodes prouvent leur inefficacité.
Sachez Paravicaire que Trinia Sabor est d'ores et déjà entre nos mains, en cours d'interrogatoire pour faire la lumière sur l'assassinat du Roi. Retenez donc votre vocabulaire lorsque vous souhaitez traiter une organisation "d'incapable".
La nouvelle vous parviendra surement officiellement d'ici peu. »
Rakyel n'avait pas mâché ses mots et posa son index osseux sur la table en le tapotant à répétition pour marquer chacun des points de son discours.

« Quant à votre bouclier métallique qui contrit la civilisation au lieu de la protéger, la surcharge au lieu de l'assister et l'alourdit à défaut de l'encourager... j'ai bien peur que dans un avenir proche vous le traîniez à l'extérieur de la ville, lui faisant économiser du même coup de précieux deniers qui serviront bien mieux la garde et son approche humaniste.
Je vous ai laissé une chance d'aborder le problème sous différents angles mais votre approche obtue et malavisée ne me laisse aucun regret si ce n'est d'être parvenu à vous ouvrir les yeux sur les erreurs commises par vos troupes. »

Se redressant, faisant malencontreusement craquer ses vertèbres bruyamment, Rakyel s'apprêta à quitter l'assistance.
Dans un dernier effort, il ajouta au sujet de DiVri :
« Pour le Licteur, j'eus pensé qu'il était retourné à la Citadelle de Vraid! D'où ma remarque précédente : lorsque j'ai eu le déplaisir de le croiser au Palais, il n'avait aucunement accompli son devoir protocolaire mais s'était contenté de bafouer l'autorité de la Reine... Les chiens ne font visiblement pas des chats et votre mentor vous aura bien martelé l'esprit de convictions désabusées.
Sur ces mots, si vous n'avez rien de plus contre moi, je m'en vais faire mon rapport aux autres instances qui protègent le peuple sans devoir faire couler le sang. »
Énervé, l'oracle se fixa désormais pour objectif d'évincer l'Ordre de la Pointe de l'équation.

Et bien... le petit Rakyel des rues vient définitivement de disparaître! Maintenant, il est grand temps que mes capacités servent Korvosa à tous les niveaux! Il va falloir discuter avec Orisini, Kroft et la Reine.

21 Pharast, début d'après midi - Hall des Arbitres, Pointe Nord
Carte de Korvosa (Hall des Arbitres en G2)

Rakyel était inquiet. Les autres avaient pris la direction de l'ambassade de Nidal, en se fixant rendez vous plus tard dans la journée à Citadelle Volshyenek, auprès de la Maréchale Cressida Kroft, afin de faire le point et leurs dépositions. Lui même était parti vers le Hall des Arbitres, dans la Pointe Nord.

Contrairement aux Hauteurs où se trouvait l'ambassade, la Pointe Nord était encore agitée. Heureusement, les choses paraissaient s'être un peu calmée depuis les émeutes datant des derniers jours, mais c'était la raison de ce calme qui l'inquiétait. Le procès du lendemain était sur toutes les lèvres, et la population paraissait espérer avec ferveur une exécution sanglante de "la régicide" ou la "sorcière", commes ils surnommaient Trinia. Il eut même du mal à se frayer un chemin jusqu'à l'intérieur du Hall, qui était presque en état de siège.


Finalement, il parvint à se faire admettre par une porte latérale grâce à son insigne du Drake, reprenant son souffle en entrant. C'est aussi comme cela qu'il réussit à convaincre des clercs de lui arranger une entrevue avec Zenobia Zenderholm. Cette dernière avait l'air moins que ravie de le voir quand elle l'accueillit dans son bureau.
« Maître Rakyel. Je me doutais que j'aurai votre visite. Au cas où ce ne serait pas évident, j'ai beaucoup à faire et un procès à préparer, alors je vous conseille d'aller droit au but. »

Zenderholm haussa un sourcil en écoutant le raisonnement de Rakyel.
« J'entends bien, maître Rakyel. Mais je ne porterai jugement que lors du procès lorsque tous les éléments de preuve et témoignages auront été soumis à la cour. Et comme vous l'avez dit, je crois en la justice. Dure, mais équitable. Si Trinia n'est pas coupable de quoi que ce soit, je ne doute pas que vous, l'Ordre du Drake, et les éléments présentés au procès parviendront à le prouver. Et mon verdict en dépendra. En tant que Haute Arbitre, c'est moi que vous devrez convaincre qu'elle est innocente. Seule le souverain peut passer outre un verdict de ma court. Croyez moi, je n'ai pas l'intention de laisser l'ire d'une bande de voyoux et de hors-la-loi émeutiers influencer mes décisions. C'est de la justice que dépend la civilisation, après tout, c'est elle qui nous distingue des monstres rôdant dans les ombres de Golarion. »

La Haute Arbitre parut sincère à l'apprentie nécromancien. Elle avait peut être une idée assez rigide de la justice, mais elle paraissait investie d'une véritable passion pour son rôle, et avait clairement l'intention de se montrer équitable. Elle acquiesça à sa seconde proposition.
« Très bien, mais dépêchons nous, dans ce cas. »


Zenobia conduisit à nouveau Rakyel dans la chambre des sous-sols qu'il avait déjà visité en compagnie du reste de l'Ordre du Drake. Les corps n'avaient pas bougé d'un pouce, toujours préservés pour l'instant par magie, jusqu'à ce que toutes les informations puissent être retranscrites.

Zenobia reproduisit un rituel similaire à celui de la dernière fois, cette fois avec le cadavre de la mousquetaire tiefling. Cette dernière s'anima lentement, avec un soupir sépulcral, et ses lèvres s'entrouvrirent. Zenobia fit signe à Rakyel.
« Allez y, posez vos question. Je pense que vous avez quelques minutes, peut être quatre ou cinq questions, avant que le sortilège ne s'épuise.  »

Lucia s'arqua sur la table, tirant sur les menottes d'acier qui maintenait le cadavre aux planches de bois. Elle murmura d'une voix extrêmement rauque et à peine audible...
« Les quais...arghhhacghh...lanterne à l'huile de baleine....thkkhhhhththh, près des équarissages...cherchez ceux qui portent couteaux de marin et foulard sur le crâne...kkhhhh... »

...

« Non...souviens...pas...pas entendu..ghhh...parler.. ».

...

« Oui...cinglé...près de Grisaille...nécromancien...taré...Gaedren...associé de Gaedren Lamm... »

...

« Moitié...déjà payée...thhkkhkhaghkh...L'autre moitié...après...aahhhhahhh...le 22 Pharast...même endroit... »

...

La morte s'arqua plus encore, et son échine céda avec un craquement sec alors que la magie luttait pour lui arracher une dernière réponse.
« Pour Octavius...sais pas...potion...alchimiste rue des Funérailles...reste...contrebande...gangs...ou Céruléens. »


Zenobia laissa la magie se dissiper, un peu essouflée. Elle se tourna vers Rakyel après avoir pris un instant pour se refaire une contenance.
« Alors, maître Rakyel? Vous y avez trouvé quelque chose d'intéressant? Je pense qu'elle était sincère, bien que ce soit toujours difficile à dire dans ces cas là...j'espère simplement que cela vous a été utile. »

Connaissance (local) DD15

21 Pharast 4716, dans la soirée - Taverne de la Plume Tremblante, les Hauteurs
Rakyel poussa la porte de la taverne de la Plume Tremblante pour découvrir une ambiance plutôt éloignée de celle des Trois Anneaux. La Plume était fréquentée elle aussi, et les serveurs et serveuses savaient à peine ou donner de la tête...la plupart des tables étaient encombrées de parchemins et de rouleaux, de lourds volumes et de notes, et beaucoup de clients étaient plongés dans leurs études ou griffonaient frénétiquement sur tout ce qui leur tombait sous la main, des écritoires aux lambeaux de parchemin.

Il régnait une atmosphère studieuse, et malgré le fait que les lieux étaient plutôt fréquentés, l'ambiance était calme, à l'exception de quelques conversations à voix basse, et d'autres, plus animées, au bar. La réputation des lieux comme un repaire d'étudiants n'était apparemment pas surfaite. L'odeur de café flottait dans l'air, et l'énorme majorité des clients avaient opté pour le breuvage sombre, ou pour du thé, au lieu des traditionnelles bières.

Rakyel, avec son allure d'érudit peut être un peu frêle et étrange était parfaitement à sa place, et personne ne sembla vraiment noter son arrivée.

Le barman, un homme solidement charpenté qui était en train d'essuyer une chope, jeta un regard inquisiteur à Rakyel, l'examinant un peu et hocha la tête.
« Bien sûr! Bienvenue à la Plume Tremblante, d'ailleurs. Je dois avoir quelque chose par là... »

Il ressortit un pot de fer d'où émanait des fragrances de thé et de fumée.
« C'est du thé fumée de Vudra! Il fait fureur ici, et je vous garantit que ça marche aussi bien que le café! Vous êtes étudiant, jeune homme? »

Pendant ce temps, Rakyel achevait d'examiner la pièce...malheureusement pour lui, l'inhabituel était légion dans cette auberge.
Les étudiants qui formaient la majeure partie de la clientèle était de tous horizons. La plupart paraissait varisiens, mais nombre d'entre eux étaient Chélaxiens. Il y avait aussi quelques étudiants Vudrani, Tian, d'autres Taldans, Rahadoumi, Osirionais, et même Qadiran. D'ailleurs, les deux Qadirans étaient en plein débat avec un groupe de Taldans, ce qui était de plus en plus bruyant. Cependant, il ne nota personne qui pouvait ressembler à un criminel endurci, ou à la jeune femme rousse décrite par le corps de l'assasin.

Cependant, Rakyl nota aussi que le fond de l'auberge possédait des alcôves qui étaient remarquablement silencieuses, où des petits groupes travaillaient plus ou moins seuls...en silence complet. Il devait y avoir une sorte de magie qui les isolait du reste de la pièce, du moins d'un point de vue acoustique.

Le tenancier lissa sa moustache tout en versant du thé à Rakyel, pensif.
« Une amie, hum...? Seriez vous bourreau des coeurs, jeune homme...? Enfin, ça m'regarde pas remarquez... Mais oui, je me rappelle d'elle! Jolie brin de fille, la rouquine. Elle avait un air vaguement familier, mais je ne sais pas où je l'ai vu avant...ça fait quelques jours, les dates collent à peu près. Qu'est ce que vous voulez savoir? »

L'homme servit un autre client, tout en refléchissant avant de revenir vers Rakyel.
« Oui, effectivement...elle avait l'air de chercher quelqu'un quand elle est entrée, et elle a rencontré un tengu un peu bizarre, et une tieflinne qui faisait de son mieux pour cacher ses cornes. Je comprends pourquoi, mais enfin, mon établissement ne rejette personne du moment que les consos sont payées. De toutes façons, avec tous les étudiants de l'Academae qui passent, y'a du passage, et de partout en Avistan. Je vais pas commencer à choisir. »