Si les paroles de Cethisra, une fois de plus, faillirent le faire s’étouffer dans sa choppe, les réponses de Morrigan et Sinéad arrivèrent avant qu’il ne reprenne son souffle et se suffisaient à elles-mêmes. Il ne souhaitait pas s’étaler dans une nouvelle leçon de morale avec Cethisra, ayant le sentiment d’en avoir déjà offertes plusieurs ce jour et la veille. Il ponctua simplement la position qui semblait faire consensus par une sorte de doctrine qui lui vint à l’esprit.

« Si l’on ne choisit pas qui survit, on peut choisir de faire de notre mieux pour ceux-ci. »

Puis Morrigan enchaîna avec sa leçon de fée.

« Encore mieux dit ! On ne choisit pas le jeu qu’on a. Il n’est ni un fardeau, ni inutile. Il est tout ce qu’on a. »

La réponse de la rouquine, qui lui paraissait initialement une petite boutade sur la philosophie chaotique du premier monde, renfermait vraisemblablement plus de profondeur que ce à qui il s’était attendu. L’ensorceleuse était toujours pleine de surprises, et cela traça un sourire semblant venu de nulle part alors que son regard était perdu dans le vague.

Puis, il reprit ses esprits et cette fois rit franchement au numéro d’Ana, repartie aussi vite qu’elle n’était venue.

« Je n’aurais pas cru la voir aussi à l’aise ici aussi vite. Quand je repense à la rôdeuse rencontrée il y a deux jours à peine… »

L’humeur était festive, mais la question fatidique finit par tomber : quid de demain. Ce n’était pas une surprise qu’elle soit posée par Sinéad, toujours pragmatique, mais également sûrement inquiète pour eux et pour Kenabres. Tentant de maintenir le statu quo entre le besoin d’évacuer la tension et la nécessité d’aborder les questions difficiles, il prit la chose à la rigolade.


« Ha ! C’est tout toi ça. Il y’en a qui ont l’alcool joyeux, triste ou méchant, mais Sinéad a l’alcool sinistre, c’est original au moins ! Sans blague, évidemment que c’est extrêmement dangereux, mais je pense qu’après tout ce qu’on a vu, on sait pour quoi on a signé tu sais. C’est en revanche beaucoup plus simple de l’affronter si on oublie un peu pourquoi on a signé, n’est-ce pas ? Et c’est d’ailleurs ce que j’espérais faire à cette table : finir assez ivre pour oublier, » dit-il en regardant Ana, « inconscient pour me lancer épée au poing demain, » il tendit sa coupe vers Cethisra «  et joyeux pour me dire qu’une nouvelle journée n’a pas été gagnée en vain sur cette terre, » termina-t-il en un clin d’oeil à Morrigan.

Sur ces entrefaits, Rob rejoignit le groupe à table la mine sombre. L'entrevue avec sa supérieure ne l'avait pas fondamentalement rassuré - surement du à son passé et son naturel pessimiste - mais au moins, leur camp avait un plan à court terme.

Au moins, ici, le groupe semblait avoir le moral. Jaja animait le groupe avec bon cœur et le reste semblait plutôt perméable à sa bonne humeur. Toujours sensible à la présence d'Hama et Sinéad, le vétéran n'était pas sûr que sa présence à lui soit une bonne chose, ni même qu'elle apportait grand chose dans les faits ce soir. Froissé par la réaction enfantine d'Hama et marchant sur des oeufs avec Sinéad depuis leur altercation, le tieffelin essayait de ne pas plus troubler l'équilibre du groupe. Dans le doute, il attrapa un tabouret de libre et s'assit entre Cethisra et Morrigan. S'il restait préoccupé par des questions vitales, il fit de son mieux pour garder ses doutes pour lui.

Levant son verre lorsque la joyeuse ulfe le servit, il en profita pour trinquer avec la malicieuse Morrigan qui n'avait jamais sa langue dans sa poche. Et pourtant, ce soir, elle semblait rester en retrait. Intrigué, il lui demanda : « Pas une grande buveuse ? Ou bien simplement préoccupée ? »