En accueillant la nouvelle invitée

Elle avait tout fait pour donner la meilleure première impression possible à Amélia. Une nouvelle personne, qui avait l’air d’en savoir un rayon sur les autres plans et un tas de choses qui étaient dans son angle mort, et, cerise sur le gâteau, une Elfe : voilà quelqu’un qu’elle devait absolument se mettre dans la poche. Mais ce n’était pas chose aisée. Plus elle la sollicitait, plus elle semblait lui glisser entre les doigts, telle un poisson trop frais qu’on aurait trop vite tiré de l’hameçon.

Sentant les choses lui échapper, une nouvelle fois, elle tenta le tout pour le tout.

« T’es sacrément volatile toi, on dirait moi dans une mêlée : impossible de me mettre la main dessus. Bon, écoute, je t’embête pas plus hein, si tu veux pas m’parler, je me fâcherai pas, je voulais juste être sympa, en tant qu’Elfes faut se serrer les coudes tu vois ? Pis tu viens d’arriver alors je me dis que c’est bien de se sentir accueillie. Mais si tu préfères dormir par terre alors que mo couchette est inutilisée, ou bien pas profiter de mes bons tuyaux glanés depuis le temps que je suis sur ce bateau, je vais pas t’obliger hein. »

Puis elle tourna les talons, laissant Amélia organiser son arrivée à bord comme elle le souhaitait, non sans regarder par dessus son épaule pour voir si son numéro de vexation feintée faisait mouche.



Soutenant une boîte de conserve pleine d’angoisse

Il ne fallut pas plus de détail à l’Elfe pour se sentir concernée.

« Oh mais ça c’est carrément tout le monde ici je crois tu sais ? Regarde Scath et Raayaa, ça a remué des choses pas chouettes, et pourtant j’ai l’impression qu’elles sont bien contentes que ce soit fait, quoiqu’il faudrait leur demander plutôt qu’à moi.

Et puis Byar, et moi, tu trois qu’on a des passés qui ont l’air fun ? Franchement, je dis pas ça pour faire la compét’ hein, t’as sûrement douillé quand je vois tes cicatrices et… ton regard parfois quand on évoque des choses qui te reviennent pas, mais moi, ben j’ai essayé de parler à Scath de mes cauchemars et ça m’a fait du bien, juste d’apprendre que j’étais pas toute seule avec ce genre de cafard. Alors t’en fais pas pour ce dans quoi tu nous entraîne, on est littéralement tous dans le même bateau, donc on arrivera tous au même port. »

Elle faisait ses meilleurs efforts pour avoir une attitude encourageante et ne pas laisser ses propres doutes ajouter à l’angoisse de Tatiana.

Emmenant Coriolis à l'écart, Sept la fit s'asseoir et s'assit à son tour devant elle.
« Je vais vous demander de me faire confiance, d'obéir à mes demandes sans résistances et sans vous poser de questions. Nous pourrons décortiquer les choses après, mais pour que ça fonctionne, il faut que ce soit spontané et laisser au plus possible votre esprit rationnel de côté. Sachez que vous pouvez à tout moment décider d'arrêter le processus et qu'il est absolument sans danger... Juste que les résultats ne seront pas au rendez-vous si vous interrompez la séance prématurément ou si vous analyser ce qu'il se passe... Vous devez ressentir, pas analyser. »

Il laissa quelques instants à l'elfe le temps d'assimiler ce qu'il vient de dire avant de commencer.
« Bien, j'aimerais maintenant que vous vous mettiez à l'aise, asseyez-vous confortablement, mettez bien vos pieds à plat sur le sol, les mains sur les genoux, fermez les yeux et raconter-moi le souvenir que vous pensez être la source de votre problème. »

Prenant un air faussement vexé, Sept répondit:
« Un air patibulaire... L'air seulement, j'espère... Voici qui vous sierra plus volontiers j'espère » Effleurant du doigt le côté de son masque, son apparence change pour laisser place à celle inspirée d'un membre d'équipage qu'il vient de croisé quelques minutes plus tôt et il continue d'une voix douce et posée, nettement plus agréable que sa voix grave habituelle. « Apparence pas inconnue, mais pas trop habituelle non plus... Est-ce que ceci vous convient mieux? »

Il écoute ensuite attentivement la description du mal-être de la jeune elfe... Il reste silencieux quelques instants... La technique qu'il comptait utiliser fonctionnait beaucoup mieux pour des souvenirs vivaces et sur une quasi-amnésique, ça tenait de l'équilibrisme. Il dit calmement.
« Bien, je sais que ce n'est pas évident pour vous, dans votre état... dans notre état, mais il faut que vous vous concentriez sur une ou deux personnes que vous considérez proches et protectrice... Prenons Scath et Tatiana. Je vais maintenant, vous demander, toujours les yeux fermés de vous concentrer sur deux éléments bien spécifique... Le tintement de métal qu'on peut entendre lorsque Tatiana marche et la légère odeur de souffre indiquant la présence de Scath. »

Après un court instant, Sept continue.
« Maintenant, je vais vous demander d'ouvrir les yeux et de vous tenir bien droite face à moi. En gardant votre tête bien droite, vous allez suivre mon doigt des yeux, sans bouger votre tête. » Il commence un mouvement de vas et viens avec son index droit au bord du champ de vision de l'elfe. Après quelques instant, après s'être assuré qu'elle avait bien assimilé la position et l'exercice, il continua: « Bien tout en continuant de suivre mon doigt rien qu'avec vos yeux, sans bouger la tête, vous allez à nouveau me raconter votre expérience, en commençant par la bête, les flashs et puis la sensation... Ne vous laissez pas distraire, ne vous arrêtez sous aucun prétexte... »

Alors que Coriolis répétait, avec quelques gestes de la main gauche, Sept fit appel à un peu de magie d'illusion pour tour à tour créer tantôt quelques tintements de métal, tantôt des effluves de souffre en murmurant de sa voix grave et rauque habituelle:
« Tu n'es pas seule... Tu n'es pas seule... »

La procédure déployée par Sept se voulait tranquille et méthodique, mais le mélange des souvenirs désagréables qu'elle devait expliciter, les consignes nombreuses et décalées par rapport à son ressenti actuel constituait un cocktail désagréable que l'Elfe avalait non sans grimace. Elle s'exécutait cependant, n'y voyant pas d'effet néfaste a première vue.

« Je me souviens... un verrou magique qui éclate... c'est un échec cuisant... je suis avec quelqu'un, ou quelqu'un m'aperçoit je ne sais pas, mais ça me blesse qu'il soit là. Et puis je dois fuir, vite, mais c'est un fiasco. Je passe par la fenêtre, je dégringole, je me déboîte l'épaule, des chiens débarquent, me gnaquent avant que j'atteigne la grille, j'y grimpe, me lacère le flanc sur les pointes... et je cours, sous la lune, sans destination. Et j'étais seule sur cette route. Je n'avais qu'une vague sensation de ce souvenir il y a quelques semaines, c'est l'attaque de la Bête qui a ravivé les détails. En tout cas ces sensations ont suffit à me réveiller... et je suis tombée sur Scath. Enfin, à côté d'elle, mais heureusement, elle était là, et j'ai pu lui raconter. Elle m'a écoutée, elle m'a aidée. Tatiana aussi, à sa façon, en croisant le fer, me faisant penser à autre chose, me redonnant confiance... Elles sont un cadeau. Sûrement un don de mes déesses. L'une de Desna, l'autre de Calistria j'imagine - me demande pas plus j'en sais rien, j'y comprends pas toujours tout aux déesses.  »

Après une plongée dans le détail de sa psychée, elle perdait de nouveau sa concentration en refaisant surface via quelques réflexions triviales de diversion dont elle avait le secret malgré elle.

L'enchaînement d'émotions et d'efforts mentaux avaient un coût non négligeable sur l'elfe qui se sentait presque transpirante à la fin de la séance. Néanmoins, les mots de Sept, associés avec la séance proposée, avaient eu un effet rassérénant, comme après une pluie tiède, ou une crise de larmes. Coriolis posa une main sur l'épaule du thérapeute puis s'y appuya pour se relever.

« Whoa, merci Sept ! Je connaissais pas ce genre de méthode, mais t'as raison, je le sais que je suis pas vraiment seule. J'ai juste besoin d'un petit coup de pouce pour m'en rappeler quand j'en ai besoin. En tout cas, je crois que ça va m'aider. Je suis pas sûr de pouvoir grand chose pour toi vu comme tu sais vachement plus de choses que moi, mais si t'as besoin de quelque que chose, je sais pas... de grimper quelque part, ou d'aller baratiner quelqu'un, compte sur moi. »

Un peu maladroitement, elle exprima sa gratitude toujours gênée par le fait de ne pas bien savoir si le sorcier masqué réagissait positivement ou pas du tout à ses remarques, allant à reculons comme elle ne savait pas comment prendre congé.