Les heures et les jours qui suivirent la destruction de la pierre de garde et la déroute de la horde des Abysses furent le théâtre d'une euphorie collective rare mais teintée de douleur. L'assaut sur Kenabres avait été d'une violence inouïe avec l'intervention directe d'un prince démon, mais surtout inattendue, au cœur de la capitale du Mendev, en plein festival. Un tel retournement de situation en l'espace de quelques jours avait été difficile à gérer pour nombre de résidents, d'autant plus pour ceux qui avaient été au contact des démons ou perdu directement des proches.

Hama, lui, s'en remettait très bien. Il portait depuis longtemps la cicatrice des croisades et le vide que les morts laissent dans le cœur. Tout cela avait certes été ravivé, les souvenirs chauffés à blanc par la découverte de la lame de Yaniel et les instants partagés avec Rob, qui avaient tous deux combattu au côté de sa mère et la douleur agrandie par la disparition de Terendelev, dont il avait pu percevoir - enfin - quelques minutes auparavant, un frisson de doute, d'humanité, derrière la façade brave et rayonnante de l'icône gardienne de la cité. Heureusement, il y avait des choses qui, elles, était toujours là. Son père et sa tante, pour commencer, avec qui il avait souhaité passer une bonne partie des derniers jours, pour écouter encore les histoires de la croisade précédente, également , pour essayer de comprendre ce qui forge résilience de ces femmes et ces hommes dans des temps si durs, de décortiquer la recette de l'espoir. Et de cette recherche, il s'ouvrait aussi aux autres, en écoutant leurs histoires plus lointaines, en prêtant une oreille attentive, et en partageant son point de vue évoluant petit à petit. Il passa aussi du temps avec l'église d'Iomedae, offrant son aide pour restaurer les lieux stratégiques de la ville, aider les délogés et aussi apporter un peu de réconfort avec l'état de sa conviction du moment. Mais il sentait bien que cette quête était loin d'être terminée, tout comme les peines du Mendev, de Sarkoris et du reste de Golarion tant que la Plaie ne serait pas fermée.

Acceptant cet état de fait, généralement tous les soirs à partir du coucher du soleil, il remettait les questions existentielles au lendemain matin pour savourer les plaisirs matériels de la bière, la nourriture consistante et la musique en se noyant dans les rires et pas de danse des tavernes improvisées. Ce soir là, la fête était d'autant plus savoureuse que tout le monde semblait rassemblé pour célébrer la victoire, Irabeth ouvrant le bal.

Il se frayait un chemin parmi la foule en saluant les têtes connues. Il tenait à échanger sur ses réflexions auprès de ses compagnons d'armes. Entendre de nouveaux souvenirs de Rob et Sinéad, découvrir l'état d'esprit sûrement inattendu mais rafraîchissant d'Ana sur la situation, disserter sans fin sur le sens de l'honneur et de l'accomplissement avec Cethisra, peut-être avoir droit à une info croustillante de Nurah si elle avait assez bu… Mais surtout, il voulait s'assurer de l'état de Morrigan, rudement secouée par la rencontre avec Minagho - ce qui n'avait rien de surprenant - mais dont il n'avait pas eu de nouvelles pendant ces trois jours alors qu'il s'était fait une telle joie de renouer des liens après quelques années de distance.

Lorsqu'il repéra la tignasse rousse depuis son point de vue surplombant la moyenne des fêtards, il joua des coudes pour aller l'alpaguer.

« Hé là petite sorcière de feu, content de voir que tu n'as pas oublié la base pour tenir dans ces conditions, » entama-t-il, moqueur, mais en tendant une seconde choppe à Morrigan. « Il me semble qu'on s'est quittés vite la dernière fois. J'espère que tu as pu encaisser tout ça, moi j'ai cogité pendant trois jours, mais je dois avouer que ce genre d'évènement aide à passer à autre chose ! »

Concentré sur sa réponse, il ouvrait néanmoins l'œil si un événement immanquable devait se produire ce soir au Cœur des défenseurs. L'ambiance irréelle y semblait propice.