Méfiez-vous des écailleux

Traduction du second chapitre : "Fear the Scaled Ones" de la nouvelle "Le Gardien du Marais" d'Amber E. Scott. Illustration de KyuShik Shin.

La pagaie s'enfonça dans l'eau puis revint vers l'arrière, laissant des tourbillons de limon dans son sillage. Rhyn pagayait énergiquement, l'esquive se faufilait entre les troncs des arbres géants qui jaillissaient de la vase. Les insectes étaient présents, comme d'habitude. Dans les ténèbres, les crapauds croassaient leurs chants.

En moins d'une heure, il était revenu à l'endroit où se trouvait l'étrange fétiche. Il pendait encore là, bizarre et sinistre, au bout d'une branche d'arbre. Rhyn amarra la barque à une souche et tenta de grimper pour atteindre l'objet. Le tronc glissant recouvert de mousse et d'écume n'offrait aucune prise à la semelle dure de ses bottes. Il les enleva et fit une nouvelle tentative, pieds nus, glissant ses orteils à travers la substance visqueuse pour atteindre l'écorce rugueuse. Il tendit les doigts et parvint à frôler le fétiche. Il l'attrapa et l'arracha.

Un tremblement agita tout son corps et il faillit lâcher l'arbre. L'enchevêtrement de brindilles était humide et moite dans sa main, comme les os des doigts amollis par l'acide qui appartenaient aux mains qu'il avait trouvées dans l'estomac de l'alligator. Une boule glaciale se forma dans sa gorge et un soudain afflux de sang vers ses oreilles les fit résonner comme un rire. Rhyn chassa ses craintes et redescendit le long de l'arbre.

Une fois de retour dans le bateau, il examina le fétiche de plus près. Les brindilles n'étaient que des brindilles. Les touffes d'herbes étaient faites d'asclépiades et de lobélias.

Les œufs étaient des œufs d'alligators.

Rhyn les avait reconnus grâce à leur texture et à leur taille. Les œufs étaient vides, on avait extrait leur contenu en soufflant, et les runes sur la coquille étaient peintes avec du sang. Il retourna chacun des œufs prudemment et examina les runes. Elles ne lui évoquaient pas grand chose dans l'ensemble mais certaines d'entre elles lui rappelaient fortement les marques que les habitants des marais utilisaient pour marquer les pistes et indiquer les endroits dangereux ou ceux où la pêche était bonne. Ces runes-là ressemblaient aux marques des abris : des endroits sûrs et protégés.

Rhyn laissa tomber le fétiche dans le fond de la barque et se remit à pagayer.

Il progressa en élargissant sa zone d'exploration tout en s'enfonçant dans le marais, dans un territoire quasiment inexploré où les pêcheurs de Crossfen ne s'aventuraient pas. Un autre fétiche pendait dans les branches les plus hautes, Rhyn ressentit une montée d'adrénaline : il progressait. Il dirigea l'esquive vers cette nouvelle direction et prit de la vitesse.

Deux fétiches de plus marquaient la voie. Une heure plus tard, les arbres étaient devenus si denses et l'eau si peu profonde qu'il dut abandonner sa barque. Il la laissa attachée à un arbre et continua à pied. Son couteau pendait à sa ceinture, prêt à être utilisé. Dans une main, il portait son épée et, dans l'autre, la lanterne dont les volets étaient à moitié refermés.

Rhyn poursuivit sa progression, ses bottes s'enfonçaient dans la vase peu épaisse et une brume épaisse s'élevait au-dessus de l'eau qui lui arrivait aux genoux. L'eau était froide contre sa peau et l'air, encore plus glacial. Il remarqua une odeur fétide et putride, quelque chose de pire que l'odeur naturelle des marais. Rhyn ralentit et écouta attentivement. Il n'entendit que sa propre respiration et le bourdonnement écrasant des insectes. Les crapauds avaient cessé de chanter.

Une brise se leva, dessinant des ondulations sur l'eau et balayant la brume. Rhyn laissa s'échapper un cri involontaire.

Des bâtons de bois formaient un demi-cercle devant la base d'un arbre, délimitant une portion du marais comme une crique. Des corps en décomposition se trouvaient à l'intérieur. Ils étaient gonflés de gaz et leur peau tombait pour former une soupe dégoutante ressemblant à du vomis. Les insectes formaient un nuage bien visible au-dessus du bourbier. En-dessous d'eux, une créature se repaissait des morts, arrachant des poignées de peau et de graisse collante avant de les engouffrer dans sa gueule.

Rhyn eut juste le temps d'apercevoir une peau glissante, de longs bras et des yeux jaunes avant que la chose ne se lance sur lui. Il leva son épée par réflexe tout en s'accroupissant puis se retourna lorsque la créature sauta au-dessus de lui. Elle grogna en atterrissant dans l'eau et s'ébattit. Sa queue épaisse frappa la vase puis elle revint vers Rhyn en tendant ses mains dotées de griffes noires.

Il y a les hommes et il y a les lézards. Et puis il y a… cette chose.

La partie consciente de l'esprit de Rhyn était encore en état de choc à cause de la scène horrible et de ce monstre inconnu mais des années de combat contre les créatures du marais avaient instillé en lui des défenses instinctives. Il agita son bras en une série de coups rapides puis battit en retraite. La créature attaqua à nouveau et frappa la lame. Rhyn fit un pas en arrière pour absorber l'impact du coup puis il enchaîna avec un coup de haut en bas.

La créature s'élança en avant au même moment que Rhyn et les deux se percutèrent. Des griffes s'enfoncèrent dans son torse, passant outre la cuirasse de cuir qu'il portait et déchirant sa peau. La lame de Rhyn trancha dans l'épaule de la créature et continua vers son torse. Elle laissa s'échapper un grognement enroué. L'odeur âcre de sa chair les enveloppa tous les deux et fit pleurer les yeux de Rhyn. Il abattit la lanterne sur le visage de la créature et la frappa au ventre.

Elle recula en chancelant et tomba bruyamment dans le marais. Rhyn se releva et observa avec de grands yeux. Sa respiration reprit, douloureuse. Le corps de la créature flotta pendant une minute puis se mit à couler. Rhyn avança rapidement et tira la carcasse sur l'herbe.

Les volets de la lanterne étaient pliés mais elle illuminait quand même les environs. Dans la lumière pâle, Rhyn examina le monstre. Il était plus mince et plus petit que ce qu'il avait cru pendant le combat. Ses os étaient cassants : Rhyn avait brisé sa mâchoire avec la lanterne et son épée s'était enfoncée à travers sa clavicule. Son corps était recouvert d'une peau pâle et gluante comme le ventre d'un crapaud. Une queue courbée, musclée et rigide comme celle d'une alligator prolongeait sa colonne vertébrale. Sa tête chauve semblait déformée, sa gueule ovale remplie de dents incurvées. Ce n'était pas un lézard. Rhyn n'avait jamais vu quoi que ce soit de ce genre.

Deux de ses griffes s'étaient brisées au cours du combat. Rhyn les chercha et en aperçut une qui était encore enfoncée dans son torse. Il la retira en pestant puis la lança dans le marais.

Il prit un moment pour se préparer puis s'avança vers la barricade de pieux. Il utilisa le bout de son épée pour trifouiller dans l'amas dégoûtant à l'intérieur de la crique, juste assez longtemps pour confirmer ce qu'il pensait.

Aucun des corps dans la soupe n'avait de main.

~ ~ ~ ~ ~


Des runes apparurent, gravées dans les troncs d'arbres et barbouillées d'argile blanc qui reflétait la lueur de la lanterne cabossée. Rhyn suivit leur piste pendant un interminable moment. Il avait du mal à respirer : son torse était douloureux à l'endroit où le monstre l'avait griffé. Les blessures étaient froides, comme si elles étaient recouvertes de glace. Le clapotis de l'eau contre la boue ressemblait à des rires sifflants et Rhyn devait combattre l'instinct qui le poussait à se retourner et à se protéger contre les ténèbres.

Ses bottes étaient rigides et humides, recouvertes de boue. Sa lanterne illuminait le chemin d'une lueur tremblante alors qu'il progressait.

L'eau devint de moins en moins profonde. Elle lui arrivait aux mollets, puis bientôt seulement aux chevilles. Rhyn continua à avancer à travers une végétation de plus en plus dense. Il avait quitté l'eau maintenant et se trouvait sur une petite colline couverte de mousse. Les arbres s'éclaircirent suffisamment pour permettre à la pâle lumière de la lune de se refléter sur le brouillard et d'illuminer la zone. Un étroit sentier remontait la colline. Des mains humaines délimitaient le sentier ; elles étaient cinq en tout, des mains gauches squelettiques qui jaillissaient du sol comme des fleurs obscènes.

Rhyn s'agenouilla près des mains. Des morceaux de muscle et de peau, séchés et flétris, étaient encore attachés aux os. Il vit qu'on avait nettoyé les os : des entailles de couteau indiquaient un travail précis et rituel. Il se releva à nouveau et affermit sa prise sur son épée. Lentement, prudemment, Rhyn suivit le sentier qui contournait un bosquet de jeunes arbres tout maigres.

Une petite hutte se trouvait au sommet de la colline. Elle était recouverte de plantes grimpantes et tapissée d'argile blanc. Devant la hutte, une femme l'attendait.

Sa jupe tachée de boue et de mousse pendait lourdement et frottait contre le sol marécageux. Sur ses épaules, elle portait une cape courte recouverte de plumes provenant d'une dizaine d'oiseaux des marais, toutes étaient grises et sinistres. Elle tenait un bâton dans une main. Un rideau de cheveux noués recouvrait son visage.

Rhyn s'arrêta et plaça son épée dans une position défensive devant son corps.

"Ainsi c'est vous la responsable. Vous qui avez envoyé votre animal attaquer des voyageurs innocents ? Dérobé leurs mains ? Je suppose que vous avez aussi conjuré cette créature dans le marécage. Pourquoi ?"

La sorcière leva une main et écarta ses cheveux de son visage. Rhyn ne bougea pas et ne prononça pas un mot de plus. La lumière de la lanterne, le bourdonnement des insectes, le murmure du vent sur l'eau derrière lui… tout cela sembla disparaître et le plonger un instant dans un monde de ténèbres.

Puis sa voix revint, enrouée et ténue, juste suffisante pour murmurer "Cara ?"

"Je suis contente de te voir à nouveau." Sa voix était exactement comme dans ses souvenirs, douce et calme avec une pointe d'accent traînant du Nord qu'on entendait souvent au Nirmathas. "J'ai rêvé de toi."

"Comment as-tu survécu ?" Sa voix était tendue, surprise. "Une fois la tempête calmée, nous avons sorti nos bateaux. Nous avons cherché pendant des heures. Deux autres arbres sont tombés sur nous. Mais j'y suis retourné, encore et encore." Sa gorge se serra et il dut forcer pour prononcer ces mots. "J'y suis retourné chaque jour."

"La sorcière des marais m'a sauvée," dit Cara. "Elle a amené la tempête puis elle m'a tirée hors de l'eau. Elle était très vieille et cela lui a pris presque toute sa puissance pour conjurer une tempête aussi grande." Elle laissa retomber une paupière, un clin d'œil grotesque sur son visage tiré et couvert de boue. "Elle a utilisé ses dernières forces pour m'entraîner. Aujourd'hui, je vis ici et je continue son travail."

"Pourquoi n'es-tu pas revenue ?" Les marques de griffe sur son torse le firent souffrir à nouveau.

"Ma maîtresse m'a appris que le marais est notre véritable maison. Les autres, comme toi…" Elle fit un geste de la main et avança d'un pas et Rhyn recula. "… vous prêchez la Foi Verte mais vous ne comprenez pas le marais. La vie s'agite dans les ténèbres mais vous vous en cachez et vous faites briller la lumière à travers vos fenêtres." Cara baissa sa main. Une transpiration fiévreuse faisait briller son visage. "C'est la véritable foi. Le respect envers la vie née de ces eaux. C'est notre devoir de l'accepter et de la protéger."

"Que t'a-t-elle fait ?" murmura-t-il.

Cara fronça les yeux. "J'ai envoyé l'alligator te chercher. Toi qui t'es auto-proclamé protecteur de la ville, cet intrus dans le monde sauvage. Le marais ne peut pas être dompté. Il ne peut pas être civilisé. Abandonnez-le. Ma maîtresse a passé sa vie entière à chercher un moyen pour amener un véritable protecteur, un nouveau type de créature née du marais et dévouée à sa protection."

"Je l'ai vu. Je l'ai tué."

"Ce que tu as tué était un échec. Il était faible et petit par comparaison au potentiel d'un véritable protecteur. Mais maintenant, maintenant je sais quelle erreur j'ai commise. Je peux le conjurer à nouveau, correctement cette fois-ci."

"Je suppose que c'est pour ça que tu as besoin de plus de mains. C'est pour ça ? Pour ce rituel ?"

"D'une certaine manière. Les mains m'ont servi de socle, de base à partir de laquelle réaliser mes expériences. Maintenant, le rituel est beaucoup plus simple. Si tu m'aidais…" Elle plongea ses yeux dans les siens. "Tu pourrais venir avec moi. Chasser les autres. Laissez le marais s'emparer de leurs bâtiments. Vivre en harmonie avec tout ce qui existe ici dans les ténèbres."

"Si tu me connaissais un tant soit peu, tu ne poserais même pas la question."

Elle haussa les épaules, un geste presque imperceptible mais bien dangereux lorsqu'elle souleva son bâton du sol. "Alors tu m'aideras par ta mort."

Rhyn eut à peine le temps de faire un pas en avant avant que des tentacules de plantes animées ne jaillissent du sol. Ils s'enroulèrent autour de ses mollets et faillirent le faire tomber. Il grogna et pesta puis tenta de libérer ses pieds. Cara se mit à rire puis chanta d'étranges mots sifflants alors que Rhyn frappait les plantes avec sa lame. Il chavira sur le côté lorsque celles-ci le lâchèrent.

Le chant de Cara atteignit des sons aigus et fiévreux. Le sol trembla puis un flux d'insectes rampant en jaillit juste sous Rhyn. Ils escaladèrent ses bottes par vagues. Rhyn poussa un cri de dégoût puis fit un bond en avant tout en agitant ses jambes afin de tenter de se débarrasser de la nuée. Tout en bougeant, il lança quasi instinctivement la lanterne vers Cara. Il entendit les volets s'entrechoquer et Cara hurla. Son chant se termina dans une sorte de bégaiement qui laissa place au silence.

Il courut pour parcourir la distance qui les séparait et abattit son épée vers le bas. La boue qui recouvrait la peau et les habits de Cara se durcit en écorce et la lame de Rhyn s'enfonça non pas dans de la chair mais dans du bois. Il recula pour éviter la projection d'éclats de bois.

La nuée d'insectes l'avait suivi et Cara recula face à eux. Rhyn l'agrippa et ils tombèrent tous les deux dans la boue. Il glissa et fit une rencontre douloureuse avec une racine. Cara tentait de prendre pied et de se lever dans la boue mais Rhyn lui saisit la cheville au moment où les insectes se répandait sur eux. Elle tomba, donna un coup de pied qui l'atteignit à la mâchoire. Ils se séparèrent en roulant sur le sol, écrasant des insectes dans la boue. Leurs petits corps s'enfoncèrent dans le sol et la nuée disparut.

Rhyn tâtonna dans la boue à la recherche de son épée, mais il ne sentit rien d'autre que de la vase. Cara attrapa son bâton et l'utilisa pour frapper le flanc de Rhyn en poussant un cri de triomphe. Le coup le fit rouler ; il abandonna sa recherche de l'épée et choisit plutôt de se remettre sur ses pieds.

Un vent froid souffla sur la colline, pliant les arbres et projetant les cheveux de Cara contre son visage. Elle leva les mains au-dessus de sa tête ; les bouts de ses doigts se mirent à luire de jaune. Ses mots étaient confus, un cri dans une langue sifflante et des bouts de prières dans sa foi corrompue, l'adoration des écailles, des marais et des ténèbres. Rhyn chargea. Ses doigts glissants trouvèrent le manche du couteau à fileter qui pendait à sa ceinture. Cara posa ses mains sur les épaules de Rhyn juste au moment où celui-ci plongeait sa lame dans son ventre.

Ils restèrent ainsi, côte à côte, pendant un bon moment. La lumière jaune plongea dans la peau de Rhyn et une nausée l'envahit. Il eut des sueurs froides et le rire rugissant résonna une nouvelle fois dans ses oreilles. Puis il se força à se calmer et à évacuer ses peurs, même s'il se sentait encore faible, pas du tout dans son assiette. Cara était pendue à son couteau comme un poisson à un hameçon. Elle avait mis ses mains contre le menton de Rhyn et ses ongles acérés lui avaient déchiré la peau, de sorte que son sang coulait le long de ses doigts.

Il la laissa glisser vers le sol. Elle haleta puis ramena ses mains sur sa poitrine.

"Je suis désolé de t'avoir marché sur les pieds," dit-il.

"Ce n'est rien." Elle ferma les yeux. "Abandonne-moi dans le marais."

Puis elle mourut. Rhyn resta agenouillé près de son cadavre pendant de longues minutes, étourdi, brisé. Il se releva et s'essuya maladroitement le visage.

Il fit s'effondrer la hutte puis lança sa lanterne sur les débris. Il lui fallut un peu de temps pour prendre feu et elle brûla lentement, avec une flamme verte à cause du bois humide et des plantes. Il rangea son épée et son couteau puis prit le corps de Cara.

Quelques pas après avoir quitté le sol sec, il s'arrêta, de l'eau jusqu'aux genoux. Les ondulations dans l'eau déformaient son reflet assombri par les ombres projetées par le feu lointain derrière lui et la lune au-dessus de lui. Les cheveux de Cara pendaient dans l'eau. Il plia les genoux et la posa dans la vase.

Quelques gouttes de sang tombèrent des égratignures sur son visage et virent se mélanger au sang de Cara alors que son corps s'enfonçait. Les blessures sur son torse projetèrent à nouveau une douleur intense. Rhyn se plia en deux. Son ventre s'agita à nouveau et une profonde faiblesse l'accabla à nouveau. Il tenta de se relever mais ses genoux cédèrent ; il plongea dans l'eau.

Il agita les bras pour tenter d'attraper quelque chose de solide qui lui permettrait de se relever. La douleur dans son torse s'étendit à ses membres, irradiant tout son corps d'une douleur insoutenable. Il hurla et s'étouffa, l'eau du marais pénétrant dans sa bouche. Ses doigts agrippèrent quelque chose, les cheveux de Cara. Les mèches enchevêtrées s'agitaient et s'écartaient de lui alors qu'il se débattait.

Puis tout s'éteint. Dans les ténèbres de son esprit, il vit une image : un serpent qui se séparait en trois parties avec une tête humaine au-dessus de chaque branche. Et la voix de Cara murmura dans son oreille.

Mais maintenant, maintenant je sais quelle erreur j'ai commise. Je peux le conjurer à nouveau, correctement cette fois-ci.

L'eau du marais pénétra à nouveau dans sa bouche et il inhala. Il cracha mais ne s'étouffa pas. L'eau coulait dans ses poumons comme de l'air. Le marais autour de lui s'éclaircissait, comme si sa vision devenait plus précise, comme s'il était éclairé de l'intérieur. Il leva une main vers son visage et aperçut une peau douce et pâle, comme celle du ventre des crapauds, et de longues griffes noires.

Puis il tenta de hurler à nouveau mais tout ce qui sortit de sa gorge fut un grognement râpeux, comme le cri d'un alligator.

~ ~ ~ ~ ~


"Je l'ai vu !" Un enfant remontait le ponton en courant, s'entremêlant les pieds dans sa hâte. "Il est revenu là-bas ! Je l'ai vu !"

Mart arriva précipitamment, une main posée sur le couteau qui pendait à sa ceinture. Il mit son autre main sur l'épaule de l'enfant. "Tu es sûr ?"

"Sûr et certain !" L'enfant indiqua une direction dans les ténèbres. "Là-bas !"

Mart scruta l'endroit pendant un long moment, mais c'était difficile de voir quoi que ce soit au-delà de la lumière de la lanterne. Les ondulations dans l'eau pouvaient être causées par un animal tapi, ou par un crapaud venant de sauter. La lueur jaunâtre pouvait être un œil malveillant ou une luciole perdue. Le sifflement pouvait être le son produit par une créature affamée comme une gueule d'alligator ou encore le bruit du vent dans les branches.

"C'est quoi ?" murmura l'enfant. "Que veut-il ?"

Mart secoua la tête. "Il n'y a pas moyen de le savoir," dit-il. "Les choses qui sont là-bas… elles ne sont pas comme nous." Ils repartirent tous les deux vers la chaude lumière et la protection de la ville. "Méfiez-vous des écailleux."