Wesley fut soulagé lorsqu'il vit la sphère enflammée englober la goule et la consumer quasi instantanément. Il entendit plus qu'il ne vit la seconde subir le même sort, avant que l'affreuse tête de son ami n'apparaisse dans son champ de vision. Tout son corps peu à peu se décrispa, et il put enfin reprendre le contrôle de ses membres.

« J'étais tout à fait conscient ! » grommela-t-il en s'étirant pour assouplir ses muscles. « Mais je ne pouvais plus bouger... » Il regarda l'état des goules, carbonisées, et décida de changer de sujet. « Dis-donc, c'est moi ou tes flammes sont devenues encore plus puissantes qu'avant ? C'est impressionnant ! »

Il replaça sa pique dans son encoche, avant d'ajouter simplement : « Merci Zorg. » Puis il entreprit d'aller voir ce que recelaient les deux tonneaux qu'il avait repéré un peu plus tôt.

Dommage que ce ne soit pas dans le genre de Wesley de rebondir sur "une bonne pipe"... sinon je t'aurais dit de plutôt voir ça avec Miss Trucmuche !

Le calme revenu, l'adrénaline descendue, Zorg & Wesley purent examiner la pièce en toute tranquillité. Le sang battait encore aux temps des deux associés mais leur champ de vision s'élargit, dans les recoins sombres se trouvaient de petits débris : de menus outils de chirurgiens, des morceaux de bois éparses, d'innombrables fioles brisées... la pièce était probablement une sorte d'atelier que les blêmes et l'incendie avaient réduit à l'état de charpies. Un candélabre en fer trônait dans le petit renfoncement, au nord de la pièce, et était orné d'une guirlande de têtes calcinées. Les tonneaux étaient remplis d'une eau empuantie et des traces de griffes ornaient le couvercle. Les murs sonnaient plein et il était probable au vu des morceaux de bois calcinés entassés dans un coin qu'une échelle grimpait dans le conduit fut une époque.

Au cours de leur examen, Zorg & Wesley purent dénicher quelques objets intacts, peu de choses étaient encore en état : un carquois rempli de 12 carreaux d'argent, une boucle de ceinture en or légèrement fondue, un bracelet de fer avec un filigrane d'argent représentant une lune dévorant une chouette, un petit marteau, trois paires de ciseau, un petit flacon étiqueté "Vorstag et Grine, décolorant alchimique" et une bourse de cuir vide.

« Eheheh ! » ricana Wesley sur un ton triomphant. « Ne t'ai-je pas parlé de lycanthrope tout à l'heure ? Se pourrait-il qu'il y en ait eu un ici, parmi les patients du professeur... Ou que le professeur lui-même en soit un ? Je persiste à penser que ce n'est pas Kari que Karl a vu. C'est trop gros... Tout dans cette affaire est trop gros. Et Kari ne me semble pas avoir l'intelligence de préméditer un incendie. »

Une fois les fouilles des lieux finies, il attrapa la corde et s'apprêta à grimper. « Je suppose que maintenant, on retourne à Lepidstat, qu'on se repose, et que demain matin, aux premières lueurs de l'aube, on va poser quelques questions à "Vorstag et Grine" ? Sans se faire mal voir, évidemment... Il faudra être fin, mon ami... »

Puis il se hissa facilement, et une fois en haut, après un bref tour d'horizon pour s'assurer qu'aucun danger ne guettait, il fit signe à Zorg de s'agripper à la corde et la remonta.

Zorg & Wesley quittèrent les marais puants alors que la nuit étendait son humeur sombre sur ces terres déjà bien assez sombres au goût de deux associés. Le retour se fit dans un relatif silence, quelques lueurs dansaient au loin de temps à autre. Une torche ou une lampe qu'un maigre paysan trainait sur ses terres, probablement. Une maigre preuve de vie civilisée... mais le léger brouillard n'aurait-il pas dû masquer la simple lumière d'une torche ? Qu'importe, les ustalaviens savent que certaines questions motivées par la peur sont au choix ridicules - selon les universitaires - ou dangereuses - selon les braves paysans. Les lumières se firent de plus en plus fréquentes à mesures qu'ils approchaient de Lepidstat jusqu'à devenir assez brillantes pour percer l'épais brouillard qui recouvrait la ville. La petite maison de Karl était plongée dans le noir, Zorg & Wesley hésitèrent un instant mais un bruit vint de l'intérieur, de petits bruits de pas. Karl ouvrit, les yeux un peu fatigués, il était vêtu d'un pyjama et semblait être prêt à aller se coucher. Il allait laisser ses invités sur le pas de la porte - une fois n'est pas coutume - quand *snif* son nez remua et qu'il se laissa aller à la curiosité.

« Quelle est cette odeur ... ? Elle réveille de désagréables sensations dans mon échine, comme si la mort se promenait sur le pas de ma porte. Rien de trop grave ? Dans quel état êtes-vous ? »

Il servit un thé chaud à ses invités et continua à discuter :

« Ce sont tous des patients, hormis le Dr Prada bien entendu. Ils ont même érigé une stèle pour ce pauvre Roegen ? Sa famille n'était pas très fortunée et je ne pensais pas le comté aussi dispendieux pour les déshérités, à plus forte raison quand ils sont morts. Pour ce qui est du laboratoire, je le connaissais mais je n'avais pas le droit d'y descendre, pourquoi ?  »

Wesley accueillit la tasse de thé et la chaleur de la maison de l'aveugle avec bonheur. L'humidité des marais, la pluie, l'odeur et le contact désagréable des goules... La soirée n'avait pas été bonne, pour le moins qu'on puisse dire. Il sourit intérieurement : Zorg avait raison, il s'était trop habitué au confort de son petit bureau. La preuve, il avait été incapable de faire quoi que ce soit contre leurs adversaires, à croire qu'il était rouillé comme un vieux clou !

Il écouta avec attention les propos de leur hôte et de son ami, et rajouta aux questions de ce dernier : « Une telle clinique doit nécessiter des finances. Le professeur assurait-il tous les frais, ou avait-il des bienfaiteurs ? »

Dès que Karl se mit à décrire chacun des pensionnaires dont les noms étaient gravés sur des stèles, Zorg déballa son écritoire et sa plume en un éclair et se mit à écrire frénétiquement. Bientôt, de grosses gouttes perlèrent sur son front plissé par des rides de concentration et d'effort. Par moments, il levait la main pour demander au vieil homme de ralentir, oubliant que ce dernier ne pouvait pas le voir.

Une fois que Karl eut fini, il regarda ses notes, haletant, comme s'il venait de courir. Il avait de l'encre sur le nez et la joue tant ses derniers efforts avaient été frénétiques. Bien évidemment, il était sans doute la seule personne au monde à être capable de lire ces notes sans l'aide de magie. Il avait la tête de celui qui vient de faire une découverte merveilleuse et abominable à la fois.

« Bien bien bien, merci, » dit-il enfin, d'un air absent, avant de se reprendre. « Herr Karl, vous nous avez été d'une grande aide et je vous remercie pour votre accueil et votre disponibilité. Il ne nous reste qu'à prendre congé de vous sans plus vous déranger. Oh ! Une dernière chose encore : j'ai observé que près de la moitié des patients étaient arrivés depuis moins de deux ans, avec un nouveau cas tous les trois mois depuis l'année dernière. Est-ce normal ? Je veux dire, est-ce un rythme d'admission que vous avez toujours connu avec Herr Doktor Prada ? »

Wesley écouta, dubitatif, la réponse de Karl à sa question. Lorsque Zorg donna le top départ, il se leva, et sortit après avoir remercié leur hôte.

Une fois dehors, et hors de portée de l'ouïe aiguisée de Karl, il se tourna vers Zorg. « Outre la tête de quelqu'un qui vient de s'endormir sur son encrier, tu as celle d'un bienheureux qui vient de comprendre son malheur... » Il continuait de marcher sans s'arrêter, suivant les pas de son ami, en espérant que celui-ci savait où il les emmenait. « Tu comptes partager, ou je dois te cuisiner ? »

« Euh... » Wesley tentait de suivre le raisonnement de son ami, et ce que cela impliquait. « Admettons... Enfin, si j'ai bien tout saisi. Je résume : Kari serait un amalgame de chairs vivantes cultivées... cultivées ? Tu veux dire.... C'est possible de garder de la chair vivante sans qu'elle soit rattachée à un corps ? Et en plus de la faire croitre ? » Wesley semblait être à la fois estomaqué et sceptique. La magie permettait bien des choses, mais ceci lui semblait tellement aberrant ! Il faudrait un esprit malade pour créer une telle chose ! Rien que d'y penser et d'imaginer de la chair plantée dans la terre tel un légume, en "culture" dans un potager, lui souleva le cœur.

Il se ressaisit et se permit de soulever une objection. « Attends, il y a un truc qui cloche, ou je n'ai pas tout compris... C'est pas la chair qui contient l'âme et la conscience ! Quel rapport entre la chair vivante et l'intelligence de Kari... » Il s'arrêta net, les yeux exorbités, puis secoua la tête énergiquement. « Non. Kari ne peut pas être un des patients sur lequel des tests auraient été faits non plus... Il n'a que des souvenirs récent, tout porte à croire qu'il a été créé...? »

Bien qu'il se voulait catégorique, son esprit ne pouvant imaginer une telle horreur, sa dernière phrase ressemblait plus à une interrogation espérant une réponse allant en son sens. Tout ceci touchait à la nécromancie et à l'abomination, et il s'agissait là de matières qui le mettaient particulièrement mal à l'aise.

Wesley se gratta la tête. « Là, tu m'embrouilles ! Tu viens de faire la corrélation, enfin plutôt l'hypothèse, que Kari aurait une conscience car provenant de chairs vivantes. Je te réponds que chair et conscience sont sans rapports, et tu me cites l'exemple du fantôme... ton exemple semble aller dans mon sens, non ? » Wesley savait que l'intelligence de son ami était bien supérieure à la sienne, mais il tentait malgré tout de se raccrocher à son raisonnement.

« Enfin, je suppose que ça n'a pas grande importance, tant qu'on n'a pas de preuves. » Il leva son regard vers le ciel. « Je crois qu'il est temps de rentrer à la maison et de nous reposer. Demain, nous devons nous lever tôt pour aller rendre visite à "Vorstag et Grine" avant que le procès ne commence. »