Source : blog Paizo ; Auteur : James L. Sutter



La dernière décennie de l’âge du Couronnement a apporté espoir et innovation pour les habitants de la Mer Intérieure. Dans le nord, les explorateurs Chelish de Korvosa ont fondé la ville de Magnimar. Dans l'Est, Taldor et Qadira atteignent une paix fragile après des siècles d'antagonisme et de guerre ouverte. Dans les perfides territoires de la Désolation de Mana au sud, les réfugiés fuyant la persécution de Nex ont établi le Duché d'Alkenastre comme un phare de lumière et de progrès dans une étendue désolée, déformée par la magie. Et non loin de là, dans la ville de Quantium, capitale de Nex, les seigneurs de l'Arc adoptent un enfant orphelin gnome nommé Balazar et l'élève dans la plus prestigieuse école d'enseignement en magie.

Étudiants assidus des gribouillis et des écrits de l'archimage qui a fondé cette nation, disparu depuis longtemps, les seigneurs de l’Arc déchiffrèrent les codes ainsi que les textes en marge des pages de grimoires nouvellement découverts et ont conclu que "les enfants du premier monde" joueraient un rôle important dans l'administration de la magie au royaume du mage disparu.

Dans les années qui ont précédé la mort d'Aroden, sa prophétie était une monnaie de grande valeur dans les pays de la Mer Intérieure et en 4601 les seigneurs de l’Arc, obsédés par la prophétie, ont écumé les communautés de gnomes qui infestent leurs villes bien-aimés à la recherche d'enfants gnomes en âge d'apprendre. Pour éviter que leurs grandes œuvres ne deviennent victimes d'une race qu'ils considéraient comme chaotique, indigne de confiance et composée d'anarchistes puérils, ces magiciens ont enlevé seulement les plus jeunes (et donc dans leur esprit les moins corrompus) des enfants gnomes à leurs parents, emprisonnant ou massacrant les familles qui avaient la témérité d'aller contre les héritiers du mage qui avait fondé la nation et déclaré la ville ouverte aux créatures de toutes races, il y a si longtemps. Pour les seigneurs de l’Arc, toute résistance des gnomes était une révolte contre les idéaux de la nation elle-même, s'apparentant à une trahison.

En 4606, le dieu Aroden était mort, le pouvoir de la prophétie avait été rompu et l'expérience eugénique des seigneurs de l’Arc virait vers l'échec le plus abject. Lorsque les enfants gnomes orphelins enlevés ont atteint la maturité au cours des décennies qui ont suivi, ces indisciplinés ont apporté chaos et destruction aux académies de magie de Quantium. Et au centre de ce chaos se tenait Balazar : un jeune impulsif avec un tempérament aussi féroce et vif que le rouge de sa jeune moustache déjà prodigieuse, telle une allumette brûlant sur un lit d'amadou.

Dans les premières années de son instruction, Balazar n'a presque pas révélé d'aptitude magique, préférant passer ses journées à faire de joyeux tours à ses camarades et professeurs au lieu de se plonger dans l'étude minutieuse du programme d'études des seigneurs de l’Arc. Lorsque l'une de ses blagues a abouti à la transmutation de la tour d'un instructeur en un être vivant de pierre, un élémentaire (en partie grâce à un rocher rougeoyant mystérieux dérobé dans chambres fortes de l'école), Balazar et trois amis gnomes se sont retrouvés expulsés de l'académie, exilés de Quantium et envoyés par la première caravane à Ecanus, la ville tentaculaire du sud dont les célèbres forges de chair concoctent une légion d'horreurs pour renforcer les armées de Nex et terroriser les nomades des terres dévastées entre les villes du Nex.

L'affectation à Ecanus était destiné exclusivement à titre de sanction, mais les maîtres de la ville ont accueilli les gnomes à bras ouverts, désireux que leurs attitudes non conventionnelles, leur créativité sans bornes et leurs obsessions imprévisibles puissent les aider à conquérir l'un des mystères les plus durables des monumentales forges de chair. Dans les profondeurs des donjons cachés sous le complexe militaire, dans une salle conçue par l'archimage Nex lui-même, se trouve une faille extraplanaire connu sous le nom de Gouffre Vide, un puits aux parois verticales et sirupeuses, d'où s'écoule un brouillard multicolore rendant fou tous ceux qu'il enveloppait.

Un par un, les gnomes amis de Balazar regardèrent dans l'abîme, et un par un ils ont perdu leur emprise fragile sur la réalité. Balazar vit avec horreur que leur peau et leurs cheveux se vidaient de toute couleurs, comme si l'ensemble de leur vie, de la naissance au blanchissement des cheveux, avait défilée en l'espace de quelques instants. Lorsque la tension émotionnelle est devenu trop grande et que les gnomes crièrent leur angoisse, les instructeurs impitoyables de la forge de chair les ont alors poussés dans le puits, où leurs hurlements furent bientôt étouffés dans les brumes tourbillonnantes. Si les gnomes ne pouvaient découvrir le secret du Gouffre Vide, les administrateurs motivés pensaient que peut-être un sacrifice à ce pouvoir inconnu serait bénéfique. Puis ce fut au tour de Balazar de s'approcher du puits.

Alors qu'il se tenait au bord du vide, Balazar se demanda s'il aurait peut-être dû étudier avec plus de diligence lorsqu'il était dans le confort relatif des académies de Quantium. À contrecœur, il jeta son regard dans les miasmes et sentit les énergies étranges du gouffre fumant s’immiscer dans son esprit. Pire, il entendit murmurer des voix dans les ténèbres, criant et lui demandant de passer par-dessus le bord. Au début, il pensait que les voix étaient celles de ses compagnons gnomes perdus, et les a appelé chacun par son nom. Tandis que la couleur quittait ses cheveux, il sentit son esprit se dérober. Mais les voix n'étaient sont pas celles de ses amis. Elles appartenaient à ... autre chose.

Il a fallu toute la concentration limitée de Balazar pour passer au crible les nombreuses voix, une par une. Certaines étaient en colère, demandant à être laissées en paix. D'autres aux paroles mielleuses poussaient à plonger dans ce doux néant. Mais une seule voix parmi le tumulte parlait doucement et clairement. «Je vais t'aider», a-t-elle affirmé dans un ton rassurant. «Donne-moi une forme et permet-moi de quitter cette prison, et toi et moi nous ne deviendront qu'un.»

Sentant les mains des administrateurs de la forge de chair sur ses épaules, sur le point de l'envoyer dans le vide, Balazar essaya d'imaginer ce à quoi la voix pourrait ressembler. Il rêvait d'une créature avec un vaste corps sinueux, avec des serres préhensiles ornées d'horribles écailles. Et, peut-être parce qu'il n'avait pas mangé ce jour-là et était tenu de plus en plus par la faim, il avait imaginé que la voix jaillissait du bec d'une poule monstrueuse. Puis, alors qu'il sentait les muscles de ses ravisseurs tendues pour la poussée finale, la créature qu'il avait imaginé émergea soudainement de l'abîme du néant, entièrement formée et entièrement réelle, hurlant avec un cri aviaire hideux et fouettant l'air avec une grâce serpentine. Ses griffes déchiraient les cols des administrateurs, son bec hideux mit en charpie leurs yeux incrédules. Et tout du long, dans un ton rassurant qu'il était le seul à entendre, il lui dit : «N'ai pas peur petit, nous étions faits pour être ensemble.»

D'une certaine manière, Balazar et l'entité aviaire qui s'est appelée Padrig ont réussi à gagner leur liberté à travers les épreuves des forges de chair d'Ecanus et même de Nex. Durant leur fuite de la côte orientale du Garund grâce à une succession de navires marchands et contrebandiers, Balazar et Padrig se rapprochaient de plus en plus l'un de l'autre. Padrig expliqua qu'il était un esprit sans corps connu comme étant un Eidolon, et que seul Balazar pouvait lui donner une structure et une forme en raison de l'affinité de leurs esprits et de leurs âmes. Pendant la durée du chemin menant le gnome de Nex à Katapesh, puis à Absalom, Balazar devenait de plus en plus apte à modeler la forme de Padrig, ajoutant plus de membres et une terrible paire d'ailes, ou d'autres caractéristiques ajustées aux dangers et aux situations qui se présentaient. Quand les choses devenaient trop risquées pour être vu avec une créature magique ou lorsque la discrétion était plus importante que la protection, Balazar évacuait Padrig dans une sorte de trou extraplanaire caché en lui-même, pour le convoquer une nouvelle fois à ses côtés en cas de besoin.

Bien que l'esprit malicieux du jeune Balazar est resté intact, l'horreur du Gouffre Vide l'a marqué pour toujours. Les autres gnomes confondent souvent ses cheveux blancs avec le symptôme d'une affliction décolorative insidieuse qui menace tous les jeunes adultes gnomes, mais grâce à ses constants et implacables voyages, Balazar reste aussi engagée et plein de vie que n'importe lequel de ses frères gnomes en bonne santé. Lorsque d'autres gnomes se renseignent sur sa "condition" avec les meilleures intentions, Balazar riposte parfois en un sarcasme dans une impatiente mauvaise humeur, châtiant ses soi-disant aides en leurs demandant de s'occuper de leurs affaires.

La confidentialité est très, très important pour Balazar, car les mages Nexian qu'il a trahi n'ont pas oublié sa maîtrise singulière du Gouffre Vide. Des agents des seigneurs de l'Arc de Nex le pistent sans arrêt lors de ses voyages, le poussant à aller de plus en plus loin à chaque saison. Cependant, Balazar sait que chaque nouvel arrêt, même temporaire, lui fournira amplement l'occasion d'apprendre de nouvelles choses et rencontrer de nouvelles personnes, de maîtriser les arts magiques qui lui échappaient toujours à Nex, pour faire honneur aux amis et aux collègues qu'il a laissés. Malgré des moments occasionnels de réflexion, larmoyant sur tout ce qu'il a perdu, Balazar se conforte dans son amitié durable avec l'Eidolon qu'il a sauvé de l'oubli il y a déjà longtemps. Tant qu'il se déplace avec Padrig, il sait qu'il ne sera jamais seul.