Mianshan

Liling hocha la tête, acquiesçant aux paroles de Kuma. Elle n'aimait pas l'idée mais elle devait reconnaître la logique qui l'animait.

Si j'ai l'air d'avoir une idée de ce que je fais c'est que je suis devenue comédienne malgré moi...

La salamandre essayait surtout de ne pas se laisser noyer par le deuil, se sentant comme un nénuphar prise dans le courant d'une rivière, balloté par les remous sans parvenir à saisir où elle allait, comment, ou même si elle y arriverait en un seul morceau.

A peu près un seul morceau...

La réplique de Fai lui fit froncer un sourcil. Il n'avait pas l'air de réaliser qu'Amegawa était immense pour quelqu'un qui n'avait jamais mis les pieds en dehors de Mianshan. Alors qu'elle s'apprêtait à rétorquer quelque chose, les mots moururent sur ses lèvres lorsqu'elle entendit la suite. Un éclair brûlant comme le feu de sa forge naquit dans sa poitrine, mais à chaque fois qu'elle tenta d'interrompre le sylphe pour lui exposer le fond de sa pensée, elle ne trouvait pas les mots, incapable de cracher la rage impuissante qu'elle ressentait. Son trouble évident n'arrêta ni Fai, ni Lyn qui se joignit à ses critiques. Phrase par phrase, mot par mot, ils fendirent le bloc solide de colère qui menaçait d'étouffer Liling, ne laissant qu'un vide.

Un vertige la saisit.

Liling referma finalement la bouche qu'elle avait gardé ouverte en cherchant comment rétorquer, et des larmes perlèrent au coin de ses yeux. Elle se recroquevilla sur elle même. Soudain, croiser le regard de...de qui, vraiment? Ses compagnons de route? D'infortune? Elle ne savait même pas si elle pouvait compter sur eux au delà d'avoir la même destination. Les derniers mots de Lyn lui revinrent.
« Peut être, Lyn! »

Elle renifla, tentant sans la moindre once de succès de retrouver un peu de contenance.
« Peut être que j'aurais du mourir à Mianshan. Pour vous ce n'était peut être qu'un village, mais c'est...c'était toute ma vie! Les prêtresses qui m'ont élevé, tous mes amis, mon mentor, tous ceux que j'ai pu faire sourire avec mes feux d'artifice...ils sont tous morts. Il ne reste qu'un tas de cendre de tous les lieux que j'ai connu depuis ma naissance.

Même mon art, elles me l'ont prise! Alors oui, peut être que finalement, si je peux être une épine dans leur pied en mourant, ça sera un soulagement pour tout le monde. Moi la première. »

Liling se leva brusquement, et tourna le dos à ses compagnons, allant se nicher au pied de la statue de Daikitsu dans le petit temple qui leur servait d'abri, bras serrée autour de ses genoux comme si elle tentait de se fondre dans le granit.

Kuma assista à la scène et son coeur se serra en imaginant la douleur de Liling. Il acquiesça aux paroles d'Eri et ajouta.
« Liling, je ne vais pas prétendre que je partage ta souffrance, mais je pense que je peux la comprendre... Il y a un peu plus de dix ans, mon clan a été exterminé, me laissant pour seul survivant. Je ne peux pas de dire quoi faire, mais je peux te dire ce que j'ai fait... J'ai décidé de dédié ma vie à empêcher ce genre d'injustice. Malheureusement pour toi et Mianshan, dix années n'étaient pas suffisantes pour me rendre assez fort pour arrêter Luoyang et ses sbires, mais on nous a offert une deuxième chance à nous de l'utiliser pour essayer que plus personne ne ressente ce que tu ressens. »