Le regard du vieux marchand se fit vague, puis s'éclaira soudain alors qu'il se souvenait. Inari n'avait pas donné beaucoup d'informations, mais il était perspicace.
« Je présume que vous faites référence à cette épée Tian qu'un marchand de Minkai m'a vendue quand j'étais plus jeune? Cela fait plusieurs décennies, mais je n'oublierai pas une telle beauté, un tel chef d'oeuvre...! »
Il se reprit.
« Mais je vous en prie, entrez. Nous n'allons pas discuter sur le pas de la porte. Vous êtes les bienvenus. »

L'intérieur de la demeure était...original. La décoration était principalement composé d'oeuvres d'art Tian, même si on pouvait reconnaitre des trophées de chasse et des symboles claniques typiquement Ulfen. Un crâne de linnorm, énorme et grimaçant, dominait le hall d'entrée, ses orbites vides semblaient fixés sur les visiteurs. Cependant, sur les murs s'alignaient paravent laqués, marionettes du Sud de Tian Xia, épées, et même une armure.
« Comme vous pouvez le constater, je suis amateur d'art Tian. Je dois avouer que ce continent me fascine. Tant de cultures différentes, et pourtant, nous n'en entendons presque jamais parler ici, de ce côté de la Couronne.  »
Le vieil homme les conduisit dans ce qui était visiblement une salle à manger. Des bancs de bois longeait une immense table, au bout de laquelle se trouvait un siège à haut dossier.
« Prenez place, je vous en prie.  »
Il se tourna vers une jeune homme, vêtu simplement, qui était entré par une porte discrète.
« Va aux cuisines, cherchez de quoi nous restaurer. Je sais que le cuisinier n'a pas encore commencer, mais vois ce que tu peux faire.  »
Puis, alors que le serviteur repartait, il se tourna vers ses hôtes.
« Alors, maintenant que nous sommes là, pourriez vous me dire un peu plus précisément qui vous êtes, et pourquoi vous vous intéressez à cette épée? »

Saya fut assez surprise que Fynn Snaevald vienne leur répondre en personne. Pour autant qu'elle puisse en juger, c'était un vieil homme affable, collectionneur d'art et d'artisanat Tian. Mais après tout, il ne le connaissait pas. Inari avait raison de ne pas prendre de risque. Néanmoins, Saya ne voyait aucune raison de déroger aux convenances.

« Merci d'avoir pris le temps de nous recevoir. Nous n'ignorons pas que la vie d'un marchand est bien remplie, et nous allons faire en sorte de ne pas abuser de votre temps. Mon nom est Saya, enchanté. Comme mon amie vous l'a expliqué, Suishen revêt pour nous une importance sentimentale particulière. Nous sommes conscients qu'elle vous appartient, désormais, mais nous espérons que vous accepterez de la négocier. Cela dit, je suis heureuse de constater qu'elle a été entre les mains de quelqu'un qui la considérait à sa juste valeur. »

Fynn s'interrompit alors que le serviteur qu'il avait envoyé aux cuisines revenait avec un plateau sur lequel trônait six gobelets de bière et deux miches de pain, apparemment juste sorti du four.
« Je constate que le cuisinier a encore fait des merveilles. Servez vous je vous en prie! »
Il but une gorgée de bière avant de reprendre.
« Quant à Suishen...et bien, je ne l'ai plus en ma possession. Il y a cinq jours, des voleurs entièrement vêtus de noir, masqués, sont entrés chez moi, ont tué la plupart de mes serviteurs, et sont partis avec l'épée. Quand je suis rentré, il était trop tard pour sauver qui que ce soit. Mon comptable, qui était présent lors de l'attaque, est mort après avoir eu le temps de me décrire que le chef des voleurs était d'une taille incroyable. J'ai rapporté l'affaire à la garde de la ville, mais ils n'ont pas pu m'aider. »

Une lueur rusée passa dans son regard. Il plissa les yeux, et d'un seul coup paru vingt ans de moins. Le marchand redoutable était là, juste derrière les rides.
« Mais puisque vous accordez une telle importance à Suishen, j'ai une proposition à vous faire. Pour moi, cette épée était une oeuvre d'art. Mais il est clair qu'elle représente bien plus pour vous. Je n'ai pas d'héritier, et même en étant optimiste, mes jours sont comptés...Mais ces voleurs ont dérobé mon bien et tués ceux qui étaient sous ma protection. C'est une dette de sang qui doit être réglée, un weregild. Je ne suis plus en état de m'en charger, mais si vous retrouvez ces voleurs, et que vous vengez la mort de mes serviteurs, je vous ferais cadeau de l'épée. Qu'en dites vous? »

« Je suis du même avis que mon compagnon. Mais il reste un problème, nous ignorons totalement par où commencer...Auriez vous une piste?  »
Prise d'une inspiration subite, Saya tira de ses fontes l'anneau d'or récupéré sur les agresseurs Ulfen.
« Pardonnez moi de vous importuner avec cela, mais est ce que par hasard vous sauriez d'où cette anneau peut venir? Nous avons eu quelques démêlées avec son ancien propriétaire, et nous aimerions bien savoir dans quoi nous mettons les serres. »

Inari regarda ses compagnons un moment, puis se retourna vers le vieil homme. « Connaissez-vous d'autres détails qui pourraient nous aider à sortir victorieux de cette rencontre? »

Comment cet Asvig a-t-il eu vent de nous et de ce que nous cherchons? Quelle magie est à l'oeuvre? se demanda Inari, prévoyant faire part de ses questionnements aux autres membres du groupe dès qu'ils seraient sorti de chez le vieillard.

Fine mouche, Fynn laissa glisser la mention du nom d'Ameiko. Cette affaire ne le concernait pas après tout.
« Hélas, je crains de ne rien pouvoir vous apprendre d'autre qui pourrait vous aider. Ces guerriers ne sont pas des samouraïs, mais sur un champ de bataille, ils n'en demeurent pas moins dangereux. Et on raconte également que la femme d'Asvig pratique les arts occultes, mais je ne pourrais en jurer. Le soir va tomber. Allez vous rester pour le dîner? Je peux demander au cuisinier de préparer quelque chose... »

Saya respira à fond l'air marin. Elle sentait que la mer allait lui manquer pendant la traversée de la Couronne, aussi s'efforçait elle d'en profiter maintenant. Elle se tourna vers ses compagnons, indécise.

« Qu'est ce qu'on fait? On retourne à la caravane? On essaye de s'attaquer à Asvig en profitant du couvert de la nuit? J'ai aussi entendu parler d'une Varki qui pourrait nous aider à traverser la Couronne. La taverne où elle se trouve s'appelle le Corbeau Fourbe.  »

Le Corbeau Fourbe n'avait rien à voir avec les tavernes qu'ils avaient pu voir lors de leur traversée du Quartier de Feu. Située dans une petite ruelle, sombre et enfumée, elle avait tout du bouge sordide des bas-quartiers. Pas au point que les rats se disputent les miettes, mais il était clair que la taverne avait vu des jours meilleurs. Le patron, un Ulfen barbu, trapu, bâtie comme une barrique, les accueillit avec un regard soupçonneux. Il se détendit un peu constatant qu'ils étaient sans doute assez aisés pour payer, mais il conserva néanmoins une expression renfrognée.

Le reste de la clientèle était à l'avenant. Marins en bordée, mercenaires, joueurs de dé ou de cartes, escrocs, et même un Tian qui tentait de revendre discrètement de l'opium. Il y avait également un pirate tengu, couvert de cicatrices et portant un bandeau sur l’œil droit. Les serveuses étaient efficaces, et la plupart d'entre elles portaient une dague à la ceinture, à titre d'avertissement.
Deux des marins lancèrent un regard appréciateur à Inari, mais cessèrent immédiatement de la déshabiller du regard lorsqu'ils remarquèrent la présence de Kitano.


Heureusement, il ne fut pas difficile de trouver celle qu'il recherchaient. Une Varki solitaire, en manteau rouge, bleu et jaune, fait de peau de phoque cousues et doublé de fourrure, était attablée au fond de la salle, le nez dans une chope de ce qui, d'après l'odeur de rhum, était du grog. Étant donné que la table comptait au moins quatre chopes vides, il était clair que la Varki avait l'intention de noyer quelque chose dans l'alcool.
Elle leur adressa un vague regard lorsqu'ils entrèrent, avant de se replonger dans la contemplation du fond de sa chope. Son visage portait des marques de coups clairement visibles.

La Varki leva un œil embrumé par l'alcool vers Inari. Un sourire torve tordit son visage, mais lorsqu'elle parla, malgré la forte odeur d'alcool dans son souffle, elle parla d'une voix plutôt claire, mais assez basse, presque un murmure. Il était clair qu'elle aussi recherchait une certaine discrétion.
« Vous cherchez un guide pour passer la Couronne? Et je présume qu'en cet saison, personne n'est disponible. Je vous aurais bien dit que vous aviez trouvé la bonne personne, mais ce serait mentir. Mon nom est Ukshakka, mais je n'ai jamais traversé la Couronne. Mon associé, Ulf Gormundr, est par contre le meilleur guide de la région! Et il n'a pas de contrat en ce moment, je suis certaine qu'il accepterait de vous faire traverser. Si seulement je savais où il est passé... »

Elle regarda de nouveau sa chope avant d'en vider le fond d'un trait, s'essuyant la bouche d'un revers de main. Son regard se perdit dans le vague.
« Vous savez, Ulf et moi, nous travaillons ensemble depuis presque deux ans, et c'est la première fois qu'il me fait un coup pareil. J'aurais dû me douter qu'un contrat aussi mirobolant était un coup fourré. Et je n'aurais pas dû le laisser aller seul récupérer notre acompte. Mais puisqu'il s'est aliéné la moitié des Guildes marchandes de la région, on n'avait pas le choix. Qui sait ce que cet Asvig Longue-Echine a fait de lui, maintenant? Ulf, espèce d'abruti, dans quoi t'es tu fourré? »