Les orques, intrigués par ce débat auxquels ils n'entendent rien, reculent de quelques pas et certains se remettent en garde. Après tout, peut-être que les étrangers sont en train de se disputer sur le sort à réserver à leurs agresseurs ?

Finalement, leur chef interpelle le druide :

« Alors, qu'est-ce que vous en dites ? »

« Bien, suivez-nous alors.  »

La suite du trajet se déroule donc sans encombre. Les autres orques tapis dans les ombres comprennent aisément que ceux-là ne sont pas des ennemis, tandis que les brigands et autres barbares Gaewids n'osent affronter une bande d'orques armés jusqu'aux dents.
Les voyageurs ont donc tout le loisir nécessaire pour admirer la forêt, sa faune et sa flore. Les grands chênes et les sapins se mêlent harmonieusement et l'on entend des chants de dizaines d'oiseaux différents. De temps en temps, on peut apercevoir une ombre entre deux arbres, un lynx peut-être, à moins que ce ne soit une biche ? Amanön se sent dans son élément et retrouvent sa bonne humeur qui l'avait quitté la veille dans le village. Quant aux autres, ils ne peuvent résister très longtemps au charme de la forêt et, même s'ils se méfient des orques, ne peuvent que constater que ceux-ci savent être discrets et tenir leur parole.

Finalement, juste avant de traverser un ruisseau, Kardogf se retourne vers Amanön et lui dit que leur territoire s'arrête là. Après quelques formules de politesse traditionnelles, les deux groupes si différents se séparent et nos héros continuent de marcher. Moins d'un quart d'heure les sépare désormais du prêtre, mais Amanön sait que ce quart d'heure risque d'être long, avec ce nain bourru qui va relancer le débat religieux…

L'elfe s'installa sur une souche d'arbre et proposa aux autre de faire de même.

« Installez-vous, »leur dit-il,«  cela risque d'être long.  »

Il prit une profonde inspiration et commença son récit.

« Mon nom est Amanön. Je suis un elfe du clan Ilsuniir et j'ai vécu la majeure partie de ma vie dans les branches d'Eärólindë, l'Arbre Sacré. Vous avez surement entendu parler de cet endroit, la terre mère des elfes. Pour comprendre mon histoire, vous devez comprendre la nature même de ce lieu magique.

La magie de l'Arbre Sacré est à l'origine de l'architecture unique de la capitale elfique. Entièrement organiques, les bâtiments se fondent merveilleusement dans le paysage. Les branches s'étirent, se plient, s'évident et se percent afin de donner naissance à de hautes tours et à de magnifiques palais. Les toits sont faits de feuillages et les portes sont de simples murs qui s'ouvrent par magie quand l'un d'entre nous s'en approche. Des ponts et des escaliers relient ces édifices extraordinaires. Contrairement aux pierres utilisées par les humains ou au bois de construction, le bois des constructions d'Eärólindë n'est pas figé, mais vivant. Même déformé, il continue de pousser et de grandir. Ainsi, de nouveaux étages et de nouvelles ailes s'ajoutent lentement aux palais elfiques.  »

Il attrapa une gourde et but une rasade d'eau.

«  Pendant plusieurs siècles j'ai eu à cœur l'entretient de la magie de l'arbre. Je connais chaque forme, chaque façon de faire dévier les branches et les nœuds pour les rendre exploitables. J'avais comme responsabilité suprême l'entretien du palais royal. J'étais un maître respecté et mon statut était supérieur à certaines familles nobles. Il vous faut comprendre que nous, les elfes, ne croyons en aucun dieu. Nous partons du principe que la nécessité fait loi et nous prenons au monde, par la magie, ce que nous voulons. D'une certaine façon, nous sommes en tant qu'entité, notre propre dieu. Nous ne faisons pas de prière à des entités lointaines dans l'espoir d'une réponse, nous agissons de concert pour obtenir par notre propre magie ce que nous désirons du monde qui nous entoure. De même, nous n'accordons aucune importance à la vie après la mort, où même à la recherche d'un quelconque équilibre cosmique.  »

Il s'arrêta et observa l'air incrédule de Lynia.

« Je m'exprime le plus simplement possible, je suis désolé si je suis obligé de développer des références philosophiques, mais sans cela, il serait difficile de résumer plusieurs siècles d'existence. »

Il prit une autre gorgée d'eau et continua :

«  La seule chose qui révolte réellement la nation elfe est l'existence des démons. Notre passé est lié à leur existence et à leur nature et nous, je parle en tant qu'elfe, nous n'aurons de cesse de détruire chaque corrompu qui croisera notre route. Un clan elfe, les Nielerims, fût même corrompu autrefois et créa la racine sombre, l'équivalent de l'arbre sacré mais sous la terre. Une source infinie de corruption. Les Nielerims sont aussi connus dans vos contes populaires comme les méchants elfes noirs.  »

Il fit une pause pour donner le temps à sa compagne de digérer ses informations, elle si friande du peu de connaissance qu'elle pourrait glaner sur son peuple.

«  J'ai passé ma vie à étudier la magie de l'arbre sacré, à en comprendre les rouages sans jamais me questionner sur l'origine de la magie, sur la source de cette incroyable puissance que j'avais entre les mains. Je n'étais pas plus sage qu'un paysan qui sème sans cesse sur la même terre sans jamais laisser de jachère. Au fur et à mesure des éons, j'ai remarqué que la magie ne répondait plus aussi bien aux commandes de mes jardiniers. Il me fallait plus de personnel, plus de ressources, plus de temps pour faire venir une nouvelle habitation. Je me suis demandé pourquoi. Les dernières années, j'avais même commencé à trouver des feuilles orange sur certaines branches éloignées, comme si l'automne était en train de venir frapper l'arbre. Et puis j'ai compris. Compris la vraie nature de mon peuple et de sa magie.  »

Le vieux sage n'était pas peu fier d'avoir capté l'attention de son auditoire. Il laissa sa phrase en suspend volontairement, pour laisser à son auditoire savouré son explication.

«  La magie des elfes tue se monde. Cet arbre, notre foyer, pompe jour après jour les ressources du monde, les épuise, les gaspille. Quand j'ai compris ce simple fait, je me suis aussi demandé pourquoi, ces dernières années les attaques des Nielerims étaient plus fortes, leur magie et leur invocation plus puissante. J'ai relié les deux évènements dans une théorie que j'ai exposée en personne à la grande cour des elfes, en présence de la famille royale et de la noblesse de tout le pays.

Notre débauche de magie, son usage dispendieux était une source d'entropie sans limites pour nos ennemis, les forces du néant et de la destruction. Plus nous brûlions le mana du monde, sa force vitale si vous voulez, plus nous affaiblissions les barrières de cette existence contre les assauts des choses du dessous.

Cette théorie fût très mal accueillie. Je fus injurié, inculte et je fus enfermé dans une prison au centre des branches de l'arbre. Moi qui m’interrogeais sur la survie de mon peuple, sans aucune autre volonté que de sauvés les elfes et le monde, on me condamna sans procès. Mes "thèses" étaient dignes des Nielerims me cracha-t-on au visage et certains de mes détracteurs les plus virulents demandèrent même la peine capitale. Finalement, la reine me bannit d'Eärólindë, ma nation, ma patrie, ma maison, mon statut, mon rôle dans la société des elfes. D'un revers de la main, on me condamna à pire que la mort. »

Le souvenir pénible de son existence passé arracha au sage des larmes d'amertume. Il resta une ou deux minutes dans la contemplation.

«  La toute puissante magie dont j'avais été maître pendant plusieurs siècles ne fonctionnait que sur les branches de l'arbre-ville et une fois sur la terre ferme, la terre des hommes je commença a perdre tout espoir. C'est alors que je rencontrais Gominäe, une druide gnome. En visite dans la capitale elfe, elle avait assisté à mon plaidoyer et partagé mon avis sur la véritable nature de l'arbre. Fervente adepte de la triade, elle analysait constamment le monde au travers d'un philtre mental opaque qui m'était jusqu’alors inconnu : La religion. Elle voyait dans chaque signe la marque latente de ses dieux et tirait de cette croyance un pouvoir incroyable, celui de parler, communiquer en harmonie avec la nature, la faune et la flore. Cette magie était l'exact opposé de celle que j'avais pratiquée pendant toutes ses années.  »

Ce souvenir avait l'air de lui rendre à nouveau du courage et l'on put même voir, sous cette barbe hirsute, un sourire.

« Alors que parle le passé, je pliais la nature à ma volonté dans le but de lui faire prendre des postures adaptées à mon peuple, mais contre-nature, Gominäe m'instruisit de la façon de d'agir pour pousser les choses dans "le bon sens" de faire les choses avec une harmonie naturelle. Elle n'arrivait pas à différencier la pratique magique de sa foi et ce fût toujours entre-nous source de discutions et de débat. Je ne comprenais pas le rapport avec ses croyances dans ce que je comprenais comme une technique magique. Cependant, j'apprenais tout ce que je devais apprendre auprès d'elle. Elle me fit visiter de nombreux village d'adorateur de la Triade, des gens qui vivaient en accord avec cette croyance. Je me suis toujours senti en retrait vis-à-vis de celle-ci.  »

Il caressa le sol sous ses pieds et respira l'odeur d'humus sous ses doigts. Dans le vague il continua :

« Préserver par tous les moyens sa terre et son environnement était pour moi une forme absolue de bon sens, surtout quand on savait ce qu'il advenait d'un usage continu de magie. Pour eux, il en allait autrement, un impératif religieux, le salut de leur âme et du repos de leur dépouille. Pour moi, une nouvelle famille et une fenêtre, un espoir sur le monde. C'est à cette époque là que j'ai rencontré celui-ci d'ailleurs... »

Il flatta le flanc du loup et lui embrassa le front.

«  Il s'appelle Espoir et c'est mon compagnon. Il est aussi pragmatique que moi vis-à-vis de la nature et j'aime sa façon de penser.

Alors voilà, vous savez tout de moi. Et si je n'aime pas beaucoup les membres du saint panthéon c'est simplement que j'ai reçu cette blessure au bras après avoir était dénoncé par un dévot à une milice d'adorateur de Fashnil car j'ai eu le malheur d'utiliser ma magie et mon savoir pour sauver la jambe d'un paysan blessé.  »

Mouais, j'avais jamais aimé les elfes avant, j'avais raison ! Smoke était resté silencieux pendant le monologue de l'elfe druide tentant de dissimuler sans succès des bâillements d'ennui.

« Bon maint'nant qu'tu nous as raconté ta p'tite histoire on y va ? »

Smoke ne voulait pas montrer qu'il avait été finalement autant pris par l'histoire du vieil elfes que les autres aussi dissimula t il ses interrogations par son humeur habituelle.

Amélia soupira à la constatation de son garde du corps.
« Malheureusement... »


La jeune femme avait été légèrement touchée par l'histoire, surtout sur le fanatisme du Saint-Panthéon. Mais voyager avec un prêtre bourru et bagarreur n'était pas la meilleure façon pour décrier cet état des faits.

« Ca dépend, t'es adorateur des démons ou des vrais dieux du Saint Panthéon ? »

Eh Eh, bien envoyé!

Smoke ne pu s'empêcher de sourire à ce qu'il pensait être un bon mot.

Lynia regarde Zabo après sa demande :

« Je ne peux rien pour t'aider ... désolé. »

Elle regarde Smoke après son "bon" mot. Elle regarde son ami Amanön.

Elle est désorienté, elle se sent de nouveau étrangère, à part ...

Ragaillardi par le sort du nain ...

«  Merci, je sais que je peux aussi compter sur ton Dieu désormais  »

C'est sur ces bonnes paroles que nos héros reprennent la route. L'atmosphère reste toutefois tendue, tant les opinions religieuses des uns et des autres s'opposent.
Finalement, Lynia apporte la bonne nouvelle : ses yeux d'elfes lui permettent d'apercevoir, au bord du chemin, une chaumière non loin !

Quand ils arrivent devant le bâtiment, Smoke lève le doute qui plane sur le groupe : c'est bien la demeure du prêtre, les symboles gravés dans le bois sont sans équivoque. De plus, un petit bassin comme on en trouve à la proximité de chaque sanctuaire de ce dieu est installé dans le jardin. Tous les saint-panthéonistes savent que pour obtenir l'aide de Néréos, il faut jeter une pièce dans un de ces bassins.

Une douce fumée se dégage de la cheminée et on peut entendre quelqu'un en train de s'activer dans la chaumière. Smoke, ragaillardi à l'idée de croiser un confrère, s'avance donc et toque à la porte tout en s'écriant :

« Ho là, la chaumière ! Ouvrirez-vous votre porte à un groupe de voyageurs à la recherche d'un peu de réconfort? »

Une voix d'homme répond « oui, oui, j'arrive » et la porte s'ouvre. Dans l'encadrement se tient un humain petit et dodu, n'ayant pas encore la trentaine. Une impressionnante moustache orne son visage et contraste avec une calvitie déjà bien avancée. Ses habits riches et ses nombreux bijoux, que certains membres du groupe trouvent clairement de mauvais goût, confirment que l'homme est sans conteste un prêtre de l'Opulent.
Derrière lui, on peut apercevoir une pièce pleine à craquer d'offrandes de voyageurs soucieux de ne pas se mettre le dieu des routes à dos : statuettes de terre, pierres polies et bijoux pour les plus riches. Dans la cheminée, une marmite laisse se dégager une appétissante odeur de ragout d'agneau. Le prêtre allait sans doute manger, et peut-être qu'avec un peu de chance il partagera son repas ?

« Bien le bonjour, et que Celui qui va à l'Horizon protège vos pas ! Que puis-je pour vous? »