Pharast, 15ème jour

Les explorateurs avaient décidé de rentrer directement vers le comptoir d'Oleg et c'est donc ce qu'ils firent. Il leur fallut une bonne partie de la matinée et de l'après-midi à galoper à travers les plaines pour revoir le fortin à l'horizon. Tout semblait normal sur place, l'endroit ne montrait aucun signe d'attaque récente ; c'était déjà ça. Lorsqu'ils s'approchèrent encore un peu plus, ils virent les silhouettes des vigies au-dessus des murs. Celles-ci accueillirent leur retour d'un salut de la main.

Le Comptoir était plus animé qu'à l'habitude : en plus des Léveton et des gardes, il y avait là plusieurs voyageurs qui s'étaient arrêtés au comptoir pour profiter d'un peu de confort ou se reposer avant de reprendre la route, le plus souvent vers Restov.

Á peine étaient-ils arrivés que Svetlana vint voir Erwanez : ils avaient reçu une réponse du temple d'Érastil concernant sa question. Comme les explorateurs l'avaient deviné, le symbole du médaillon, qu'Erwanez avait reproduit sur sa lettre, ne correspondait pas vraiment aux représentations usuelles du dieu Érastil. Mais ce n'était pas là la seule chose que le clergé d'Érastil indiquait à la jeune prêtresse dans cette missive. La seconde partie concernait un individu connu du clergé d'Érastil et qui se serait peut-être réfugié dans la région.

Il ne s'agit pas d'une mission spéciale mais, comme nous avons appris que cet individu s'était peut-être rendu dans la région que vous explorez, nous vous faisons part des informations que nous connaissons. L'homme en question s'appelle Akiros Ismort et il s'agit d'un jeune paladin éduqué dans un temple d'Érastil quelque part au Taldor, loin au sud, avant que les choses tournent très mal.

Il aurait violé l'épouse d'un notable du coin puis les aurait tués tous les deux après que son crime ait été rendu publique. Aux dernières nouvelles, il aurait rejoint un convoi marchand à destination du Mendev, mais il ne serait jamais arrivé sur place, disparaissant quelque part pendant la traversée des Royaumes Fluviaux. Cela s'est produit il y a plusieurs mois, mais certaines enquêteurs du clergé pensent que sa piste mène vers la Ceinture Verte. Soyez donc prudente si vous le rencontrez.

Un portrait approximatif était joint à la lettre.

Après ces quelques jours passés tous ensemble, seuls dans la nature, Évan trouva que le Comptoir grouillait de monde.
Je vais finir comme Oleg moi si ça continue !

Après s’être occupé de Sam, il salua poliment les gardes, sans trop faire de manière non plus, observa du coin de l’œil les clients de passage et attendit que Svetlana leur donne des nouvelles. Erwanez, qui venait d’avoir des informations envoyées par son ordre, semblait soucieuse et avait interrogé l’excellente cuisinière.

Le bon bain dont rêvait La Gerboise attendrait donc que la femme d’Oleg leur raconte ce qu’il s’était passé pendant leur absence. A priori pas d’accrochages avec la bande du seigneur Cerf, ce qui rassura le halfling.

Il commença néanmoins à desserrer les liens qui maintenaient son armure de cuir, histoire de ce mettre à l’aise et se dit qu’un bonne chope de bière lui ferait du bien.

Comme pour s'aider à réfléchir, Erwanez répétait : « Jhod Kavken ... Jhod. » Connaissait-elle ce nom ? Avait-elle rencontré cette personne au temple ? Si, non, quels étaient les autres temples d'Erastil de la région ? Elle demanda à Sveltana ensuite : « Pourriez-vous me dire de quelle direction est-il arrivé ? Quel était son apparence ? »

Allister se souvenait d'une histoire parlant d'un prêtre d'Érastil appelé Jhod Kavken et qui avait été quasiment défroqué et il en fit part à ses compagnons.

L'homme avait en quelque sorte pris la tête d'un foule de paysans enragés pour lyncher un individu qu'ils pensaient être un loup-garou responsable pour plusieurs meurtres. Mais ... quelques heures après le lynchage, ils découvrirent que le véritable coupable était en fait d'un worg. L'Église d'Érastil avait mené une enquête et le résultat avait été que le prêtre avait été bien trop rapide et trop agressif dans sa poursuite du faux coupable.

Par une heureuse (?) coïncidence, l'individu lynché était en fait un espion envoyé par un groupe de bandits voisins. Cette découverte fut faite après sa mort, quand Jhod fouilla les biens de l'homme. C'est sans doute pour cela qu'il ne fut pas complètement chassé de l'Église mais seulement exilé de sa terre natale, le Galt. Et c'est ainsi qu'il s'était retrouvé loin de chez lui, au Brévoy.

C'est durant le repas, entre une bonne coupe de vin et un excellent plat de Svetlana que Gaëlan exprima son opinion sur le cas Jhod Kavken.

«  La peur et la suspicion sont bien mauvais juge. Prenons garde à ne pas tomber dans les mêmes travers que ceux dont on accuse cet homme.

Après tout, nous n'y étions pas, comment pourrions-nous le juger alors qu'il était le chef d'une congrégation et qu'il a fait ce qui lui semblait juste. Il a agi avec beaucoup d'agressivité et de précipitation, certes, mais nous ne savons finalement rien de sa situation à cet époque. La fréquence des meurtres, leurs sauvageries. Ils s'en sont pris à une personne qui semblait louche dans l'espoir de protéger leurs enfants et leur famille.

S'il est toujours prêtre et qu'Erastil confère toujours force à ses prières alors c'est que l'âme de cet homme ne doit pas s'être éloigné autant du droit chemin que ce que l'on prétend.

J'ai connu un homme, un prêtre d'Abadar qu'aucun temple ne voulait accueillir, car il était bien souvent vêtu de loque et de haillons. Les pires horreurs circulaient sur son compte et certains jeunes prêtres le prenaient pour un monstre rejeté de la gloire du seigneur aux mains d'or. Car parfois, il est facile lorsque l'on officie dans les grandes villes, où les temples de la Vierge rouge Iomédae s'occupent d'arbitrer les conflits, d'oublier que c'est aussi le rôle de notre service, au sein du temple, que de travailler avec justice et honneur. Et il est facile aussi d'oublier que parfois, sur les routes poussiéreuses, et dans les petites congrégations, la justice se doit d'être itinérante.

J'ai eu l'occasion de beaucoup voyager entre Restov et Vigie et ce vieil homme m'a conduit sur les routes du Brévoy, certaines peu sûres pour un aussi jeune demi-humain, prodiguant sage conseil à de jeunes colporteurs pour améliorer leur tournée et leur rentabilité ou rendant justice dans des villages n'ayant connue même pas la présence d'un prêtre d'Erastil depuis plusieurs années. J'ai vu la force de ses prières, leur éclat et je peux vous garantir qu'elles n'avaient rien à envié à l'Archibanquier de Nouvelle-Stetven. »

Il enchaîna ensuite sur le sujet de l'exploration, beaucoup plus important que des sermons sur la sagesse de l'homme qui résiste au commérage.

«  Pour ma part, je pense que nous devrions garder la même philosophie d'exploration que pour les plaines. Délimiter un secteur d'une certaine taille et nous y cantonner. Étant donné que les chevaux ne nous seront pas utiles et qu'explorer une aussi grande zone nous prendre deux à trois fois plus de temps, nous devrons prendre le temps d'étudier les champignons, les racines et les animaux comestibles de la région pour améliorer notre quotidien. Cependant, la quantité de ration et surtout d'eau devra être calculée précisément. Je regrette déjà l'obligatoire décision de ne prendre qu'une mule pour le trajet. Si nous découvrons le camp des brigands, je ne sais pas comment nous allons faire pour transporter tout le butin. Si je savais invoquer un coffre secret... bah, nous trouverions bien une solution.  »

Erwanez écouta Gaëlan donner son avis sur Jhod mais elle ne fit pas de commentaire. Jhod avait-il jugé trop hâtivement l'homme en question ? Une des victimes était-elle quelqu'un qui comptait à ses yeux ? Voulait-il se racheter en participant à l'exploration des Terres dérobées ? Il semblait difficile de donner un avis fondé sur aussi peu d'éléments. Il avait été exilé mais appartenait toujours au clergé d'Erastil. S'il voulait participer à l'exploration, il devrait d'abord aller à Restov pour signer la charte s'il était accepté. Patience et prudence, voila ce qu'il fallait aux yeux d'Erwanez. Quand aux chemins envisagés, Erwanez enchaîna sur Evan : « Je crois que nous ne pourrons pas repousser l'exploration des forêts éternellement. De plus une vie est en jeu, celle de Brandy. Je pense, si les rations le permettent, que nous pouvons aller dans la forêt en direction su sud-est puis vers les baies et l'arbre mort. »

Si Allister partageait une partie des réflexions faites par Gaëlan à propos de ce Jhod, et plus généralement sa vision de la religion. Néanmoins, il persistait à penser que cet homme était devenu fou. Vouloir s'engager seul dans la forêt, alors qu'eux-mêmes hésitaient à y aller en groupe depuis plusieurs jours relevait de l'inconscience et c'est à eux qu'il incombait de le sauver. Et puisqu'il désirait leur parler, cela tombait plutôt bien... Se tournant vers les deux tenanciers du comptoir, il leur demanda « Savez-vous dans quelle direction il est parti ? Pour que nous puissions orienter les recherches du bon côté. »

Il s'approcha ensuite d'Andreï et s'adressa à lui « Ne t'inquiète pas Andreï, la forêt de l'ouest est notre prochain objectif. Nous ne te laisserons pas partir seul, encore plus s'il s'agit de retrouver l'un de tes amis. Et en fonction de l'endroit vers où est parti ce Jhod qui nous cherche tant, nous pourrons ensuite faire un petit détour avant de revenir au comptoir. Ah, et puis il y a le cas de cet Akiros Ismort... Décidément cette région est un paradis pour ceux qui voudraient disparaître sans laisser de traces. Galëlan, sais-tu s'il nous reste suffisamment de rations pour une douzaine de jours ? C'est le temps que j'estime nécessaire pour la visite de la première bande forestière qui entoure le comptoir depuis l'ouest jusqu'au sud-est d'ici. »

« Il est parti vers le sud-ouest ou l'ouest je crois » répondit Svetlana. « Mais je ne pense pas que c'était pour explorer. Je crois qu'il avait envie de se retrouver seul, en forêt, et de chasser peut-être. » précisa-t-elle.

« Quand il reviendra, vous voulez que je lui donne un message ? Une estimation du moment où il pourrait vous rencontrer peut-être ? » demanda-t-elle finalement.

À la demande de Gaëlan, elle alla vérifier ses stocks de rations. Il lui restait à peu près 60 jours de rations, soit suffisamment pour tout le groupe d'explorateurs pendant 10 jours. « Mais la forêt est giboyeuse, » indiqua-t-elle, « ça vous prendra plus de temps, mais vous devriez pouvoir chasser pour compléter vos repas. »

« Au fait ... cela me fait penser ... Il y a quelques années de cela, il y avait une vieille rôdeuse qui habitait dans le coin. Elle est morte depuis quasiment deux ans, mais elle m'amenait régulièrement des radis de lune. Ce sont des espèces de radis incurvés, en forme de lune, d'où leur nom. Elle disait qu'elle les trouvait en forêt, mais elle n'a jamais dit où. Si vous en découvrez, vous pourriez me le dire ? Au minimum, je vous ferai un bon prix sur nos rations et sur les objets que vous voudriez commander à Restov ! »

« Les pièges ne nous serons d'aucune utilité. Nous allons bouger tous les jours. Alors qui viendra les relever? Personne, et les animaux qui seront pris mourront certainement de faim; à moins qu'ils ne servent de proies à d'autres. Sans compter que les pièges ne font pas la distinction entre les animaux que l'on peut chasser et ceux que l'on doit laisser. » Visiblement, Aelaendlara n'appréciait guère les pièges et le faisait savoir. « S'il faut chasser, chassons proprement en ne prélevant que ce qui nous est nécessaire pour nous nourrir, et laissons le reste en paix! »

Aelaendlara secoua la tête « On trouve diverses sortes de trappeurs, d'un coté il y a ceux qui chassent pour la nourriture, et respectent les animaux, ne chassent que les plus faibles qui n'ont de toutes les façons que peu de chance de survie et laisse vivre ceux qui perpétuerons l'espèce, et d'un autre coté tu trouve ceux qui chassent pour les fourrures ou autres choses, et laissent pourrir la nourriture dans les pièges, qui ne font pas la distinction entre jeunes et adultes, tuent les femelles encore en age de procréer, et mettent en danger l'équilibre naturel. Comment tes pièges font ils la distinction entre un vieux mâle qui n'a plus beaucoup de temps - et qui s'il a survécu, est sans doute trop malin pour ton piège - et une jeune femelle qui attends ses premiers petits? Si ces femelles meurent de faim dans des pièges, comment leurs descendances pourraient elles nourrir qui que ce soit? »

Il fallait faire comprendre aux autres que l'on ne pouvait pas vivre au dessus de la nature, mais avec elle et ses habitants.

« Quand au joug que tu veux faire porter, je te rappelle que ce sont les bêtes de sommes et les esclaves qui le porte. Si tu veux faire de cette terre une terre d'esclave, se sera sans moi... »