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Retour à la page sur le lore de Golarion pour Pathfinder 2

Je me souviens des années difficiles. Des longues saisons qui n’en finissaient pas, où la lumière du soleil était rare et les nuits affamées arrivaient bien trop vite. Je me souviens des rites et des chants, quand nous laissions reposer nos morts les uns après les autres et que nous étions contraints de continuer à avancer sans cesse. Les parents, les enfants, les animaux, les amis… personne n’était à l’abri à l’époque où nous nous engagions sur de nouvelles voies et où nous établissions les fondations de nos nouvelles vies.

Ce soir, dans l’ombre de ces grandes montagnes, je partage avec vous une histoire d’un autre temps. En ce temps-là, vos grands-parents étaient de petits bébés qui braillaient ; j’ai même chanté des berceuses à certains d’entre eux, hé hé ! Et, au lieu d’un esprit affuté de voyant, j’avais la force et le talent d’un chasseur.

En ce temps-là, j’étais un jeune homme, et pas Grand-père Eiwa. Oh oui, et j’étais un archer doué ! Avec le silence d’un grand félin, je suivais mes proies. Avec un œil aussi vif que celui du faucon, je surveillais notre tribu. Avec la patience du mammouth, je savais comment rester immobile, et comment frapper avec toute la force que je possédais.

Mais ce que je ne savais pas, c’est quand faire l’un ou l’autre. Parfois, une action motivée par de bonnes intentions cause plus de problèmes qu’autre chose.

Suivez-moi dans ce voyage et voyez les choses comme elles étaient. La période de l’année était proche de la même saison dont nous bénéficions maintenant, quand les jours lumineux commencent à peine à s’allonger un peu plus que les ténèbres, et que la neige se met enfin à fondre. Autour de nos pieds, les pistes devenaient boueuses et difficiles à parcourir, mais les jours devenaient de plus en plus clairs et avec eux revenait l’espoir.

C’était l’époque de l’année que je préférais. La vivacité du ciel bleu était une amie bienvenue. Avez-vous déjà remarqué comme le ciel ne semble jamais aussi clair, aussi vif, que pendant la fonte des neiges ? Ces jours-ci, les saisons plus chaudes me sont plus confortables, mais j’apprécierai toujours le retour de la glorieuse lumière du jour quand elle chasse les hivers difficiles.

En ce temps-là, cela ne faisait que quelques années que nous avions commencé à établir les routes que nous utilisons chaque année de nos jours. Notre troupeau et notre tribu étaient encore peu nombreux ; nous avions à peine commencé à recruter d’autres personnes dans notre tribu et à leur enseigner les habitudes des Défenses Brisées. J’était un jeune homme, peut-être juste un peu plus âgé que certains d’entre vous aujourd’hui. J’étais déjà un adulte aux yeux de la tribu, mais suffisamment jeune pour avoir une envie débordante de prouver ma valeur.

Ma tâche, ce jour-là, consistait à partir en éclaireur devant la tribu. Je devais apprendre quelles créatures s’étaient réveillées de leur sommeil, déterminer quelles étendues herbeuses étaient apparues de sous les neiges et m’assurer que le prochain lieu de repos du troupeau ne cachait aucun prédateur ni autre danger.

Je n’avais aucun partenaire qui m’accompagnait à l’exception d’Isul, mon ami bien-aimé, mon chevaucheur des airs. Un faucon magnifique. Comme lui aussi était impatient de partir en exploration, je l’ai encouragé à le faire. C’était exaltant de partir en éclaireur, seul, tout en sachant qu’Isul n’était pas très loin.

En me frayant prudemment un passage le long des herbes qui apparaissaient et des flaques de neige fondue qui parsemaient le sol, j’étais arrivé à un passage menant vers un fleuve peu profond. J’étais bouleversé par sa beauté et je ressentais la fierté gonfler en moi ; ça ferait un lieu de repos parfait pour le troupeau.

Dans mon excitation, je n’avais pas été suffisamment attentif. Et, quand je me suis approché, je n’ai aperçu que trop tard la créature géante qui était déjà occupée à explorer les eaux.

Je me figeai sur place, me contentant d’observer et d’attendre. Espérant que l’impressionnant ours soit plus intéressé par la pèche que par moi. Pour le moment, il semblait ignorer ma présence.

J’aurais dû laisser les choses en l’état et revenir pour faire mon rapport aux autres. Mais une pensée traversa mon esprit : comme ce serait fantastique de revenir non seulement pour parler de ce magnifique lieu de repos, mais aussi de couronner cet exploit avec un autre, un ours au poil grisonnant déjà vaincu pour nourrir notre peuple !

Je vois déjà certains d’entre vous secouer la tête à cette pensée. Et vous avez bien raison. Vous savez bien qu’il ne faut jamais être seul pour chasser un ours.

Mais j’étais convaincu que je n’étais pas seul. Je pouvais faire appel à Isul et, ensemble, nous pourrions faire face à n’importe quoi. Et plus j’y réfléchissais et plus je me persuadais que c’était la meilleure chose à faire. La nourriture était rare après tout, et cette créature massive pourrait en fournir une belle quantité.

Je m’accroupis dans la rive boueuse et commença à préparer mon arc. Mais que je relevai le regard, je vis que le grand animal me chargeait, alors que je n’étais pas prêt.

Il m’avait vu. Ma présence l’avait effrayé et, tout à coup, je me rendais compte à quel point j’étais seul. En l’espace de quelques secondes, de nombreuses pensées traversèrent mon esprit : où est Isul ? Je ne peux pas courir plus vite que l’ours. Je n’ai pas le temps de tirer plus d’une flèche. J’aurais dû attendre. Ancêtres, permettez-moi de survivre à ceci et je ne referai plus jamais la même erreur !

L’ours brun bondit vers moi puis s’arrêta net en abattant puissamment ses pattes avant sur le sol. Il grogna dans ma direction et fit claquer ses dents. Je commençai à reculer tout doucement, espérant que l’animal n’allait pas charger à nouveau.

Mais il le fit. Il se propulsa en avant en utilisant le même langage corporel mais, cette fois-ci, le coup fit mouche et m’envoya en arrière dans la boue. La panique se saisit de moi. Je savais que ma meilleure chance de survivre à ce moment-là était de feindre la mort. Je me roulai immédiatement sur mon estomac et j’enveloppai ma tête et mon cou dans mes bras. Ma hanche me faisait horriblement souffrir, à l’endroit où l’ours m’avait frappé, mais au moins mon instinct était correct. Avec un coup puissant qui fit remuer la boue, il frappa à nouveau… mais pas sur moi.

Je ne pouvais pas le voir mais, dans mon esprit, il n’était qu’à quelques centimètres de moi. Faites qu’il s’arrête là, me mis-je à prier. Faites qu’il s’en aille…

Mais il ne s’arrêta pas là. Il ne s’en alla pas.

Je sentis l’air quitter mes poumons quand son museau vint creuser en-dessous de mon flanc, tentant de me renverser. Toutes les parties de mon corps voulaient que je gémisse, et que je fuie. Non, ne fuis pas, car ça va l’inciter à te pourchasser ! Il m’a fallu rassembler toute mes forces pour garder mon estomac contre le sol, garder mes bras en protection autour de ma tête et de mon cou.

Il a sans doute dû se sentir aussi frustré que moi parce que, juste après, je sentis son museau à nouveau au niveau de ma hanche, et de puissantes griffes s’enfoncer dans ma jambe. Je me sentis très léger pendant un moment, puis une douleur écrasante sur tout l’avant de mon corps et un jet d’eau glacial au-dessus de mes épaules. J’eus à peine le temps de soulever ma tête et de prendre une respiration avant de continuer à faire le mort à nouveau. Il m’a lancé dans l’eau !

À travers la panique et le bruit de l’eau qui recouvrait mes oreilles, il m’a fallu un bon moment avant de réaliser deux choses importantes. Tout d’abord, malgré la douleur, j’étais encore en vie. Ensuite, mes hanches touchaient encore le sol. Je n’étais pas trop loin sous l’eau.

Mais l’ours était encore là ! Je retins ma respiration, sentit un nouveau contact, cette fois-ci à ma cheville. Laisse-moi en paix, suppliai-je, restant aussi immobile que possible, à moitié dans l’eau, mes poumons se mettant à brûler. Va trouver quelque chose d’autre, et rapidement, avant que faire le mort ne devienne être mort !

Je ne ressentis rien d’autre. Je savais que j’avais tout intérêt à ne pas bouger avant que l’ours ne soit parti depuis un moment. Mais mes poumons, à bout de souffle, n’en pouvaient plus de recycler la même respiration. Mon corps n’était que douleur causée par les griffes et la terre. Je devais bouger, c’était ma dernière chance pour survivre ; et, en même temps, si je bougeais alors que l’ours était encore tout près, c’était une mort certaine !

J’attendis. Et attendis encore.

Je ne ressentis plus son contact.

Je dois… attendre…

Attendre.

Attendre.

J’AI BESOIN D’AIR.

Je tournai la tête juste assez pour prendre une respiration et ouvrir un œil, et j’en fus récompensé. Car l’ours s’était dressé et avait donné un coup de pattes en direction d’une vague silhouette qui se déplaçait rapidement, des plumes sombres autour d’yeux vifs. Isul était revenu ! Mon ami bien aimé plongeait en direction de l’ours, pour le distraire et l’éloigner de moi !

Je me redressai, en position assise, avalant goulûment de l’air et scrutant frénétiquement les alentours à la recherche de mon arc. Là-bas ! Au bord de l’eau ! Je plongeai vers lui malgré ma douleur et vis, plutôt que ressentis, ma main se refermer autour de lui. Mon autre main tâtonna pour sortir une flèche de mon fourreau et, avec horreur, je me rendis compte qu’il ne m’en restait plus qu’une. Les autres étaient tombées quand l’ours m’avait lancé dans les airs.



Je devais faire compter ce tir. Je produisis un sifflement sec, un signal pour Isul. Mon ami faucon répondit immédiatement, ce dont je n’avais jamais douté. Il fit un cercle autour de la tête de l’ours, emmenant la grande créature juste à bonne distance. Dans un moment, il ferait un autre cercle pour que l’ours expose son torse et son épaule dans ma direction.

C’est très difficile de tirer précisément dans le cœur d’un ours, tout particulièrement quand il est déjà énervé. Mais Isul était bien entraîné et nous avions chassé ensemble à de nombreuses reprises. Cette partie-là, au moins, s’avéra être un moment de perfection dans une situation qui, par ailleurs, l’était bien moins. Isul pivota. L’ours se retourna. Pendant un court instant figé, nos regards se croisèrent, à l’ours et à moi. Et puis, avec plus de précision que jamais, je laissai partir la flèche.

Le projectile fila en ligne droite et j’observai avec soulagement la projection de sang caractéristique, le spasme musculaire correspondant au moment où l’animal décide de fuir ou de combattre… puis il s’effondra.

Il me fallut de longs moments pour rassembler le courage d’aller vérifier que l’ours était bien mort. Mais c’était le cas. Je renvoyai Isul vers la tribu avec un message demandant de l’aide. Cela ne s’était pas déroulé tout à fait comme je l’avais imaginé ; la tribu allait devoir me venir en aide aussi, et pas seulement s’occuper de l’ours.

Et, en vrai, ma tribu, c’est la leçon la plus importante que je peux vous donner, sur base de l’histoire de ce soir : c’est quand nous travaillons ensemble que nous accomplissons le plus. Nous devons apprendre à demander de l’aide et à accepter l’aide quand nous en avons besoin. Mes intentions étaient bonnes, mais c’était un choix stupide qui a failli me coûter la vie, et a failli coûter à la tribu l’un de ses chasseurs. Chaque vie perdue nous rend plus faibles, tout comme chaque ajout à la tribu nous rend plus forts.

Ce soir, je vous vois tous rassemblés avec moi, écoutant et apprenant nos coutumes, vous honorant les uns les autres et honorant ceux qui sont venus avant vous. Je vous vois rassemblés, peuples de toutes formes, de toutes tailles, et mon cœur est content. Le fait de vous compter parmi nous nous rend plus fort.

Cette nuit, je célèbre votre présence, Défenses Brisées. Et je sais que vous affronterez avec courage tous les défis qui se dresseront devant nous.


Cette page est la traduction d'un récit publié sur le blog de Paizo à l'adresse https://paizo.com/community/blog/v5748dyo6shxz?Quest-For-The-Frozen-Flame-Eiwas-Lesson et écrit par Rachael Cruz.