Emyralda s'affaissa un peu, dissimulant difficilement sa déception.
« Oh...désolée, avec votre arme, j'avais cru...Oui, elle est là, mais elle est en pleine...hum...discussion, avec notre soeur cadette, Simza. Si le volume ne vous effraie pas, allez y! Vous arriverez peut être mieux à les calmer que moi. »
Elle pointa dans la direction de l'arrière boutique.


Et effectivement, il n'eut pas besoin d'aller bien loin dans ce qui semblait être leur réserve de tissu pour entendre les éclats de voix. Vélane et sa soeur étaient apparemment en pleine dispute.
« ...capable de me débrouiller, Vélane! Ne viens pas fourrer ton nez dans mes affaires! »
« Simza, ces gens sont dangereux! Et puis, pense à ce qui se passe si tu te fais prendre par la garde! »
« ET BIEN DANS CE CAS JE NE SERAIS PAS LA SEULE DANS CETTE FAMILLE! Tu fais tes propres choix, pour nous aider toutes les quatre. Laisse moi faire les miens. »

Escad arrivait lorsqu'une jeune femme faillit le percuter, filant comme une furie. Elle le bouscula à demi et fonça vers la sortie, laissant le mercenaire seul avec sa soeur rousse.

Vélane soupira, passant une main sur son visage.
« Ne t'en fais pas...j'aurais préféré que tu ne vois pas ça. Quand à savoir si tu peux m'aider...je doute que qui que ce soit le puisse vraiment. Jusqu'à récemment, on arrivait à joindre les deux bouts, mais depuis que les tissus brodés ont été déclarés illégaux à ceux qui ne payent pas une taxe ou n'arbore pas le blason des Thrune, on a perdu de la clientèle. C'est pour ça que je passe plus de temps au Diable à Trois Pattes que d'habitude. Emyralda essaye de faire tourner la boutique, Samira travaille au port de la rive Nord, mais Simza a apparemment trouvé que la légalité ne suffisait pas. Je ne sais pas exactement ce qu'elle fait, mais je pense qu'elle est de mèche avec un des gangs de la ville. »

Vélane soupira.
« Merci, Escad. Peu de gens se donneraient la peine de nous aider. J'ignore comment tu es devenu videur au Diable à trois Pattes, mais vous êtes un homme bon. Je vais m'occuper de Simza. Il faut juste que je lui sorte de la tête l'idée de trainer avec les gangs. Elle devrait aller à l'Académie d'Albâtre! Elle a un talent pour la magie, je le sais, mais elle refuse d'en entendre parler. Enfin, ça ira, je t'assure! Et puis, je te tiendrais au courant, si jamais les choses dégénèrent.. »
Elle avait l'air un peu amère en prononçant ces derniers mots.


Emyralda laissa échapper un éclat de rire qui illumina son visage lorsqu'Escad lui montra le filet.
« Si on m'avait dit que les essais de Samira trouveraient preneur! Je vous fais un prix: deux pièces d'argent. Et si vous avez besoin de quelque chose d'autre, n'hésitez pas, et parlez de nous à vos amis! On fait aussi des reprises et des corrections, si vous voulez. »

Ce soir là, Escad laissa les quatre soeurs seules, mais garda à l'esprit la scène de ce jour là. Vélane allait peut être avoir besoin de soutien dans l'avenir...Pour l'heure, il devait aussi se préoccuper de leur rébellion naissante.

[Retour au présent]

28 Desnan 4716, matinée


Escad était debout tôt lui aussi. La nuit précédente, il s'était retrouvé seul et trop loin du Diable à Trois Pattes pour rentrer, donc il avait décidé de passer la nuit sur place. Les Chiens Noirs s'étaient levés tôt, et si Laïka avait salué dans un grognement l'ancien dottari, Jack était venu partager son petit déjeuner avec lui.
« J'ai entendu qu'il y avait eu une altercation hier soir...Ne t'en fais pas, ça arrive dans toutes les unités! J'espère simplement que vous allez trouver un moyen de surmonter ça, on ne peut pas se permettre d'avoir un état-major qui se tire dans les pattes. »
Elle s'étira.
« Hmfff...les gangs ne sont pas des tendres dans cette ville...Mais heureusement, ce sont de simples truands malgré tout, ils n'ont pas assez d'entraînement pour affronter Laïka. Vous faites une vrai différence, dans les rues. Les gens commencent à parler de vous. Ne mettez pas ça en danger pour rien. »





« Salut, » grommela-t-il la bouche pleine d'un ton un peu bourru, tout en écartant les miettes de pain qui traînaient sur la table afin que Jack puisse s'y installer. Escad avait l'habitude de prendre des déjeuners roboratifs, et celui-ci ne faisait pas exception. Tartines, beurre, galettes de blé, café noir, jus de groseille, saucisses grillées... tout était bon à prendre. De plus, il était encore contrarié par l'affaire de la veille, avec Gravius et Alice.

Et la contrariété, ça donnait faim.

La Chienne Borgne s'installa et alla droit au but. Un peu pris de court, l'ancien dottari prit le temps de déglutir sa galette pour formuler une réponse claire. « Ouais... on a failli se mettre sur la gueule. C'était pas la première fois, ce sera pas la dernière. » Comme il s'y attendait, Jack connaissait déjà tout de ce genre de problèmes. « Contrairement à vous, on a pas vraiment de hiérarchie. Balthazar, Amaya et Elethiel t'obéissent au doigt et à l'oeil. Mais les types qui sont avec moi n'ont reçu aucun enseignement militaire ; ils manquent de discipline. Ils agissent à l'instinct, et je dois composer avec leurs caprices du moment. » N'ayant rien d'autre à ajouter sur le sujet, il attendit la réponse de Jack avant d'entamer un autre sujet de conversation.

Il aurait bien aimé voir ce qu'il y avait sous ce cache-oeil. Il aurait aimé connaître l'histoire qui avait conduit cette femme à être mutilée de la sorte. Sentant qu'il l'observait sans doute avec un peu trop d'insistance, il se hâta de trouver quelque chose à dire, et son regard se porta sur son assiette, où une saucisse encore fumante et quelques tranches de bacon se battaient en duel. « Euh...tu veux ma saucisse ? » demanda-t-il d'une voix mal assurée.

Il se maudit aussitôt de son incroyable stupidité.

Désolé, cette histoire d'enquête sur le traître est arrivée à un moment où j'étais pas hyper actif. Au final, Vendalfek aura fait le boulot pour moi. Il faut encore que j'essaye de recruter Velane... y a du retard à rattraper !

Le vol de galette le prit par surprise, et il se laissa faire d'un air penaud, désarmé devant tant d'outrecuidance. Une mémoire eidé-quoi ? Il décida de ne pas la faire répéter, il aurait eu l'air sacrément con ; il enfourna plutôt une nouvelle tranche de bacon dans sa bouche. L'avantage quand on mangeait, c'est qu'on avait une excuse toute trouvée pour n'avoir rien à dire. « Ustalav, uh...c'est pas la porte à côté, » commenta Escad, brillant d'intelligence. Il croyait se souvenir que Jack avait dit autre chose lors de leur première rencontre, mais peu importait. Chacun avait bien droit d'avoir ses petits secrets, et lui-même en avait tout un tas. Le contact de la main de Jack sur son épaule ne le dérangea pas - il était habitué à ce que les prostituées aient avec lui ce genre de gestes - bien qu'il fut un peu étonné de la spontanéité de la guerrière.

Il se mit à rire lui aussi, un peu nerveusement. L'humour des Kintargans...je pensais pourtant vraiment pas être une référence. Tout à coup, la mercenaire se mit visiblement en tête de pimenter le déjeuner en posant des questions. Et pas de bol, la première était foutrement embarrassante. Escad fit une fausse route avec son jus de groseille, et après une quinte de toux, expulsa la boisson par les narines, s'en mettant plein la moustache. Il se saisit d'une serviette tout en se demandant ce qu'il allait bien pouvoir répondre ; il n'était pas sûr d'avoir envie de jouer à ce jeu-là. La vérité ? En partie, peut-être, mais dans son intégralité, certainement pas. Pas ici, au milieu d'un café bondé. Pas maintenant, alors que la journée ne faisait que commencer. Pas devant une quasi-inconnue.

Son ton se fit plus grave alors qu'une vague de culpabilité l'assaillait. « Je...ne l'ai pas choisi, en vérité. J'ai gravement merdé, et on m'a viré. » Il laissa planer le silence quelques instants, avant de reprendre d'un air jovial, tout en piquant une saucisse de sa fourchette : « A mon tour ! Comment as-tu rencontré Laïka ?...Et comment dois-je interpréter le grognement qu'elle m'a adressé tout à l'heure ? » ajouta-t-il à mi-voix. Ça faisait deux questions.

Elle était bien plus bavarde que lui, aucun doute là-dessus. Ici non plus, ça n'est pas une vie facile pour les demi-orcs. Sans parler du reste du Chéliax, songea Escad. Le récit de la rencontre de la blonde borgne avec la Laïka était intéressant. Il pouvait comprendre que quand on voyait tous ses compagnons mourir, on ait besoin de changer de vie. Mais comme tout bon mercenaire, Jack était donc avant tout loyale à l'argent et à ses compagnons d'armes. Au moins, on sait à quoi s'attendre.Il n'y avait pas trop de lycanthropes par ici, mais Escad nota qu'ils étaient vulnérables à l'argent.

Heureusement, il pouvait répondre à la seconde question, même si ça l'obligeait à remonter loin dans son passé. Comme pour s'excuser de la brièveté de sa réponse précédente, il se livra cette fois à un long exposé : « Rien de passionnant, en ce qui me concerne. Je suis né dans la demeure d'un noble loyal aux Thrune, ici à Kintargo ; Geoff Tanessen. Mon père Asdern a toujours été son homme de confiance, ses yeux et ses oreilles. C'est un homme de l'ombre, et on lui donnerait Sarenrae sans confession, avec sa moustache démesurée... mais il est puissant, et il a décidé du destin de mon frère avant même qu'il ne naisse. Moi, et en tant que puîné, j'ai eu plus de chance : j'ai été préservé de leur bourrage de crâne. » Il but une gorgée de café. « Quand j'ai eu vingt ans, j'ai décidé de quitter le domaine. Mon frère et moi n'étions plus aussi proches qu'avant, et j'avais besoin d'un peu d'air. S'il y avait une chose que je savais faire à peu près correctement, c'était me servir de l'arme familiale. » Il tapota la garde de la bilame qui reposait non loin. « A mes yeux, y avait pas vraiment d'alternative, et je voulais être utile. Mon père ne voyant pas d'inconvénient à ce que son fils fasse carrière chez les dottari, j'ai rejoint la forteresse Kintargo ; j'y suis resté six ans. »

Il espérait ne pas avoir été trop assommant. Réalisant soudain que c'était à son tour de poser une question, il sourit. « Quand on vous a libéré, tu as mentionné les Chevaliers d'Ozem. C'était avant Tamrivène, je suppose ? » Les leçons sur le sujet remontaient à loin, et Escad ne se souvenait pas de grand chose sur eux, à part qu'ils venaient de loin, au nord, et qu'ils avaient vaguement rapport avec l'une des plus grandes menaces que le monde ait jamais connu.

Modifié par un utilisateur jeudi 26 mai 2016 09:16:45(UTC)  | Raison: Non indiquée

« Moi aussi, dans ma jeunesse, j'étais jeune, » lança Escad très sérieusement avant d'éclater de rire. Une fois son sérieux repris, il demanda à Alban une nouvelle assiette d'un ton aimable. Avec des oeufs et du bacon.« Je peux comprendre. J'ai jamais eu la foi en Asmodéus, au grand désespoir de mes parents. C'est bien que tu sois partie, si ça ne te convenait pas. J'ai fait la même chose, plus ou moins. » Il enfourna une nouvelle galette et évita de parler la bouche pleine. « Et pourtant, j'admire les gens qui croient en quelque chose qui les dépasse. Ils ont trouvé un sens à leur vie. Ils ont trouvé des réponses. Moi, je cherche encore les miennes ; comme toi, les dieux ne m'en ont apporté aucune. » La Chienne Borgne n'avait pas l'air d'être une mercenaire typique à bien des égards. Peu de preux chevaliers se seraient acoquinés de demi-orques et auraient vendu leurs épées au plus offrant.



Il haussa un sourcil blond, essayant de se rappeler quelle question Jack avait posé avant qu'il ne ré-embraye sur le sujet précédent. « Ah oui, le guet dottari ! Typiquement, les patrouilles se composent de sept gardes, dont un officier. Les plus haut gradés sont liés à chacun des différents districts de la ville, et sont sous le commandement direct du Duxotar -ou de la Duxotas-. Actuellement, c'est la dénommée Nox qui occupe le poste. Celle qui a failli se faire égorger lors de la manifestation. » Il ne voyait pas bien ce qu'il pouvait dire d'autre. L'organisation avait énormément changé depuis que Barzillai était arrivé au pouvoir, et il ne disposait pas d'informations actualisées. « De mon temps, les armures étaient plutôt légères et laissaient beaucoup de liberté de mouvement. Ça m'est resté. Aujourd'hui, j'ai encore tendance à préférer la chemise de mailles aux lourds plastrons et aux harnois ! » De sa serviette, Blondin essuya quelques miettes aux coins des lèvres. « Du coup, l'armure n'offre qu'une protection modeste contre les assauts frontaux et les flèches : ça, c'est le boulot du bouclier. »

Escad écouta les commentaires de son interlocutrice tout en cherchant une question à poser.

Escad ne pouvait qu'être admiratif devant le sentiment d'abnégation, de profonde détermination que lui renvoyait la mercenaire. Lui, il avait souvent tant manqué de convictions...il avait été si indécis, si incertain.

« Je ne me suis jamais frotté aux Chevaliers Infernaux. Mais leur réputation les précède...je ne suis pas sûr non plus d'être de taille. » En revanche, les dernières phrases de Jack l'avaient franchement interloqué, et il leva la tête pour la regarder avec sincérité, dans les yeux - ou plutôt dans l'oeil -« Tu sais...les prostituées sont des gens comme tout le monde, » déclara-t-il. Il n'en dit pas plus, ne souhaitant pas paraître moralisateur. Il n'avait aucune leçon à donner, ni à elle ni à personne...à part Gravius, peut-être ?

Modifié par un utilisateur vendredi 27 mai 2016 11:27:36(UTC)  | Raison: Non indiquée

Escad rougit comme une pivoine et se mit à bafouiller. « N..non, enfoui...enfin, oui. Mais c'est pas ce que tu crois ! » s'empressa-t-il de préciser. Non. J'ai fait bien pire que cela. « Je suis videur au Diable à Trois Pattes, une taverne, un salon de danse...et un bordel. Je connais les filles intimement...mais pas de la même façon que leurs clients. » Mal à l'aise, sujet à un soudain coup de chaud, il reporta son attention sur ses tranches de bacon, qu'il entreprit de couper en tous petits morceaux avec son couteau. Une question lui brûlait les lèvres, mais il ne savait pas trop s'il oserait la poser.

Plutôt que de laisser planer le silence, Blondin se racla la gorge pour se donner une contenance, et releva la tête vers Jack, esquissant un sourire gêné : « Tu dis ne pas avoir fréquenté les bordels... "chélaxiens", tu as précisé. Ça veut dire que tu connais les autres ? Ceux d'Ustalav ? » Il expira longuement. Bon sang, mais qu'est-ce qui me prend de demander ça ? Escad Cordayle, tu n'es qu'un pauvre abruti. Gravius a raison sur toute la ligne à ton sujet !

Leur petit jeu de questions/réponses commençait à prendre une tournure inattendue.

Modifié par un utilisateur vendredi 27 mai 2016 13:17:24(UTC)  | Raison: Non indiquée

Devant la dernière révélation de la mercenaire -qui n'avait décidément pas l'air d'avoir beaucoup de sujets tabous- il faisait désormais des yeux de merlan frit, lui jetant des regards complètement ahuris tout en mastiquant une saucisse de façon machinale. Des soirées..."intéressantes" ? Une expression sans doute appropriée, pour décrire des orgies géantes à cinquante personnes. Même s'il avait encore été équipé pour, Escad ne se serait probablement pas senti à l'aise, dans ce genre de situation.« A t'entendre, la vie de mercenaire a l'air vraiment excitante. Alors tu connais tous les autres Chiens Noirs de façon très intime, uh ? On a parfois des demandes similaires, au Diable à Trois Pattes...mais pas pour plus de cinquante personnes ! »

N'ayant pas spécialement envie que Jack épilogue sur le sujet -ce qu'elle aurait sans doute fait s'il le lui avait demandé- il enchaîna : « Je crois que c'est à ton tour ! »