Ceci est la traduction d’une histoire courte écrite par Tim Pratt et publiée sur le blog de Paizo.Hazidah se tenait, droit comme un piquet entre deux autres étudiants, le premier un homme-lézard dégénéré et l’autre, un elfe sauvage Ékujae, alors que leur enseignant maigrelet, Mawunyo, gesticulait avec un bâton en direction des pics couverts de lierres, des arches grâcieuses et des larges tours du Magaambya, la plus grande académie magique de toute l’Étendue Mwangi, voire du monde.
« Vous vous embarquez dans une vie d’étude et de service. » La voix de Mawunyo était riche et forte malgré sa silhouette frêle ; elle évoquait chez Hazidah le souvenir inconfortable des voix des prêtres de l’Enfant Sans Mort qui résonnaient là d’où il venait. « Vous avez été choisis parce que nous décelons de grandes promesses en vous, de la passion et de la volonté, de l’esprit et de l’intellect, de la force et de la jugeotte… et peut-être quelques grains de sagesse qui pourront grandir et éclore si on les nourrit. » L’assistante de l’enseignant, Kweku, ricana et Hazidah risqua un coup d’œil dans sa direction. Elle accompagnait apparemment Mwunyo depuis des années, voyageant avec lui jusqu’aux extrémités lointaines du monde (voire même au-delà, à en croire certaines rumeurs). L’ourlet de sa robe était éclaboussé de boue ; ses cheveux étaient composés de milliers de tresses en désordre ; et une heure après l’avoir rencontrée, Hazidah était plus qu’à moitié amoureux. Problématique.
Mawunyo poursuivit. « Vous venez d’endroits différents mais vous êtes tous des enfants de l’Étendue, tout comme moi. Nous sommes les successeurs et les héritiers du Vieux-Mage Jatembe, qui a dit que ceux qui utilisent la magie portent une grande responsabilité, et que nous devons nous servir de nos connaissances pour améliorer le monde. Cela, je le fais en enseignant à des individus comme vous. »
« Et en battant à mort des démons à l’aide de baguettes, » dit Kweku.
Mawunyo haussa les épaules, qu’il avait osseuses. « Quand je suis à l’étranger. Quand c’est nécessaire. Avec des baguettes faites tout spécialement dans ce but. » Il frappa son bâton contre le sol, bâton qui n’avait pas particulièrement marqué Hazidah comme étant menaçant jusqu’ici, mais qui semblait l’être maintenant. « Nous n’avons pas besoin de telles armes ici. Nantambu la cité du Vent Chantant, est l’endroit le plus sûr où j’ai vécu. »
« Tellement sûr que nous partons parfois juste pour ressentir le frisson du danger, » dit Kweku.
Mawunyo ne sembla pas remarquer son intervention. « Ceux qui veulent du mal à la cité découvrent rapidement à quel point il est dément d’attaquer un endroit que des centaines de mages considèrent comme leur demeure. Aucun attaquant n’a eu besoin d’apprendre cette leçon récemment. Cette sécurité nous donne la liberté nécessaire pour apprendre en paix. Je suis ici pour vous aider à découvrir comment vos talents peuvent servir au mieux le monde. » Il s’appuya sur son bâton et observa chacun des étudiants tour à tour. Les yeux de l’instructeurs semblèrent pénétrer l’âme d’Hazidah. Hazidah espérait que ce n’était pas le cas.
Le vieil homme reprit la parole. « Dites mois : une fois que vous aurez obtenu les pouvoirs dont vous rêvez, quels objectifs comptez-vous atteindre ? »
L’homme-lézard parla lentement, avec de nombreux mots dans une langue qu’Hazidah ne connaissait pas, mais, dans l’ensemble, cela semblait avoir un rapport avec l’amélioration du mode de vie des femelles de son espèce. Peut-être s’agissait-il d’une femme-lézard ? Hazidah ne savait pas du tout comment faire la distinction. Les créatures de ce genre n’étaient pas très courantes chez lui, à Mzali. Puis l’elfe prit la parole, quelque chose d’abstrait à propos de la combinaison des arts arcaniques et druidiques pour forger une sorte d’alliage magique à la fois plus puissant et plus flexible que chacune des deux parties. Mawunyo et Kweku opinèrent du chef avec un air pensif pendant ces deux discours, puis ils se tournèrent vers Hazidah.
Il redressa sa colonne vertébrale et dit « Je viens de Mzali, la demeure de l’Enfant Sans Mort, qui dirige mon peuple avec leu feu et la terreur. Connaissez-vous l’endroit ? »
« J’y suis déjà allé, » dit Mawunyo. « Quand c’était un lieu à la gloire déclinante, avant que l’enfant-momie Walkéna ne s’éveille et n’en prenne le contrôle. Mais je n’y suis pas retourné depuis lors. »
« Les citoyens ne sont pas… encouragés à quitter la cité, » dit Hazidah. « Walkéna exige obéissance et sacrifice, et sa loi est cruelle si vous n’avez pas ses faveurs. Il y a un groupe, les Lions lumineux, qui cherchent à renverser Walkena et à rendre le contrôle de la cité aux vivants. Les Lions ont découvert mon intérêt pour les arcs arcaniques et ont proposé de m’aider à venir ici. Ils l’ont fait par pure gentillesse… mais j’aimerais leur rendre la pareille et mettre les pouvoirs que je pourrais acquérir au service de leur cause. Si personne ne s’oppose à Walkena, il atteindra son but d’unifier l’Étendue toute entière sous sa bannière enflammée. Il détruirait aussi cet endroit par le feu. Je veux empêcher cela. »
Mawunyo et Kweku hochèrent de la tête à ces paroles, exactement comme ils l’avaient fait aux proclamations ambitieuses des autres étudiants, et en son for intérieur, Hazidah fut soulagé.
« Prenez l’après-midi pour vous familiariser avec vos quartiers, » dit Mawunyo, « et au moins avec les environs de l’académie. Je vais réfléchir à ce que je sais de vos objectifs et de vos ressources et, demain, nous nous rencontrerons à nouveau pour discuter des premières étapes de vos études. » Il se retourna et partit en marchant, utilisant son bâton plus comme un accessoire que comme une aide pour marcher, selon les observations d’Hazidah. Peut-être était-il moins frêle qu’il ne le paraissait.
Le groupe se dispersa et Hazidah se dirigea vers son dortoir, se demandant où il pourrait bien trouver un endroit où s’isoler pour consigner les événements du jour. Kweku le rejoignit et avança à ses côtés. « Mzali, » dit-elle. « Tu as encore de la famille là-bas ? »
« Je… pas vraiment, plus vraiment. » Il pensa un bref instant au feu, aux cendres et aux taches sur les pierres mais repoussa ces images. Les actions avaient des conséquences. Il ferait des choix plus sages que ceux de ses parents et de ses frères. « D’une certaine manière, tous les habitants de Mzali sont ma famille et méritent d’être libérés. » Cela sonnait comme une phrase qu’un ami des Lions pourrait dire.
« Je suis désolée d’entendre cela. » Elle se retourna et se mit à marcher à reculons de manière à pouvoir lui faire face tout en lui parlant, parvenant à grimper facilement plusieurs marches en marche arrière. « Cet endroit doit te sembler bien différent. Pas juste différent au niveau du style architectural mais aussi des différentes sortes de gens, la musique dans l’air, l’absence d’une atmosphère de terreur omniprésente… »
« C’est… un changement très rafraichissant. »
Kweku hocha la tête et prit la tête pour traverser une large plazza déserte. « Je voulais te dire, il y a un groupe plutôt petit mais très impliqué, qui étudie le problème de ton Enfant Sans Mort Walkéna. J’en connais quelques membres. Il y a même un mage de la tempête et du soleil parmi eux. Peut-être voudrais-tu que je te présente ? »
Hazidah hésita. Il ne savait pas s’il avait été envoyé dans cet endroit sur l’ordre direct de l’enfant-dieu Walkéna lui-même, comme l’avait prétendu le prêtre qui l’avait recruté, ou s’il faisait partie d’un projet propre au prêtre lui-même mais, quoi qu’il en soit, sa mission était à la fois simple et immensément complexe : trouver la faiblesse de l’académie et découvrir comment les mages qui s’y trouvaient réagiraient face à une invasion par les forces de Mzali, afin que l’Enfant Sans Mort puisse plus facilement contrer leur plans. Faire partie d’un groupe qui s’occupe tout spécialement de la menace que représente Walkena serait parfait pour rassembler ce type d’informations, mais cela pourrait également l’exposer à plus d’attention, et sa mission était censée être lente, prudente et durer des années. « Je ne suis pas certain d’avoir beaucoup à offrir à un tel groupe. »
« Oh, je ne sais pas. » Kweku afficha un large sourire. « Avoir un agent double à qui les prêtres de l’Enfant Sans Mort font confiance pourrait être un grand avantage pour nous. »
Hazidah s’immobilisa. Sa main se dirigea lentement vers l’intérieur de ses robes mais Kewku renacla. « Tu perdrais un combat contre moi dans tous les cas mais, quoi qu’il en soit, jette un coup d’œil vers le haut avant de tenter quoi que ce soit. »
Il tourna rapidement son regard vers le haut et vit quelque chose dans l’air au-dessus de lui, comme un reflet de soleil sur du métal poli. Les histoires disaient que les mages de la tempête et du soleil volaient haut au-dessus de l’académie et guettaient les menaces qui s’en approchaient… et qu’ils étaient capables de s’occuper de dangers bien plus grands qu’Hazidah. Il baissa sa main et fixa Kweku droit dans les yeux. « Je suppose que j’aurais dû faire semblant de ne pas comprendre. »
« C’est ce que de nombreux espions auraient fait… mais ça nous permet de gagner du temps. Nous sommes au courant depuis le moment où tu t’es présenté comme candidat. La magie qui cache ton mensonge est bonne mais nous avons creusé ton histoire et nous avons trouvé des éléments qui ne résistaient pas quand on grattait un peu. » Elle se rapprocha de lui ; il se raidit, s’attendant à une attaque, mais au lieu de cela, elle enroula son bras autour du sien. « Marche avec moi. »
« Est-ce que tu m’emmènes pour me faire exécuter ? Ou pour briser ma volonté et faire de moi ton serviteur ? »
« Ta vie sous le contrôle de l’Enfant Sans Mort a été difficile, Hazidah. Tu vois des ennemis partout. Je ne suis pas ton ennemi. Je suis son enseignant. Et ce que je vais t’enseigner aujourd’hui, c’est que tu es dans le mauvais camp. »
Hazidah secoua la tête. La loyauté était primordiale, le fondement de tout temple, le sol sous chaque pas, et transgresser cette règle envers Walkena menait à la punition des Sept soleils en colère. Le prêtre qui l’avait recruté avait pris des précautions pour s’assurer de la loyauté d’Hazidah, même si sa foi vacillait. « Même si je me laissais berner par tes mensonges, mon obéissance est garantie par des pouvoirs qui sont bien au-delà de ma volonté. »
« Oh oui, je sais, » dit Kweku. « Les sorts qui te lient ont eux-mêmes des sorts qui les lient. Il faudra les enlever si nous voulons avancer. » Elle le tapota sur le bras. Il tenta de se souvenir de la dernière fois qu’il avait été touché de manière aussi amicale. « Ça tombe bien, que nous soyons dans la plus grande académie magique du monde, entourés par des experts en magie, non ? »
Son cœur chavira à son toucher. Il n’avait jamais rencontré de personnes comme elle chez lui ; elle était intelligente et puissante, mais elle était désordonnée, impulsive et franche. Tout ce qu’il aurait dû détester : un individu natif de l’Étendue qui avait été corrompu et affaibli par le monde extérieur et qui cherchait à ramener ce poison chez lui. Et c’
était bel et bien du poison. Il pouvait faire semblant d’être d’accord, les laisser penser qu’ils étaient parvenus à le rallier à leur cause tout en rassemblant des informations à utiliser contre eux… c’était certainement possible d’être un agent
triple.
Elle trébucha sur une pierre décelée et plaça sa main sur le bras d’Hazidah pour se stabiliser… puis laissa sa main à cet endroit tout en continuant à marcher.
« Est-ce que tu… on travaillera ensemble ? » Il fixa du regard ses doigts qui étaient posés sur son avant-bras.
« C’est l’idée, oui. Je serai ton agent, Haz. On fera de grandes choses ensemble. »
Haz. Son coeur Chavira à nouveau, et il pensa : et si elle transmet sa corruption,
à moi ? Ne valait-il pas mieux combattre maintenant et mourir, tant qu’il était pur ? Ou avait-il juré allégeance à la mauvaise flamme : la flamme du pouvoir de son maître, plutôt que la flame qui brûlait en son sein ?
Elle s’écarta pour le guider à travers une arche à la base d’une tour sombre et, lorsqu’elle lui tourna le dos, il tendit les bras dans sa direction.
Même lui ne savait pas encore, à ce moment-là, s’il le faisait pour l’étrangler ou la prendre dans ses bras.