Et l'histoire courte de Tim Pratt accompagnant les Contrées brisées et disponible sur le blog de Paizo : Bien loin du paradis...
« Excuse-moi… »
Les épaules avachies, Sélik vint se placer à l’arrière du groupe à côté de Boret et des autres archers. « Stupide croisé. Puis d’abord, pourquoi est-il ici ? On n’a pas besoin de lui ! Notre dieu est revenu et nous a réuni avec le reste du clan. »
Boret grogna. « Dolok Sombrefourrure est puissant, il n’y a aucun doute de cela. Et, sans sa guidance, nous serions encore en train de nous cacher dans la forêt. Mais malgré tout… Ramnos a plus d’expérience pratique dans le combat contre les démons que nous tous réunis. On sera content d’avoir son épée à nos côtés quand nous attaquerons cette forteresse. »
Leur dieu, une créature massive ressemblant à un ours, dont les plumes de couleurs vives et les yeux intelligents le rendaient impossible à confondre avec un animal ordinaire, menait le groupe avec, à ses côtés, cet irritant croisé et l’appeleuse de dieu de leur clan, Nelket.
Sélik cracha. « Les autres croisés ont quitté Sarkoris quand la Plaie du Monde a été refermée. Je ne lui fais pas confiance. Pourquoi est-il encore ici ? Ne devrait-il pas galoper vers les terres du sud avec les autres comme lui ? »
Boret renâcla. « Si les croisés sont repartis vers le sud, c’est parce que le Tyran qui Murmure s’est réveillé. Les choses ne vont pas si bien là-bas. »
« Mais pourquoi… »
« Par les bois de la Mère-Cerf, mon garçon, va lui demander toi-même si tu veux connaître ses raisons ! Je ne suis pas le confident du croisé ! »
Sélik jeta un regard sombre en direction de l’avant du groupe, écarquillant ses yeux quand le croisé s’arrêta de marcher jusqu’à ce que Sélik arrive à son niveau, puis reprit son avancée à côté de lui. « Je n’ai pas pu m’empêcher d’entendre ta question. » Son accent était atroce. « Je suis resté parce que j’ai fait le serment de libérer vos terres ancestrales de la souillure abyssale. Certains pensent que notre travail est terminé par ce que ces terres ne suppurent plus des démons, mais je ne suis pas d’accord. » Il s’interrompit un court moment. « Et puis, aussi, je suis très doué pour tuer des démons. »
« Vantard. »
Ramnos se mit à rire, un son qui irrita profondément Sélik. « Je préfère considérer ça comme un avis objectif que je porte sur moi-même. Je sais que tu es fâché, Sélik. Je ne te blâme pas. Ton peuple a souffert autant que les autres. Mais je préférerais que tu ne reportes pas ta colère sur moi. Tous les étrangers ne sont pas des envahisseurs. J’ai une grande affection pour ton peuple. »
« Pour ma tante, tu veux dire. »
« Ta tante la première, disons, oui. » acquiesça Ramnos.
« Tu ne feras jamais partie du clan du Paradis lointain, » murmura Sélik. Il ne restait pas grand-chose de son peuple l’idée que des étrangers voyagent avec eux énervait déjà Sélik… alors, celle que des étrangers rejoignent son clan par mariage…
« Peut-être pas mais… »
« On est arrivé, » dit l’appeleuse de dieu, sa voix ressemblant à un murmure dans l’oreille de Sélik. Il s’éloigna de Ramnos et rejoignit les autres sur une petite butte qui dominait l’étendue sinistre de Fort Carlhon. Ce qui abritait autrefois des hommes et des femmes était aujourd’hui une place-forte pour les démons, avec des nuages noirs contre-nature qui tourbillonnaient au-dessus de ses tours et de ses murs.
Sélik avait grandi dans les forêts et les champs avec les autres membres de son clan et il n’avait guère passé de temps à l’abri d’un toit de bois et de pierre. Fort Carlhon était bien plus grand que ce qu’il avait imaginé. Son peuple pourrait-il vraiment vivre là s’ils éliminaient l’infestation démoniaque ? « Les murs brillent » murmura Sélik.
« Des runes démoniaques » soupira Ramnos. « Il faudra peut-être carrément abattre ces murs. La souillure s’est infiltrée dans la pierre. Les éclairs m’inquiètent cependant. » Six éclats verdâtres illuminèrent les nuages noirs.
Dolok Sombrefourrure se leva sur ses pattes arrière et Sélik ne parvint pas à complètement cacher le sentiment d’émerveillement qui s’empara de lui. Avec leur dieu à leur tête, comment pourraient-ils échouer ? « Je n’ai pas peur de l’orage, » dit Sombrefourrure, sa voix un grondement empreint de force.
« Mais c’est le cas du reste d’entre nous. » Ramnos tendit son épée pour montrer les petits points qui se déplaçaient au sein des nuages sombres et des éclairs verdâtres d’électricité. « Ce sont des démons de la colère. De viles créatures. Ils dansent… »
« Ils dansent ? » s’esclaffa Sélik. Il fit une petite pirouette moqueuse.
« Leur danse sème la destruction, » dit Ramnos. « Peu de ceux qui la voient y survivent. Les démons ne dansent pas par plaisir. Il s’agit d’un rituel pour appeler le mal sur leurs ennemis. Ces éclairs… Ces fiélons sont au courant de notre arrivée, je le crains. Et ils ont commencé à danser notre mort. »
« Ils ne peuvent pas danser si quelqu’un les mord et arrache leurs jambes. » grogna Sombrefourrure, puis il s’élança vers la place-forte en galopant sur ses quatre pattes. Nelket et les guerriers du clan le suivirent prestement, épées et marteaux au clair.
Ramnos les observa courir. « Nous avons bien fait de discuter le plan à l’avance. Prépare ton arc, Sélik. »
« Quoi ? »
Le croisé utilisa à nouveau son épée pour indiquer un endroit. Les points dans le ciel devenaient de plus en plus gros, et certains d’entre eux fondaient dans leur direction. Sélik eut une réaction de surprise, agrippa tant bien que mal son arc et prépara une des flèches bénies. Il était l’un des meilleurs archers du clan, connu pour sa capacité à abattre des oiseaux en plein vol, mais les choses qui venaient vers eux n’étaient pas des oiseaux ; c’était plutôt des croisements macabres entre des humains et des vautours, qui laissaient derrière eux un sillage de plumes et de poussière.
« C’est mieux s’ils ne parviennent pas trop à s’approcher, » dit Ramnos. « Ils crachent des nuages empoisonnés. »
Sélik prit une profonde inspiration, visa et tira. La flèche fila en ligne droite et s’enficha dans l’aile droite du démon qui s’approchait, juste au moment où il plongeait vers Sombrefourrure. Le démon tourna sur lui-même, son autre aile déchirant le sol, puis s’effondra en un tas de plumes. Le dieu s’arrêta un bref instant pour lui porter un coup mortel puis reprit son galop. « Je l’ai eu ! » s’écria Sélik. D’autres démons furent tués par les flèches bénies lancées par Boret et les autres archers, et le reste des démons battirent en retraite vers la place-forte.
« Ils se sont concentrés sur ton dieu et n’ont pas considéré le reste d’entre nous comme dangereux, » dit Ramnos. « Mais ce ne sera plus le cas. Allons-y ! » Il s’élança vers l’avant et Sélik le suivit. Quelque chose faillit bouillir son sang… comme le frisson de la chasse, mais en plus puissant.
Les archers s’arrêtèrent à portée d’arcs des murs et tirèrent en direction des silhouettes déformées qui se trouvaient sur les remparts, afin de protéger les guerriers qui étaient en premières lignes. Au plus grand déplaisir de Sélik, le croisé était resté à ses côtés. Il agissait en tant qu’observateur et lui indiquait les cibles ; il semblait savoir quels démons faisaient office d’officier et, une fois que Sélik en eut tué quelques-uns, les fiélons mineurs rompirent les rangs et s’enfuirent.
Sombrefourrure atteignit le portail de la place-forte et se dressa, tout en rugissant, avant de s’abattre contre l’obstacle. Les runes des murs se mirent à briller et à brûler de manière plus intense. Les guerriers rejoignirent leur dieu et frappèrent les portes avec leurs armes. Le dieu, en lui-même, était un engin de siège. Bien vite, le bois sombre se mit à se fendre et à craquer.
« Tiens. » Le croisé offrit à Sélik un couteau, quasiment assez grand que pour être une petite épée, avec une lame qui reflétait plus de lumière que ce qu’elle aurait du étant donné le ciel sombre. « Ton arc te sera moins utile à l’intérieur. »
Sélik tendit la main, fit une grimace, s’interrompit, puis prit l’arme. Elle avait une bonne prise et semblait vibrer de puissance. « Pourquoi est-ce que tu me donnes ça ? Pourquoi est-ce que tu restes si près de moi en fait ? »
« Il est… possible… que j’ai dit à ta tante que je garderais un œil sur toi, » dit Ramnos, « pendant qu’elle et que les autres guerriers resteraient près de ton dieu. »
Sélik frappa son pied sur la terre. « Je ne suis pas un enfant, je n’ai pas besoin d’une nounou ! »
Ramnos ricana, un autre ricanement qui mit Sélik en colère. « Tant mieux… je serais une très mauvaise nounou. Par contre, je suis un bon guerrier, et je serais honoré de me battre à tes côtés. »
« Je n’ai as besoin de ton aide, » dit Sélik. « Je peux trouver la gloire de moi-même ! »
« Je n’en ai aucun doute, mais elle m’a fait prêter serment. » Il haussa les épaules. « Un serment, c’est un serment. »
« Je n’en ai… »
Le croisé hurla tout à coup et poussa Sélik sur le côté, alors qu’un démon-vautour sautait sur eux depuis les remparts. Le croisé et le démon tombèrent en un mélange de membres et de plumes, de bec et de lame, et Sélik fut comme paralysé. Tirer des flèches sur des formes distantes, c’était une chose, mais maintenant, le démon était ici, à ses pieds, puant et remuant, vil et terrifiant. Il resta immobile pendant un long moment, puis regarda tout autour de lui en quête d’aide, mais le reste du clan était en train de disparaître en s’infiltrant à travers les fissures du portail.
Sélik se reprit, leva sa nouvelle lame, et attendit le bon moment. Quand il fut certain de ne pas toucher Ramnos par erreur, il frappa, plongeant sa lame à l’arrière de la tête du démon en forme d’oiseau. Ce dernier hurla, la blessure fuma, et Ramnos s’extirpa de dessous lui en roulant sur le sol puis se remit sur ses pieds. Le croisé plongea son épée dans le dos du monstre, mettant un terme à ses cris. Il enleva une plume à moitié pourrie qui se trouvait dans ses cheveux et frotta une longue égratignure qui balafrait sa joue, mais il riait. « Tu vois ? C’est toi qui me protèges en fin de comptes. »
Sélik hocha la tête. « Tu as raison… tu as de la chance que j’ai été ici. »
« Je n’aurais jamais pu prendre soin de moi-même seul. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai rejoint un ordre de chevaliers. » Ramnos fit un mouvement du menton en direction des portes qui avaient été forcées. « On va apprendre à ces démons comment bien danser ? »
« Danser, c’est pour les faibles. » grommela Sélik, mais il suivit Ramnos en direction de la place-forte, alors même que des éclairs se mirent à tomber tout autour d’eux depuis les nuages.
Le croisé lui répondit en éclatant de rire, mais pour une raison ou pour une autre, cette fois-ci, cela n’ennuya pas Sélik autant qu’avant.