Le calme avant la tempête

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« … et, de la part du village de Mua’bri, j’apporte un chaudron en faïence encerclé d’éclairs et recouvert de poussière d’or que les potiers de ce village offrent à votre majesté afin que leur travail puisse être remémoré à tout jamais … »

Kwibha écoutait le Premier Porte-parole des Gardes-dragons (Dragon Wardens) d’une oreille distraite, son attention plutôt portée sur comment se réchauffer. La tradition voulait que ces négociations annuelles se tiennent sur le plateau au sommet de cette montagne juste de l’autre côté de la vallée, en face de la ville de Pic-des-nuages (Cloudspire). L’air était si froid que le souffle de Kwibha formait de la brume à chacune de ses respirations. Sa défunte sœur Jhirabi, qui avait commencé son entraînement pour devenir garde-dragon, prétendait que l’emplacement avait été choisi parce qu’il n’y avait guère d’autres endroits où il était possible de dialoguer avec une demi-douzaine de dragons, mais Kwibha n’était pas grossier au point de le dire tout haut.

« … la troisième fille de mon enfant-pluie est prête à quitter le nid. Le temps est venu pour elle de posséder son propre territoire, son propre trésor et sa propre demeure au sommet d’un bon arbre. Cet arbre frappé par l’éclair, situé juste à côté de Mua’bri, existe-t-il toujours ? »

L’espace d’un instant, Kwibha imagina un groupe de robustes fermiers nains aux visages sévères et en armures lourdes accompagné par d’un bébé dragon capricieux de la taille d’une brebis. Les fermiers auraient certainement été les plus dangereux des deux. Mais il fallait bien commencer quelque part, et c’était grâce à ces échanges formels de cadeaux, de territoires et de protection mutuelle que le partenariat entre les nains et les dragons des nuages avait pu être construit.



Une autre heure passa, puis encore une autre et une troisième, et Kwibha sentait le froid durcir le foulard autour de son cou. La neige grogna sous ses pieds quand il changea de position. Et les dragons et le Premier Porte-parole des Gardes-dragons étaient encore occupés à parler. Kwibha jeta un coup d’œil de côté vers le Premier Porte-parole. Khirabi avait dit qu’ils étaient choisis autant pour leur endurance que pour leurs talents diplomatiques.

Et puis ce fut le moment.

« Nobles rois, » dit le Premier Porte-parole, car tous les dragons reçoivent le titre de rois, « je vous présente le Second Porte-parole Kwibha des Ensanglantés (Bloodmarked). »

C’était le signal que Kwibha attendait. Le nain s’avança, rassemblant toute la dignité qu’il possédait. Aux yeux de n’importe quel autre nain, Kwibha était une personne importante, avec son kaftan en cachemire aux broderies dorées, son épée au pommeau d’ambre et le ruban écarlate qui ceignait son front. Il espérait que les dragons seraient pareillement impressionnés.

« Nobles rois des cieux et des nuages, vénérés ancêtres de la tempête, vous dont la colère est l’éclair et la grâce est la pluie qui suit une longue sécheresse, » résonna la voix de Kwibha à travers les sommets montagneux, ajustée pour porter jusqu’aux oreilles des grandes créatures rassemblées devant lui, « j’apporte une offrande du roi Thabsing de K’Lereng, appelé l’Œil Sanglant. »

« Et quelle est cette offrande, Second Porte-parole ? » murmura l’un des dragons dont la voix était comme la brume, douce mais impossible à éviter. « Nous avons déjà eu vent de ses plans de guerre et nous ne sommes guère intéressés par eux. »

« Aujourd’hui, il ne propose pas la guerre mais la justice ; pas le combat, mais l’exécution, » répondit Kwibha sur un ton doux. Il leva une main, adoptant la posture traditionnelle des orateurs. « Sachez ceci, nobles rois. Le dernier jour de la saison sèche, dans la ville-pirate de Baie-sanglante (Bloodcove) où ils fêtent le jour des tempêtes, se tiendra une grande mise aux enchères de trésors provenant des terres de Lirgen. La majorité du Conseil des pirates des Entraves devrait y être présente, et nous avons entendu dire que la Reine des Ouragans en personne, Tessa Fairwind, sera présente. »

« Et comment sais-tu que cela va se produire, Second Porte-parole ? » un autre dragon des nuages demanda d’une voix qui retentit comme le tonnerre à travers les sommets montagneux, transformant quelques glissements de neige mineurs en petites avalanches.

Kwibha avait espéré qu’ils lui poseraient cette question. D’un geste ample, il tendit son bras et s’inclina de manière courtoise devant l’assemblée draconique. « Je le sais, nobles rois, parce que je mènerai les enchères personnellement. »

Sa réponse captura l’attention des dragons, ainsi que l’attention des Guardes-dragons d’ailleurs. Kwibha s’autorisa un léger sourire. Cela lui avait pris quasiment deux années pour rencontrer les bonnes personnes, pour rencontrer pirate après pirate dans cette ville nauséabonde. Le roi Thabsing avait fourni les artefacts lirgénis – il ne savait pas trop d’où ils provenaient – mais c’était grâce au travail de Kwibha que les choses s’étaient mises en place. Baie-sanglante était un endroit bien différent de la citadelle de Pic-des-Nuages, bien ordonnée et harmonieuse : c’était un lieu de violence, d’avidité et de promesses brisées, mais des nains y vivaient aussi. Des marchands, pour la plupart, prêts à acheter les biens volés par les pirates et à les renvoyer vers Mbe’ke, mais également quelques commerçants sans grâce prêts à faire affaire avec les ennemis des Mbe’ke. Kwibha avait prétendu être l’un de ceux-là, et il ne savait pas s’il allait être capable de jamais laver cette souillure.

« Les Capitaines Libres ne sont pas stupides : ils s’attendent à des coups en traître, » continua Kwibha en profitant du silence qui s’ensuivit. « Mais ils pensent qu’ils viendront des autres Capitaines Libres ou de moi. Leurs navires seront ancrés au port, leurs marins occupés à batifoler et leurs mages du climat, aux côtés des capitaines pour les protéger. Les vaisseaux seront pour ainsi dire sans défense face à une tempête soudaine, honorables seigneurs des éclairs, » Kwibha s’interrompit avant d’ajouter le dernier argument, « et ils seront pleins à craquer des trésors accumulés au cours d’une saison entière de piratage. »

« Tes paroles sont intrigantes, Second Porte-parole, » dit l’aîné des dragons d’une voix qui craquelait comme le froid. « Nous allons les considérer et nous donnerons réponse dans trois jours. »

« Une question, Émissaire des Ensanglantés, » dit un dragon plus jeune tout en se penchant en avant de sorte que Kwibha pouvait voir les cicatrices récentes sur sa corne, « Le plan de ton roi conduira à la destruction des navires, mais qu’en est-il des pirates eux-mêmes ? »

« Un pirate sans un navire, vénérés rois, est comme une tortue sans carapace, » dit Kwibha, son sourire plus froid que la neige des montagnes. « Une fois le Conseil des pirates piégé à Baie-Sanglante, il suffira que le roi Thabsing fasse descendre ses armées des montagnes pour s’emparer de la ville. Ensuite, ils auront droit à un procès, et nous pendrons ces corsaires aux arbres et aux montants des portes. »

Et, à ce moment-là, Jhirabi, tu seras enfin vengée.




Cette page est la traduction d'un récit publié sur le blog de Paizo à l'adressse https://paizo.com/community/blog/v5748dyo6shql?Tales-of-Lost-Omens-The-Calm-Before-the-Storm et écrit par Mikhail Rekun.