Monastère des quatre vents, région d'Omesta, Kyonin, le 4 Gozran 4712

Cela faisait bientôt cinq années que Kala avait décidé de suivre maître Aroshi, celui qu'elle avait d'abord pris pour un illuminé et qui était devenu comme un second père pour elle. Cinque années déjà qu’elle suivait la longue et rigoureuse formation des moines des quatre vents en Kyonin. Courant au sein de la dense végétation, escaladant les arbres, sautant les ravins et esquivant les branches racines qui lui barraient la route, la jeune Kellid se remémorait ce qui l'avait mené ici, au monastère d'Omesta.

Elle avait été la fille du brave Barek Ta'Kan, redoutable guerrier et chef de la tribu des Ta'Gannok. Refusant la domination du noir souverain et de la ligue technique qui transformaient la nature et insultaient la terre de ses ancêtres, le père de Kala prit la tête d’une rébellion contre Kevoth-Kul et ses sbires. Malheureusement pour Kala et sa tribu, le souverain noir et la ligue techniques déployèrent des moyens sans commune mesure avec ceux dont disposaient les kellids. La jeune femme qui avait insisté pour prendre part au combat n’oublierait jamais les hideuses créatures et les hommes de la ligue technique qui massacrèrent son peuple. Après avoir retrouvé le corps de son père transpercé d’une épée typique de la ligue technique, elle se jura de venger cette ignominie en faisant de cette lame l’arme qui lui permettrait de rétablir l’honneur de son clan. Mais il lui avait fallu subir l’exode et la dispersion des derniers membres encore vivants de sa tribu. Seule dans un pays étranger, elle fit la connaissance du moine Aroshi, qui lui parla de la foi verte, du respect de l’harmonie de la nature et de la sacralité du sang et de la terre. La proximité entre ces valeurs et celles que lui avait transmises son père lui donna envie de pousser plus avant ses connaissances en la matière, et pourquoi pas de découvrir les secrets de la puissance et de la longévité de ces moines dits « des quatre vents ».

L’esprit occupé par toutes ces pensées, Kala heurta un tronc d’arbre couché et fit une chute violente suivie de quelques roulades avant de reprendre l’équilibre. L’air quelque peu hagard, elle se frottait les genoux et les coudes éraflés, prête à reprendre sa course matinale vers le monastère, quand la voix de son maître se fit entendre.

« Eh bien Kala ! Où as-tu l’esprit ? Aurais-tu oublié qu’il s’agit d’un jour spécial aujourd’hui ?  »

Mast Arochi se tenait près de sa disciple, à quelques centaines de mètres des portes du monastère.

« Aujourd’hui tu passes l’entretien avec le grand maître. Et dans quelques heures, si tout se passe bien, tu ne seras plus mon élève mais mon égale. Sache que devenir moine ne constitue pas une fin mais le premier pas sur le long chemin que représente le reste de ta vie. Tiens-toi prête à exposer au maître tes motivations, et n’oublie pas qu’il lit les âmes.  »

Avec un sourire en coin, Arochi glissa à l’oreille de Kala :

« Alors pas de mensonges !  »

Le moine tapota les vêtements de la jeune Kelid pour en retirer la terre et la poussière avant de l’enjoindre à regagner le monastère pour la cérémonie. Kala savait ce qui allait se passer. Le grand maître Sakaro Myces lui demanderait pourquoi elle désirait devenir moine des quatre vents, et le vieil homme, dans sa grande sagesse, lui assignerait une épreuve en fonction de sa réponse. Aroshi lui avait que chaque moine avait reçu jusqu’à aujourd’hui une épreuve différente, et que chacun s’en était sorti grandi et plus sage, mais il n’avait pas idée de ce qu’allait être la sienne.
Après quelques instants de marche, Aroshi et Kala pénétrèrent le temple, et vinrent s’agenouiller devant la silhouette frêle et fatiguée du grand maître des quatre vents, le très vénérable Sakaro Myces.

« Grand maître, » dit Aroshi,«  j’ai l’honneur de soumettre à votre jugement le souhait de mon élève ici présente de servir notre ordre. Elle a toute ma confiance, ma considération et ma fierté, et c’est une joie pour moi, en ce jour, de vous la présenter. »

Le vieil homme assis en tailleur en haut des marches scrutait Kala d’un regard sévère et précis.
« Parlez jeune fille. Que pensez-vous que soient les principes de la foi verte, des quatre vents, et dans quel but souhaitez-vous découvrir les pratiques et secrets ancestraux de notre ordre ? »

Modifié par un utilisateur lundi 21 mai 2012 00:34:41(UTC)  | Raison: Non indiquée

Le grand maître n'avait affiché aucune émotion particulière durant le discours de Kala. Il se tenait là, stoïque, face à elle et laissa s'écouler une longue minute avant de prendre la parole. Il s'adressa à Arochi avec une voix à la fois calme et d'une cinglante sévérité, comme un maître d'école à un enfant.

« Que t'ai-je dit quand tu as ramenée cette enfant ici, Mast? »

Le moine agenouillé devant les marches qui menaient à la paillasse du grand maitre releva la tête. Un air de contrition marquait son visage, et il répondit avec difficulté et gêne.

« Que son âme était souillée par la haine, maître... »

Sakaro n'affichait toujours aucune émotion et continua sur le même ton :

« Devient-on le serviteur de l'harmonie et de la nature quand on est animé par la haine et la vengeance? Entre-t-on en symbiose avec les éléments quand on ne peut se détacher de ses émotions? »

Toujours sans regarder Kala, Arochi répondit :

« Non, maître... »

Le grand maître tourna enfin son regard vers la jeune Kala pour lui dire :

« Tu crois pouvoir dominer ta colère, mais tu en fait la source de ta force. Tu crois vouloir défendre la nature, mais tu veux venger ton peuple. Tu crois t'être détachée de ton passé, mais tu garde toujours avec toi cette relique. Crois-tu vraiment savoir ce que tu veux et où tu vas? Crois-tu que nos enseignement sont comme les machines de ceux que tu entends détruire, un moyen d'imposer par le sang ta volonté?  »

Le maître ouvrit les yeux pour fixer la jeune femme, et se releva.

« Si la nature est une force, elle est comme le vent, invisible et permanente. Le vent sculpte les montagnes, arrache les arbres, démonte la mer et attise les feux. On ne l'attrape pas, on ne le contrôle pas, on le détourne pas dans un but particulier! Il gonfle les voiles des navires, porte les oiseaux, fait tourner les moulins et se propager les fleurs. Ce n'est pas la mort de tes ennemis que tu recherchera dans cet ordre, mais la défense de la vie et de la nature en tant qu'elle est un tout régi par des forces lentes, invisibles et sourdes aux questions politiques! »

Sakaro tourna le dos à ses deux disciples et continua :

« Si vraiment tu penses vouloir suivre notre enseignement, alors il te faudra me prouver que tu es capable de dominer ton âme et tout ton être. J'ai vu tes progrès et ta maitrise de nos techniques de bases, mais tu ne deviendra un vrai maître que quand tu auras accompli l'épreuve et trouvé la voie. »

Il marcha quelques pas et se rassit près d'un flacon d'encre posé au sol, se saisit d'un pinceau et d'un rouleau de papier sur lequel il traça un mot. Il reprit la parole le temps que sèche le papier.

« Ton épreuve, Kala, consistera à me prouver que tu es plus forte que ta colère, et suffisamment sage pour résister à la tentation de la vengeance. Trouve et ramène moi une rune de faille, détruit là ici lors du rituel d'accomplissement, et tu deviendra un maître de notre ordre. »

Le grand maître descendit les marches, donna à Kala le papier qu'il venait de rouler, avant de les inviter à sortir pour retourner à sa méditation.

Une fois dehors, Mast dit à Kala :

« Notre maître est dur, et intransigeant, mais je vois en toi la sagesse et la force de mener à bien ton épreuve. Pour autant que je m'en souvienne, les rune de faille sont des pierres magiques liées aux failles de Droskar. Je ne sais trop ce que c'est ni si on peut en trouver là-bas, mais je connais bien quelques druides de la région de Sombrelune. Les temps sont durs pour eux aux dernières nouvelles, et peut-être pourra-tu compter sur leur aide dans ta quête en échange de quelques services rendus... »

Les jours qui suivirent Kala prépara son voyage vers la Laye de Sombrelune dans l'espoir d'y rencontrer ceux qui pourraient lui indiquer où et comment se procurer l'une de ces runes de failles. Elle était maintenant plus qu'un disciple et moins qu'un maître, un moine avec tout ce que cela comporte de noblesse et d'humilité. Elle se doutait que l'épreuve qui lui avait été donnée serait aussi bien une épreuve physique que mentale, car c'est vers la totale harmonie du corps, de l'âme et de l’environnement que devait mener la voie.

Arochi lui promit de contacter les druides de Sombrelune de son arrivée, mais au moment de son départ, il lui avoua qu'il n'avait pas de nouvelle d'eux depuis la fin de l'hiver. Elle quitta donc les denses forêts du pour partir en direction de l'Andoran. Vivant de la cueillette et de la chasse, elle traversa une grande distance seule et à pied, perfectionnant son corps jours après jours jusqu'à parvenir enfin dans cette région étrange de la Laye de Sombrelune. La forêt y semblait plus hostile, la campagne plus dangereuse, et elle ne devait sa survie qu'à sa discrétion et à ses réflexes plus rapides que la moyenne, jusqu'à ce jour où elle fit une rencontre étonnante...



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