Ameiko éclata de rire, mettant plus d'une minute à se calmer.
« Aloïs, tu n'as jamais été raisonnable! Même à l'époque je ne te trouvais rien de raisonnable! C'est même pour ça que j'ai commencé à m'intéresser à toi, pour agacer mon père! C'est vrai qu'ensuite j'ai découvert que tu avais plus qu'un joli visage, mais je ne te trouvais pas raisonnable pour autant! Tu étais une aventure pour moi, l'excitation et l'adrénaline! Alors ces bonnes résolutions seront une première. »

Elle reprit un peu son souffle.
« Bon, mettons les choses à plat. Oui, j'ai remarqué que tu t'intéressais à Amaya. Oui, je suis prête à t'aider, au moins sur ce coup là. »
Elle étrécit les yeux, dans sa version la plus menaçante.
« Mais si jamais tu blesses le coeur de ma petite-soeur, tu auras à faire à moi, compris? »
Il avait du mal à dire si elle plaisantait, mais préféra ne pas tenter le coup.
« Bon, comment on s'organise, alors? »

Ameiko lui fit un clin d'oeil:
« Oh, ça ne va pas être évident de réaliser ça sans éveiller ses soupçons, c'est une enquêtrice douée, après tout, mais je pense que je devrais pouvoir me débrouiller. Et puis, même si elle se doute de quelque chose, je ne pense pas qu'elle refusera de me suivre malgré tout. »



Plus loin, plus tard. La caravane s'était arrêtée en bordure d'un bosquet de pins pour monter le bivouac, et Aloïs s'était installé à plus ou moins deux cents mètres de l'autre côté du bosquet. Ils se rapprochaient du nord, et bien que ce soit encore le milieu de l'été, la température avait beaucoup fraichi. Sans la protection de la magie, le froid aurait été suffisant pour que n'importe qui soit transi...surtout Aloïs qui n'avait pas abandonné son penchant pour les tenues légères.

Il avait à peine finit de tout préparer qu'il entendit des bruits de pas. Amaya, vêtue de sa sempiternelle cape anthracite, capuchon rabattu contre la bise, émergea du sous bois, son bâton à la main. Elle haussa un sourcil en découvrant l'elfe, mais sourit.
« Ah! Un guet-appens, j'aurais du m'en douter. J'ai toujours un flair pour les embuscades, et Ameiko ne ments pas aussi bein qu'elle le croit. »

Elle releva son capuchon, et posa son bâton contre un arbre, s'asseyant sur la couverture près d'Aloïs, sourire aux lèvres.
« On peut dire que tu as sorti le grand jeu, cette fois. Très bien, je te suis sur ce coup là! Qu'est ce que tu as prévu? »

Au départ, Amaya suivit le mouvement, relativement silencieuse comme à son habitude. Elle se débarassa de son armure, mais garda sa cape à portée de main. Après tout, la magie ne protégeait qu'un peu du froid. Elle accepta cependant volontier un verre, discutant de tout et de rien avec Aloïs. Mais il eut aussi l'impression distincte qu'elle lui laissait, pour l'instant, l'initiative.

Lorsqu'il s'apprêta à chanter, elle acquiesça.
« L'elfique sonne toujours un peu étrange maintenant que je peux le comprendre, mais je pense que c'est tout de même mieux. Après tout, je m'en voudrais de rater tes talents de compositeur... »
Elle se tut, le laissant entonner sa sérénade alors que les étoiles se levaient. Ils étaient allongés sous les étoiles, regardant les étincelles de lumière dansant dans le ciel d'ébène. Aussi loin au nord, les constellations étaient bien différentes de celle de Varisie, mais le ciel froid était si clair qu'il semblait empli de milliers d'entre elles.

Il ne pouvait pas voir le visage d'Amaya alors que la nuit était tombée, puisqu'ils étaient tout deux tournés vers les étoiles, mais il put l'entendre retenir son souffle. La dernière note achevait de résonner, et il lui prit la main. Elle même fut plus directe.

Le prenant par surprise, elle roula sur elle même, l'embrassant. Passé l'instant de surprise, il sentit la douceur de ses lèvres, et un discret parfum de violette. Ses cheveux noirs retombaient sur leurs visages, et malgré les ténèbres, l'elfe pouvait sans peine distinguer ses yeux. Mais à ce moment là, il sentit un goût de sel et de l'eau sur son visage, et se rendit compte qu'elle pleurait. Elle s'écarta, détournant le visage. Sa voix tremblait, et elle était chargée de...tristesse?
« Je...pardonne moi...je n'aurais pas du. Je...tu avais passé tant de temps à préparer ce soir...et j'ai ruiné l'instant. Pardonne moi, je t'en prie. »

Amaya ne le repoussa pas, mais elle évita de croiser son regard. Et malgré ses tentatives d'apaiser ses larmes, ses yeux demeuraient embués. Elle secoua la tête, détrompant l'elfe.
« Non, cela n'a rien à voir avec ça. Je m'en veux parce que je ne mérite pas les efforts que tu fais! Ni l'attention et les sentiments que tu sembles me porter. »
Elle rabattit son capuchon, essayant de dissimuler le mélange de honte et de culpabilité qui marquait son visage. Dans le noir, les nuances étaient difficiles à voir, mais elle paraissait souffrir d'un profond dilemme. Elle partageait ses sentiments...ou au moins l'attraction qu'il ressentait, il en était certain. Mais elle était aussi tiraillée par quelque chose d'autre, dont il ignorait la cause.

Amaya marmonna quelque chose d'incompréhensible, mais se retourna pour regarder Aloïs. Elle avait les yeux rougis, non seulement par les larmes, mais aussi par la peur. Elle craignait quelque chose, c'était manifeste, mais malgré tout, elle finit par ses décider à répondre, passant une manche sur son visage pour en effacer les larmes.
« Moi aussi, mais est ce que tu as simplement conscience des risques? D'accord, tu as été volage et infidèle par le passé. Moi, j'ai du sang sur les mains! Je n'ai jamais raconté à personne en détails pourquoi j'ai quitté Couronne d'Ouest, même pas Ameiko. Mais si tu insistes... »

Elle soupira, et entama son récit.
« A l'époque où j'ai commencé à arpenter les rues de Couronne d'Ouest la nuit, il y avait une sorte de malédiction qui planait sur la ville. On ne savait pas quoi, on appelait juste ça le Chant des Ombres. Dès le coucher du soleil, il y avait des monstres qui surgissaient dans les rues. Les habitants se cloitraient chez eux, et ceux qui n'étaient pas assez rapides ou prudents étaient retrouvés en lambeaux au petit matin, quand ils ne disparaissaient pas tout simplement sans laisser de traces. La ville était en plein état de siège, et moi, j'essayais de faire ce que je pouvais pour aider ceux qui se trouvaient piégés dehors après la nuit tombée. Bien sûr, il y avait un couvre-feu, alors j'ai mis un masque. Je me faisais appeler le Spectre de Couronne d'Ouest.  »

« L'ennui, c'est que les Thrunes n'appréciaient pas ce genre de dissidence...ou cette malédiction. J'ai du voir leur emprise se refermer de plus en plus profondément sur la ville, les exécutions et les émeutes réprimées dans le sang. Alors, avec d'autres, j'ai pris les armes. Il y avait un groupe qui voulait renverser les Thrunes, et rendre à Couronne d'Ouest son rang de capitale et ville libre. J'ai commencé à travailler avec eux. Et nous avions eu du succès. C'est aussi là que je l'ai rencontré. Elle était aussi passionnée que moi par notre cause, peut être plus encore. Et elle était magnifique, surtout dans le feu du combat. C'était une tieflinne, mais je n'en avais cure. C'était la première fois que j'étais amoureuse, et j'ai cru que nous gagnerions à la fois la gloire, la victoire, la liberté et le droit de nous aimer au grand jour. Et puis il y a eu ce jour là. »

« Nous étions en train d'organiser un rituel. Un qui permettrait de bannir les diables de Couronne d'Ouest, et avec eux, les Thrunes. Du moins, c'est ce que nous pensions. Mais ce genre de rituel a un prix. Et son frère est venu vers moi pour ça. Il lui fallait du sang, et pas n'importe lequel. Il lui fallait celui d'une semi-démone. Il correspondait également, mais il était le seul d'entre nous qui pouvait mener le rituel à son terme, et il y sacrifiait déjà un oeil et son âme. J'ai refusé, au départ, mais j'ai fini par comprendre qu'il avait raison: nous ne gagnerions pas sans sacrifice. Ca paraît stupide quand j'y repense maintenant, et j'étais stupide à l'époque. Je l'ai aidé. Je l'ai aidé à tuer sa propre soeur, la femme que j'aimais, pour que le peuple de Couronne d'Ouest puisse vivre libre. Ce n'est qu'après que j'ai compris que c'était son propre pouvoir qu'il cherchait. »

« J'ai pris la fuite peu après. Je ne pouvais plus supporter de voir Couronne d'Ouest ou ce que j'étais devenu. J'ai cru qu'en fuyant vers la Varisie, je pourrais au moins être utile à quelqu'un, ma soeur. Mais les cauchemars ne s'arrêtent pas. Je la vois dès que je ferme l'oeil, et je vois dans son regard ce que ma trahison lui as fait. Tout ce que je peux espérer, c'est qu'elle a pu trouver un endroit meilleur. Et que Pharasma a été clémente envers elle. »

Epuisée, elle se tourna vers Aloïs, de nouvelles larmes naissant sur son visage.
« Alors? Est ce que tu penses toujours que je mérite les sentiments que tu me portes? Parce que moi non. Tu as peut être été amoral, mais tu n'as jamais été monstrueux. Moi si. »

Amaya répondit à son baiser, avec une passion plus proche du désespoir. Mais elle le repoussa un instant plus tard, le regardant dans les yeux.
« Une faiblesse? Aloïs, j'ai commis un meurtre de sang froid! Est ce que tu appelera aussi ça une faiblesse si jamais je recommence? Si c'est toi la victime? Et n'essaye pas de me dire que je suis merveilleuse malgré tout. Je sais que tu es sincère, mais simplement avoir fait le bien n'efface pas le sang que j'ai versé! »

Amaya le regardait, des larmes dans les yeux, et tressaillit lorsqu'il mentionna le sortilège. Elle pensait avoir été discrète mais ses talents lui faisaient défaut.
Elle serra Aloïs dans ses bras.
« Non. Je ne te laisserai pas te sacrifier. Pas pour moi. Je refuse de perdre qui que ce soit d'autre. »

Mais ce furent les dernières paroles d'Aloïs qui l'emportèrent. Elle ne lui laissa pas le temps de terminer, et lui sauta au cou, l'embrassant à nouveau avec une passion désespérée. Elle le déséquilibra, le faisant tomber en arrière et plongeant son regard dans le sien.
« Pour l'instant, je refuse d'y penser. Pour ce soir, je vais mettre tout le reste de côté. Pour ce soir, il n'y a que toi et moi. Fais moi oublier le reste. Je t'en prie... »
Elle l'embrassa à nouveau, lui tombant dans les bras.


Bien plus tard, alors que la lune s'était levée sur Golarion, Amaya regardait le ciel dans les bras d'Aloïs. Leurs étreintes avaient été empreintes de fougue, de passion, et Amaya y avait mis une énergie presque violente, comme si elle tenait absolument à s'y perdre pour fuir les pensées qui la tourmentaient.
A présent que la fureur et le désir s'en étaient allés, elle avait retrouvé un peu de sa sérénité.
Elle parla d'une voix redevenue douce, et d'un ton à nouveau égal.
« Aloïs...pour répondre à ta dernière question...je ne sais pas. J'aimerai bien, et pour l'instant, je ressens pour toi de l'affection, de l'amitié...et du désir. Mais de l'amour? Je n'en sais rien. Mais peut être que nous pouvons commencer par ça, et voir où tout cela nous emmène? »

Amay lui envoya une pichenette sur le bout du nez.
« Vil flatteur! Dans tous les cas, sache que j'assume mes choix, et que je n'ai aucun problème à ce que le reste de la caravane soit au courant, si cela ne t'en pose pas. »

Elle haussa un sourcil.
« Par contre, et même si ce n'est pas le moment idéal pour parler de ça...est ce que tu penses que ça risque d'empirer ta relation avec Kurimi? Même si tu ne m'a pas donné les détails, je pense avoir une bonne idée de ce qui s'est passé. Tu ne crois pas que ce serait retourner le couteau dans la plaie? »

En dehors de ta réponse, je pense qu'on peut s'arrêter là, la suite des évènements me paraît plutôt claire.

Amaya sourit, et il ne percevait plus chez elle la moindre trace de tristesse. Peut être avait il réussi à la distraire de ses souvenirs? Ou bien peut être les dissimulait-elle de nouveau...
« Bon courage dans ce cas! »
Elle se releva, et entreprit de récupérer ses vêtements, marmonnant une formule magique pour les rafraichir.
« Allez, rentrons. Il commence à faire froid, et je ne pense pas que passer la nuit seuls dans les collines soient une très bonne idée. »


15 Erastius 4716 - Collines d'Urjuuk

Le lendemain, au soir de leur rencontre avec le géant, le campement était beaucoup plus calme, et un peu tendu. Les caravaniers étaient rassemblés autour du feu de camp, et les sentinelles scrutaient la pénombre autour du campement. Le géant leur avait assuré qu'il veillerait sur leur voyage, mais comme il avait aussi mentionné que la région était dangereuse, Shalelu avait préféré ne prendre aucun risque.
Et puis, tout le monde pouvait sentir qu'ils entraient dans des contrées inconnues. La caravane avait monté le camp depuis plus de deux heures, les bêtes comme les caravaniers épuisés par la marche, mais le soleil commençait tout juste à toucher l'horizon, et la nuit demeurait claire, pâle comme le ciel au petit matin.

Aloïs fut complètement pris par surprise lorsqu'une main l'attrapa par le col, et l'entraîna un peu à l'écart derrière une roulotte. Il se trouva nez à nez avec Ameiko.
« Aloïs, il faut qu'on parle. »

Avant qu'il ait pu poursuivre, Ameiko le gifla violemment.
« Ca, c'est pour avoir agi comme un imbécile! »
Elle lui laissa le temps de se remettre avant de poursuivre.
« Je sais que tu voulais bien faire, et je sais que tu avais vraiment un faible pour Kurimi, je te connais suffisamment bien pour savoir que tu portes ton coeur sur ta manche et que tu ne sais pas ignorer ce genre de sentiments. Mais cette fois, ta précipitation et ton instinct t'ont amené sur un chemin qui blessé quelqu'un d'autre, une amie, pour toi comme pour moi! Alors je me devais de te mettre les points sur les "i". Je sais que ce genre de chose t'est très naturel, mais à Minkai, même un baiser est important, en particulier pour une samouraï. C'est une affaire d'honneur, et pas seulement le sien, mais celui du clan! Si elle n'était pas raisonnable, elle aurait eu parfaitement le droit de te demander réparation, et on a vu des guerres de clan commencer pour des incidents de ce genre! Ensuite, Kurimi y attachait beaucoup d'importance, et même si ce n'était pas volontaire, tu l'as blessé en agissant trop vite. »

Elle soupira, l'air plus triste qu'énervée.
« Je sais que tu as tendance à suivre ton instinct dans ce genre de chose, mais en l'occurence, Kurimi n'hésitait pas à t'embrasser, elle cherchait un moyen de te répondre sans te blesser. Je sais que tu ne pensais pas à mal, mais quand quelque chose d'important est en jeu, essaye de réfléchir deux secondes avant de te précipiter, et aux diables la spontanéité. »