C'est un Stover Delft occupé, comme à son habitude, qui fit rentrer Mikal dans son bureau. Un vieux fauteuil en cuir était le seul élément confortable de la pièce désordonnée, mais le constable-inspecteur en chef restait le plus souvent debout, du moins jusqu'à ce que sa jambe mutilée lui fasse trop mal. Il était donc de coutume que ses interlocuteurs restent également debout. Certains constables disaient que Delft avait adopté cette technique pour ne pas passer trop de temps en réunion. « Vous voulez voir Torett? » Beaucoup de constables se nommaient en effet entre eux par leur nom de famille, surtout lorsqu'ils n'étaient pas de la même équipe. « Elle devrait être de retour demain - enfin j'imagine, si tout se passe comme prévu - avec toute l'équipe. »

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Les dernières paroles de Jean semblèrent laisser Dima relativement perplexe, mais il était difficile de dire si le tieffelin l'avait remarqué. Il arriva sur les quais après plus d'une heure de marche - Flint était assurément une agglomération de belle taille. Ici et là, il avait croisé des groupes de dockers agités. Les éléments les plus "perturbateurs" avaient été arrêtés suite aux émeutes des derniers jours mais l'ambiance entre les dockers et les forces de l'ordre restait extrêmement tendue. Un couvre-feu avait même été instauré dans la Baie des Quarts.

Jean aperçut le VNR (Vaisseau Naval Royal) Orageux, à quai. Son nom évoquait l'envie typiquement humaine de dompter les éléments.

Le tieffelin ne prêtait guère attention à son environnement. Les sons lui parvenaient comme étouffés. Parfois, quelques éclats de voix de groupes agités rompaient sa concentration. Il s'écartait alors le plus discrètement possible, ne désirant pas trop attiré les regards sur lui. D'un simple geste, un mot de pouvoir, et hop, un bruit de cavalcade imaginaire de son crû suffisait à écarter les soucis. Les gens de son espèce n'étaient pas toujours appréciés. Une fois la menace potentielle éloignée, il se replongeait dans ses réflexions.

Il n'avait pas eu trop d'informations sur la nature des épreuves qui l'attendaient. Dima n'avait rien lâché. Elle l'avait toutefois rassuré sur leur nature a priori inoffensive. Être tieffelin ne semblait en tout cas pas accroître leur difficulté. Il se tâta pour aller rendre visite à Hortense. Peut-être en saurait-elle un peu plus ? Après tout, elle en connaissait, du Bôôô Monde, comme elle disait ! Il choisit cependant d'affronter son destin avec honnêteté, en s'appuyant sur ces seules qualités personnelles, avec spontanéité. Sans compter que les soirées de l'historienne mondaine pouvaient s'éterniser. Inutile de rajouter de la fatigue aux difficultés à venir.

La vision de l'Orageux lui arracha un sourire. Il s'empressa de monter à bord. Liz savait respecter ses moments de solitude. Elle s'éloigna pour se percher dans une ramure, proche. Dénichant une couverture dans ses quartiers, Jean l'étala sur le pont, avant de s'y allonger. Le moment était à la rêverie. Sa main tira de sa poche un cigare qu'il huma avec délectation. Orrud, son alchimiste préféré, était toujours de bon conseil à ce sujet. Il salivait déjà en anticipant le fort goût de tabac qui envahirait ses narines.

Son petit rituel d'allumage achevé, il se perdit dans l'immensité de la voûte stellaire à travers la fumée odorante qu'il modelait parfois en beignets, usant machinalement, avec la force de l'habitude, de sa langue et de ses lèvres tout en contrôlant son souffle. Les cieux approuvaient-ils son choix ? Rejoindre cette organisation lui permettrait de financer plus aisément ses recherches, mais devenir constabulaire serait une occupation à plein temps et dangereuse. En outre, ses futurs collègues accepteraient-ils un rêveur tel que lui, comme l'affirmait Dima ? Tiens, il faudra qu'il se renseigne sur eux, avant de les rencontrer. Enfin, s'il était accepté...

La bâtisse du Constabulaire Royal était spacieuse. Il y avait de nombreux et longs couloirs, desservant moult pièces. Jean se demanda combien de personnes travaillaient ici. Et plus généralement, combien d'agents actifs étaient employés par cette organisation. Tous œuvraient-ils pour Risur ou bien le Premier Ministre profitait-il à titre personnel du service de certains d'entre eux ? À moins que certains membres soient des espions de puissances étrangères ou d'autres membres influents du pays ? Il ne savait s'il y avait un organisme de contrôle pour surveiller son activité. Quoi qu'il en soit, quel genre de test pouvait détecter cela ?

C'est donc finalement avec impatience et curiosité qu'il entra dans le bureau de Harkover Lee, qu'il salua avec dignité. Il s'était inquiété pour rien. L'examen se révéla bien inoffensif, comme Dima le lui avait assuré. Quoi que... Indolore, certes, mais inoffensif ? La confusion et le calme qui l'habitaient lui rappelaient les séances d'hypnotisme à la mode, qu'il avait expérimentées chez Hortense. Et si le test n'en était pas un ? Si Harkover lui avait implanté quelque suggestion l'empêchant de trahir Risur ? Ce serait une méthode diaboliquement efficace. La magie pourrait-elle contrer une telle méthode naturelle ? Se tournant vers Liz, restée sur son épaule, il lui livra le fond de sa pensée. « As-tu l'esprit aussi embrouillé que moi ? En tout cas, c'était décevant. Je m'attendais à davantage... d'interactivité. Enfin, nous voilà constabulaires, maintenant, sœurette ! Allons manger un morceau, nous retournerons voir Dima après, pour signer les papiers. »

En chemin, il résolue de trouver l'hypnotiseuse qui avait dirigé la séance chez Hortense. Il avait quelques questions à lui poser. Et des vérifications à effectuer sur son propre esprit.