Extérieur du manoir de Fex, à la nuit tombante :

Thème de Bleidd : Celle qui entrouvrit la porte

Le crépuscule enveloppait la ville de son manteau d'ombres tandis que les derniers rayons de soleil perçaient les branches des arbres centenaires qui entouraient le manoir de l’archbaron. Le jardin extérieur, baigné dans la lumière mourante, était éclairé par quelques lanternes disséminées ici et là. Leurs lueurs vacillantes projetaient des ombres dansantes sur les pavés de l’allée, créant une atmosphère à la fois inquiétante et mystérieuse. Bleidd avait donné rendez-vous à ses sœurs ici-même, jugeant qu’il était profitable pour chacune d’entre elles de venir résider au manoir de l’archbaron le temps de leur séjour à Longacre plutôt que de se payer une quelconque auberge du coin, et de toute manière de moins bonne qualité.

Adossée à un arbre non loin de là, Bleidd attendait, son visage pâle encadré par ses longs cheveux blonds grisonnant, et ses yeux d'un ambre profond semblaient briller dans l'obscurité. Avant de choisir cet endroit, elle s'était assurée que leur rencontre serait à l'abri des regards indiscrets. Elle avait veillé à ce qu'elles soient seules, à l'écart des oreilles curieuses, et que nul intrus ne puisse les espionner ou faire irruption sans se faire remarquer. Les ténèbres de la nuit étaient son alliée, et elle avait prévu d’utiliser un sortilège de message afin que leur conversation reste silencieuse. Elle prit une profonde inspiration, sachant que ce qu'elle allait révéler pourrait changer sa vie à jamais.

«  Mes chères sœurs,  » commença-t-elle d'une voix douce mais empreinte de gravité, «  il faut que je vous tienne au courant d’une chose importante. Je n’irai pas par quatre chemins. Je suis morte récemment. Un vampire m’a tué lors d’une chasse et m’a marquée de sa malédiction.  »

Elle marqua une légère pause, laissant l’information tournicoter, se perdre ou faire son chemin.

«  Je vous rassure, je suis toujours la même… du moins pour l’instant. La corruption cherche à gagner du terrain, mais il existe des manières de la contenir. Je ne vous demande pas de me comprendre, seulement de me croire. Je suis toujours la même Bleidd que vous avez toujours connue. Mais par respect et par amour pour vous, je tenais à vous le dire.  »

Bleidd connaissait mieux que quiconque ici-bas ce qu’un vampire plus expérimenté était capable de faire. Indirectement, les êtres là n’avaient plus la même échelle de temps que les humains normaux, ni la même manière de voir les choses. Là où un simple soldat construirait une muraille à la va-vite, l’éternel pourrait y envisager une forêt pernicieuse. Là où un pilleur rassemblerait des forces en vue d'attaquer une cité, l’éternel y placerait des pions pour la faire tomber de l’intérieur. Là où le souverain jouerait de force et de diplomatie pour tenir ses pairs en respect, l’éternel jouerait d’art et de vif pour y développer des fidèles haut placés au fil des décennies. Raser ou manipuler une ville comme celle-ci n’était plus une question de providence, mais uniquement de temps, pour ces abominations-là. Il était une raison pour laquelle les plus zélotes d’entre les fidèles de Pharasma, d’Iomédae et de bien d’autres divinités avaient des brigades d’élite dédiées à la chasse de ces monstres.

«  Si nous embarquons ensemble pour Vidrian, Sargova, ou appelez ces terres comme bon vous semble, sachez que vous emporterez cette partie de moi avec vous également. Cette malédiction a un prix très élevé, mais… Elle me permettra cependant de jouer sur un tout autre échiquier politique, mais également de convertir certaines personnes à notre cause sans le moindre mal… Sachez-le également. C’est une force autant qu’un fardeau.  »

Aunua voulait savourer ce premier moment entre sœurs depuis un long, trop long moment. Elle savourait la beauté des lieux avant de commencer à raconter un peu ce qu'il lui était arrivé, à elle, pendant toutes ses années, mais elle fut prise de cour par la révélation de Bleidd...
Une vampire ? Comment j'ai pu rater les signes ? C'est terrible !
Aunua savait pas mal de choses, mais les morts-vivants, leurs caractéristiques et leurs pouvoirs particuliers, n'avaient jamais été très haut dans sa liste. Aunua n'avait pas souvent eu affaire à des morts-vivants, et encore moins des morts-vivants intelligents, aussi elle avait trouvé leur étude extrêmement secondaire. Elle prit une note mentale de se rattraper sur la question dès que possible. Mais en attendant, il faudrait faire avec. Aunua ne savait pas trop si les rumeurs sur les vampires étaient fondées, ou pas, et elle ne savait pas trop distinguer le faux du vrai.
Avant qu'Aunua puisse rassembler ses pensées et proférer la moindre question, Dardra s'enflamma à nouveau, promettant monts et merveilles, comme par exemple tuer le "créateur" de Bleidd. Celui lui semblait un peu... compliqué pour faire un euphémisme. Mais elle était d'accord avec sa conclusion.

« Je ne peux qu'être d'accord avec Dardra : tu es et tu restes notre sœur adorée, et s'il y a quelque chose qu'on peut faire pour te sortir de cette malédiction, tu n'auras qu'à demander. Mais j'ai l'impression que tu as fait la paix avec ta condition. J'avoue que j'en suis surprise, n'ayant jamais trop été attirée par la non-vie (j'aime trop celle-ci en fait), mais je pense que tu pourras expliquer ça plus en détails, non ?
Puis-je te demander, car je n'y connais pas grand chose en vampire pour être honnête, mais le vampire qui a fait de toi ce que tu es, quel emprise a-t-il encore sur toi ? Si tu dois lui obéir, alors aller contre lui, comme Dardra le suggère, signifierait d'aller contre toi en même temps, ce qui semble "délicat" si je puis dire. Il t'a simplement laissé partir avec cette malédiction pour toi ? As-tu besoin de tuer pour te nourrir ? Le voyage en bateau risque d'être long si on doit prévoir ces "ressources" en plus, non ?
Mais dans tous les cas, je confirme : en ce qui me concerne, tu peux compter sur moi pour t'aider si tu as besoin de quelques, que ça soit pour lutter contre la malédiction, ou au contraire te nourrir.

Je dois avouer que je ne suis pas d'un grand standard moral non plus : depuis des années, j'agrémente les quelques ressources dépensées par notre oncle pour m'entretenir avec des petits travaux, dont l'immense majorité n'est pas très légale : fabrication et trafic de drogues, vol à l'étalage, contrebande et j'en passe, la majorité du temps pour ou avec le Consortium pour être honnête. Pour cela que j'ai insisté pour éviter d'avoir trop à faire avec les chevaliers infernaux, si vous voyez ce que je veux dire...

Et vous ? Vous viviez uniquement avec les aides de notre oncle ? »

Thème de Bleidd : Celle qui entrouvrit la porte


Un léger sourire sincère se fit voir pour la première fois depuis longtemps sur le visage de Bleidd. Cela lui réchauffait le coeur de voir la solidarité de ses soeurs à son égard.

«  Merci…

Ne t’en fais pas Dardra, tout viendra à point à qui sait attendre…
Quant à votre question, à toutes les deux… Non, je n’ai pas besoin de tuer, mais de boire régulièrement, oui. Une fois par semaine je dirais. Jusqu’à présent, je profite de la chasse à la canaille et aux malfrats pour… assouvir mes besoins. Cela évite aussi de répandre la corruption. Elle ne m’a pas laissé partir, je n’étais pas prévu je pense. J’ai été abandonnée mourante dans une ruelle, et lorsque j’ai repris mes esprits, j’ai fui la ville. C’est… une longue histoire.

Et vous, qu’avez vous connu de sombre durant toutes ces années ?  » répondit-elle, rebondissant sur le sujet lancé par Aunua, contente de la franchise de cette dernière.

Dans la forêt

La forêt de Murmebois est pleine de bruits étranges. Il vous semble par moment qu'elle vous observe. Il y a quelque chose de profondément maléfique dans ces bois.

La lenteur des caravaniers vous oblige à camper durant la nuit, mais d'un autre côté, c'est une bonne occasion de discuter et de renforcer vos liens.

Sont présents au campement :
- Auna,
- Dardra,
- Bleidd,
- Beatrix,
- Ludoviro Scarpo,
- Plusieurs caravaniers des docks,
- Des gardes de votre oncle.

Thème de Bleidd : Celle qui entrouvrit la porte


De sa position, assise en léger retrait sur un rocher, Bleidd observait Béatrix alors qu'elle s'installait près du feu de camp, la lueur dansant sur son visage impassible. Ses cheveux grisonnants étaient tenus par une queue de cheval négligente, laissant quelques mèches s'échapper autour de son visage marqué par les années de voyage. Ses yeux, d'une teinte pâle mais étonnamment vifs, reflétaient la chaleur du feu alors qu'elle caressait son rat de compagnie, assoupie sur son genou.

«  Je comprends ce que tu veux dire.  » répondit la louve d'Oppara avec un sourire sincère.

Elle se doutait qu’aux dires de Beatrix, elle avait dû voir beaucoup de gens comme elle au fil de ses escortes, des voyageurs endurcis par les rigueurs de la vie nomade, mais il y avait quelque chose dans la manière dont Bleidd se comportait qui la distinguait des autres. Une passivité, une force tranquille qui émanait d'elle même dans les moments les plus simples. L’attitude d’une louve repue au cœur de son foyer.

«  Quelles découvertes dis-tu ?  » répéta-t-elle d’une voix lente et sereine.

«  Je n’ai pas beaucoup voyagé, je le crains… Mais j’ai découvert beaucoup de choses à Oppara ainsi qu’à Absalom, tout comme vous j’imagine… Qu’il s’agisse des différentes strates de nos sociétés, de la manière dont pensent les gens, de l’art de l’épée ou encore des arts occultes…  » répondit-elle à sa soeur, accompagnant les paroles d’un signe de la main, suite auquel de petites lumières vinrent danser autour du feu.

«  C’est notamment pourquoi je vous ai parlé de ce Tealan Ruckleer. Nous avons tous deux sans doute plus en commun que vous ne le pensez. Simple sentiment de ma part…  »

«  Et vous ?  »

Ces retrouvailles au coin du feu apaisent Dardra, et dans un élan d'affection la guerrière en vient même à flatter la tête de son ourse, qui repose sur ses genoux. Elle écoute avec intérêt les interventions de Beatrix et Bleidd mais fronce les sourcils lorsqu'Aunua se confie à propos de son séjour en Varisie.

« Cela doit être effrayant de vivre dans un monde dépourvu de valeurs, où n'importe qui peut prétendre égaler les vieilles lignées simplement parce que les hasards de la nature l'ont conduit à être plus favorisé que les autres. Une telle société ne peut que mettre l'accent sur l'ambition et la réussite personnelle au détriment du groupe, et donc à terme se fragmenter. La tradition et les valeurs nous offrent un cadre dans lequel les individus peuvent non seulement s'épanouir en sécurité mais également contribuer à une cause supérieure à leurs seuls intérêts personnels. Je ne doute pas que ma grande sœur surpasse chacun de ses concurrents haut la main, en revanche je vois dans cette organisation sociale une faiblesse de l'État. Si les meilleurs éléments de la société varisienne se voient obligés de lutter perpétuellement contre les masses convaincues d'avoir voix au chapitre, alors cela représente du temps et des efforts que ces mêmes élites ne pourront pas mettre à contribution dans leur lutte constante contre les nations souveraines. Un géant ne peut se battre une fois qu'on lui a tranché les pieds. Si la base interne n'est pas solide, toute politique externe est vouée soit à l'échec soit à être considérablement ralentie, et les eaux troubles de la politique dans lesquelles chaque nation entend nager ne voient survivre que les squales les plus compétitifs. »

Prenant conscience qu'elle est train de transformer ce moment de détente en un meeting politique, Dardra sourit d'un air contrit.

« Navrée mes sœurs, je ne voulais pas vous importuner. Ce tatouage est ravissant Aunua, auprès de qui l'as-tu fais faire ? »

La jeune femme le scrute avec attention, espérant y découvrir davantage de détails concernant le passé de son aînée.

« Comme ses années sans vous me paraissent longues », soupire-t-elle. « Plus longues encore que lorsque je les ai vécu. En ce qui me concerne il ne vous aura pas échappé que j'ai développé une certaine vision du monde, et de comment il devrait être. Je me suis essayée à la rédaction de quelques traités, sans jamais aller jusqu'au bout, mais cela n'a guère d'importance car c'est bien par la force que les idées doivent se répandre. Lorsque nous récupérerons notre héritage j'aurais peut-être enfin l'occasion de confronter mes théories avec la réalité. À vous je peux le dire, il me reste beaucoup à apprendre, mais à présent que nous sommes réunies rien ne me semble impossible, qu'importe la direction dans laquelle nous souhaiterons aller. »

Thème de Bleidd : Celle qui entrouvrit la porte



Bleidd écoutait attentivement les paroles de ses sœurs, assise en silence près du feu de camp, son regard perçant balayant tour à tour les visages de chacune.
«  Ton tatouage est véritablement remarquable, Aunua.  » complimenta l’épéiste.
«  Pour te répondre Béatrix, j’ai appris à Oppara. L’art militaire y est différent, là-bas.  » répondit-elle en claquant des doigts, faisant apparaître une flamme au bout de ceux-ci comme réponse à la blondinette.

Lorsque Dardra exprima ses inquiétudes quant à la société varisienne, Bleidd prit une profonde inspiration, ses yeux scrutant les flammes dansantes du feu. Ses sœurs étaient des femmes fortes et intelligentes, chacune avec sa propre vision du monde et ses propres convictions. Mais pour Bleidd, la vérité résidait dans les faits, une vision de la vie très… pragmatique. A contexte donné, le fort dévore le faible, qu’importe les antécédents.

«  Je comprends ce que tu veux dire… Mais cela peut également avoir du bon de… renverser la vapeur…
Les vieilles lignées se reposent parfois trop sur leurs lauriers, n’étant parfois qu’un symptôme du déclin. Certains nobles n’ont plus aucune qualité hormis celle d’avoir développé une accoutumance au vin.  » répliqua l’épéiste sur le ton de la plaisanterie.

Elle fit une pause, laissant ses paroles résonner dans l'air nocturne.

«  Nous avons chacune vécu nos expériences… Affiner nos façons de percevoir le monde…
Si je reprends ta métaphore sur le géant Dardra, je dirais que tu as raison… Sans une base solide, il tombe…
Mais à s’habituer d’être “le plus fort”, selon ses propres critères, il risquerait de s’enliser dans ce confort qu’il s’est créé, se complaire d’être, toujours selon ses propres critères, supérieur… Un peu comme notre Chéliax…
Et c’est alors que l’ennemi ne lui opposera pas un géant plus grand, mais quelque chose à laquelle il ne s’attendait pas, une arme d’un genre différent…

Ainsi va le monde. Les nations naissent et meurent. Même les dieux…  » précisa-t-elle, fataliste.

Un étrange silence plein de non-dits se fit sentir l’espace d’un instant, comme une promesse perdue dans le lointain.

«  Un passager clandestin disais-tu Beatrix ? Tu… n’es pas… ?  »