Habitué à la vie en nature, Kuma se réveilla immédiatement lorsqu'il perçu un bruit différent du bruissement des feuilles dans le vent ou de la faune lointaine. Il ouvrit les yeux pour voir Liling se lever silencieusement et s'éloigner d'un pas léger. Il se leva à son tour sans bruit... Il ne savait pas trop pourquoi, mais son instinct le poussait à protéger le groupe et en ce moment précis, la jeune salamandre amputée s'éloignant du campement dans la nuit était sans nulle doute le membre le plus fragile de leur tribu.

Il resta en retrait, ne voulant pas, dans un premier temps, perturber la jeune fille, elle souffrait déjà assez de la perte de son art via son membre manquant, inutile de lui expliquer en long et en large qu'elle n'était peut-être plus à même de se défendre seule.

Kuma observa donc la scène étrange prendre place devant lui.

Daikitsu, la Dame aux renards

La nuit se figea et Kuma n'aurait su dire combien de temps s'était écoulé quand les renards se dispersèrent finalement, disparaissant dans les ombres de la forêt. Liling, comme si rien ne s'était passé, retourna vers le campement avec la même démarche de somnanbule, sans vraiment prêter attention à ce qui se déroulait autour d'elle. Elle ne remarqua pas Kuma, mais le nain doutait qu'elle ait pu le voir même s'il n'avait fait aucun effort de discrétion. La salamandre avait l'air complètement séparée de la réalité qui l'entourait.

Liling regagna lentement le camp, et se pelotonna sous ses couvertures, Luwei venant se nicher près de son cou pour trouver un peu de chaleur.

Et bien et bien ? Que de réactions... Entre la jeune donzelle perdue, celui qui s'inquiétait pour les siens et celui qui ne savais pas trop ou donner de la tête... Il y avait de quoi faire.

Bon. D'un autre côté mieux valait qu'elle craque maintenant que dans quelques jours quand elle aurait suffisamment d'informations pour que ce genre de réaction puisse porter à conséquences... Erynith laisse passer un instant de silence avant de prendre la parole...

« Il y a un dicton par chez nous qui dit que la mort est aussi légère qu'une plume et la vie aussi lourde qu'une montagne... Ceux qui vivent portent sur leurs épaules la mémoire des morts. Pense tu réellement que Mianshan ne mérite que l'oubli ? Et ceux qui y vivaient ? »

La chasseresse fixe la salamandre pendant quelques instants avant de conclure :

« A toi de voir. Si tu meurt alors tu aura eu raison : elles auront gagné et t'auront tout pris. Autrement... et bien tu es bonne pour te trimbaler cette montagne. »

Pas spécialement de jugement dans sa voix : en ce qui la concernait, Liling pouvait choisir une option ou bien l'autre sans qu'elle lui en tienne rigueur. Elle se tourne vers Fai :

« Bon. Tu peux nous donner le nom d'une auberge pas trop loin de chez toi ? Ca nous fait un point de chute pour se retrouver et si au final tu as moyen de nous héberger on n'aura pas besoin d'y prendre de chambre. »

S'il avait pu l'espace d'un instant partager les pensées de Lyn, le sylphe serait demeuré interloqué et se serait longuement questionné sur ce qui avait pu l'amener à cette conclusion. Car s'il s'accordait pour imaginer Liling et Kuma dans le même état d'esprit... son cas et celui d'Eri lui semblaient diametralement opposé aux ideaux innocents des deux premiers...

Au point qu'il partageait sans doute bien plus avec les elfes qu'avec la salamandre ou le nain. En tout cas, s'il s'appretait à répondre à l'Arpenteuse, la réaction de Liling lui fit lever un sourcil avant qu'il ne se souvienne que la forgeronne n'était, malgré ce qu'ils venaient de traverser, qu'une enfant. Il soupira. Bon, au moins elle acceptait de pleurer, c'était aussi bien que ça arrive maintenant. Il fallait bien que le traumatisme finisse par sortir et... ils verraient après ça si elle était définitivement brisée ou si elle parviendrait à se reforger. Mais ce n'était pas quelque chose qu'ils pouvaient faire à sa place.

La bonne nouvelle c'est qu'Erynith puis Kuma tentaient eux de l'aider à traverser ce précipice. Sans doute mieux que s'il avait du intervenir... Ce n'était pas parce qu'elle était une enfant qu'elle pouvait encore se permettre d'être considérée comme telle. Et il n'était pas de ceux qui encourageaient à se vautrer dans les regrets.

« Le Dok champa. Leur cuisine est plutôt bonne et s'il est bondé en périodes de foire, il devrait y avoir de la place. »

Répondit il d'un ton neutre, surveillant les réactions de liling du coin de l'oeil.

Mianshan

Liling s'était recroquevillée sur elle même, comme si elle tentait d'échapper à ce qui l'entourait, mais même en serrant son bras autour de ses genoux, son membre manquant l'empêchait de se dissimuler entièrement - un nouveau rappel que sa blessure ne s'effacerait pas. Le seul oeil visible de l'hanzaki était voilé par les larmes, pupille si dilatée par l'humidité qu'elle ressemblait presque à un abysse béant, dévorant l'étincelle qui dansait d'ordinaire dans le regard de Liling.

Elle ne réagit pas vraiment aux paroles de ses compagnons, trop consumée par le deuil et la douleur pour que les mots de l'atteigne. Mais quelque chose avait du faire mouche...Liling tressailli, luttant avec des paroles inadéquates pour expliquer ce qu'elle ressentait. En désespoir de cause, elle se raccrocha aux dernières paroles de Lyn.
« Une braise... »

Le pire de la tourmente semblait passé, et quelque chose d'indéfinissable s'était peint sur les traits de la salamandre. Liling hésita, et frissonna de tout son corps.
« Peut-être...peut-être que je peux encore faire quelque chose. Et porter la mémoire de Mianshan avec moi. Je... »

Elle soupira profondément, et se leva, lentement, mais ses gestes étaient plus assurés qu'ils ne l'avaient été depuis longtemps.
« J'ai besoin d'être seule. »

Liling hésita un instant de plus, mais ne su pas trouver quoi ajouter. Elle ne s'éloigna pas beaucoup laissant les autres survivants à leur conversation pour aller rassembler du bois. Quelques minutes plus tard, elle avait allumé un brasero au pied de la statue de Daikitsu, et s'était agenouillée devant l'effigie de pierre, murmurant, peut être pour la première fois depuis qu'ils l'avaient rencontré, une prière.

Quand le sommeil tomba sur eux, et qu'une pluie fine se mit à tomber sur la vallée de Taiyang, Liling priait toujours.

Thème - Liling Roseau-Rouge


Au milieu de la nuit, un tintement retentit. Puis un autre. Régulier, comme le battement d'un coeur métallique, l'acier chantait dans l'obscurité. Au pied de la statue de Daikitsu étincelait la lueur d'une forge improvisée. Liling, plus que jamais concentrée sur son ouvrage, se servait de l'autel comme d'une enclume, son marteau tintant contre le métal qu'elle pliait à sa volonté. Si elle avait remarqué le groupe de renards qui s'était rassemblés autour de l'autel, elle ne paraissait pas s'en préoccuper.

Un sifflement retentit lorsqu'elle plongea le métal brûlant dans une vasque d'eau de pluie, la vapeur venant se mêler à la fumée, voilant la scène et donnant un instant l'impression que les esprits de la forge s'étaient joints à la hanzaki pour l'aider dans son ouvrage. La nuit avançait, mais Liling paraissait infatigable, aveugle à tout ce qui n'était pas son oeuvre. Il n'y avait plus trace de la maladresse et des déséquilibres causés par son membre manquant, ses gestes étaient assurés, et elle travaillait sans relâche, patiemment, avec une économie de gestes qui trahissait tout juste l'énergie bouillonnant juste sous la surface. Des silhouettes indistinctes dansaient, fugitives, dans la fumée et la vapeur, guidant son bras.

Le premier rayon de l'aube effleura le temple et Liling serra les mâchoires, n'hésitant qu'une infime fraction de seconde avant d'apposer la gaine métallique encore rougeoyante sur le moignon de son bras. Peut être était-ce la bénédiction de la Dame aux Renards, les sceaux de prière aposés sur la surface de métal et d'ivoire, ou une forme de magie infusée par Liling elle même, inconsciemment, dans sa création, mais il n'y eut ni douleur ni brûlure; la prothèse de bronze, d'acier et d'ivoire fusionnant sans mal avec la peau de la salamandre, comme la jointure d'une armure. Liling, encore captivée, inspira, et un à un, referma les doigts de sa nouvelle main; les articulations de métal laissant échapper quelques étincelles dansantes au gré de leurs mouvements.

Une voix qui n'était pas la sienne se fraya un chemin dans son esprit, et elle murmura inconsciemment les paroles qui résonnaient en elle.
« Tout artisan a besoin d'un outil...cela, je peux te le rendre, maintenant que tu as la volonté d'en user. Ce que tu forgeras avec est une décision qui te revient, fille des roseaux. »

Le soleil acheva de s'élever au dessus de l'horizon, et Liling tituba, prise de vertiges, avant de s'effondrer à genoux. Autour d'elle, il n'y avait plus trace des renards ou de la forge en dehors des quelques outils que Liling avait amené avec elle. Mais le bras de métal et d'ivoire, lui, était bien là, brûlant d'un feu intérieur, les sceaux de prière sur sa surface luisant par intermittence.

Agenouillée, l'artificière esquissa un sourire tremblant, ses membres lourds d'épuisements. Elle ouvrit la main et la referma de nouveau, incrédule.

Un écho retentit, un tintement qui se répercuta en chacun d'entre eux. La lame de Fai tinta, tout comme le carquois d'Eri; ou le sûtra enchassé dans la ceinture de Kuma. Lyn ressentit l'écho au fond d'elle même, dans le vide qui la tenaillait depuis leur retour du monde spirituel.

Modifié par un utilisateur mercredi 21 février 2024 22:52:31(UTC)  | Raison: Non indiquée