Source : blog Paizo ; Auteur : Crystal Frasier



La plus grande erreur qu'ait jamais commise le Maréchal-Bouclier Dahmok fut d'enseigner la lecture à sa fille. Après la perte de sa mère, une exploratrice elfe pleine d'entrain mais capricieuse pour qui les dix dernières années et ses trois enfants n'étaient qu'un amusement passager, le Maréchal-Bouclier avait espéré éduquer des enfants qui resteraient chez eux. Même si le fait qu'il s'agissait de sang-mêlé allongeait le nombre des années qu'il aurait l'occasion de passer avec ses précieux enfants, le vieux maréchal était abattu par le fait que l'un d'eux se préparait déjà à le quitter.

Alors que Suzerassa, l'aînée, s'intéressaient aux arts domestiques et que Milliceene, la plus jeune, étudiait avec passions les sciences naturelles, celle du milieu, Lirianne, s'abandonnait pendant des heures entières dans des histoires de chevaliers étincelants, de fées sournoises et de puissants dragons, des sujets complètement absents de leur patrie d'Alkenstar. La jeune demi-elfe, qui avait pourtant été éduquée dans un environnement de briques, de fumée et de bureaucratie, rêvait de la vie d'aventures que dépaignaient la collection de contes imaginaires abandonnés par sa mère absente et sa propre bibliothèque (sans cesse plus fournie) de romans à quatre sous. Naturellement, elle avait envie de suire les traces de son père et de devenir un Maréchale-Bouclier pour défendre l'Alkenastre contre les géants belliqueux et les horribles mutations des Désolations de Mana. Dahmok, qui préférait garder sa petite fille à l'abri chez lui, lui expliqua calmement qu'elle ne pourrait jamais devenir un Maréchal-Bouclier et se servit de la première excuse qui lui vint à l'esprit : que ces magnifiques cheveux longs se prendraient dans les mécanismes des armes à feu. À sa grande surprise, le lendemain matin, quand il se réveilla, il trouva Lirianne avec un large sourire. Elle avait découpé grossièrement ses longues tresses et avait fait ses bagages ; elle était prête à aller au travail avec lui.

Pendant les vingt années qui suivirent, la jeune demi-elfe s'efforça de remplir les conditions de plus en plus insensées que son père vieillissant lui imposait. Ses amis d'école l'avait surnommée "le Fantôme" car elle disparaissait souvent pour s'exercer à dégainer une arme rapidement ou pour mémoriser des manuels techniques. Ses tuteurs et ses percepteurs la croyaient mentalement retardée lorsqu'ils la voyaient immobile, le regard perdu dans le vague, alors qu'elle refaisait dans sa tête les schémas des ingénieurs au lieu d'écouter ses leçons. Avant même qu'elle n'ait atteint l'âge de sa première aventure amoureuse, elle maîtrisait parfaitement la construction des fusils ainsi que leur usage, et elle pouvait calculer des trajectoires complexes d'un simple coup d'œil.

Lorsque sa fille devint adulte, Dahmok était un vieil homme, à la retraite depuis longtemps. Il ne pouvait plus lui interdire de devenir un Maréchal-Bouclier. Cependant, le vieux patriote exerçait toujours une certaine influence sur ceux qui avaient pris sa place. Ces derniers, pour respect pour ses accomplissements, avaient cantonné Lirianne à un poste calme près de chez elle, consistant à protéger les communautés fermières situées le long de la route très sûre qui reliait Alkenstar et Martel. Elle passa dix années de sa vie à gérer les individus saouls et à servir de médiateur lors des disputes quant au droits d'accès à l'eau, dix années qui étouffèrent sa passion pour l'aventure bien plus efficacement que la désapprobation de son père. Lirianne finit par oublier ses rêves d'enfants, et ses yeux d'acier perdirent leur éclat après avoir observé les milliers de détails de l'ordinaire.

Mais la destinée voulut qu'une tempête de magie sauvage sortit du désert de la Cicatrice, continue au-delà d'Alkenstar et rentre dans son territoire. Ces énergies magiques nomades résultant des siècles de duels de sorts déformaient l'espace et le temps autour d'elles. Les éclairs magiques touchaient tout sur leur passage ; ils changeaient la forme des collines, faisaient fondre le sable en verre et invoquaient des créatures bizarres issues de la préhistoire. Lirianne, qui était le seul Maréchal sur place, fit son devoir. Alors que les villageois se blottissaient dans les sous-sols et que les bâtiments s'effondraient en des amas informes de bois et d'os, un éclair vert frappa la demi-elfe au moment où elle combattaient les abominations amenées par la tempête.

Lirianne se réveilla complètement trempée et à moitié noyée sur des rivages lointains. L'étrange territoire était recouvert de forêts et de collines verdoyantes, une végétation qu'elle n'avait jamais vu auparavant. En avançant dans les terres, elle rencontra bien vite une caravane de bûcherons attaquée par des fées capricieuses. En un clin d'œil, toutes les histoires de son enfance réapparurent dans son cœur et elle s'élança au combat avec une passion qu'elle avait cru perdue depuis longtemps. Les caravaniers reconnaissants lui donnèrent tout l'équipement qu'elle pur porter ainsi que d'amples informations qui confirmaient que son inexplicable voyage l'avait amenée au pays des chevaliers étincelants, des fées sournoises et des dragons puissants qui avait bercé sa jeunesse.

Aujourd'hui, Lirianne continue de parcourir les terres étranges de l'Avistan en s'efforçant de trouver un équilibre entre l'émerveillement enfantin qu'elle a retrouvé et son attrait d'adulte pour la justice, tout en confrontant sa moitié elfique, qu'elle a longtemps ignorée. Elle ressent de temps en temps un pincement dans le cœur en repensant à sa famille et à la vie industrielle de l'Alkenstar, mais il lui reste encore de nombreux sites à visiter et beaucoup de gens à sauver, deux tâches qu'elle compte bien ne pas abandonner.