Jalkune examina le cadavre, qui la fixait de ses orbites vides.
« Et bien, ils ont l'air humain, en tout cas, autant que des squelettes le peuvent! Mais c'est vrai que si ils pouvaient parler, ils nous apprendraient sans doute beaucoup. »

Lorsque Peter mentionna le réacteur, elle ne put s'empêcher d'écarquiller les yeux.
« Faire sauter le réacteur? C'est complètement...! »
Elle s'arrêta, considérant la situation. Finalement, le petit wyrwood avait quand même de bons arguments.
« Bon. Tu n'as peut être pas tort, si c'est bien Unité qui est derrière tout ça, lui laisser accès à cette source d'énergie est dangereux. Mais il y a peut être d'autres solutions que de le faire sauter. On pourrait le saboter, par exemple. Ca achèverait l'économie de la ville, mais ça ne tuerait personne, au moins. »
Elle ajouta en haussant les épaules.
« De toutes façons, c'est une question vide de sens pour l'instant. Tant que nous ne sommes pas retournés à Torche, pas moyen d'accéder au réacteur. Et d'ailleurs, Tarod, est ce que tu as un plan pour nettoyer le canyon? Parce que personellement, je suis incapable de tuer des spectres. Ou de les re-tuer, je suppose. D'ailleurs, est ce bien nécessaire? Nous avons récupéré tout ce qui pouvait l'être, non? »

Peter haussa les épaules devant la réaction véhémente de la demi-orque. Ce genre de problème moral ne le concernait pas pensait-il. Il préférait justement laisser de telles décisions à ceux qui étaient concernés, des humains par exemple. Il n'avait fait que dire tout haut la conclusion logique des informations recueillies. Il n'était pas surpris outre mesure que les vivants n'aient pas le cran de faire ce sacrifice. Il se tut, jugeant inutile de rappeler que la liberté s'achetait parfois par de nombreuses vies... ou consciences si on considérait les wyrwoods.

À la fin de ses explications, Tarod attendit, avec enthousiasme, les réactions de ses compagnons. Mais il n'en fut rien... Abattu et découragé, l'érudit baissa la tête. Il se redressa en entendant les suppositions de Peter sur Unité. Le varisien partageait son avis sur la question mais la solution proposée par le wyrwood le laissa interdit quelques secondes.

« J'avais fait part de cette hypothèse au reste du groupe quand tu explorais le Labyrinthe de Rouille. Et j'avais estimé que la Ligue ne parviendrait pas construire un lien entre Torche et Pluie d’Étoiles avant un certain temps. Il y a trop de facteurs perturbants pour qu'elle arrive rapidement à ses fins. - Il s'ébouriffa les cheveux - Faire exploser le générateur serait donc une action trop précipitée et dangereuse. Pour moi, elle n'est même pas à envisager. »

Tarod se tourna ensuite vers l'androïde et la demie-orque.

« Jalkune, il suffit de posséder une arme magique pour blesser les êtres intangibles comme les spectres. Et, il me semble, que tes cestes sont enchantés. Bon, tu ne feras pas autant de dégâts que s'il s'agissait d'êtres vivants mais... Cela devrait suffire. - Il porta son regard sur sa fille - Sinon, j'ai les capacités de conférer à Themilia le moyen de combattre de telles créatures et de la rendre insensible à l'énergie négative. »

« Concernant les morts-vivants qui hantent le canyon... Nous ne sommes pas sûrs de leur nature. Ça peut aussi bien être des spectres que des ombres par exemple. - Il se frotta le menton - En tous cas, je suis étonné qu'aucune de ces créatures soient venues à notre rencontre. Normalement, la vie les attire comme la lumière le fait pour les insectes. - Il marqua une pause - Nous pouvons en conclure que ces morts-vivants sont ; soit pas très nombreux, soit faibles. Voire les deux ! »

« Nettoyer le canyon, arrangerait Sarlat. Nous ne ferons, de toute façon, rien d'autre dans la journée. Autant exploiter nos ressources pour aider une de nos connaissances, non ? - Son regard inspecta la pièce où ils se trouvaient avant de murmurer pour lui même - Aucun appareil du module ne semble être à l'origine de la brume dehors... Dommage, cela nous aurait facilité la tâche. »

Ce n'est que deux semaines plus tard qu'ils quittèrent Gravats. Deux semaines durant lesquelles ils ne perdirent pas une minute.

Le canyon se révéla, tout compte fait, bien plus bénin qu'ils ne l'avaient cru au départ. Ce n'est que grâce à l'aide de Kosmos qu'ils réussirent à comprendre ce qui provoquait la brume persistente et ses murmures. Les âmes des membres de l'équipage n'étaient pas devenues des spectres et des fantômes, elles manquaient de consistance pour cela, mais elles persistaient, s'accrochaient au monde, et y maintenaient une fissure par laquelle filtrait de l'énergie négative, venue d'outreplan. Une cérémonie et des sépultures décentes pour les âmes perdues finit par calmer leur colère, sectionnant leur dernier lien avec ce plan, et leur permettant d'entamer leur voyage vers l'Ossuaire de Pharasma.
La brume se dissipa en quelques heures après cela, emportée par le vent, et révélant l'épave rouillée et cabossée comme le corps mutilé d'un léviathan.

Par la suite, ils allèrent chacun vaquer à leurs occupations. Peter et Divanya, aidés de temps à autre par Jalkune et Shirish, travaillaient d'arrache pied pour fabriquer un véritable arsenal d'artefacts et autre matériel ensorcelé, dont ils auraient sans aucun doute besoin pour retrouver Casandalee et affronter Unité. Le wyrwood était dur à la tâche, mais les trois autres avaient d'autres affaires à régler. Divanya saisit la moindre occasion pour achever d'emballer et de préparer son matériel, et leur expliqua également le fonctionnement de la chapelle: la fontaine de l'autel central, et le mur d'engrenages. Jalkune s'éclipsait régulièrement pour se rendre au Labyrinthe de Rouille, d'une part pour le rendre vivable et nettoyer ce qu'Hellion et ses sbires y avaient laissé, d'autre part, pour s'isoler et réfléchir. Elle semblait avoir du mal à comprendre les émotions qu'elle venait de découvrir, mais peu à peu, elle s'adaptait.

Tarod, quant à lui, passa son temps à essayer de leur trouver un endroit où s'installer. Il tenta bien de négocier avec Mikina pour essayer de savoir si ils pouvaient partager l'ancien repaire des Grimaçants, mais la gnome se contenta de lui rire au nez. Elle avait trouvé un endroit où travailler sans risquer qu'une explosion ne ravage les lieux, elle n'avait pas l'intention de le partager. Elle était très étrange, cependant, plus encore que lorsqu'ils s'étaient rencontrés pour la première fois. Il eut l'impression qu'elle n'était pas entièrement là...et à plusieurs reprises, elle passa à travers un mur comme si il n'existait pas. Quoiqu'il en soit, puisque la cohabitation paraissait impossible, ils durent se rabattre sur le Labyrinthe de Rouille. L'endroit avait clairement souffert, mais c'était réparable. En revanche, l'absence total de courant posait problème...ils durent se résoudre à arracher les portes, qui ne s'ouvraient plus, grâce à Jalkune, et Divanya les dépanna en utilisant le sortilège de Lumière éternelle, un peu partout. Le reste...ils devraient s'en arranger au fur et à mesure.

Mais Tarod ne s'arrêta pas là! En deux semaines, il écuma les rangs des désoeuvrés de Torche. Il y avait des talents à dénicher, ici, des esprits trop libres pour s'accommoder du règne conjoint de la Ligue et du Souverain noir. Plusieurs d'entre eux se révélèrent bien disposés, et acceptèrent de leur prêter main forte. D'une part, Tarod avait une personnalité véritablement charismatique. Malgré son allure de lettré, il se détachait au milieu de la population de Gravats. Les gens décelaient en lui un leader. D'autre part, quelques uns des assistants qu'il recruta furent heureux de pouvoir se placer sous leur protection. Ils n'étaient pas un gang à proprement parler, mais ils avaient prouvé qu'ils ne plaisantaient pas. Se lier à leur groupe les mettait à l'abri des gangs de Gravats, d'une certaine manière.

Revendre leur butin se révéla plus délicat. Les armes et armures trouvèrent preneur sans aucun problème, mais personne à Gravats n'avait l'usage de bijoux. Par ailleurs, il se révéla impossible de trouver un acquéreur capable de payer plus qu'une fraction du prix de leurs objets ensorcelés. Quand à leur matériel technologique, faute de source de courant, il n'avait pas non plus d'utilité pour les habitants de la forteresse. Il faudrait écouler le reste à Torche...

Mais malgré leurs exploits et leurs progrès, il se rendirent rapidement compte qu'ils allaient devoir rentrer à Torche, ne serait ce que pour acquérir le matériel indispensable qui leur manquait, et achever d'écouler leur butin chèrement acquis. Aussi, trois semaines après l'avoir quitté, reprirent ils la direction de la ville de la Flamme.