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Retour à la page sur le lore de Golarion pour Pathfinder 2

La foule rassemblée devant le vaste précipice qui entoure la Cathédrale de la Pierre-Étoile était légèrement plus grande aujourd’hui que d’habitude. Des visiteurs provenant de tous les coins de Golarion s’arrêtaient chaque jour devant l’énorme fossé pour s’émerveiller à la vue de l’ancien édifice qui se dressait au centre, pour rêver de la pierre cachée derrière ses murs épais, ses pièges mortels et ses gardiens immortels. La légende disait que la Pierre-Étoile accordait un pouvoir incommensurable à toute personne qui touche sa surface cristalline et réussit l’épreuve spirituelle finale. Ceux qui réussissaient devenaient des dieux. Mais la plupart ne faisaient guère plus que de se tuer en tombant dans le gouffre à l’extérieur et, quant aux rares individus qui parvenaient à pénétrer dans la cathédrale, on n’entendait généralement plus parler d’eux.

En temps normal, chaque tentative effectuée par l’un des « candidats » attirait une large foule rassemblant tant des gens du coin que des visiteurs, tous curieux de voir si le futur dieu parviendrait au moins à traverser l’abime. L’événement se déroulait généralement dans une humeur légère, si on pouvait utiliser de tels mots quand quelqu’un risquait sa vie pour obtenir l’immortalité, mais cela pouvait devenir fort chaotique en l’espace d’une seconde, si la foule s’unissait pour exister que le pauvre être se presse de faire face au danger. Dans tous les cas, c’était bon pour le commerce, pour ceux d’entre nous qui tenaient des échoppes dans la Cour de l’Ascension et y vendaient des bonbons sucrés et du vin glacé.

Mais pas aujourd’hui.

Aujourd’hui, c’était soi-disant la quatrième tentative pour Dyrani d’après les prophéties, et le commerce n’allait vraiment pas bon train.

Sa première tentative s’était déroulée presqu’un an plus tôt. L’osirionnaise n’avait fréquenté l’Avenue des Espoirs que depuis quelques semaines à ce moment-là et, même si elle ne possédait pas un large groupe de supporteurs, elle attirait tout de même une belle foule désireuse d’entendre son histoire et de la voir réaliser sa tentative. Pendant plus d’une heure, elle parla de ses exploits, depuis le moment de sa naissance sous des auspices favorables jusqu’à la terrible tempête qui s’était abattue sur la petite maisonnette de ses parents et lui avait accordé certaines connexions avec les pluies et les inondations, les plantations et la terre. Les gens avaient écouté attentivement quand elle avait parlé de ses liens avec les récoltes et qu’elle avait dit qu’ils pouvaient compter sur elle pour amener la pluie aux fermiers en difficultés et garantir une saison de belles récoltes pour tous après son ascension. Ils l’avaient même vu planter une simple graine dans le sol et l’encourager à grandir. Mais, quand le moment fut venu pour elle de sauter, quelque chose avait changé. Elle regarda le gouffre et déclara que ce n’était pas le bon moment.

« La graine n’est pas encore prêtre à éclore, » avait-elle dit, ajoutant qu’une fois que la plante serait devenue mature, elle entreprendrait l’épreuve.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a eu quelques cris et insultes bien senties. Mais, malgré la déception, Dyrani avait tout de même bien profité du spectacle. Pendant les quelques mois qui avaient suivi, des fermiers, des jardiniers et des marchands de nourriture s’étaient mis à s’arrêter près de son étal rustique sur l’Avenue pour lui présenter leurs respects, à elle et à la plante qui poussait. Après tout, il n’y avait pas de mal à bien s’y prendre tôt, quand il s’agissait de se faire bien voir de nouveaux dieux. Même si seule une personne sur mille réussissait l’épreuve, ceux qui y parvenaient se souviendraient certainement de tous ceux qui avaient cru en eux dès le début. En ce qui me concerne, ça m’a permis de vendre à ses croyants pas mal de pains de la récolte et de thé à l’orange.



Dyrani avait même rassemblé quelques dévots pour l’aider dans ses préparatifs. Elle avait oint chacun d’eux au cours d’une cérémonie formelle, leur attribuant des titres tels que Haut-prêtre des Pluies, Haute-Prêtresse des Plantations et Haut-Prêtre de la Récolte respectivement. Ils étaient plutôt inoffensifs, avec les chapeaux ridicules dont ils s’affublaient et les annonces qu’ils émettaient à propos du temps. La plupart des futurs dieux attiraient quelques idiots désespérés, même quand ils n'avaient rien d’autre à offrir que de vagues promesses à propos du futur. Le sentiment d’importance et d’appartenance était souvent suffisant pour eux. L’avenue était régulièrement encombrée de ces ouailles occupées à crier des édits et à faire du prosélytisme pour leur divinité encore bien mortelle. Ce n’était pas du tout mauvais pour le commerce. La plupart des visiteurs venaient uniquement pour admirer ce spectacle, même s’il n’y avait pas de tentatives ce jour-là. Certains de mes meilleurs jours de vente pour les pâtisseries sucrées étaient ceux qui avaient suivi une bonne bagarre entre les hauts-prêtres de certaines de ces futures religions. Personne ne gagne… sauf nous.

La seconde tentative était prévue un peu plus tard cet été-là. À ce moment-là, Dyrani avait rassemblé une large foule de suivants et il y avait un festival qui se tenait dans le Grand Bazaar, de sorte que la ville regorgeait de visiteurs. L’Avenue et la Cour étaient bourrées de gens et bon nombre d’entre eux se mirent à boire et à chanter pour Dyrani juste peu après le lever du soleil. Ses Hauts-Prêtres étaient présents, naturellement, et ils récoltaient des aumônes dans de vastes cornets en paille. Dès le moment où je les ai vus, j’ai su que ça n’allait pas encore être pour ce jour-là. Les candidats ne vont pas jusqu’à tenter l’épreuve quand l’argent coule à flot. Il y avait encore bien de temps à gagner. Plus tard ce jour-là, la Haute-Prêtresse des Plantations annonça que Dyrani avait lu dans des feuilles de thé (provenant de mon étal en plus) que le meilleur moment pour passer l’épreuve serait à la fin de la récolte, de sorte qu’elle puisse démontrer son utilité à tous les autres dieux et faire de la récolte de cette année une réussite sans pareil. Heureusement pour la divinité des récoltes, un autre candidat fit une tentative plus tard cet après-midi-là, hurlant tout le long de sa chute dans le vide. Je pense qu’il voulait être le dieu des poissons ou un truc insensé du genre.

Au cours des mois qui suivirent, l’apparence de Dyrani changea considérablement. Fini les robes en laine pour elle ; elle portait désormais de la soie élégante brodée d’épis de blé dorés. Sa couronne de vignes tout simple avait été remplacée par une tiare de feuilles en or ornées de gemmes et elle portait désormais une grande faux en argent, de sorte que tous puissent savoir que la déesse de la récolte était proche. Les derniers mois avaient été bons pour elle et ses suivants : les donations affluaient, de la part des visiteurs et des habitants du coin. Mais, alors que la fin de la saison des récoltes s’approchait, des signes de stress se mirent à apparaître.

Le Haut-Prêtre des Pluies partit une après-midi, après un débat houleux à propos de la future tentative. Je pense que je l’ai vu s’arrêter au bout de l’avenue et se mettre à vénérer un autre de ces candidats perpétuels. La Haute-Prêtresse des Plantations arrêta de parcourir les rues à la recherche de donations après qu’un gang local ait volé son cornet. Seul le Haut-Prêtre des Récoltes resta loyal et continua à faire ce qu’on lui demandait, mais c’était un zélote qui avait perdu sa famille tout entière lors d’une famine quelques années plus tôt. Je n’aurais pas été surpris s’il avait sauté dans la fosse juste après Dyrani le jour venu.

Quand la récolte vint finalement, la foule était de belle taille, mais il était clair que la plupart des gens présents ne pensaient pas que Dyrani irait jusqu’au bout. Tous furent bien surpris quand la plante sacrée fut dévoilée. Elle était fanée et brune. Déçue, Dyrani annula la tentative, blâmant un sabotage par des agents d’Urgathoa qui avaient peur de voir l’ascension d’une divinité aussi puissante qu’elle. Les cris de désapprobation furent certains des plus bruyants que je n’ai jamais entendus. Quasiment tous ses fidèles la quittèrent au cours des jours qui suivirent, emportant avec eux ses beaux habits et pillant son trésor.

L’hiver qui a suivi a été difficile pour la soi-disant déesse. Au printemps, il n’y avait plus qu’elle et le Haut-Prêtre des récoltes. Leurs habits étaient tachés, et la faux en argent, ternie.

Et tout cela nous amène jusqu’à aujourd’hui. Mon échoppe se situe près du bout de l’Avenue, juste en face du vaste gouffre qui entoure la Cathédrale. Le spectacle est quasiment terminé. Dyrani s’est avancée jusqu’au bord. Il n’y a pas de cri d’encouragement, pas de chants, juste le silence et le bruit du vent. Au moment où les nuages s’écartent, un rayon de lumière illumine la jeune femme. Elle semble épuisée – c’est le cas de la plupart des gens après un long voyage pour parcourir toute l’Avenue. Elle regarde en l’air, en direction du soleil, sa chaleur s’étendant sur elle, puis elle fait un pas en avant, dans le vide…


Cette page est la traduction d'un récit publié sur le blog de Paizo à l'adresse https://paizo.com/community/blog/v5748dyo6shzv et écrit par Jason Bulmahn.