Petit couac sur le blog de Paizo cette semaine-ci (sans doute à cause du 4 juillet et du long blog sur la création de personnage), où l'histoire courte est apparue avant le blog décrivant les Contrées impossibles. Voici donc une traduction du récit court écrit par Tim Pratt et publié sur le blog de Paizo.Ishaani traversait le marché animé en restant dans l’ombre de son gardien efrit Shadqadir. « Je n’aime pas ça. C’est dangereux, de s’occuper de… ce genre d’affaires… comme ça en plein jour. » Elle serrait l’étui à parchemin contre sa poitrine, même s’il était déjà attaché par une lanière de cuir et scellé par magie.
Le rire de Shadqadir éclata comme un grondement volcanique. « Tu ne te sens pas en sécurité en ma compagnie, petite Ishi ? N’ai-je pas protégé ta famille contre tous les dangers au cours des six dernières générations ? »
Les passages bondés l’étaient un peu moins pour eux que pour les autres, car les personnes présentes faisaient tout pour rester à bonne distance de Shadqadir. Les génies de toutes sortes étaient plutôt courants ici à Niswan, mais Shadqadir n’était ni un marid rêveur ni un djinn bienveillant. Les efrits étaient composés de feu et de fureur, et celui-ci avait une aura de chaleur intense et d’animosité. Même si Shadqadir avait été présent pendant toute sa vie depuis sa plus tendre enfance, de temps en temps, ses yeux brûlants, ses cornes acérées et son sourire confiant inquiétaient Ishaani.
Elle ne laissait jamais transparaître sa peur cependant. « Je ne suis plus une enfant, » répliqua-t-elle sèchement. « Je suis capable de prendre soin de moi-même. J’ai étudié à la— »
« Oui, oui, dans une Maison de la Perfection. » L’efrit bâilla et un peu de fumée sortit de sa bouche. « Nous sommes tous très impressionnés. Tu t’es probablement dit que fréquenter le Monastère de la Flamme qui ne vacille pas flatterait ma nature enflammée et m’empêcherait de dévorer tes jeunes quand le temps viendra. »
« Mon choix n’avait rien du tout à voir avec toi. J’ai choisi cette Maison parce que l’étude de la philosophie occulte m’intéresse plus que la puissance des armes. »
« Pourquoi te tracasserais-tu à propos de savoirs martiaux alors que mes pouvoirs sont à tes ordres ? Du moins jusqu’à ce que tu procrées. »
L’ancêtre d’Ishaani avait lié Shadqadir à son service il y a plusieurs siècles de cela et le contrôle direct de ses considérables pouvoirs se transmettait vers le premier-né de l’ancien maître… mais le lien avait une faille, et Shadqadir en serait libéré lors de la naissance de la septième génération. Il n’avait jamais caché son projet de se venger de l’esclavage que lui avait imposé la famille d’Ishaani dès qu’elle aurait un enfant.
Ishaani avait donc décidé d’être la dernière de sa lignée. Si elle mourrait sans enfant, il serait également libéré… mais elle était jeune et avait encore du temps devant elle pour s’occuper de
ce problème-là. Si l’héritage qu’elle laissait après elle ne se faisait pas sous la forme d’un enfant, elle allait laisser sa trace sur le monde d’une autre manière. Le parchemin, trouvé derrière un faux mur dans un salle de stockage oubliée au fin fond de sa demeure familiale, allait lui offrir une parfaite occasion de le faire. « Contente-toi de rester attentif, Shad. Ce n’est pas vraiment une possible attaque ou un vol qui m’inquiète mais plutôt le fait que quelqu’un entende notre discussion. Nous aurions dû trouver une personne capable d’authentifier le parchemin qui soit prête à venir jusqu’à nous. » L’érudit qu’ils étaient en chemin pour rencontrer avait bel et bien proposé de venir dans sa demeure… mais dans six semaines, quand son emploi du temps le permettrait.
« Tu n’as jamais dit que tu recherchais ce genre de facilités, Ishi. Tu as demandé le meilleur et le plus discret. Comme toujours, j’ai suivi tes instructions à la lettre. »
À la lettre et pas une syllabe de plus, pensa-t-elle. « Le meilleur est un Avistanais ? J’ai encore du mal à le croire. »
« De temps en temps, le point de vue d’un étranger rend les choses plus claires. Par exemple, en tant qu’humain, tu considères Jamleray comme une île remplie de merveilles et Niswan comme une ville aux mille et unes splendeurs. Tu t’émerveilles devant ses temples dorés, ses pagodes gracieuses, ses rues parfumées, ses palais étincelants, ses ponts et ses tours bâtis en combinant magie et métal, devant cette myriade de gloires mortelles. » Il fit un geste large, incitant les gens les plus proches à s’éloigner précipitamment. « Alors que moi, qui ne me laisse pas aveugler par les sentiments et qui provient d’un plan ésotérique, voit cet endroit pour ce qu’il est vraiment. »
« À savoir ? »
Shadqadir renifla. « Du petit bois, qui ne demande qu’à s’embraser. »
Ils atteignirent un étale drapé de tissus colorés et recouverts de livres, le plus grand dans une rue remplie de vendeurs de livres, de scribes et de calligraphes. Un homme pimpant, plus pâle qu’Ishaani et portant une barbe et une moustache finement taillée, s’approcha d’eux. « Vous devez être la jeune dame qui voulait me voir. Avec votre compagnon. » Il inclina la tête de manière respectueuse en direction de l’efrit. « Comment puis-je vous aider ? »
« Vous êtes Zotikos le Sage ? » dit Ishaani.
« Certains me flattent en utilisant ce nom. »
Elle jeta un coup d’œil aux alentours puis se rapprocha. « On m’a dit qu’il n’y avait pas de meilleur expert en antiquités de Jalmeray datant du règne des Archi-seigneurs. »
« Je peux le confirmer, oui. »
« J’ai un parchemin qui indique être de cette époque. J’aimerais déterminer son authenticité. »
Zotikos hocha la tête. « Les fausses cartes aux trésors et les contrefaçons sont nombreuses. »
« C’est une affaire qui demande de la discrétion— »
Zotikos toucha un joyau sur sa gorge et les bruits agités du marché cessèrent. Un sort destiné à bloquer les sons et à se protéger des oreilles trop curieuses. « Personne ne peut nous entendre désormais. »
Ishaani ouvrit l’étui à parchemin, tira précautionneusement le document qui s’y trouvait et le déroula délicatement.
Zotikos se pencha sur le document, l’observa attentivement puis regarda le visage d’Ishaani. « Cela semble être une lettre indiquant l’endroit où a été caché le légendaire artefact connu sous le nom de Sceptre des Archi-seigneurs, écrite par un des dirigeants de cet ordre avant qu’ils ne fuient l’île. »
« Oh, bien. Il sait lire, » dit Shadquidar. « Nous savons ce que la lettre dit. Est-elle
réelle ? »
« Hmmm probablement pas. Une rumeur disait que le Sceptre avait été trouvé récemment par un idiot andorien, mais ce n’était pas vraiment non plus. Puis-je ? »
Ishani lui tendit le parchemin. Zotikos pinça le document entre ses doigts, le rapprocha de ses yeux et alla même jusqu’à le renifler. Elle se demanda un moment s’il allait aussi goûter l’encre. Au lieu de cela, il prit une lentille ronde dans sa poche et regarda à travers elle. Après un moment, il lui rendit le parchemin. « Je ne sais pas si ce que le texte dit est vrai, mais le document date bien de la bonne période. La qualité de l’encre, son niveau d’affadissement, la composition du papier… tout correspond aux dernières années de la domination des Archi-seigneurs sur Jalmeray. Mais même si le texte est vrai, le Sceptre a sans doute disparu depuis longtemps, découvert par quelqu’un ou déplacé— »
« Nous n’avons pas besoin de ce genre de conseils. » L’efrit ouvrit sa main et des pièces d’or tombèrent sur la table. Zotikos alla les ramasser puis siffla de douleur et les laissa tomber, ce qui fit ricaner l’efrit. « Elles pourraient bien être un peu chaudes. »
Ishaani décocha un regard sévère vers l’efrit et dit « Merci pour votre aide, Zotikos. Je peux compter sur votre discrétion ? »
« Bien sûr. »
« Dans le cas inverse, on peut s’assurer de votre discrétion. » grogna Shadqadir, et l’homme afficha une inquiétude qui semblait adéquate pour la situation.
La paire quitte la bulle d’isolation sonore et les bruits du marché revinrent. Ils marchèrent pendant deux ou trois minutes, Ishaani plongée dans des réflexions silencieuses au sujet de ce qu’elle allait faire ensuite, puis l’efrit parla à nouveau.
« Les termes qui me lient m’obligent à te dire que cet homme n’était pas vraiment Zotikos l’érudit avistanais mais un imposteur. D’après moi, il s’agissait d’un rakshasa déguisé par une illusion. »
Ishaani faillit s’arrêter pour se retourner mais elle continua à marcher de manière aussi naturelle que possible. « Comment le sais-tu ? »
L’efrit ricana. « J’ai rencontré Zotikos autrefois, il y a des années de cela, pendant une mission pour ta mère. Au début, il a hésité à me remettre un tome qu’elle désirait. Je l’ai donc persuadé de le faire, et je lui ai laissé une petite marque sur le poignet pour qu’il se souvienne de mois, une brûlure ayant la forme du bout de mon doigt. Même si Zotikos était parvenu à m’oublier, sa chair se serait souvenue de notre rencontre, mais sa peau ne portait aucune marque. Je ne l’ai remarqué que quand sa manche s’est relevée, au moment où il te rendait le parchemin, ou sinon je te l’aurais dit plus tôt. »
« Un rakshasa, » murmura-t-elle. « On ne peut pas se fier à ce qu’il a dit alors. La lettre pourrait être un faux. »
« Ou elle est réelle et, maintenant, l’une de ces satanées créatures est au courant de ta quête. Le fiélon a peut-être même pris la place de Zotikos pour nous rencontrer. Cela fait deux jours que nous avons fixé ce rendez-vous après tout. Bien assez de temps pour qu’une personne curieuse à propos du parchemin puisse mettre ses plans en place. »
« Qui aurait pu savoir à propos du parchemin ? »
Shadqadir haussa les épaules. « Des traitres parmi les serviteurs, des espions, une surveillance magique… tout le monde sait que tes parents s’occupaient de choses importantes et cela ne me surprendrait pas si ta demeure était sous surveillance. Quoi qu’il en soit, la discrétion n’est plus suffisante pour assurer notre sécurité. Pour ta quête de gloire, nous avons désormais en face de nous des opposants potentiels. » Le sourire de Shadqadir était désormais comme le feu d’une forge.
Sa mine se renfrogna. « Ce n’est pas pour autant que tu dois te montrer si heureux ! »
« Oh mais si. J’ai juré de protéger ta vie et ton bien-être au mieux de mes capacités… mais si des ennemis suffisamment puissants se dressent devant toi, le mieux de mes capacités pourrait bien ne pas être suffisant. Dans ce cas-là, tu pourrais mourir et je serais libre de dévorer ta famille. » Il poussa un soupir de satisfaction.
Elle avait déjà entendu ce genre de choses de sa part auparavant… mais elle ne s’en était jamais inquiétée jusqu’ici. « Les efrits n’ont pas besoin de manger quoi que ce soit, » grogna-t-elle. « Laisse ma famille en paix. »
Il haussa les épaules. « Je ne m’attends pas à apprécier le repas, mais une promesse est une promesse. Ainsi donc, on y va ? On va embrasser ton destin, Ishi ? »