Voici la traduction d’une histoire courte parue sur le blog de Paizo et écrite par Chris A. JacksonInvisible et aussi silencieux qu’un pet à l’église, Twilp Farfan glissait à travers la foule éparse qui se trouvait dans le bazar Malhitu de Sothis en ce milieu de journée. Se cacher dehors en plein jour angoissait toujours le halfling mais, s’il évitait de trop remuer la poussière et de foncer dans qui que ce soit, il passerait sans se faire remarquer. Les habitants de Sothis ont l’habitude de fermer boutique et de faire une sieste quand la chaleur devient brûlante ; il n’y avait donc pas grand monde aux alentours.
Tout ça me convient parfaitement. Il s’arrêta un instant à l’ombre d’un auvent et essuya son visage.
Tout ça sauf la chaleur.Twilp examina les coupoles aux dômes bleutés de l’autre côté de la place et repéra le bon bâtiment. Deux gardes costauds se tenaient à côté de l’entrée garnie d’un rideau de billes du Grand magasin d’antiquités de Kepeshka. La sueur perlait sur leur peau d’ébène, leurs paupières s’affaissaient, mais ils gardaient tous les deux une main sur le khopesh attaché à leur ceinture.
Personne ne fait confiance à qui que ce soit de nos jours. Et bien sûr, cela incluait Twilp. Il ne souciait guère de la personne à qui il volait, pour autant que l’or soit bien jaune. À Sothis, seul l’or comptait. Et, après la chute des pyramides, il y avait eu un afflux d’antiquités précieuses sur le marché qui ne demandaient qu’à être dérobées. Le regard du halfling monta jusqu’à l’imposant Dôme noir de Sothis et à la pyramide tombée plus loin. Au moment où elle avait touché le sol, des pilleurs de tombe s’étaient rués en masse comme des fourmis vers un éléphant mort. Justement, le colifichet qu’il avait été embauché pour voler provenait de cette monstruosité mégalithique. Twilp n’avait aucune idée de ce qui rendait ce bibelot important en particulier ; pour lui, une dague était juste une dague. Mais l’or… c’était différent.
Les fenêtres du rez-de-chaussée étaient protégées par des grillages ornés en fer et les murs lisses pourraient mettre en difficulté même le plus doué des grimpeurs. Twilp fit discrètement le tour de la place jusqu’à s’approcher de l’entrée au rideau de billes. Les gardes avaient du mal à garder leurs yeux ouverts, ils étaient à moitié endormis. Le cambrioleur se fit aussi petit que possible puis se glissa silencieusement sous le rideau.
Encore bien que je ne suis pas très épais. Il se releva une fois à l’intérieur et scruta la salle aux présentoirs. Une femme était assise derrière un comptoir, occupée à polir une lampe d’un air las. Twilp se fendit d’un sourire.
Les choses sérieuses commencent… À l’étage, il troue la chambre de la marchande. Deux autres gardes se tenaient près de la porte, qui était entre-ouverte pour permettre à l’air de circuler. Ils ne bronchèrent même pas quand il se faufila à côté d’eux. Des rideaux de gaze ondulaient, voilant à peine le Dôme noir et la pyramide qui se profilaient derrière eux. Certains disaient que tout ce qui provenait de la pyramide était maudit, mais Twilp n’y croyait pas. L’or était la seule chose en laquelle il croyait.
Twilp détacha son regard de cette vue et s’avança discrètement vers le lit de la marchande. Il était assez grand pour accueillir six personnes mais n’était occupé pour le moment que par trois : la marchande, Lorisi Kepeshka, et deux hommes séduisants, des époux ou des passe-temps. La sueur brillait sur leur peau comme le lustre des métaux précieux.
Comme de l’or… La dague pendait à la tête de lit, au-dessus de la chevelure noire ébouriffée de Kepeshka. Elle valait suffisamment pour garder Twilp content pendant plusieurs mois.
Le halfling examine la garde serpentine et le pommeau, sa tête décorée de crocs et rehaussées d’yeux en rubis.
Un peu criard. Au moment où ses doigts s’enroulaient autour des écailles de la garde, le yeux de la dague se mirent à luire.
« Bonjour, petit voleur. »
Twilp retira sa main, incapable de dire s’il avait entendu la voix dans ses oreilles ou dans sa tête. Sa cliente, Dame Nikiri, ne lui avait pas dit que la dague était hantée.
Pas d’importance. Quand il tendit la main pour la saisir à nouveau, une perle de sueur tomba de son front et alla éclater juste entre les yeux de Lorisi Kepeshka.
Twilp s’immobilisa.
Elle remua, levant une main pour essuyer la goute, et ouvrit les yeux. Son regard transperça de part en part le cambrioleur invisible pendant un moment, puis elle leva les yeux vers la dague. Elle soupira, sourit, puis tendit la main vers l’arme.
Oh non, touche pas à ça. Twilp s’empara de la dague, et leurs mains touchèrent l’arme encore enfichée dans son fourreau au même moment.
« Eh bien, ça va être intéressant. » dit la voix dans sa tête.
Les yeux de Lorisi Kepeshka s’ouvrirent grand. « Au voleur ! »
Merde ! Twilp lui arracha l’arme des mains et la dague devint invisible.
« La dague ! Au voleur ! » Les deux compagnons de lit de Kepeshka se redressèrent et les gardes de la porte entrèrent, leur épée au clair.
« Tue la ! » dit la voix dans la tête de Twilp. « Utilise moi pour la tuer ! »
Fous-moi la paix ! Twilp recula.
« Quelqu’un a pris la dague ! » Kepeshka bondit hors du lit. « Il est invisible ! Bloquez la porte et passez la salle au peigne fin ! »
« Est-ce une manière de s’adresser à quelqu’un qui peut faire de toi un dieu ? » demanda la voix de la dague.
Tu peux entendre mes pensées ?« Oui, et lire dans ta petite âme avare, Twilp Farfan. »
Super. Pour le moment, tais-toi, je suis occupé ! Il attacha la dague à sa ceinture et fonça vers la fenêtre.
« Attends ! Tu ne vas pas la tuer ? Tu devrais, tu sais. »
Je suis un cambrioleur, pas un assassin. Twilp sauta, passant à travers les rideaux diaphanes.
« Oh, mais sa force vitale pourrait être la tienne ! Je peux te la donner ! »
Je n’en veux pas. Le cambrioleur atterrit sur un auvent en toile et glissa. Un individu plus lourd l’aurait déchiré et serait passé à travers mais ce ne fut pas le cas pour Twilp. « Mais cela te rendra puissant, invulnérable, immortel ! »
Pas vraiment intéressé par ces choses. Il bondit de l’auvent pour atterrir dans la rue, bousculant un homme qui portait un panier de pains plats.
« Quelle sorte de mortel es-tu ? » La dague semblait avoir du mal à croire en ses réponses.
La sorte qui aime sa vie comme elle est. Et, maintenant, tais-toi !« Au voleur ! » hurlait Kepeshka depuis la fenêtre, pointant du doigt dans sa direction. « Gardes ! Poursuivez ce voleur ! »
Les deux gardes du rez-de-chaussée dégainèrent leurs armes et se mirent en mouvement.
Twilp comprenait maintenant pourquoi Dame Nikiri voulait la dague. Pour elle qui n’avait pas pu obtenir du pouvoir politique comme ses aînés, qui avait été mariée à une maison mineure et qui prenait de l’âge et devenait amère, l’attrait du pouvoir et de l’immortalité serait irrésistible.
Je me contenterai de l’or. Twilp fonça à toute allure dans la rue.
« Pleutre, » le réprimanda la dague.
Twilp l’ignora et continua à courir.
« Il est là ! » cria un des gardes.
Twilp jeta un coup d’œil dans son dos et vit les nuages de poussière qui s’élevaient aux endroits où ses pieds avaient touché le sol. Ils l’avaient repéré.
Le cambrioleur se faufila en-dessous des auvents, au-dessus, autour et sous les présentoirs, mais ils étaient tout proches, leurs grandes jambes leur permettant d’aller plus vite que lui malgré ses efforts.
« Tue les ! Je ferai de toi un dieu ! »
Pour devoir m’occuper de conneries religieuses ? Non merci ! Twilp sprinta devant les maisons de vente aux enchère et entra dans le quartier Rose, tentant d’éviter de remuer la poussière sur son passage, mais sans succès.
« Là ! » Les gardes étaient tout près de lui.
Désespéré, Twilp s’engouffra dans les bains publics de Wimiri.
« Là ! Des traces de pas ! »
Twilp se retourna pour jeter un coup d’œil aux traces poussiéreuses qu’il laissait sur le sol impeccable.
Zut !« Tue les ! » hurla la dague.
Tais toi ! Le halfling se faufila dans un passage et parvint de justesse à s’arrêter à peine quelques centimètres avant de tomber dans un bassin renfoncé bondé de femmes qui papotaient en sirotant des boissons fraîches. Le garde qui le poursuivait ne fut pas aussi agile…
Il percuta le dos de Twilp et ils plongèrent tous les deux dans le bain. La tête de Twilp percuta le fond du bassin peu profond avec suffisamment de force pour l’étourdir. Il se débattit pour revenir à la surface, les femmes hurlaient, et un énorme poing se referma sur le col de son justaucorps.
« Je te tiens, petit voleur ! » Le garde le souleva et brandit son khopesh.
« Tue le ! » cria la dague dans son esprit. « Utilise moi ! C’est notre seule chance ! »
Pour une fois, Twilp était d’accord. Il devait se libérer, et la dague pendait à sa ceinture. Il la saisit et poignarda l’homme à l’épaule.
« OUI ! »
Des lumières cramoisies inondèrent les bains publics. La lame de la dague se mit à briller comme un rubis enflammé et à vibrer comme si elle était vivante au moment où elle perça le bras du garde. Celui-ci poussa un cri de surprise, les yeux grand écartés, pas à cause de la douleur mais bien de la terreur.
La peau du garde se ratatina sur ses os alors que la lame absorbait son sang, sa vie, et pour autant que Twilp puisse en juger, son âme… avant de canaliser le tout vers Twilp. La carcasse de chair desséchée s’effondra et le halfling tomba dans l’eau.
Les baigneuses furent prises de panique et se débattirent pour s’éloigner de la flaque de cendres qui s’étendait sur l’eau.
« C’est ça, bien. » La dague semblait satisfaite. « Tu te sens mieux ? »
Twilp se sentait mieux, en effet. Sa douleur avait disparu, son esprit était clair et il débordait d’énergie. Il avait l’impression de pouvoir faire tout ce qu’il voulait, qu’il pourrait vivre éternellement.
« C’est le cas, » lui garantit la dague. « Chaque vie que tu prends grâce à moi te renforcera. »
Twilp considéra l’idée, l’immortalité, la puissance, les richesses, les baigneuses impuissantes qui fuyaient autour de lui, et il faillit vomir. Il sortit de l’eau rapidement et invoqua la magie de son anneau à nouveau, redevenant invisible. Il rengaina la dague, se saisit d’un drap puis se faufila hors des bains publics en évitant les clientes paniquées. La voix de la dague résonnait dans sa tête, l’incitant à la plonger dans de la chair, à boire leurs vies.
Étouffant la tentation de devenir un dieu, Twilp se rendit discrètement dans une autre aile de l’établissement. Des alcôves isolées, chacune avec une commodité munie d’un couvercle, se trouvaient tout le long d’un mur, en-dessous de fenêtres étroites.
Parfait ! Twilp sauta sur un banc et souleva le couvercle à ses pieds.
« Qu’est-ce que tu fais ? »
Il pensa à ce que la dague lui avait promis, et à ce que quelqu’un comme Dame Nikiri en ferait. L’or qu’elle lui avait promis lui semblait désormais bien entaché de sang.
Twilp prit la dague en main.
« Qu’est-ce que tu fais ? »
« Je sauve mon âme, saloperie de merde ! » Twilp la tint au-dessus de la fosse sombre.
« NON ! NE FAIS PAS ÇA ! »
Twilp lâcha la dague et regarda la lueur rougeâtre de la lame disparaître dans les profondeurs. Il y eut un bruit humide puis la lumière cramoisie disparut. Des centaines de clients viendraient contribuer à enterrer profondément l’arme. Personne n’irait la récupérer là-bas.
« Il vaut mieux garder certains trésors enterrés. » Twilp grimpa le long du mur pour se faufiler à travers la fenêtre étroite et sortir au grand air. « Et certaines choses valent plus que de l’or. »