La sortie du manoir n'avait pas été des plus évidente, et l'escorte jusqu'à la citadelle risquait d'attirer les regards, Théobald avant de sortir avec l'aide de ses compagnons avait enroulé l'elfe folle dans un tapis après lui avoir glissé un bandeau sur les yeux. Il la porterai comme on porte un vulgaire tapis.
« Par contre, on devrait par prudence utiliser la baguette de guérison des maladies, à moins que de porter le masque à tour de rôle, nous immunise au voile !!! »

Selon Kar'Uz, les masques protégeaient leur porteur tant qu'ils étaient portés, mais ils ne guérissaient pas la maladie. Cela voulait dire qu'il suffisait de passer ne fût-ce qu'une petite minute sans le masque pour risquer d'être infecté. Le Shoanti confirma les soupçons du nain : vu les combats, les chairs putrides dont des petits bouts avaient volé de tous les côtés, il y avait de grandes chances pour qu'ils soient tous affectés, et sans doute pour qu'ils aient transmis le Voile Sanglant au sieur Carowyn.

Naturellement, il était difficile d'être certain de quoi que ce soit, surtout qu'il s'agissait là apparemment d'une version légèrement différente du Voile Sanglant : une version qui contaminait puis affectait les victimes en quelques instants à peine, à en croire le sieur Carowyn. À moins qu'il ne s'était agi d'une souche plus virulente lors de la première contamination, mais de virulence et de rapidité normale lors des contaminations suivantes ? Là encore, difficile d'être certain de quoi que ce soit.

Une fois tous les survivants amenés à l'extérieur du manoir macabre, les aventuriers prirent la précaution d'utiliser divers moyens magiques pour s'assurer qu'aucun d'entre eux ne véhiculait la terrible maladie qui ravageait Korvosa. Si cela permit peut-être de soigner le corps du sieurs Carowyn, il n'en allait pas de même pour son esprit. Ce qu'il venait de voir en traversant la salle à manger de sa demeure, l'absence de réponse concernant son épouse, ces jours et ces nuits de privation et de terreur passées dans un recoin du sous-sol, tout cela avait été trop pour l'homme qui, désormais, se tenait, hagard et silencieux, à côté des aventuriers, suivant ses sauveteurs comme une marionnette incapable de penser par elle-même et juste suffisamment douée de raison pour pouvoir se mouvoir.

C'est ainsi que l'étrange groupe traversa le quartier huppé de "la Rive Sud" pour revenir vers le centre de la ville et la citadelle Volshyének. Ils croisèrent quelques gardes qui leur lancèrent des regards étonnés mais qui ne leur firent pas barrage après avoir vu leur symbole de la garde et leur médaille du Pseudo-Dragon. Les quelques mots murmurés vaguement et indistinctement par le sieur Carowyn suffirent cependant à faire comprendre aux gardes qu'un drame terrible avait touché le manoir Carrowyn et à initier une rumeur qui se répandit rapidement dans tout le quartier.

Et cette rumeur, que de nombreuses femmes huppées aux joues blanchies par le fard n'hésitèrent pas à colporter en tournant des yeux pour accentuer la gravité de la chose, entre deux gorgées de thé bien chaud servi dans des services en porcelaine qui auraient sans doute permis à plusieurs familles moins nanties de se faire guérir du Voile Sanglant, cette rumeur indiquait que le manoir des Carrowyn était un endroit à éviter à tout prix, infecté par le Voile Sanglant. Et que, d'ailleurs, tous ceux qui avaient été invités à cette horrible festivité organisée de manière bien inappropriée au milieu des troubles qui touchaient Korvosa étaient morts. La plupart de ces dames qui cachaient leurs murmures derrière des éventails colorés s'accordaient pour dire que c'était là un juste retour des choses, que Pharasma avait puni ceux qui n'avaient su montrer aucune compassion envers le peuple. Naturellement, il s'agissait bien souvent des mêmes dames que celles qui, une semaine plus tôt, avait trouvé tout à fait choquant l'aplomb, l’outrecuidance et l'insolence dont les Carrowyn avaient fait preuve en négligeant de les coucher sur la liste des invités…

Mais, dans l'immédiat, la rumeur allait au moins servir à inciter les gardes privés du quartier huppé à éloigner les curieux et à les empêcher d'aller se contaminer à l'intérieur du manoir, du moins jusqu'à ce que le clergé de la Citadelle de Pharasma ait eu le temps d'intervenir. Kar'Uz se remémora d'ailleurs qu'il fallait absolument leur envoyer un message au plus vite. D'autres dans le groupe se demandaient ce qu'il allait falloir annoncer à la jeune "cantatrice"… car, jusqu'ici, leur mission n'avait pas aboutie et l'incertitude régnait.

En arrivant à la Citadelle Volshyének, les aventuriers trouvèrent facilement des gardes pour se décharger de l'elfe ficelée et pour s'occuper du sieur Carrowyn. Le sergent de faction indiqua que la Maréchale allait certainement vouloir être prévenue le plus vite possible de ces derniers et étranges événements. Il demanda aux aventuriers de le suivre jusqu'à elle et, contrairement au chemin qu'ils empruntaient d'habitude pour se rendre dans le bureau de la Maréchale, c'est vers un portique sombre et trapu placé dans le mur de côté de la tour principale que le sergent les conduisit.

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