Traduction du troisième chapitre : "http://paizo.com/store/byCompany/p/paizoPublishingLLC/pathfinder/tales/serial/v5748dyo5lbn2" de la nouvelle "Le Seigneur Pénitent" de Richard Lee Byers. Illustration de Colby Stevenson.

La lune descendante avait dépassé la moitié de sa course et glissait vers l'ouest. Et, même si une ville comme Absalom n'était jamais tout à fait endormie, seules quelques lumières éparses perçaient les ténèbres et le brouhaha perpétuel s'était réduit en un bruit ténu.

Olhas jeta un coup d'œil dans la rue silencieuse qui menait vers le manoir de Domitian, fit rouler ses épaules pour évacuer la tension et demanda "Prêt ?".

"Si tu l'es aussi, oui." Séfu hésita. "Tu sais, rien ne t'oblige à faire cela."

Olhas leva un sourcil. "Tu as l'intention de lancer des sorts toi-même ? Ca serait une première !"

"Je veux dire, je peux peut-être la faire sortir discrètement."

"Et quoi ensuite ? Écoute, je suis conscient des mille manières dont cela peut mal tourner. On pourrait se faire tuer en s'introduisant dans le manoir ou être pourchassés par les Capes Grises après coup. Mais, si nous travaillons ensemble, tout devrait bien se passer."

"Très bien, alors. Je te devrai une faveur."

L'aquatique sourit. "Pour sûr !" Il leva le foulard noir qu'il portait autour du cou afin de masquer la moitié inférieure de son visage. Le reste de ses habits était suffisamment foncé et donc, bien adapté pour pénétrer discrètement dans le manoir.

Séfu attacha son masque de fortune également. Puis lui et Olhas descendirent discrètement la rue vers le manoir de Domitian.

Olhas leva la main pour demander un arrêt puis tira un parchemin de vélin de sous sa manche et le déroula. Tout comme les habits du Chevaucheur des Vagues, les parchemins avaient été achetés tout spécialement pour ce projet. Olhas était un ensorceleur compétent mais ses pouvoirs innés étaient limités, et il voulait les conserver pour libérer Leyli de l'influence de Domitian.

Ses yeux, qui pouvaient voir même dans les profondeurs de l'océan parvenaient également à déchiffrer les syllabes du sort même dans le noir. Olhas les lut en murmurant. L'encre produisit un léger bruit de craquement lorsque la magie enfermée dans ces mots se libéra et les annotations se transformèrent en poudre.

Pendant ce temps, Séfu observait la fenêtre située sous le pignon. Il ne parvenait pas du tout à voir la vigie, ni à savoir si le demi-orque avait succombé au sort. "Il est endormi ?" demanda-t-il.

Olhas roula le parchemin et le glissa dans sa manche. "Je suppose que nous allons bientôt le savoir."

Ils coururent vers la porte en fer. Séfu n'entendit personne donner l'alarme et, lorsqu'ils escaladèrent la grille pour entrer dans la cour, cela les fit sortir du champ de vision de la vigie. Il espérait que, lorsque le demi-orque se réveillerait, il imaginerait qu'il s'était simplement endormi naturellement.

Discrètement, les Chevaucheurs des Vagues progressèrent vers la porte de devant. Olhas s'accroupit et murmura quelques mots dans la serrure. Le verrou produisit un léger claquement et la porte s'ouvrit.

Séfu jeta un coup d'œil à l'intérieur. Le foyer était désert et, comme les lampes à huile étaient éteintes, il y faisait encore plus noir qu'à l'extérieur.

Olhas et lui escaladèrent les escaliers. Ils supposaient que les fidèles de Domitian dormaient dans des chambres, même si, dans le fond, ça n'aurait pas surpris Séfu d'apprendre que le futur dieu gardait ses ouailles abusées dans la cave.

Ce n'était pas le cas, même s'il leur imposait apparemment de dormir sur le sol plutôt que sur un lit. Les fidèles s'agitaient, faisaient des gestes brusques et soudains et gémissaient dans leur sommeil. Aussi bonne que fusse la vision de Séfu, il se rendit compte qu'il lui était impossible de discerner les silhouettes dans la pénombre mais il faisait confiance à Olhas pour reconnaître Leyli lorsqu'ils seraient près d'elle.

Olhas n'est peut-être pas le Chevaucheur des Vagues le plus séduisant mais c'est un allié très efficace.

Le plancher grinça. Séfu pivota sur lui-même. Un demi-orque escortait une femme — Séfu pensa qu'il s'agissait de la cultiste qui avait été obligée de s'arracher les dents mais il n'en était pas certain — le long du couloir, vers lui, Olhas et la pièce qu'ils venaient de finir d'inspecter.

Séfu faillit sortir son épée mais il réalisa que le vaurien ne montrait aucun signe d'agitation face à la présence des Chevaucheurs des Vagues. Apparemment, grâce à leurs habits noirs, il avait pris Séfu et Olhas pour deux de ses pairs.

Séfu lui fit un signe de la main puis lui et Olhas entrèrent dans la chambre et refermèrent la porte derrière eux. Il espérait que c'était une chose tout à fait banale pour les demi-orques.

Apparemment, c'était le cas, car la brute ne les suivit pas et n'appela pas à l'aide non plus. Les bruits de pas passèrent puis s'éloignèrent dans le couloir ; une autre porte s'ouvrit puis se referma. Séfu se doutait qu'il devait s'agir de celle qui, selon lui et Olhas, menait à la chambre du maître des lieux.

Tout en continuant, il tenta de ne pas imaginer toutes les dégradations spéciales auxquelles Domitian pouvait soumettre la femme amenée dans sa chambre privée au milieu de la nuit. Puis une paire de voix aiguës, peut-être inhumaines, se mirent à hurler. Les cris sinistres retentirent dans toute la maison sombre mais Séfu ne put dire s'ils avaient réveillé certains des cultistes. La magie qui dominait leurs esprits les empêchait peut-être d'entendre.

"Par l'Œil," murmura Olhas, qui avait l'air inquiet contrairement à son habitude, "qu'est-ce que c'est que ça ? Que lui fait-il ?"

"Je ne sais pas," répondit Séfu. "Mais notre tâche consiste à retrouver Leyli et à la sortir d'ici."

Et ils finirent par la trouver, après être grimpé jusqu'au second étage. Leyli dormait étendue à côté d'une autre cultiste dans une pièce qui, selon toutes les apparences, avait autrefois appartenu à un enfant. La faible lumière qui pénétrait par le vantail donnait l'apparence de fantômes aux clowns qui jonglaient, aux équilibristes qui marchaient sur des cordes et aux ours qui dansaient sur les peintures murales.

Olhas lança un second sort de sommeil en murmurant, pour s'assurer que la compagne de chambre de Leyli ne se réveille pas. Puis Séfu agrippa sa sœur et la releva. La magie de l'aquatique avait apparemment également fait effet sur elle et elle dormait. Séfu la tint d'une main et recouvrit sa bouche de l'autre.

"Prêt ?" demanda-t-il.

Olhas sortit une langue de serpent préservée et un morceau de cire d'une poche cachée sur sa ceinture. "Vas-y."

Séfu secoua Leyli. Pendant ce temps, tout en tenant chacun des focalisateurs magiques dans un main, Olhas dessina un sorte de S dans l'air en murmurant des mots de pouvoir.

Leyli se raidit dans les bras de Séfu puis commença à se débattre et tenter de s'échapper. Olhas termina con incantation et dit "Écoute ! Domitian nous a envoyés. Il veut que tu nous accompagnes et que tu coopères avec nous autant que possible."

Leyli arrêta de se débattre. Séfu libéra prudemment sa bouche, et elle ne cria pas.

"Sortons d'ici," dit Olhas. Il sourit à Leyli "Discrètement, s'il te plait. Domitian ne veut pas que nous dérangions les autres."

Elle hocha la tête lentement ; son expression hébétée donna à Séfu un léger sentiment de culpabilité. Il était venu pour lui rendre ses esprits, pas pour ajouter une autre couche de confusion et de coercition. Mais Olhas lui avait garanti que l'effet n'était que temporaire et que c'était vraiment la manière la plus simple pour la faire sortir discrètement.

Ils redescendirent tous discrètement vers le foyer. En voyant la porte de sortie, Séfu se sentit un peu plus rassuré.

Puis une sorte de loup au poil hirsute sortit d'un des passages sur sa droite.

Séfu connaissait plus les créatures de la mer et de la côte que celles des forêts et des plaines. Mais ses instincts lui hurlaient que la créature n'était pas un simple chien ni un simple loup et, un moment plus tard, elle leur en donna la preuve en se mettant à parler.

"Qu'est-ce donc que cela ?" grogna-t-elle.

La bête était un worg alors, un prédateur dévoreur d'humains qui avait quasiment une intelligence humaine. Et s'il servait Domitian en tant que chien de garde, c'était une preuve de plus — dont Séfu n'avait pas vraiment besoin — que le futur dieu était un salopard de la pire sorte.

Ce dont Séfu avait besoin, par contre, c'était d'un moyen de contourner le monstre. Lui et Olhas pouvaient peut-être le bluffer comme ils avaient bluffé le demi-orque dans le couloir.

"Quelqu'un veut s'amuser avec cette maigrichonne," dit-il, tentant d'imiter la voix graveleuse des demi-orques. "Seul le Faucheur sait pourquoi, surtout à cette heure de la nuit. Mais il a envoyé de l'or et donc, Tsadoc et moi nous devons l'emmener."

Le worg grogna puis renifla. Séfu se rendit compte qu'il examinait son odeur à lui et celle d'Olhas. Mais, avant qu'il ne puisse réagir, le monstre leva la tête et hurla.

Séfu dégaina son épée et fonça vers la créature. Le worg interrompit son cri pour bondir en arrière et éviter sa première attaque. Si les Chevaucheurs des Vagues étaient chanceux, peut-être que ce début de hurlement s'était fondu dans les cris qui sortaient encore de la chambre à coucher de Domitian et que personne ne l'avait remarqué.

Quoi qu'il en soit, Séfu devait s'occuper de la bête, et rapidement. Il tenta de frapper sa tête mais elle fit un pas de côté puis elle bondit.

Ses pattes avant vinrent frapper le poitrail de Séfu et le plaquèrent au sol. Ses mâchoires couvertes de salive plongèrent vers sa gorge.

Derrière lui, Olhas prononça un mot. Des traits de lumière vertes vinrent frapper le museau et les épaules du worg et il recula sous l'effet du choc. Séfu lâcha la garde de son épée et la saisit au milieu de la lame afin de pouvoir l'utiliser pour poignarder la bête au corps à corps. Il l'enfonça entre les côtes de la créature.

Du sang jaillit. Le worg frissonna puis s'effondra sur lui. Il resta allongé un moment pour reprendre son souffle puis fit rouler la carcasse sur le côté.

Leyli cligna des yeux. Si elle s'était vraiment rendu compte qu'un combat à mort venait de se dérouler, personne n'aurait pu le voir dans son attitude. "Tu m'as dit quelque chose ?" murmura-t-elle.

"Non," dit Séfu. Il se leva et retira son épée du corps du worg.

"Nous devons partir maintenant," dit Olhas.

Ils hissèrent Leyli au-dessus du portail de fer puis descendirent tous les trois la rue le plus vite possible. Séfu continuait de regarder par-dessus son épaule. Pour autant qu'il puisse en juger, personne ne les poursuivait. Ainsi, après un moment, lui et Olhas retirèrent leurs masques. Ils n'avaient aucune raison de rester en habits de voleurs, au cas où ils croiseraient des gens.

Bien sûr, il ne pouvait rien faire quant au sang du worg qui avait taché l'avant de ses habits mais, heureusement, lui et ses compagnons n'avaient pas une grande distance à parcourir. Lui et Olhas avaient loué une chambre dans un immeuble à quelques quartiers de distance du manoir. C'était une petite chambre sordide, avec une odeur d'humidité dans l'air et un sol couvert de déjections de cafards qui craquaient sous chaque pas, mais c'était une bonne planque pour permettre à l'aquatique d'accomplir son œuvre.

La chambre contenait une paillasse défoncée et sans doute infestée de puces et une unique chaise branlante. Olhas plaça celle-ci au milieu du sol et demanda à Leyli de s'asseoir. "S'il te plaît," dit-il.

Elle s'assit.

L'aquatique murmura une rime tout en pliant et dépliant ses doigts. Puis il marcha autour de Leyli plusieurs fois en l'observant de tous les côtés.

Après ce qui sembla durer une éternité, Séfu demanda, "Est-ce que tu fais vraiment quelque chose ?"

"J'apprends tout ce que je peux au sujet de ce que Domitian lui a fait, afin de mettre toutes les chances de mon côté pour le défaire. Si je travaille trop lentement à ton goût, je te présente mes excuses les plus insincères."

"Je voudrais juste que tu en termines avant que ce sort qui la rend obéissante cesse de faire effet."

Leyli frotta légèrement ses tempes avec le bout de ses doigts. "Quoi ? Un sort ?"

"Ce n'est rien," dit Olhas. "Relaxe-toi." Il regarda Séfu. "Je pense que je suis prêt." Il bougea ses mains d'un côté à l'autre, comme s'il était en train de placer les carreaux d'une mosaïque invisible, il entonna une incantation plus longue dans un langage que Séfu ne reconnut pas. Tout en prononçant la dernière syllabe, il plaça sa main droite sur le front de la femme.

Elle eut le souffle coupé et se recula comme pour éviter son contact. Puis elle tomba dans les pommes.

"Ca a fonctionné ?" demanda Séfu. "Elle va bien ?"

"Demandons-lui," dit Olhas. "Leyli, comment te sens-tu ? Comprends-tu ce qui t'est arrivé ?"

Elle écarquilla les yeux puis regarda ceux qui venaient de la sauver. Elle sauta sur ses pieds et lança ses bras autour de Séfu. "Je suis désolé !" pleura-t-elle. "Je suis désolé."

"Ce n'est rien," dit-il en lui tapotant le dos. "Je sais que tu n'avais pas tous tes esprits."

"Et les Capes Grises doivent le savoir eux aussi," dit Olhas. "S'ils comprennent que Domitian utilise de la magie pour réduire ses fidèles en esclavage, ils s'attaqueront à lui." Il sourit. "Plutôt que de nous arrêter ton frère et moi pour avoir pénétré dans sa maison et tué son chien."

"Mais je ne sais pas si les Capes Grises peuvent l'arrêter," dit Leyli. "Je ne sais pas si qui que ce soit peut y arriver."

"Je peux comprendre pourquoi l'homme te semble si puissant," dit Olhas, "mais…"

"Tu ne comprends pas," dit Leyli. "Ce n'est pas un homme. Je le sais parce que, parfois, il me laissait le voir comme il est vraiment, pour vraiment me terrifier, puis il me faisait oublier par la suite."

Séfu fronça les sourcils. "Alors, qu'est-il vraiment ?"

"Un démon ! Il a deux têtes, deux têtes de chat et ses mains sont à l'envers, comme si elles avaient pivoté au niveau de ses poignets."

"C'est pour ça que nous avons entendu deux voix hurler," dit Séfu. Il était malade rien qu'à imaginer la créature décrite par Leyli en train de s'imposer à la femme que le demi-orque avait emmenée dans sa chambre à coucher.

"Oui," dit Olhas. "Mais il n'est pas vraiment un démon, c'est un rakshasa."

"Un quoi ?"

"Un esprit mauvais qui a pris corps," dit l'aquatique. "Une espèce qui prend un malsain plaisir à humilier et à profaner les gens. Les mains à l'envers sont un signe qui ne trompe pas. Et, en fait, c'est une bonne chose. Les Capes grises n'aiment pas intervenir dans les affaires religieuses, même lorsque les dirigeants sont peu scrupuleux, mais ils n'hésiteront pas à…"

Et le monde disparut dans une explosion blanche.