Intro Elistan : La proposition. Tout avait commencé avec la visite de cet homme : Verminaard. Il accomplissait miracles sur miracles. Il se prétendait "Grand Sénéchal des dragons", et il avait conquis le coeur des questeurs de Haven. Ses promesses de pouvoir temporel en échange de la soumission avait conquis la majorité de l'élite dirigeante. Sauf un, leur dirigeant : Elistan. Il s'était toutefois plié à l'avis de la majorité. Et une fois les troupes de Verminaard déployées dans la ville, tous les questeurs furent enfermés. Sauf Elistan qui fut mené dans son bureau où il était attendu. Dehors, sous le balcon de la maison, était regroupé toute la population de la ville bien encadrée par ces homme-lézards et leurs acolytes gobelins...

« Avanssse ! » Le garde draconien qui "accompagnait" Elistan jusque dans son ancien bureau, lui donna un coup dans le dos avec son bâton. Il le poussa dans la pièce et referma la porte derrière l'humain d'une quarantaine d'année. Cette grande pièce il la connaissait. Cela faisait plus de 15 ans qu'il y travaillait comme Grand questeur. S'occupant des affaires courantes de la cité. Nombre d'habitants étaient venus le voir et il les avait écouté, toujours avec patience, essayant d'être le plus juste possible. Sur sa droite se trouvait un mur avec une bibliothèque et des tapisseries. Des tableaux et des souvenirs... À gauche, les fenêtres et derrière le balcon. Il entendait les habitants parler entre eux se demandant sans doute ce qui allait arriver. Le soleil était caché derrière les nuages et la lumière dans la pièce était très faible. Face à lui, son vieux bureau en chêne toujours bien rangé. Il gardait toujours dessus une balance de commerce, représentant pour lui la justice. Elle lui rappelait pourquoi il était là et quel était le sens de sa vie.

Mais aujourd'hui, à côté de cette balance, se trouvaient deux objets. Un casque effrayant, ressemblant à une gueule ouverte et prête à se refermer sur sa proie. Elle était rehaussée de deux cornes. À côté, un énorme Morgenstern hérissé de pointes et totalement noir avait été posé sans ménagement. Arrachant au passage quelques éclats au bois finement travaillé.

Derrière ce plan de travail se trouvait une forme humanoïde dont les traits étaient cachés par l'ombre. Un homme très grand et bien musclé dont l'identité n'échappa nullement à Elistan : Verminaard ! L'homme en question leva une épée bien droite devant lui, et il avança son visage afin que le questeur puisse voir ses traits. La lumière éclairait maintenant qu'une moitié de sa figure, côté fenêtre, mais l'autre moitié était encore dans l'ombre de la lame...

Verminaard eut un sourire mauvais et posa l'épée sur le bureau à côté de la balance. Il toisa un moment en silence l'humain qui avait les faveurs du peuple de Haven. « Vous êtes quelqu´un d´influent et d´intelligent, grand questeur. Et votre peuple vous aime. C´est indéniable... » Il s'avança vers la fenêtre et regarda les habitants qui attendaient dehors dans le froid sous l'étroite surveillance de ses hommes. « Les autres questeurs sont des imbéciles, et vous le savez. Remplis de cupidité, avides de pouvoir. D´un pouvoir illusoire et futile. Mais vous ! » -Il se retourna vivement et fixa Elistan- « Vous non. Vous savez où est le véritable pouvoir, je l´ai lu dans votre coeur lorsque j´ai guéri votre maladie, vous souvenez vous? Vous étiez sur le point de mourir. Et vous souffriez. Oh oui, je suis certain que vous vous en souvenez... La douleur dans les entrailles, la fièvre... » -Il garda le silence, offrant à la mémoire un moment pour se fixer- « Vous pouvez vous aussi soulager votre peuple, en avez vous conscience? » Alors qu'il marchait vers son propre bureau, escorté par le draconien, Elistan songeait à la bêtise humaine. Personne ne l'avait cru. Aucun de ses amis, aucun de ses frères ne l'avait écouté quand il les avait mis en garde contre cet aventurier, contre ce faux prêcheur qui prônait l'avènement des dragons et la soumissions totale en échange du pouvoir.

Personne, même lorsqu'il était monté à la chaire, expliquant que seule la Foi et la bonté seraient un jour récompensées. « La dévotion n´est pas le chemin de la facilité. Le pouvoir et la subordination aux hommes corrompent le cœur et l´âme. Levez-vous, n´acceptez pas le joug des hommes, fussent-ils vraiment les serviteurs des dragons. Quel homme digne de ce nom, portant haut son regard vers la vérité, accepterait de remettre les clefs de son être à d´autres ? Votre rôle, mon rôle, notre rôle est de guider les hommes vers la vraie Foi. Nous laisserons-nous mener par le bout du nez vers la tromperie et la facilité ? » leur avait-il dit. Bien sûr, sur l'instant, il avait été applaudit. Certains avaient même eu le courage dele regarder dans les yeux et de répéter leur soutien. Mais désormais, tous étaient enfermé dans une geôle, appâtés par cet homme.

Cet homme qui se trouvait désormais devant lui. Un homme dangereux. Puissant, mais suffisamment intelligent pour ne pas l'avoir enfermé. Fier, mais suffisamment terre-à-terre pour lui demander de coopérer, comptant sur sa popularité pour asseoir son emprise sur la ville.

Pointant la balance du doigt, Elistan répondit calmement : « Savez-vous ce que représente cette balance, Sénéchal ? » — Elistan avait utilisé le titre très calmement, sans la moindre trace d'ironie, mais également exempte de tout respect — « Je la garde ici pour me rappeler que la Justice est ce qui doit prévaloir dans mes actes. Pour me rappeler que quelque soit le pouvoir que j´obtiens, toujours je dois mesurer l´impact de ce que j´accomplis. » Il laissa retomber sa main. « Je vous suis reconnaissant de m´avoir soigné. Je le suis vraiment. Mais mon peuple doit-il être la monnaie de ma guérison ? Pensiez-vous vraiment que pour payer votre acte, je jetterais dans la balance le destin de milliers d´hommes ? » Elistan, calma la fébrilité qui commençait à faire trembler ses mains. « Ce ne serait pas juste, sénéchal. Pesez-vous même. Ma vie contre le bonheur de tous ? Je ne vaux pas aussi cher. » Verminaard écouta calmement en faisant glisser ses doigts sur le bois poli du bureau. Il se déplaçait tranquillement jusqu'à faire face à Elistan, séparés par l'ouvrage en question. Il s'appuya sur le plan de travail et répondit : « Les dieux ont créé le monde. Le tigre mange le cerf, et nous aussi. Il y a des servants et il y a des maîtres. C´est la loi du plus fort. Vous les questeurs avez montré aux gens comment vivre sans les dieux depuis le cataclysme, à coup de philosophie de l´amour -un pseudo amour- et vous avez pris l´ascendant sur ces mêmes personnes. Ne vous cachez pas derrière ce masque de bonté, pas avec moi. » -Il se redressa, il dépassait Elistan au moins d'une tête- « Voyez vous, je suis d´accord que vous fassiez appel à dame justice. Mais vous oubliez une partie de ses attributs. Il y a la balance, certes, mais aussi l´épée ! » -Il saisit vivement la lame et la pointa vers la fenêtre- « À quoi sert de donner un jugement si on est incapable de l´appliquer ! Hors depuis trop longtemps maintenant les voleurs, bandits et autres meurtriers sévissent. Est ce que votre justice les a tous arrêté? Non ! » -Il lança la lame sur le bureau sans ménagement, et désigna le grand questeur du doigt- « J´ai besoin de vous, Elistan. Vous, et moi. Les deux bras de dame justice. Pour un monde plus droit. » Elistan était resté de marbre devant la verve de son interlocuteur. Tout ce petit numéro devait avoir été préparé, l'argumentaire de son adversaire avait sans doute été vu et revu, afin de le déstabiliser. Crois-tu vraiment que j´ai eu besoin de tes lumières pour voir que l´ordre était corrompu ? Tu ne me fais que me répéter ce que je sais et déplore.

S'écartant de l'homme, il lui tourna le dos, contemplant les gens amassés sous la fenêtre, tous ces visages anxieux, attendant le dénouement. « Et c´est ça que vous proposez, Verminaard ? Prendre le rôle du berger ? Non plus aider, mais diriger ? Que le monde soit droit, mais selon votre idée ? La philosophie de notre ordre est tout autre. Nous cherchons, en espérant trouver un jour une vérité. C´est cela, croire, Verminaard. La Foi. Croire. Espérer. Chercher. Autant de choses qui vous sont inconnues. Vous ne cherchez que le pouvoir, et le moyen de l´obtenir plus rapidement. »Tout en parlant, il avait croisé les mains dans le dos, une vieille habitude de professeur. Il ne désespérait pas de convaincre Verminaard. Il marchait de long en large, la tête baissée, la voix vibrante, le bras partant parfois vers le haut pour illustrer son propos, comme lorsqu'il parlait de philosophie à ses élèves.

Il se retourna, un léger sourire les lèvres.« Vous me dites chercher la Justice en appliquant la loi du plus fort ? Après tout, si l´on suit votre logique, les meurtriers, bandits et autres voleurs ont été plus forts que leurs victimes. Que sont votre bras et votre épée, sur un socle aussi bancal ? »Le sourire d'Elistan s'élargit, se teintant de bonté et, étrangement, de compassion.« Pourquoi ne pas essayer la bonté, Verminaard ? Combien de maux pourriez-vous alléger, vous qui avez les moyens et la puissances de lever une armée ? »

« La bonté, la pitié et la compassion ne sont que des tentatives futiles pour compenser nos pulsions violentes. La culpabilité, ah ! Débarrassez vous en ! Vivez pleinement le temps qui vous reste. Ou alors c´est que vous ne méritez pas de vivre... »

La mâchoire de Verminaard se crispa : « Une nouvelle ère arrive, et elle ne connaîtra pas de pitié. » -Il prit son casque en main- « Je vous offre une chance, celle de protéger les vôtres. » -Il regardait son casque comme s'il s'agissait d'un visage face à lui- « Tous ne se sont pas vus offrir cette possibilité. » -Il plaça le casque sur son visage- « J´ai la foi, Elistan. Je crois. » -Il était maintenant vraiment terrifiant avec tout son attirail- « C´est ma déesse qui m´a donné la capacité de guérir. De vous guérir. Dois-je retirer Sa bénédiction? Car c´est assurément ce qui va se passer si vous persistez à refuser la main que je vous tends. » -Il tapota son fouet accroché à son ceinturon- « Et je devrai me montrer autrement plus persuasif... » Devant la menace plus qu'évidente, Elistan se figea. Verminaard, qui tenait désormais plus du monstre de métal que de l'homme, lui faisait peur. Et sa pensée insidieuse se faisait un chemin vers sa conviction, l'éprouvait, essayait de passer par les failles pour lui faire plier le genou.

Il a raison... Et si jamais ma reddition sauvait ces gens ? Pourquoi me montrer égoïste en restant fidèle à des principes qui résulteront en plus de souffrances que de bien ? L'absurdité de ces pensées le frappa. Jamais Verminaard ne laisserait ces gens en paix, qu'il se soumette ou pas. Il avait failli céder à la menace, failli offrir le cou de son âme à la guillotine tentatrice du pouvoir.

Il se redressa, et planta ses yeux dans la gueule métallique, ne pouvant localiser les yeux dans l'ombre du casque maléfique.« Jamais, forban ! Jamais tu ne me feras plier. S´il doit rester une épine dans ton flanc, un caillou dans ta chaussure, ce sera moi. Il y a des hommes en cette contrée qui sont prêt à se battre pour leur liberté et leur bonheur. Je les rejoindrai, et à leur côté, j´arracherai cette liberté que tu t´efforces d´enfermer ! Tu n´auras jamais la paix, suppôt des dragons ! L´homme est fait pour être libre, pas pour être mangé. Tu t´y casseras les dents ! » Dans le tutoiement soudain d'Elistan, on sentait le mépris qu'il avait des idéaux du Sénéchal.

Dans sa diatribe, il était facile de voir pourquoi Elistan était aussi aimé de la population de Haven. On voyait qu'il croyait dur comme fer à ce qu'il prêchait, à ce qu'il disait. Ses yeux d'ordinaire calmes et doux, sa voix posée et grave, son air professoral, avec son imposante barbe brune, tout s'enflammait lors du transport du sermon. Il émanait de lui une aura de certitude et de volonté. C'était évident pour Verminaard : Quelque soit l'endroit, quelles que soient les circonstances, Elistan ne lui prêterait jamais son concours. Un moment de silence passa, et Verminaard en profita pour observer le vieil homme d'une quarantaine d'année : « Je pense que tout est dit. » -Il se rapprocha d'Elistan et posa sa main sur son épaule- « Tu veux être libre? Hé bien soit. Tu es libre de la grâce qui t´a été offerte ! »

Quelque chose se passa instantanément dans le corps du questeur. Des crampes, de légers tremblements et une douleur stomacale ressurgirent. Les mêmes symptômes qu'avant la guérison par Verminaard, signant le retour de la maladie.

« Et maintenant laisse moi te montrer mes... "dents". » Il invita son interlocuteur à le suivre sur le balcon. En bas, le peuple s'interrogeait sur ce qui allait se passer. Ils craignaient pour leur vie et celle de leurs proches. Le sénéchal dragon observa de haut toute cette masse grouillante de serviteurs. « As-tu déjà eu du sang sur les mains? » -Sans attendre de réponse, il marmonna quelques mots inintelligibles- « Observe le ciel, et admire... »

Surgissant de derrière une colline, un énorme oiseau s'éleva dans les airs en direction de la ville de Haven. L'animal se déplaçait avec grâce et sa peau rouge renvoyait les éclats du soleil. Mais au fur et à mesure de son avancée il fut évident qu'il ne s'agissait nullement d'un oiseau. Mais bien d'une sorte de reptile gigantesque, aussi gros qu'une maison. Ce ne pouvait être que la créature communément appelé "dragon" et qui servait à faire peur aux enfants. Hors, ici il était tout ce qu'il y avait de plus réel. La créature passa une fois au dessus de la place suscitant terreur parmi les habitants rassemblés. Mais ils ne pouvaient fuir, aussi s'écrasaient-ils à même le sol comme pour se prémunir du danger. Un geste bien futile mais surtout instinctif.

Verminaard désigna une maison et le dragon ouvrit la gueule. Un flot de feu embrasa le toit de la chaumière et tout ce qui s'y trouvait. En quelques secondes c'était comme une explosion volcanique surgissant de la bouche du reptile ailé qui consuma entièrement le bâtiment ! La chaleur s'en ressentait jusqu'au visage d'Elistan. Puis le dragon se déplaça jusqu'au dessus de la place, son énorme tête capable d'avaler un humain comme on avale un insecte juste devant le balcon. « Bien, dois-je lui dire de brûler quelques personnes en exemple? Ou bien proposes-tu à la population de suivre gentiment mes directives? Ne tarde pas trop, vieil homme ! J´ai suffisamment montré ma patience aujourd´hui. » Le dragon plissa les yeux en observant le sénéchal, puis se tourna vers Elistan en révélant des crocs aussi longs que des épées à deux mains et dont l'épaisseur semblait à toute épreuve. Il se rappela alors des "dents" dont parlait Verminaard...

Les crampes le saisirent... Cette douleur. Il pensait ne plus jamais avoir à la subir. Les mains d'Elistan se crispèrent sur sa poitrine, les veines saillantes. Un léger râle s'échappa du fond de sa gorge. Il ne pensait pas un jour devoir revivre cette sensation, sa vie arrachée, son corps qui ne lui obéissait plus. Il se sentit faiblir, ployer devant cet immonde adversaire.

« Lâche. N´as-tu donc aucune dignité ? »De douleur et de rage, sa voix sortait rauque de son visage convulsé.

Verminaard ne l'écoutait même pas. il rajouta quelque chose, qu'Elistan, tout à sa souffrance, n'entendit pas. Puis il vit le dragon. C'en fut trop. Trop. Il avait vu ses amis et frères se laisser corrompre. Il avait vu la population qu'il aimait lentement tomber entre les griffes de ce monstre. Et maintenant... Maintenant le dragon. Impressionnant de malice. Effrayant de puissance.

Toutes les barrières mentales d'Elistan se brisèrent d'un coup et le flot de peur et de résignation lui tombât dessus. Sa fière tête se baissa en signe d'abandon. En se relevant, la voix blanche et tremblante, essayant sans succès de consigner sa peur et sa douleur, il abdiqua : « Soit. Tu triomphes, scélérat. Je ferai ce que tu m´ordonnes, mais par pitié, épargne ces gens, qui ne demande rien de plus que le bonheur simple d´un foyer. Rappelle ta créature, je t´en supplie. »

Chaque mot coûtait une partie de son âme au grand Questeur, une partie de son intégrité. Il violait tous ses principes, abandonnait tout ce en quoi il croyait. Mais il le fallait. Si je dois souffrir et me déshonorer pour le bonheur de tous, ainsi soit-il... Les deux yeux qui scrutaient Elistan se plissèrent : « Bien. Maintenant tu vas annoncer à ton peuple qu´ils vont suivre mes soldats jusque Pax Tharkas. Voici la liste de ceux qui resteront en ville. » -Il sortit un parchemin d'un étui accroché à sa ceinture. Il n'y avait tout au plus qu'une vingtaine de familles qui pouvaient rester à Haven- « Si certains désobéissent, ils serviront d´exemple comme bûcher vivant ou nourriture pour mon ami. » -Il fit signe au dragon qui s'éloigna de la place- « Ensuite tu m´accompagneras toi aussi jusqu´à la forteresse... »

Verminaard attendait maintenant le discours -tout comme le peuple- du sage, tout en restant à ses côtés.

Elistan s'approcha de la fenêtre donnant sur le large balcon de pierre claire. Elle s'ouvrit dans un chuintement de bois, preuve de la diligence du personnel. Il soupira. Il avait presque espéré qu'elle se coincerait, qu'il pourrait échapper à ce terrible destin. Qu'il n'aurait pas à prononcer une sentence aussi terrible.

Elistan s'approcha dans la lumière, laissant à tous voir son visage marqué par la souffrance et la peur. Le presque cri de joie qui avait commencé à s'élever à son apparition mourut au fond des gorges. Le visage du grand Questeur était blême, comme si un mauvais esprit avait mangé la vie qui habitait normalement son visage.

« Mes amis », commença le grand prêtre, « l´heure n´est plus au combat. L´heure est à la survie. Nous ne sommes pas assez fort pour nous défendre contre la traîtrise de cet homme. Il n´hésitera pas à tuer, brûler, ravager pour son plaisir et ses buts. »Il désigna la maison.« Ne nous faisons pas gloire de supporter le mal. Si nous sommes cendres, nous ne pouvons plus lutter. »

Elistan laissa retomber son bras. Il lui restait le plus difficile : annoncer la déchirure, et en prendre la responsabilité.« Voici ce qu´il ordonne, et ce qu´il me force à vous répéter. Nous devons partir, les amis. Le suivre jusqu´à Pax Tharkas. Hommes, femmes, enfants. Certains restent cependant. » Et il lu la liste, tremblant et pathétique, voyant ceux qui pouvaient rester s'illuminer... Il y en avait tellement peu...

Moins fort, presque par peur, il ajouta : « Gardons courage... » Elistan entendit un crissement de dents derrière lui. C'était Verminaard qui le fusillait du regard. « C´est beau l´espoir. Mais au final c´est tout ce qui les accompagnera jusqu´à la fin... » Le sénéchal se détourna du questeur et récupéra ses affaires. Puis il quitta la pièce, laissant à ses draconiens le soin d'emporter le prisonnier.

À l'extérieur les soldats gobelins et draconiens travaillaient de concert pour séparer les quelques élus dont la présence était indispensable en ville, de ceux qui serviraient pour extraire les précieux métaux dans les mines de Pax Tharkas. Mais dans ce cas, pourquoi emporter les femmes et les enfants?

Les prisonniers furent placés dans des grandes cages sur roues tirées par des chevaux. Entassés comme des animaux sans nourriture ou couvertures. Elistan fut placé avec son peuple, encourageant et rassurant comme il pouvait les pleurs, craintes et colères légitimes. Le convoi se mit en branle dans la journée, escorté par toute une colonne de draconien ouvrant la marche, et les gobelins la fermant et marchant aux côtés des différents chariot-prisons. La route ne fut pas longue, car arrivés aux abords de la rivière de Rageblanche, des embarcations en bois plate attendaient les troupes et chariots. On fit monter les cages sur les bateaux en prenant soin de les fixer pour éviter qu'elles ne fassent tanguer les navires, et les troupes s'installèrent autour. En une heure tous furent installés, et la descente de la rivière débuta.

Les flots emportèrent rapidement les embarcations. Et la descente fut terminée en une journée là ou il en aurait fallu sans doute trois ou quatre en contournant Sombrebois par Solace.

Les bateaux débarquèrent leurs passagers juste avant le pont de la vieille route. Et la colonne se remit en marche immédiatement, ralliant les portes de la forteresse en début de soirée. Sous le regard des trois lunes. La forteresse avait été construite par les nains et les elfes et protégeait le passage menant au Qualinesti. Verminaard et ses troupes prévoyaient sans doute de partir à la conquête du royaume elfe bientôt. Mais les troupes que commandait le sénéchal dragon n'étaient pas encore suffisantes pour faire tomber tout un royaume. Il était en train de reprendre des forces en protégeant l'accès à la montagne. Et c'est ici qu'entrait en jeu les hommes de Haven. Ils allaient servir comme mineurs pour extraire du métal afin de forger des armes, armures et boucliers aux armées draconiques.

Les prisonniers furent laissés toute la nuit à l'extérieur, dans les chariots jusqu'au petit matin. Le froid avait empêché nombre d'entre eux de passer une nuit relativement correcte, sans compter qu'aucune nourriture n'avait été distribuée. Verminaard et ses hommes firent alors leur apparition : « Séparez les hommes d´avec les femmes et les enfants. Les hommes travailleront dans les mines, et les femmes feront la cuisine. » Chacun se laissa faire, puis avant d'envoyer les hommes aux mines, Verminaard s'adressa une dernière fois à eux : « Si vous tentez quoi que ce soit, vos enfants, et vos femmes, périront. »

Piqués par des lances, les hommes tentèrent de réagir, mais les gobelins autour des enfants sortirent leurs épées courtes, menaçant les jeunes au niveau de la gorge. Le calme revint de suite. Puis les femmes et enfants furent menés à l'intérieur, tandis que les hommes furent conduits aux mines, dans la montagne. Le travail dans les mines était éreintant. Les hommes souffraient de malnutrition, du dur labeur, et des coups de fouet de leur geôliers. Ils n'avaient pas revu leurs enfants depuis que les draconiens les avait emporté. Mais les femmes venaient une fois par jour apporter de la nourriture aux travailleurs forcés. Et elles donnaient quelques nouvelles des enfants qui étaient gardés par une vieille dragon rouge aveugle et un peu folle. Elles étaient enfermées la plupart du temps dans les caves de la forteresse, où elles avaient accès à une cuisine et un peu de nourriture. Deux jours s'étaient déroulés à ce rythme épuisant.

Au milieu du troisième jour deux gardes vinrent chercher Elistan pour le mener devant Verminaard. Ils escortèrent le questeur au travers des grands couloirs qui traversaient la forteresse jusqu'au centre d'une des tours.

Ils le jetèrent dans une immense salle qui devait certainement servir de salle du trône pour les elfes et les nains qui avaient bâti cette majestueuse citadelle. De hautes colonnes supportaient le plafond et au centre de la pièce se trouvait un énorme trône. Tout autour de la salle de grands miroirs argentés couvraient les murs, augmentant encore l'effet de grandeur des lieux. Derrière, la porte par laquelle était passé Elistan mesurait au moins trois mètres de haut pour six de large. Une silhouette était installée sur le trône portant le masque abominable des seigneur-dragons : Verminaard.

La voix rauque s'éleva derrière le heaume, s'adressant au nouveau venu : « Elistan... » -Il se leva de son siège et s'approcha du questeur. Tout dans son attitude et sa démarche transpirait la force, la détermination et la suffisance- « Je n´ai guère oublié vos paroles, à Haven. » -Il sortit son fouet- « Je n´ai pas encore eu le temps de vous "remercier", mais aujourd´hui je suis d´humeur... »

Le fouet claqua plusieurs fois, traçant des sillons rouge sur le corps du questeur. Les coups se succédèrent, violents, jusqu'à ce que le monstre prit une pause. Il fit venir un verre de vin afin de se désaltérer. Un nain des ravines le lui apporta puis disparu aussitôt. Le voyage avait été atroce. Une marche forcée sans pause ni nourriture. On les avait traîné dans des cages comme du bétail.

Elistan avait passé le trajet à tenter réconforter les hommes, rassurer les enfants, consoler les femmes. Il avait pour tous un mot, une parole, un sourire. Dans ce marasme de malheur, il semblait être la dernière flamme qui tenait bon et il espérait que certains garderaient courage, seraient assez forts. Même lorsque son maigre espoir de trouver l'aide en traversant les nombreuses villes de la bordure de Sombrebois fut déçu, il garda le sourire.

La nuit dans le froid, sans vivres ni protection, fut horrible. Les enfants grelotaient serrés contre leur parents eux-mêmes transis. Il invectiva ses geôliers, passa de la colère à la supplication, de la supplication à la rage, de la rage aux sanglots. Mais rien n'y fit. Les hommes-dragons avaient été plus stoïque que du granit et étaient restés sourds à ses plaintes.

Il avait assisté impuissant à la séparation. Que pouvait-il faire ? La réponse était : rien. Il se plia aux ordres, saisi la pioche quand on lui demanda de la saisir, frappa la pierre quand on lui demanda de frapper. En silence, il analysait les tours de gardes, cherchait la faille du système qui lui permettrait de renverser Verminaard.

Quand le draconien vint le quérir pour le compte de son chef, une petite pointe d'espoir ne put s'empêcher de frayer son chemin dans le cœur d'Elistan. "Qui sait si mes paroles ne l´ont pas atteint ?" Il secoua la tête, refusant d'y croire. Selon toute probabilité, Verminaard avait un dessein plus profond que d'extraire du métal. Il se prépara à devoir subir un interrogatoire. Jeudi a écrit :« Je n´ai guère oublié vos paroles, à Haven. »-Il sortit son fouet-« Je n´ai pas encore eu le temps de vous "remercier", mais aujourd´hui je suis d´humeur... »

"Pour son simple plaisir ?!", pensa Elista, alors que le draconien l'attachait solidement à des chaînes et retirait le haut de sa bure, "Est-ce encore un homme ?".

Il entendit le premier claquement et attendit la douleur comme une vieille amie, à bras ouverts, comme on le lui avait enseigné des années plus tôt. Les chairs meurtries mirent quelques dixièmes de secondes à lui annoncer combien la souffrance était déplaisante. Il serra les dents. IL ne voulait pas gémir. Il ne voulait pas offrir le luxe à son tortionnaire de le voir souffrir.

Le second claquement fut accueilli avec un silence assourdissant. Au troisième, un râle s'échappa, qu'il étouffa autant qu'il put. "Ne pas penser. Attendre qu´il se lasse. Attendre. Attendre."

Il ne garda pas en mémoire combien de coups s'enchaînèrent. Lorsque finalement Verminaard s'arrêta, il dessera les dents et s'humecta les lèvres. Sa mâchoire paralysée par l'effort, il ne put que cracher : « As-tu... donc... eu ton.. compte ? »-une quinte violente de toux le prit, lui rappelant que les zébrures sur son dos n'étaient pas les seuls présent de Verminaard-« Pourquoi... cela ? Qu´et-ce que les hommes... peuvent donc t´avoir... Kref ! Kof !!... fait ? » Verminaard se retourna et déposa le verre sur le plateau. Il s'approcha d'Elistan et s'accroupit pour se mettre à sa hauteur. Le cuir et le métal de son armure grincèrent, et sa main gantelée releva un peu plus le menton de l'homme torturé. La voix rauque du sénéchal dragon surgit de sous son casque : « Je n´oublie pas. Et j´ai compris que je ne pourrais rien tirer de ta pauvre carcasse sénile. Aussi je profite de ta présence pour me muscler les bras. » Ellistan éclata d'un grand rire râpeux, aussitôt interrompu par une terrible toux. « Le plus maléfique possible, hein, Verminaard ? »-Il cracha un peu plus ses poumons-« Mais n´oublies pas : tout le monde peut être sauvé. Même toi. Sois fort au lieu d´être faible. Cherche le pardon... plutôt que la puissance »Sa voix mourut à la fin, ses forces drainés par la simple phrase.

Nageant dans son magma de douleur, Elistan ne put s'empêcher qu'il avait réussi à sermonner son ennemi et à le provoquer alors qu'il le torturait. Il s'autorisa un sourire mental au milieu de la souffrance, et se focalisa sur le "Je n'oublie pas" de Verminaard, pour ne pas penser aux prochains coups de fouets qui ne manqueraient pas de suivre cette sortie.

« Sauvé? » -Verminaard reprit les termes d'Elistan, visiblement surpris- « Parce que tu crois que tu peux encore être sauvé? Ahahah mais mon cher, ta chance est passée ! En ce qui me concerne je l´ai saisi et je suis sauvé. Je suis dans le camp de ceux qui vont dominer Krynn, vieux débile ! Et je veux t´entendre le dire ! »

Il fouetta à nouveau le malheureux de toutes ses forces. Mais le questeur n'allait pas faire le plaisir à Verminaard de parler, oh non. Et le sénéchal le savait très bien. Il en profitait pour se défouler avec plaisir en essayant de culpabiliser sa victime, comme si c'était elle qui méritait les coups de fouet par son silence !

Puis le supplice s'arrêta. Et le bourreau prit une grande bouffée d'air : « Elistan, tu ne te rends pas compte à quel point tu as été aveugle ! Je vais t´aider et te prouver que j´ai réellement la puissance des dieux ! De ma déesse... Oh oui, Takhisis, prouve à cet infidèle à quel point il a été fou et aveugle de rejeter ta bénédiction ! »

Et comme si ce n'était pas suffisant il rajouta : « Que cette vermine s´aplatisse à même le sol devant ton serviteur, celui que tu as choisi pour te représenter sur ce monde ô déesse supérieure ! »

« (...) prouve à cet infidèle à quel point il a été fou et aveugle de rejeter ta bénédiction ! »

La vision d'Elistan se troubla... "Que....?!". Verminaard se déforma, devenant une espèce de monstre tordu et horrifiant. « Tes faux dieux et tes faux pouvoirs ne m´impressionnent pas, suppôt infernal ! » Elistan avait crié cela, pour ne pas montrer sa peur. Le cri lui coutât le peu de voix qu'il lui restait et la douleur lui arracha la gorge, mais l'image se fixa. Pour la première fois de sa vie, il était heureux de voir Verminaard. « Que cette vermine s´aplatisse à même le sol devant ton serviteur, celui que tu as choisi pour te représenter sur ce monde ô déesse supérieure ! »

Une chape de plomb s'abattit sur les épaules d'Elistan. Tout en lui lui criait de tomber à genoux. Ce n'était rien : juste se laisser tomber. Pendant de longues secondes, ses genoux tremblèrent tandis qu'il serrait les dents. Finalement, il se redressa, planta ses yeux dans ceux du Sénéchal et dit d'une voix formidable, alors qu'il dégoulinait de sang tel une figure martyre des anciens temps : « Je te vois, Verminaard ! »

Verminaard voyait déjà Elistan ramper à ses pieds et le supplier. La joie de sentir cette puissance venue d'en haut gonflait cet humain d'orgueil et de suffisance. Du moins jusqu'à ce qu'il vit le questeur résister avec toute la force de sa volonté aux pouvoirs de sa déesse. En plus, le fou osait le regarder avec défiance !

La folie et la rage firent leur apparition dans les yeux du tortionnaire. Il s'avança d'un pas et enfonça deux directs dans les joues d'Elistan -8 et -9 pv.

Il attrapa ensuite Elistan par le cou et le souleva : « Sois maudit toi et tous les tiens, pauvre fou. Je ferai en sorte que tous meurent à petit feu comme toi. Tu auras la chance de voir tes moins que rien périr, et toi tu mourras au milieu d´eux, sous les reproches et les regards mauvais car, tel un berger stupide, tu les as envoyé dans la gueule du dragon ! »

Il jeta ensuite l'humain au sol et appela les gardes qui vinrent soulever le questeur par les épaules : « Jetez le avec les femmes. Leurs inquiétudes useront d´autant plus rapidement ce vieil imbécile... »

Il se détourna alors d'Elistan et rejoignit son trône.

Les deux coups de Verminaard eurent raison d'Elistan. Il s'effondra au sol comme une poupée de chiffon à laquelle on aurait coupé les fils. Il ne sentit même les deux soldats le soulever et le traîner au-dehors de la salle du trône.

Toutefois, son inconscient se rendit compte de la terrible malédiction qui retombait sur lui et les siens. Une plainte lugubre s'éleva d'entre ses lèvres tuméfiées alors qu'il sentait en lui se fixer les stigmates du sort du prêtre noir. Les gardes menèrent Elistan dans les sous-sols de Pax Tharkas, là où les femmes étaient toutes enfermées. Une grande salle derrière des barreaux. Les gardes jetèrent le corps maudits à même le sol, puis ils quittèrent les lieux laissant soin aux femmes de soigner les blessures du vieil homme avec de l'eau et des tissus. Elles évitèrent de lui poser des questions, même si des chuchotements lui parvenaient concernant des interrogations sur l'état de leurs maris et sur ce qui lui était arrivé. Mais personne ne lui demanda directement quoi que ce soit. Il reposait à même le sol, sur quelques monceaux de paille -les seuls de la pièce- le temps de récupérer de ses blessures...

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