L'Orque jeta un regard suspicieux à Dorian, cherchant le piège.
« Mon voisin...si tu veux parler de cette saloperie de vermine aux Yeux Noirs, je ne m'inquiéterai pas. Je risque de marcher dessus sans faire attention, par contre. Blague à part, ça paraît un peu trop beau comme proposition. Qu'est c'qui m'dit que c'est pas une entourloupe? Et comment un gamin mince comme une brindille pourrait faire quoi que ce soit pour m'aider? »

Elle sourit, dévoilant ses défenses.
« Mais bon, rien à perdre à t'écouter, hein? Le couvre-feu fout la merde dans mes affaires, et ces sales rats de halflings ne font qu'empirer la situation. Plus moyen de mener nos affaires sans avoir à nous battre avec ces gêneurs. Tu proposes quoi pour m'en débarasser? »

Kulgara poursuivit leur discussion tout en commençant à recoudre une longue plaie sur son bras, sans prêter attention à la douleur.
« Ils sont malins, ces crevards de demi-hommes. Un jour, ta boutique prend feu. Ou on te vole un article rare. Ou quelqu'un abîme tes outils. Pas assez pour que ça te mette sur la paille, même pas assez pour que ce soit sérieux, mais assez pour que tu sentes l'impact. Et ensuite, un petit groupe de halflings se pointent, et te servent un boniment comme quoi le quartier est dangereux, mais qu'ils font d'leur mieux pour le rendre plus sûr. Et qu'ils auraient bien besoin d'une contribution... »

Elle déchira d'un coup de dent le fil, et reposa l'aiguille d'os.
« Quand à l'Oeil Noir lui même, jamais réussi à lui mettre la main dessus, sinon on parlerait déjà plus de cette vermine. Mais avant qu'on aille plus loin: c'est quoi ton plan? J'présume que tu ne veux pas juste me faire rencontrer cette bande de clown pour rire? »

Kulgara écouta Dorian d'un air pensif. Elle avait toujours l'air suspicieuse,
« Hum...c'est très optimiste, comme point de vue. Mais au moins, on peut dire que t'as des tripes! D'accord, ça m'intéresse...surtout que ce n'est pas qui prends les risques..., mais je n'engagerai pas les Demoiselles dans une cause perdue, donc je vais attendre de voir comment ça tourne. Dans tous les cas, ces enfants de catin de la garde sont tout le temps sur notre dos, donc on ne les aidera pas. »

Elle lui adressa un sourire plein de crocs.
« Et j'ai hâte de voir comment tu comptes t'y prendre pour nous débarasser de la cinglée qui sert de juge à Kintargo. »

La proposition de Dorian ne fit pas mouche, en revanche.
« Pas à cette heure ci, trop risqué. La garde doit être en train de rôder dehors comme des mouches sur un cadavre, et pour l'instant vaut mieux pas trop attirer l'attention. Enfin, je t'arrête pas, hein, mais moi et les autres on est pas spécialement discrète. Et j'ai pris un ou deux sales coups. »

24 Sarénith, vers minuit - Taverne de la Murène Sanglante

La lune était levée depuis longtemps au dessus de Kintargo lorsque Dorian regagna la Murène Sanglante. Il avait passé la fin de la soirée à arpenter le Vieux Kintargo à la recherche des Yeux Noirs. Les halflings s'étaient révélés particulièrement pénibles à tracer, discrets comme des ombres entre les entrepôts délabrés, les immeubles décrépits, les quais et les ruelles pavées du Vieux Kintargo. Mais il avait pu en repérer certains, arpentant comme lui les toits escarpés, enveloppés dans des capes noires et le visage maculé de suie ou de charbon, seules leur prunelles brillant à la lumière argenté de la lune.

Du point de vue du mode opératoire, les halflings étaient peut être à l'opposé des Demoiselles. Difficile d'évaluer ce qu'il faisait de jour, mais ceux que Dorian aperçut de nuit était des cambrioleurs, occupés à entrer par les fenêtres, à délester les occupants de leurs biens précieux, et à s'enfuir par les toits. D'autres filaient le long des allées obscures, comme des rats fuyant la garde, mais retournant à leurs postes dès que les dottari cuirassés les dépassaient, attendant des passants à détrousser...et gardant l'oeil ouvert pour des membres d'autres gangs qui pourraient vouloir s'en prendre à leur territoire.


Tout à ses réflexions, Dorian ne remarqua qu'au dernier moment les trois tengu qui vinrent s'asseoir à sa table.
Korva l'apostropha.
« Ah, contente de te retrouver! Ca a été la plaie pour remettre la main sur toi avec tout le bordel qu'à fichu l'incendie dans le Nord de Kintargo. On a passé la journée à esquiver les patrouilles. Heureusement, personne nous a reconnu, mais ils ont trouvé une plume et du coup ils font particulièrement gaffe aux tengus. Ca va toi? »

Korva étouffa un éclat de rire.
« En même temps, si ils étaient intelligents, ils seraient officiers, pas simples soldats. En ce qui concerne l'Eclair Rouge...et bien, on raconte qu'il n'a pas peur de la garde et n'hésite pas à les défier sous leur nez. Le côté négatif, c'est qu'il est aussi soupçonné d'être à l'origine de l'incendie qui a ravagé les chantiers navals. Pour l'instant, ce sont des rumeurs, et je pense que ça n'ira pas plus loin, mais si ça s'ébruitait, ce serait un vrai problème pour sa réputation. »

Cette fois, ce fut Jade qui répodit.
« Oui! Ils ne chôment pas eux non plus, même si ils sont moins spectaculaires. Ils ont libéré les aspirants de l'Ordre du Torrent qui ont été emprisonnés par Barzillai parce que le chef de l'Ordre s'intéressait de trop près à la disparition de la Seigneur Maire. Ils ont formé une alliance récemment.

D'après ce que j'ai compris, ils ont aussi eu des nouvelles de la Rose de Kintargo, qui souhaite bientôt les rencontrer pour voir comment ils peuvent travailler ensembles. Les membres de la Rose n'ont pas refait surface cela dit, seulement un message de leur chef.

Ils ont aussi sauvé Zéa, la tieflinne de la Nurserie du Diable qui vous a demandé votre aide pour résoudre les meurtres qui frappaient les enfants du quartier. Elle avait été condamnée à la torture publique, mais ils l'ont sorti de là et elle nous a rejoint. Ils ont commencé à développer leur réseau, et à recruter, pour avoir de quoi garder un oeil sur ce qui se passe en ville. Et surtout, Octavio Sabinus, le Licteur de l'Ordre du Torrent, leur a indiqué un possible quartier général: le Guêpier commence à être bondé, après tout. Je crois qu'ils voulaient l'explorer à partir de demain, d'ailleurs. »

La Rose de Kintargo: Dorian ne savait somme toutes pas grand chose sur la Rose de Kintargo, une organisation on ne pouvait plus secrète. Mais ce qu'il savait était déjà important. La Rose, et son leader éponyme, était une cellule du culte de Milani, la déesse défenseure des opprimés, une sainte d'Iomedae tombée en martyr pour défendre les plus faibles contre l'oppression. Le culte lui même était organisé de manière à ce que les membres de la Rose ne sachent que le minimum possible sur les autres membres, de manière à ne pas pouvoir révéler d'autres noms si jamais ils étaient torturés.

Seul leur chef, celui qui se faisait appeler la Rose, connaissait tous les membres du culte. Il ignorait de qui il s'agissait, mais il avait apparemment décidé de rencontrer en personne les Corbeaux d'Argent afin de voir ce qu'ils pouvaient faire ensemble. Après tout, plusieurs dizaines de membres de la Rose avaient été arrêtés et exécutés deux mois plus tôt, lors de la Nuit des Cendres, peu avant l'intronisation officielle de Barzillai au poste de gouverneur de l'archiduché de Ravnel.

La suite quand les autres seront lancés, histoire de ne pas trop vous décaler.

Chuko haussa les sourcils...enfin, l'arcade, ses plumes n'étant pas aussi expressives qu'un visage humain.
« Un kukri magique? Quel genre d'ensorcellement? Je ne me souviens pas d'avoir entendu parler de ça, mais si il n'est pas particulièrement puissant, peut être que ça a échappé à mon attention. D'un autre côté, un kukri rouge sang...enfin, en tout cas, ce n'est pas moi qu'il l'ait vendu, et je ne connais aucun de mes collègues qui aurait pu écouler ça. Honnêtement, ça sonne comme une arme maudite, ce qui est une garantie de récolter plus de problème qu'elle n'en vaut la peine! »

La seconde question le prit encore plus par surprise.
« Iylvana Desdoros? Non, pas vraiment. Enfin, comme tout le monde. »
Il haussa les épaules.
« C'est une magicienne qui dirige l'Académie d'Albâtre. On peut dire qu'elle n'a pas beaucoup de succès, mais il faut dire que l'ombre du Boucher planne toujours sur l'Académie malgré les décennies. Je crois que c'est une spécialiste de la transmutation, et qu'elle essaie d'augmenter la place de la discipline dans le curriculum, mais de toutes façons, elle peine à joindre les deux bouts: les bancs sont toujours à moitié vide. Et avec la guerre civile, ça ne risque pas de s'arranger! Enfin, cela dit, elle fait aussi de son mieux pour empêcher l'église d'Asmodéus d'imposer des cours sur le diabolisme dans le programme, donc je suppose qu'elle ne peut pas être vraiment antipathique. »

21 Sarénith, dans la soirée - Haute Court de Kintargo, archives
Se glisser à l'intérieur se révéla plus difficile que Dorian ne l'aurait cru. Depuis le temps qu'il était parti, il ne pouvait pas simplement se présenter à la porte en espérant pouvoir entrer comme si de rien n'était. Non, il du faire preuve de discrétion et de prudence, et mit près d'une heure à se frayer un chemin dans la Haute Court de justice, d'ombre en ombre, silhouette indistincte. Heureusement, il connaissait les lieux sur le bout des doigts, mieux en tout cas que les barbazu qui servaient maintenant de garde. Apparemment, Avernia avait décidé que des diables seraient plus fiables pour sa sécurité...

Les archives étaient désertes, comme toujours, et il pu mener ses recherches à loisir. Il finit par dénicher les minutes du procès du professeur Mangvhune, qui se révélèrent...surprenantes. Mangvhune ne paraissait pas concerné le moins du monde par l'issue du procès, et ses réponses étaient pour le moins laconiques. Il paraissait convaincu que ses actions pouvaient se justifier par l'avancée de la science, et n'était pas concerné par l'annonce de son exécution, simplement par le fait que ses expériences n'étaient peut être pas arrivées à leur terme.

Se renseigner sur l'Académie d'Albâtre se révéla d'une facilité déconcertante. Le bâtiment n'était même pas fermé au public, si bien que Dorian réussi à faire le tour des lieux sans même avoir à se faire particulièrement discret ou à se déguiser. L'Académie n'était pas si fréquentée que cela, mais les couloirs étaient quand même arpentés par un bon nombre d'étudiants et de professeurs. La plupart étaient Chélaxiens, mais il nota une poignée d'autres accents, quelques Garundi, quelques Varisiens, et aussi une poignée de Taldans. Ils étaient aussi presque tous humains, autre avantage pour lui, même si les demi-elfes parassaient étrangement nombreux...

Plus embêtant, il nota plusieurs jeunes femmes qu'il avait déjà rencontré à l'Académie Docur. Apparemment, certaines suivaient aussi des cours sur place...Nombre d'étudiants portaient des tenues finalement assez modestes, comme celles que des artisans aisés, commerçants ou petits bourgeois ou nobles porteraient, mais Dorian nota l'absence de représentant de la haute noblesse ou d'enfants de familles fortunées. Apparemment, l'Académie d'Albâtre n'était pas en état de grâce...

L'atmosphère était studieuse, mais aussi un peu inquiète. Les étudiants parlaient beaucoup de la guerre civile, débattaient des raisons de son déclenchement, échangeaient rumeurs et arguments sur le conflit. Sa reconnaissance terminée, il s'éclipsa. Il avait aussi repéré le bureau de la directrice, au dernier étage de la tour Ouest. Il n'y avait pas de gardes, et s'y rendre serait un jeu d'enfant.