Source : blog Paizo ; Auteur : Crystal Frasier



La ville natale de Reiko, Blanche-Vague, est située sur la côte ouest du Minkai. Il s'agissait d'un village de pêche tranquille, guère plus qu'un rassemblement de cabanes et de granges adossé à une falaise abrupte qui surplombait le port. Écrasé par l'humidité et envahi par des nuées d'insectes volants pendant les étés, puis soumis à de dangereuses tempêtes pendant les hivers, Blanche-Vague n'avait pas grand chose à offrir à un seigneur. Et on ne lui demandait d'ailleurs pas grand chose.

Tout cela changea quand Reiko avait 12 ans. À causes de disputes bureaucratiques et de la modification des frontières entre des fiefs appartenant à des nobles, Blanche-Vague tomba sous le contrôle d'un nouveau seigneur, Entobe Hisashi. Et celui-ci avait de grands projets pour l'endroit. Les falaises maritimes seraient l'emplacement idéal pour un nouveau sanctuaire, une série de tours étincelantes qui plairaient certainement aux dieux et qui attireraient leurs faveurs sur la famille Entombe pour de nombreuses générations. Un projet ambitieux, qui nécessiterait de nombreux ouvriers. Et le seigneur Entombe savait exactement où les trouver○

Quand Reiko se souvient de son enfance, elle ne se voit pas en train de fouiller les flaques d'eaux laissées par la mer ni escalader les dangereuses falaises pendant que sa mère riait et son père, nerveux, l'enguirlandait. Non, ce dont elle se rappelle, c'est de l'odeur et du goût de la poussière de roche dans sa bouche, de ses ongles écrasés et ensanglantés à cause des rochers qu'elle transportait. Elle se souvient des longues heures de labeur sous la chaleur d'un soleil cruel, des barques de pêche qui pourrissaient dans le port. Mais, surtout, elle se rappelle du visage de ses parents qui s'amincissait de plus en plus parce qu'ils lui donnaient leurs rations de riz et de soupe.

Les travaux forcés durèrent pendant plusieurs mois. Les contre-maîtres du seigneur Entombe n'autorisaient pas le moindre signe de paresse, comme par exemple quand les jeunes ou les vieux s'écroulaient épuisés, et les punitions étaient sévères. Le minuscule cimetière du village se remplissait rapidement et, bientôt, les corps se mirent à se naufrager sur la plage, quand les habitants, trop épuisés pour creuser des tombes, se résolurent à abandonner leurs biens-aimés dans la mer.

C'est alors que, en à peine une nuit, les dieux semblèrent se retourner contre le projet. Peu de temps après la tombée du soleil, trois des cinq fondations des tours s'effondrèrent, tuant l'un des cruels contre-maîtres. Cela allait ajouter plusieurs mois de travail mais, malgré cela, le peuple se réjouissait en secret de l'ironie de l'histoire, et cette joie leur redonnait de l'entrain alors qu'ils se mettaient à enlever les débris et à recommencer la construction. Mais d'autres choses étranges continuèrent à se produire, affectant les matériaux nécessaires à l'œuvre. Des outils se retrouvaient brisés. Des poutres de support pourrissaient. La pierre devenait cassante, et les cordes s'effilochaient et se brisaient. Des gardes mouraient dans des accidents mystérieux. La colère et la terreur des contre-maîtres et des architectes était un spectacle merveilleux, et le petit peuple louait en secret les kamis qui devaient être responsables de tout cela.

Seule une des maisons ne partageait pas leur joie. Ils ne lui avaient rien dit mais Reiko savait que ses parents étaient tendus. Et les disputes qu'elle entendait à travers les murs, lorsqu'ils pensaient qu'elle était endormie, se poursuivaient jusqu'à tard dans la nuit. Puis, par une soirée estivale terriblement chaude, alors que malgré son épuisement, elle était incapable de trouver le sommeil, Reiko quitta sa chambre et croisa un individu recouvert de noir qui se faufilait à travers la fenêtre du premier étage.

Avant que Reiko ne puisse crier, l'individu était à ses côté et avait placé une main sur sa bouche. Puis l'étroite capuche noire fut enlevée et Reiko put apercevoir les yeux de sa mère, dont le regard était des plus sérieux.

Après cette nuit-là, les choses changèrent. Reiko apprit que sa mère n'était pas une bergère originaire des champs de l'intérieur du continent comme on le lui avait toujours dit, mais qu'elle avait plutôt grandi dans les montagnes au sein d'un clan de ninjas, une bande d'assassins et d'espions mortels mais honorables dont l'histoire remontait sur plusieurs centaines d'années. Après avoir fui suite à une embuscade qui s'était mal terminée, elle s'était caché dans le minuscule village et était tombé amoureuse d'un simple pêcheur, le père de Reiko. Malgré les inquiétudes et la désapprobation de son époux, la mère de Reiko commença à enseigner à sa fille quelques-uns des secrets du clan. Elle refusa strictement d'emmener Reiko avec elle au cours des attaques solitaires qu'elle conduisait contre les gens d'Entombe mais elles passèrent toutes les deux de nombreuses heures dans les ténèbres à escalader les falaises de Blanche-Vague, à s'entraîner avec les épées que sa mère cachait dans la sous-pente et à se déplacer sans faire de bruit sur les toits et le long des voiles des navires. Reiko était une élève douée et, au moins, il y avait quelque chose qui la gardait motivée tout au long de ses journées de dur labeur.

Puis la mère de Reiko alla trop loin. Prise sur le fait lors d'un sabotage d'une charrette à pierres, elle tua plusieurs des contre-maîtres avant de s'échapper vers sa maison. Elle cache immédiatement son équipement dans la fosse à détritus et mit un terme aux activités nocturnes qu'elle partageait avec sa fille. Mais il était trop tard.

Le seigneur Entombe, furieux, se rendit en personne sur le site. Il arriva en grande procession avec des guerriers, des lanceurs de sorts, et des enquêteurs. L'après-midi qui suivit son arrivée, il interrompit la construction et ordonna aux villageois de se rassembler. Reiko et sa mère, toutes deux chargées de servir le thé aux gardes ce jour-là, se tenaient derrière la foule et regardaient Entombe monter sur l'espèce d'estrade qui avait été construite en son honneur.

Il s'adressa à la foule et annonça que la personne qui se cachait derrière les attaques avait été découverte et que le temps de ses traîtrises était révolu. Puis il montra un objet familier : le masque noir qui appartenait à la mère de Reiko. Il était encore humide et taché à cause des détritus.

C'est alors que les gardes s'écartèrent pour laisser apparaître le père de Reiko. Ses poignets et ses chevilles étaient ligotés. Il n'y avait aucun doute sur la nature de la plaie qui zébrait sa gorge, ni sur celle de la trace rouge qui descendait le long de sa chemise.

Reiko cria et se mit à courir mais sa mère l'attrapa par l'épaule et la força à se retourner. Leurs yeux se rencontrèrent.

"Cours, ma petite araignée," lui dit sa mère. Puis une lame cachée tomba depuis sa manche dans sa main et elle sauta en direction du groupe de gardes qui se tenaient sur l'estrade.

Reiko courut. Mettant en œuvre toutes les choses que sa mère lui avait enseignés, elle se glissa hors du village et descendit la falaise, évitant les gardes et les chiens d'Entombe. Elle continua de courir le long de la mer pendant plusieurs jours, marchant sur les pierres à marée basse pour ne laisser aucune trace ni odeur pistable, jusqu'à ce qu'elle soit certaine d'être suffisamment loin des terres d'Entombe. Puis elle tourna vers l'est, en direction des montagnes, à la recherche du clan de sa mère.

Elle finit par les trouver, mais cela ne se déroula pas de la manière qu'elle escomptait. Car Entombe lui aussi avait découvert le rapport entre sa mère et ce clan et, dans un accès de dépit, il avait loué leurs services pour pourchasser tous les survivants de sa famille. Une fois encore, Reiko dut fuir. Et, cette fois-ci, elle ne s'arrêta pas avant d'être loin, très loin à l'ouest, sur les rivages d'une étrange terre appelée l'Avistan.

Aujourd'hui, Reiko est une femme adulte. Froide et distante, rapide à répliquer par une remarque cinglante ou un regard intense, cette femme est parvenue à se débrouiller pendant dix années dans un territoire où le Minkai n'est qu'une légende et où les ninjas ne sont guère plus que des créatures appartenant à des histoires exotiques. Elle a étudié auprès des voleurs et des assassins les plus doués de la région mais elle n'est pas encore parvenue à trouver les promesses soigneusement codifiées liées à l'honneur et à la délicatesse dont sa mère lui a parlé autrefois. De plus, elle se lasse du nombre apparemment sans fin de bandits brutaux de grand chemin et de tueurs à la petite semelle qui vivent en Avistan. Cependant, l'absence de seigneurs corrompus tels qu'Entombe dans des contrées telles que l'Andoran, la nation qu'elle a choisie, lui apporte un certain réconfort, et elle a entendu parler d'une branche secrète des Chevaliers de l'Aigle qui pourrait correspondre exactement à ce qu'elle recherche. Où que ces rumeurs la conduisent, et malgré la décennie qu'elle a passée en terre étrangère, Reiko considère toujours que son séjour autour de la mer Intérieure n'est qu'un exercice d'entraînement. Un jour, bientôt, elle fera le chemin inverse vers le Minka. Et, quand elle le fera, la famille Entombe tout comme les traîtres du clan de sa mère comprendront enfin à quel point ils ont eu tort.