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Quelques moments de vie des PJ à Havre ...


Le 25 Calistril 4711 - La Tour des Mages - chambrette de Vania et Dimitri

J'avais achevé la lettre à mon oncle, Kozek Lodovka. Je l'avais recommencée au moins 10 fois, pour tenir le subtil équilibre entre le présent et l'avenir de nous tous, et mon passé, le respect que je devais au maître de ma famille, et le respect de ma présente charge et de l'indépendance de Dana à l'égard du Brévoy et de ses forces. Et tout cela calligraphié avec soin. Ce fut dur ... J'en venais à envier les jongleurs et bouffons pour leurs exercices simples sur des cordes tendues au-dessus du vide.

Je posai là la plume, pris la cire rouge et la chauffai jusqu'à sentir son odeur brûlée, douce, presque sucrée, pour la faire couler sur le parchemin, et y apposer mon sceau, petit, puis celui de l’État de Dana. Le sceau personnel de Béryl viendrait juste après pour identifier son seing.

Trois bougies de suif éclairaient la table de bois sur tréteaux qui me tenait de bureau.

Je souris de dérision. Ceux qui dormaient encore dans les tentes enviaient ceux qui vivaient "au château".

Nous avions bien une salle d’apparat, et quelques chambres où l'on avait réuni tout le mobilier digne disponible à l'attention d'hôtes prestigieux éventuels.


Pour le reste, ...

Dimitri et moi occupions un étage dans une des tours de pierre du château.

Un charpentier m'avait fait un lit de bois, robuste surtout, assez grand pour moi et une autre. Il y avait une paillasse fraiche, des draps et couvertures de laine. A défaut de luxe, c'était chaud.

J'avais trois tabourets de bois, un coffre prêté, et cette table sur tréteaux où je pouvais travailler. J'y avais laissé quelques glands, que Jhod m'avait conseillé d'étudier, sans me dire vraiment pourquoi, trois petites pierres étranges, un crâne de mouton soigneusement nettoyé, qui me servait de porte chandelle à l'occasion, et un mobile fait de pièces de bois sculpté et de ficelles, que j'utilisais pour mes exercices thaumaturgiques quotidiens.

Une étagère complétait le tout, où trônaient quelques ouvrages empruntés, les esquisses de diagrammes ésotériques des sorts que j'étudiais, ainsi que les cartes de nos contrées que je dessinais, les notes que je prenais à propos des lieux et des gens de Dana, et un répertoire de tout cela.

Il y avait une corde à linge aussi, où pendaient mon linge et mes chaussettes.

Le tout était rangé comme la cabine d'un marin : rien ne trainait, et un coup de tabac n'eût rien fait valdinguer, ... la marque de l'éducation d'enfant de la côte.

J'avais droit à la lumière que donnait une meurtrière, où le soleil entrait à midi, et les bruits de la ville tout le jour, et une partie de la nuit, et ses parfums tout le temps.

Un drap tendu séparait ma partie de la pièce de celle où Dimitri logeait. L'âtre se trouvait dans sa partie, et sa chaleur. Il m'offrait l'hospitalité régulièrement pour en profiter.

Il avait un lit tout pareil au mien, qui sentait un peu la bière, le vin, et les odeurs corporelles surettes, presque artistiques, qui revenaient avec la régularité de la marée, malgré les efforts de la blanchisseuse pour les faire disparaître.

Son fauteuil de bois sculpté et rembourré trônait à côté de l'âtre, avec sa couverture mal pliée, où il commençait sa nuit, le plus souvent.

Il travaillait dans cette pièce, ou aux Darons, ou ailleurs, quand il en avait envie, mais avait le chic pour être là de manière "opportune".

Sa table était encombrée d'un fatras de composantes et de restes de repas, avec des bouts de notes. Il y avait en tout cela une leçon de choses permanente, et de gastronomies de tous ces lieux d'où venaient les gens de Havre.

Il m'avait laissé entendre que mon statut d'ancien apprenti ne me dispensait pas de ranger de temps à autres ... comme au bon vieux temps. Mais tout chez lui avait une tendance naturelle à occuper la place disponible, en "tas" plutôt qu'en rangs. Et le dessous de son lit restait un lieu magique où des cruchons et flacons biscornus vides apparaissaient miraculeusement.

Il avait un système de classement très particulier : lui seul savait où trouver ce qu'il avait déposé un jour, juste ... "là".

Sur son mur, restait un diagramme, vestige d'une démonstration technique qu'il m'avait faite, avec mes corrections, puis les siennes ... donnez un problème à deux magiciens, et vous aurez deux bonnes réponses ... parfois très différentes.

Le 26 Calistril 4711 - Journal d'un investisseur

Faut-il que je sois idiot ? Pour une fois que je tombe sur des gens qui ont l'air de se soucier réellement du bien d'autrui, il faut que je gâche tout en prenant la parole. Ces gens ne sont pas comme toi, Locke ! Que croyais-tu ? Qu'ils allaient bien gentiment t'écouter ?

Havre est pas si mal, en fait. Les gens sont ici avec l'esprit d'entreprise ou... de revanche. Ils espèrent devenir ici ce qu'ils n'ont pas su ou pu être ailleurs. Des ouvriers qui rêvent de construire leur propre affaire, des artistes qui cherchent l'inspiration héroïque dans ces terres encore vierges d'exploits, des gens de rien qui aspirent à tout faire, des voleurs, comme moi, qui veulent participer à la communauté et non en profiter. J'ai croisé quelques personnes étonnantes en flânant dans le lit boueux qui sert de rue entre les tentes et les cabanons. Dans cette tristesse sale et humide, on n'est pas préparé à rencontrer un être de lumière comme Ayël. Là, au coeur des tentes, cette frêle enfant parle avec passion, rit, échange et remercie Pharasma de l'opportunité qui lui est offerte ici. Je l'ai écouté longuement. Il y a quelque chose chez elle, une impression d'"éternité" qui m'a touché.

Mais comme partout, certains sont prêts à tout pour réussir. La médiocrité n'est jamais loin. La "rue" suivante, j'ai assisté à l'agression d'une vieille dame. Le gamin loqueteux qui lui a pris son cabas n'a pas dû en profiter. On ne gagne rien à voler plus pauvre que soit, c'est la première loi des voleurs. Il faut croire que rien n'est en place ici.

Je me demande...

Combien de temps avant que cela se structure ?

Combien de temps avant que les autorités réagissent ? ou se couchent ?

Combien de temps avant que la vieille dame soit rançonnée et plus agressée ?

Il faut y faire quelque chose. Et si Béryl ne m'écoute pas, tant pis ! La rue doit être contrôlée et vite. Sinon...

Non, cela commence aujourd'hui. Maintenant.

Des cris me ramènent à la réalité. Une jeune femme, osseuse, le teint pâle maculé de poudre rose à bon marché, est aux prises avec un individu ventripotent. Elle lui réclame le paiement des ses "services". "Va te faire voir, catin. Tu ne m'as même pas donné le plaisir que tu m'avais promis. Tu devrais t'estimer heureuse d'encore pouvoir être baisée !". Un rire gras s'ensuit, renforcé par le silence de la maigre assistance qui passe son chemin en faisant mine de ne rien entendre.

Je m'approche et profite du dernier regard lancé par le client vers la prostituée pour le bousculer et lui prendre la maigre bourse qu'il cachait dans la poche de son justaucorps trop étroit.

Puis, m'approchant de la fille : "Comment t'appelles-tu ?".

"Serah".

"Enchanté". En fouillant dans la bourse, je prélève la seule pièce d'argent qu'elle contenait avant de la tendre au laideron. "Je m'appelle Locke. Cela te dirait de travailler pour moi ?".

Le 28 Calistril 4711 - Journal d'un investisseur

J'ai mal partout. Ma chemise me colle à la peau, gorgée qu'elle est de l'humidité de la nuit. je dois avoir une gueule à faire peur...

En remontant la "rue du Château" qui longe les Darons, j'aperçois un attroupement. Grigory est encore en train de déverser son fiel sur le Seigneur Béryl. Les spectateurs me semblent plus nombreux qu'il y a de cela quelques jours. D'une certaine façon, je les comprends. Il est doué l'agitateur. Ses mots sont simples mais ils font mouche. Il se contente juste de mettre sous la loupe certains événements et de les présenter sous un jour défavorable au Conseil. On ne peut même pas lui donner tort sur le fond des choses. J'avais oublié combien je détestais loger sous la tente lorsque j'étais mercenaire et mon retour sous un ciel de jute ne me pousse pas vraiment à exprimer ma joie d'être à Havre. Je sais faire la part des choses mais les pauvres bougres qui sont ici n'ont pas le même vécu. Ils espéraient autre chose. Ils veulent autre chose. A partir de là, il est facile de renforcer leur mécontentement.

Parmi eux, je salue Vex, le charpentier. Ses deux compagnons se plaignent de leur situation. Ils acquiescent lorsque Grigory souligne l'absence répétée de Béryl et de sa "clique", oubliant son premier devoir, la protection des citoyens.

Une idée germe en moi. "Pourquoi vous n'apprenez pas à vous défendre vous même ? Si vous êtes attaqués par des loups en forêts, je ne vois pas comment Béryl peut vous aider... A moins que vous n'ayez assez de moyens pour vous payer des gardes ?" Je laisse planer quelques instants l'ironie de mon propos avant de leur sourire.

"Je ne fais rien pour l'instant. Je pourrais vous donner quelques trucs pour vous défendre..."

Vex ne semble pas être plus d'attention à mon propos qu'à celui du barde. Il me dit y réfléchir, me salue et redescend la rue du Château. Ses compagnons en revanche semblent hésiter. Et si nous entrions ? On pourrait en parler au chaud. Je vous offre le premier verre.

Le 02 Pharast 4711 - Journal d'un investisseur

Sérah est une gentille fille. Elle est moche mais c'est une gentille fille.

"Ne cherche pas à voler ce qu'on est prêt à t'offrir." Jamais la deuxième loi des voleurs n'avait eu autant de sens.

La prostituée s'était jetée toute seule dans mes "bras". Elle avait accepté sans hésiter ma proposition sans chercher à savoir qui j'étais. Elle devait vraiment être désespérée. Constatant vite que ma seule présence avait une furieuse tendance à assagir les clients un peu trop exigeants, Sérah s'etait mise en tête de me satisfaire par tous les moyens. Non seulement, elle me donne spontanément une partie de ses maigres revenus, le plus souvent du cuivre plutôt symbolique mais elle cherche sans cesse à me remercier par des attentions, des cadeaux ou des offres plus... charnelles. Je ne suis pas dupe : cette attention est davantage une transaction financière qu'un échange de bons sentiments. D'ailleurs, je ne me gêne pas pour repousser la brindille lorsqu'elle se montre trop "remerciante".

Là où les choses commencent à devenir gênantes, c'est que Sérah parle. Parfois trop. Non, souvent trop. Elle a mis dans la confidence d'autres filles qui, sans avoir reçu mon assentiment, sont venues se mettre sous ma protection un peu contre mon gré.

Depuis, je vis avec en permanence avec des filles en plein travail aux abords directs des lieux où j'ai l'habitude de passer un peu de temps. Elle espèrent ainsi obtenir la même protection que celle dont Sérah dispose. Et moi, trop bon, je ne peux m'empêcher de faire comprendre à l'un ou à l'autre des pervers qui marchandent leurs faveurs qu'il ferait mieux de tempérer ses ardeurs voire de passer son chemin.

Bon sang ! Il va falloir que je prenne une décision. Soit je les envoie balader, soit je trouve un moyen de les faire travailler sans qu'elle soient dans mes pieds en permanence.

Il me faut un local, un bar ou un truc dans le genre...

Le 08 Pharast 4711 - Journal d'un investisseur

Trois. Ils étaient sept hier.

Enfoncé dans 30 centimètres de fange boueuse, faute d'avoir trouvé un meilleur emplacement, je supervise les exercices répétitifs que j'impose à mes "élèves". Tantôt, je corrige la prise sur la poignée, tantôt je m'assure de la bonne séquence de gestes qui compose la passe que je tente avec patience d'inculquer aux bûcherons et trappeurs qui ont accepté ma proposition.

De mes deux clients initiaux, seul Fernald restait. Peu adroit, trop gras, il ne deviendrait jamais un épéiste honnête. Mais tant qu'il accepte de venir en échange de sa main d'oeuvre gratuite ou des quelques pièces de bois nécessaires à mes projets, je me moque de savoir s'il deviendra un guerrier. D'ailleurs, je pense qu'il en est aussi conscient. J'aime croire qu'il vient aussi pour ma compagnie. C'est pas un mauvais bougre.

Hier, Angus a blessé Pedrag. Ce crétin roulait des mécaniques depuis le premier jour. Il n'a pas écouté mes consignes et sa lame a presque éventré son opposant. Je l'ai cogné pour sa bêtise... puis parce qu'il a voulu jouer aux durs avec moi.

Du coup, quatre clients ont déserté mes leçons... La peur de prendre un coup ou de leur instructeur ?

C'est pas vraiment que je regrette la beigne (bon d'accord, les beignes!) que je lui ai mise. Je ne supporte pas les fanfarons. Sur un champ de bataille, ils provoquent plus de morts dans les rangs alliés que l'ennemi. Leur bravoure finit toujours par être payée par quelque'un d'autre.

Et puis, je trouve que je suis bien trop gentil. Le sergent Reichmann n'aurait pas fait preuve d'autant de patience avec les recrues de l'armée de Mivon. A l'époque, des jeunes mourraient sur la lice d'entraînement sans que cela choque grand monde. J'ai failli y passer plus d'une fois...

Ce qui m'embête, c'est que cela risque de retarder mes projets. Je ne sais pas quand Béryl envisage de repartir ou même s'il compte encore sur moi ou pas. J'aimerais pouvoir lancer les travaux avant de quitter Havre. Les Dieux me soient favorables !

Plus haut ta garde!

Si son adversaire avait voulu le tuer, Fernald serait mort aujourd'hui. Il manque de muscles et d'endurance. Il finit par baisser sa garde : cela lui sera fatal un jour...

Et puis il y a Serah et ses "collègues". Certaines vont jusqu'à prendre des clients dans les environs du champ où je donne mes cours. Cela frise le ridicule.

Ce soir, il faut que je passe aux Darons. J'ai besoin de nouveaux clients.

Le 27 Pharast 4711 - La Tour des Mages - chambrette de Vania et Dimitri

J'avais "commis" l'idée de prendre un apprenti. Ce n'était pas tout à fait comme le travail de Conseiller et de "Grand Diplomate" de Dana ne me prenait pas déjà quasiment tout mon temps, sans compter mes recherches.

Mais Dimitri avait laissé entendre qu'enseigner permettait aussi d'apprendre autrement. Il m'avait abandonné sur cette affirmation sibylline. Et j'avais voulu tenter l'aventure.

Et, plutôt que de chercher parmi toute la jeunesse de la ville s'il y avait un jeune pourvu d'un certain "talent", j'avais stupidement laissé courir la rumeur ...

Et donc, Dame Lobelia était arrivée, avec son rejeton.

Elle n'était pas vraiment noble. Son mari, Jasper "de" Zmerndorff, avait du bien, et, pour une raison qui m'était encore obscure, avait eu l'idée de venir s'établir en Havre avec sa famille. Ils étaient tous deux maniérés à l'excès, s'habillaient à la "dernière mode", et prenaient des airs peinés de ceux qui étaient obligés d'habiter sous tente, ... on pourrait dire "sous pavillons", dans la "fange" de Havre, sans égard pour leurs personnes et leurs qualités. Nul ne les avait beaucoup vu travailler, mais ils attendaient avec une hâte certaine la construction du marché pour pouvoir y faire affaire, comme avant, à savoir acheter des choses au prix que les gens sont prêts à accepter, pour la revendre au prix que les gens sont prêts à payer, talent qui était le leur et qu'ils avaient réussi à pousser au rang d'art, à savoir celui de geindre, de papoter, de se plaindre jusqu'à ce que l'autre partie abandonne la transaction à leurs conditions.

Voyant la construction du marché repoussée pour celle du temple, ils étaient devenus fervents adeptes du Sieur Grigory, et venaient étaler leur richesse à ses prêches pour avérer que "même les gens de biens" étaient spoliés par ce gouvernement d'incapable que nous étions.

L'arrestation de Grigory, son jugement et sa condamnation ont tempéré leurs ardeurs, un temps, pour les voir bien vite revenir la bouche en coeur présenter leurs doléances à Sire Béryl, avec grand renforts de "Majesté".

Dame Lobelia "de" Zmerndorff prit la rumeur de ma recherche d'un apprenti au bond ... et vint me présenter sa progéniture, un garçon gras de 8 ans, sans manière, endimanché, qui curait sagement son nez assis sur un tabouret derrière sa maman, et répondait au doux nom d'Adolf.

De l'autre côté du drap qui séparait notre chambrée, Dimitri ronflait comme un sonneur.

Dame Lobelia était intarissable. Elle s'était d'abord civilement présentée, puis s'était imposée à moi, introduisant son merveilleux petit Adolf, si plein de talents et d'avenir, issu d'une famille des plus respectables de la ville, s'enquérant rapidement de la mienne, me servant tour à tour du "Messire Vania" et de l'"Excellence", pour en revenir à ses malheurs, à ce Grigory qui nous avait tous trompé, au fait qu'elle n'avait jamais douté de moi, ... elle eût un mot pour Dimitri, puis se répandit en éloges sur Monseigneur Thorin, pour en revenir au petit Adolf, si merveilleux, qui savait déjà écrire son nom, presque sans faute, et calculer, très bien même, enfin, compter surtout, même si ses frères étaient plus doués que lui à cela, encore qu'il fut très bon, et donc, elle se demandait, non, était persuadée qu'avec son intelligence pratique, bien que réservée, son petit Adolf ferait un mage merveilleux, et la fierté de sa famille, de ses frères, de sa mère, qui était devant moi, et de son père qui étaient une des familles les plus respectables de Havre et qui y avaient investi toute leur fortune, et qu'après tout, c'était juste qu'ils puissent un peu en bénéficier en retour et qu'avoir un mage dans la famille cela ne pouvait qu'être bon pour les affaires si on ne pouvait rien en faire d'autre.

Il y eût un blanc à ce stade.

Je voulus poser une question, au moins pour entendre le son de la voix du "petit Adolf", quand sa mère repris pour m'expliquer par le détail qu'il avait déjà eu toutes ses maladies infantiles, et qu'il s'en était sorti bien mieux que ses frères, qu'il était fort observateur et intéressé par les choses de la nature, qu'il adorait retirer leurs ailes aux mouches pour voir comment elles volaient, qu'il avait un grand appétit, en tout, en tous cas qu'il mangeait pour quatre et que cela faisait plaisir à voir, qu'il était adorable, et ... puis de se retourner vers Adolf pour lui demander de "dire quelque chose mon petit".

Adolf s'interrompit dans son inspection nasale en réalisant qu'on ne parlait plus "de" lui mais "à" lui, prit un air contrit, se tortilla sur son tabouret et lâcha un vent ...

Sa mère devint pourpre, et se leva pour le calotter vivement en le morigénant, tout en m'assurant qu'il était beaucoup plus vif d'habitude.

A côté, le ronflement de Dimitri gonfla, il sembla s'étouffer, eût un hoquet, puis se répandit en un rire homérique et tonitruant.

Lobelia devint pivoine, prit la main du "petit Adolf" pour l'entrainer à sa suite en l'enguirlandait copieusement et, au seuil, se retourna pour me lancer un "alors, je vous l'amène demain à huit heures, c'est entendu", et s'enfuir avant ma réponse ...

A côté, Dimitri, le Grand Sage de Dana, se tordait de rire par terre ...

Le 28 Pharast 4711 - La Tour des Mages - chambrette de Vania et Dimitri

Je m'étais fait à l'idée de la venue du "petit Adolf". Puis j'avais cherché mille moyens pour refuser, renoncer, atermoyer ...

Puis ... l'idée avait fait son chemin. Dimitri avait raison : cela ne pouvait qu'être une expérience enrichissante. C'était un vœu plus qu'une vérité ...

Je m'étais donc résigné et, plutôt qu'avoir un seul "marmot", étais partie en quête d'autres pupilles ...

J'avais trouvé le second par hasard. J'avais vu Locke entouré de dames qui vendaient leurs charmes faute d'en avoir. Il était prévenant avec elle, et rude. Et elles étaient ferventes et, à les entendre dans les gourbis où elles prestaient leurs affaires, besogneuses.

Il y avait un gamin aux yeux vairons non loin. Il avait des traces de beignes sur le visage, et des vêtements maculés de boue. Il devait avoir 7 ou 8 ans. Et il attendait, non loin. Il n'eût pas peur en me voyant approcher. Son regard était ... pas vide. Juste profond ... le regard d'un enfant qui a cessé d'être un enfant.

Une femme sorti du gourbi en accompagnant son client. Puis, à me voir près du gamin, s'approcha pour me dire vertement sa façon de penser sur ceux qui s'en prenaient aux enfants et de rester loin de son fils. Locke observait de loin. Je répondis civilement à la dame qui j'étais, et que j'étais à la recherche d'apprentis, et rien d'autre. Son fils est ... différent. Si elle l'acceptait, et s'il le souhaitait, je le prendrai comme apprenti. Ce serait dur, mais il sera nourri et logé, et apprendra au moins à lire et à écrire et, s'il s'applique, le métier de mage.

Elle resta interdite un moment ... puis me demanda si elle devait décider tout de suite, ce que je répondis par la négative, mais que la classe commençait "demain", à huit heures, au château. Elle m'a dit que personne ne faisait jamais de cadeau ... mais ne voyait pas où était l'embrouille, mais qu'elle n'était pas seule, et que s'il arrivait quelque chose à son gamin, je payerai pour cela, ce que j'acquiesçai.

Elle s'en retourna avec son gamin, sans lui demander ce qui lui était arrivé, et lui sans lui dire, mais les deux se serrant fort l'un contre l'autre.

Le garçon se prénommait Vassili.

Pour le troisième, c'est un garde de Rogrim qui est venu me trouver. Il avait une fille et ... et bien, il voulait qu'elle ait un avenir en cette ville. Elle avait onze années, et il ne voulait pas la voir devenir une fille à soldat, une vivandière ou quelque chose comme cela. Le gaillard avait déjà pas mal bourlingué. Et la fille ne devait pas être de lui. Mais c'était "sa" fille. Il était prêt à me payer pour cela, ce que je refusai.

La fille se prénommait Muriel. Elle était farouche, et rousse comme le feu. Elle devenait femme.

Le 28 Pharast au matin, Dame Lobelia fut toute surprise de voir deux autres gamins au rendez-vous avec leurs parents.

Je les informai tous que je prenais Adolf, Vassili et Muriel comme apprentis. Ils seraient désormais sous ma responsabilité et sous celle de Dimitri quand je ne serai pas à Havre. Ils logeraient au château, dans la Tour des mages, à l'étage en dessous de Dimitri et du miens. Ils consacreront tout leur temps à l'étude et aux travaux que nous requérions d'eux et, en échange, nous leur apprendrions à lire et à écrire, et le métier, les valeurs et la vie de mage, et nous les nourrirons et logerons. Ils pourront voir leurs parents, mais resteront sous notre garde.

C'était à prendre ou à laisser. S'ils acceptaient, ils prêteraient serment d'apprentis, et Dimitri et moi de Maître.

Dimitri déglutit, me foudroya du regard, mais acquiesça.

Dame Lobelia tenta d'emmener son petit Adolf, furieuse. Mais ce dernier refusa et déclara vouloir rester, à notre grand étonnement à tous.

Et, donc, ce matin là, nous nous présentâmes à Thorin pour recevoir nos serments ...

Le 16 Erastus 4711 - Voix intérieure



Tu devrais tous les tuer, ils ne te servent à rien. Ces minables ne nous permettront pas de nous venger. Il était de retour. Non, il n'était jamais parti. Il attendait juste le bon moment.

Comment ai-je pu croire que j'allais mieux ? Comment ai-je eu l'imprudence de me servir du mutagène ? Il me donne son avis sans cesse. Sa violence m'accable, sa volonté m'oppresse. Je dois lui résister.

Si seulement je parvenais à lui donner ce qu'il veut. Il me libérerait peut-être...

Non! Je ne peux pas lui céder. Ce qu'il désire, ce qu'il est, est trop primal, trop outrancier. Cela finirait mal sans aucun doute possible.

Je vais retourner au labo. Peut-être qu'en retravaillant la formule du mutagène...

Le 16 Erastus 4711 - La Tour des Mages - chambrette de Vania et Dimitri

Les jeunes progressaient bien. Mais voilà que Vassili et Adolf venaient au cours, tous deux avec le visage très tuméfié, se regardant en chiens de faïence, avec Muriel au milieu, qui ne savait plus où se mettre.

Cela devait être un cours sur les énergies et sur l'entropie.

Ce serait un cours anthropique ... anthropologique ...

Le sujet qui fâche ... les "mamans", certainement.

Je commençai à leur parler des sociétés humaines, et de la manière dont les gens vivaient, et survivaient. De la condition de la femme, si on peut en parler ainsi. De la nécessité de survivre, qui conduisait les femmes de certaines sociétés à prendre le dessus sur les hommes et, dans d'autres, beaucoup d'autres, à devenir leur épouse, plus ou moins dépendante. De la place de la prostitution dans notre société, et le fait que, à de rares exceptions, elle est un baromètre tant de la misère matérielle des femmes que de la misère affective de certains hommes ... et de parler de certains mariages arrangés dans les familles nobles, et des mariages d'intérêts dans les familles bourgeoises ... de cette pauvreté de l'humanité qui, au regard d'Aroden notamment, se rachetait par l'amour que les humains, et les êtres, se vouaient les uns aux autres, et ce dont les gens étaient capables par cela, grâce à cela, pour cela, d'aller au delà de la misère par amour pour autrui et, en acceptant d'aimer les autres, de s'aimer soi-même. Aller au delà de la survie pour donner du sens à la vie.

J'ai aussi parlé de Gyrona, et des femmes qui perdaient cet amour pour ne plus trouver de raison de vivre que dans l'abomination.

Et de la nécessité de trouver un moyen de vivre ensemble, notamment en sortant le groupe de la misère matérielle, sociale et intellectuelle.

C'était beau ... bon, peut-être un peu pontifiant. Cela m'avait donné envie de voir ces peuples et les différentes manières qu'ils avaient trouvées de résoudre ces questions. Ou de relire les livres qui en parlaient.

Mes élèves ont écouté, surpris et tout étonnés, près de trois heures durant.

Puis Muriel m'a demandé s'il était possible de trouver une solution pour les problèmes de ronflement d'Adolf, par ce que ça devenait invivable, pour Vassili notamment, qu'Adolf n'y pouvait rien et qu'ils en venaient aux mains ...

Je me suis assis, dépité, entendant les ricanements de Dimitri de l'autre côté de la tenture ...

Le 22 Erastus 4711 - Hommage

Magrim, puisse-tu intercéder auprès de Pharasma pour qu'elle ne juge pas trop sévèrement notre ami Vania. Qu'il ne lui soit pas fait le déshonneur de devoir gravir la colline pour demeurer à jamais dans le Cimetière des Âges. Que son âme soit jugée pure par la Dame des Tombes et que s'ouvre les portes du Paradis. Repose en paix, vaillant magicien.

...

...

Bon, ben moi, j'peux pas faire plus. Je ne le connaissais pas tant que cela. Vous avez un truc à dire ou on l'enterre tout de suite. Il y en a pour une bonne heure et je voudrais finir cela avant que la nuit tombe. En plus, je parie qu'il est déjà en train de gonfler les morts avec ces beaux mots et ses calembours piteux. Non vraiment, c'était pas un mauvais bougre mais c'était un mage, quoi. Vous savez comment ils sont...

Et puis il faut qu'on boive un truc à sa santé ! Rogrin, tu as de la bière dans ton fourbi ? Un enterrement sans gueule de bois le lendemain, cela manque de classe.

Le 22 Neth 4711 - Au coin du Feu : VivePointe

Vous ai-je raconté comment VivePointe est venue à moi ? VivePointe. Ma rapière. De quoi pensiez-vous que je parlais ? C’est un récit des plus palpitants. Il faut que je vous le raconte. (Ululement de Ser Gawain) Mais non, ce ne sera pas long.

Vous devez savoir qu’un magicien est en relation avec le monde qui l’entoure. Nous sentons des forces que vous, hommes du simple, n’imaginez pas. La Magie traverse, pénètre, immerge, imprègne chaque parcelle de l’univers physique. Elle se manifeste là où on ne l’attend pas et marque de son pouvoir les objets du quotidien. Certains magiciens, dont je fais partie, sont capables de discerner ces objets et de développer un lien particulier avec eux. A mesure que se développent leur puissance, ils éveillent peu à peu la magie contenue dans leur objet fétiche. Pour certains, c’est une amulette, pour d’autres un colifichet mystique. Pour moi, comme pour la plupart des mages qui se destinent à la voie du champion occultiste, ce fut une lame, ce fut VivePointe.

(Ululement de Ser Gawain)

Mais je ne suis pas là pour vous faire un cours sur les Arts occultes (rires) mais pour vous narrer l’une des mes plus incroyables aventures (Ululement de Ser Gawain). Non, je n’exagère rien. Laisse nos amis juger d’eux-mêmes…

J’avais 22 ans à cette époque. L’âge où l’ambition est rattrapée par une maturité physique qui laisse penser qu’on peut l’atteindre, cette ambition.

Beaucoup rêvent de devenirs riches, de vaincre dragons ou géants à mains nues. Certains s’imaginent entourés d’enfants et de terres fertiles. Moi, je rêvais d’une rue, je rêvais de la Traboule. Je voulais battre ses pavés. Je voulais flâner dans les échoppes des farfadets. Je voulais jouer aux Pointes Volantes avec des lutins engourdis par l’herbe aux fées. Je désirais plus que tout discuter avec ces êtres dont l’existence même est liée à la Magie qui nous entoure. Pourquoi n’y suis-je pas tout simplement allé, me direz-vous ? Parce que la Traboule se nomme aussi la « Rue-qui-n’existe-pas ».

Vous connaissez Restov ? Y êtes-vous né ou avez-vous vécu en ses murs ? Saviez-vous que la Traboule s’y trouvait ? Pensiez-vous seulement que des fées pouvaient vivre dans cette cité ?

Sûrement pas. Mais vous n’êtes pas le seul dans ce cas. Le Petit Peuple Féérique tient à sa quiétude et sait que son exposition au grand jour se révélerait néfaste. Il y a eu trop d’exemples de massacre de fées pour penser qu’il ne s’agit que de faits isolés. L’homme semble toujours vouloir détruire ce qu’il ne comprend pas. La civilisation repousse peu à peu les êtres de magie. Seuls les gnomes semblent parvenir à se faire une place au soleil mais ils ont tellement perdu de leur héritage que c’en est presque pathétique.

Je savais que la Traboule se trouvait là, à Restov. Entre deux murs. Ou sous le porche de la Taverne des Trois Triplés (nom absurde, j’en conviens, mais si vous connaissiez le propriétaire des lieux …). A moins, comme n’aimait à le dire Pendergast, que cela ne soit sous la marche branlante du Palais de Justice. Je suis certain qu’il savait où était la « Rue-qui-n’existe-pas ». Sans l’éloignement de mes parents – ils étaient à ce moment-là en Absalon – et donc de mon oncle, je suis persuadé que ce dernier m’y aurait lui-même conduit.

Je me mis donc en quête de cet endroit mystérieux. Je passe sur mes premières recherches qui me virent visiter quelques lieux interlopes tels La Dame Alanguie, le Trou du Rat-Garou ou encore l’Honorable Auberge du Troll Vert où je l’emportai seul contre 6 adversaires patibulaires (ululement de Ser Gawain). Ou étaient-ils 4 (ululement de Ser Gawain) ? En tout cas, je me souviens distinctement de trois de mes adversaires…

Mais c’est à l’Impasse aux Cent Fenêtres que je trouvai mes premiers indices et aussi VivePointe. VivePointe. Mon épée. Suivez un peu, bon sang !

Ou en étais-je ? Ah oui, l’Impasse. Il faut savoir que dans le milieu criminel, l’Impasse est un lieu d’échanges et de négociations. Dans cette cour aux miracles, tout s’achète et se vend. La placette en cul de sac semble n’offrir aucune issue. Mais c’est sans compter sur l’ingéniosité des voleurs de Restov. En effet, chaque fenêtre des bâtiments qui bordent l’endroit offre autant d’échappatoire à tout qui souhaite éviter de rencontrer milicien ou rival « en affaire ». Ainsi, l’individu désirant disparaître n’a qu’à passer l’une ou l’autre fenêtre et, par un ingénieux système de couloirs interconnectés, de passages secrets et de portes dérobées, ressortir bien loin de l’Impasse.

Je cherchais donc en ces lieux des informations qui me permettraient de resserrer la zone de mes investigations. Restov n’est pas la ville la plus grande du monde, certes, mais elle est cependant bien assez vaste pour dissimuler l’entrée d’une rue dont les riverains souhaitent qu’elle reste cachée. Je savais de source sûre que Yasmus, un courtier d’informations gnome y tenait fréquemment boutique accompagné de Yog, son garde du corps ogrillon (on se demande tout de même comment les autorités de la ville tolèrent ce genre de créature dans les rues). J’avais, pour l’occasion, réuni une coquette somme d’argent qui devait me permettre de marchander mon entrée dans la Traboule.

J’approchai donc respectueusement le receleur. Après l’avoir salué selon l’usage féérique et lui avoir offert le peu d’herbes à fées que j’avais pu acheter (à un coût exorbitant d’ailleurs !), je lui fis l’article, le félicitant pour sa mine gaillarde, louant sa réputation de gnome d’affaire sagace, l’assurant de ma sympathie et lui révélant l’impatience que j’avais de le rencontrer.

Il me salua en retour et me fit comprendre sans ambages que son temps était précieux et que cela se répercutait toujours sur ses coûts (et donc ses prix de ventes). Il me remercia néanmoins pour l’herbe à fées.

Lorsque je lui parlai d’Oncle Pendergast, il sembla se détendre quelque peu et accueillit avec plus de mansuétude mes propos.

« Alors tu cherches la Traboule ? », me dit-il, « Et tu crois avoir le droit d’y entrer sans doute ? ». Le ricanement de Yog qui suivit cette simple question me fit subitement douter de moi. « Ce n’est pas parce que tu as un lutin par adoption dans ton arbre généalogique que cela t’ouvre les portes du Monde du Petit Peuple. Qu’as-tu à lui offrir ? »

Ne sachant que répondre, je gardai le silence, espérant quelque mansuétude de Yasmus. Bien m’en pris (du moins, le pensai-je sur le moment).

« Tu es bien élève au temple de Néthys, n’est-ce pas ? ». J’acquiesçai d’un hochement de tête. « Les magiciens sont des voleurs. Et les prêtres sont encore pires. Alors quand ces prêtres adorent un Dieu de la Magie, ils sont de loin les champions du genre ». Il marqua un temps d’arrêt pour bourrer une pipe d’écume de l’herbe à fées que je lui avais offerte. « Ne t’es-tu jamais demandé d’où provenait la collection d’objets magiques de tes mentors ? Volée, mon ami. VOLéE ! Aux hommes, aux elfes, aux nains, aux anciens mais aussi et surtout aux Féériques ! ».

Je n’avais jamais vraiment porté mes mentors dans mon coeur mais de là à les imaginer en voleurs ! Le gnome reprenait et je gardai prudemment pour moi mes réflexions.

« Autrefois, j’étais troubadour. Ma muse, Calyope, me suivait partout, inspirant mes mélodies, nourrissant ma poésie, enflammant mon cœur et mon esprit. Calyope était tout pour moi. Et puis un jour, un mage l’arracha à moi. Pour lui, ce n’était qu’un sortilège parmi d’autre. Une simple manipulation d’arcane, une convocation. Mais pour Calyope et moi, ce fut un désastre. Nous étions en voyage vers les îles des Chaînes lorsque le mage attira ma muse à lui. Le sort ne dura bien entendu que quelques instants. Une poignée de secondes, quelques minutes à peine. Mais pour une créature qui ne sait nager, réapparaître sur un pont de navire ou pas fait une grande différence. Je ne la revis jamais… »

Yog poussa un soupir qui faillit me faire fondre en larmes. Les propos du courtier en information me bouleversaient : je n’avais jamais vraiment réfléchi aux conséquences de l’usage de la magie, trop intéressé que j’étais par ce qu’elle pouvait m’apporter.

Perdu dans sa propre narration le gnome poursuivait sur un ton empreint de solennité. « Terrassé par le deuil, sans plus d’autre inspiration que le désir de retrouver celui qui me sépara de ma muse, je mis un terme ma carrière pour me consacrer pleinement à la recherche de celui qui m’enleva celle qui fut ma vie. Je devins au fil des décennies un expert pour trouver l’information que nul ne voulait voir révélée. Je m’aperçus même que je pouvais les marchander et ainsi améliorer mes capacités de recherche. Peu à peu, je parvins à remonter la piste de celui qui avait convoqué Calyope. Serais-tu étonné de savoir qu’il se cache aujourd’hui dans le temple de Néthys ? Qu’il se nomme Elianthrope ? En fait, tu ne devrais pas l’être. Lorsque j’ai appris que tu cherchais la Traboule, j’ai « organisé » ta recherche pour qu’elle te mène à moi. Personne d’autre que moi ne te dira comment entrer dans la « Rue-qui-n’existe-pas ». J’ai acheté cette information. »

L’éclair malveillant qui traversa le regard de Yasmus me fit craindre le pire. Et l’envie de prendre la défense de maître Elianthrope me passa aussi vit qu’elle était venue.

« J’ai souhaité sa mort tellement de fois que je ne les compte plus. J’espère pouvoir enterrer cette charogne prétentieuse avant de rejoindre mes ancêtres. Mais le temps m’a fait comprendre qu’il y a d’autres façons de faire souffrir un mage. Je veux que tu captures son familier et que tu me l’amènes. En vie. Je veux pouvoir tenir son plus précieux outil dans ma main et le voir se liquéfier alors que je menacerai de trucider sa créature. »

Je ne pipai mot, estomaqué par la froide rancœur qui animait le vieux gnome assis devant moi.

« Tu vas devoir choisir, petit mage. Veux-tu conserver ta candeur ou ta curiosité te fera-t-elle accepter mon marché ? »

Il faut comprendre qu’à cette époque la quête de la Traboule était, comment dire, devenue une véritable obsession. Mon esprit était tout entier perdu dans ce désir incontrôlé, submergé par cette envie, cette curiosité maladive. J’ai depuis heureusement repris mes esprits. (Ululement de Ser Gawian) Comment peux-tu dire cela ? Que vont penser de moi nos amis maintenant ?

Je jugeai donc que le prix n’était pas si excessif. Après tout, Elianthrope était un meurtrier : il méritait d’être puni. Et puis, le gnome ne veut pas vraiment nuire au mage, ni à son familier. Il cherche seulement à lui faire peur.

Seulement lui faire peur. Je m’accrochais à cette idée pour justifier ce que je me préparais à faire.

Il ne me fallut pas longtemps pour trouver les appartements d’Elianthrope au temple. Il me fut plus compliqué de pouvoir les atteindre en revanche. Je n’étais pas spécialement considéré comme l’élève modèle par mes mentors. Certaines parties du complexe ne m’étaient pas accessibles : je dus donc trouver une méthode plus audacieuse pour m’introduire dans la chambre du Maître Mage. J’escaladai donc souplement la façade du Temple profitant de ma dextérité inégalée et de mes muscles déliés. (Ululement de Ser Gawain) Et que fait de la dimension dramatique ? Ne puis-je embellir quelque peu mon récit pour captiver mon auditoire ? (Ululement de Ser Gawain) Bon, d’accord, j’ai profité de ce que Frère Julius « méditait » sur le Libris Umbris Arcani laissant une tâche de bave qui ne ferait pas décolérer le Conservateur avant plusieurs semaines pour emprunter le couloir interdit et pénétrer dans les appartements d’Elianthrope.

En découvrant le familier du magicien, j’eus l’impression d’avoir reçu un uppercut de Yog dans la poitrine. Le souffle court, l’esprit troublé, je restais interdit : le familier d’Elianthrope était une esprit follet, une magnifique fée aux fragiles ailes de papillon !

Je savais que j’étais allé trop loin pour reculer. Ne s’attendant pas à un acte hostile, la fée n’eut pas le temps de réagir lorsque je l’attrapai pour la fourrer dans un sac de cuir que je laçai en hâte. Mon « butin » sur l’épaule, je repassai devant Frère Julius qui poursuivait l’étude de la même page du Libris.

Mon retour à l’impasse ne fut pas pas celui d’un héros. Je longeais les murs n’osant affronter le regard des passants que j’imaginais tous inquisiteurs. La tête basse, je me présentai devant mon commanditaire. Avide, il s’empara de mon sac et chargea Yog de l’enfermer dans une cage de métal, semblable à celle d’un oiseau. La lumière vibrante qui émanait de l’être semblait tout à la fois témoigner de son désarroi et de sa colère à mon égard. Je n’osai regarder dans la direction de la « prison » et reportai mon attention sur Yasmus.

« J’ai fait ma part. Payez-moi que je quitte ces lieux. »

Le receleur d’informations me dévisagea d’étrange façon. J’avais pour la première fois l’impression qu’il éprouvait un certain intérêt pour ne pas dire une réelle compassion à mon égard. Nous restâmes les yeux dans les yeux de l’autre un long moment avant qu’il ne brise le silence. « Tu viens d’apprendre une dure leçon. Pour obtenir ce que l’on veut, il faut parfois agir contre son cœur. J’ai, il y a longtemps, pris la même décision que toi. Il faut se salir les mains si l’on veut concrétiser ses rêves. J’ai fait nombre de compromis pour retrouver le meurtrier de Calyope. Aujourd’hui, j’en vois enfin la récompense. Cette carte te conduira à la Traboule. Je ne te remercie pas puisque je t’ai payé ».

J’allais quitter la cour avec mon précieux sésame lorsque j’entendis la voix du gnome s’élever, accueillant avec morgue le magicien contre qui il nourrissait une terrible rancune depuis tant de décennies. Je m’en désintéressais tout entier plongé dans la carte.

Pourtant, si mes yeux plongeaient sur la carte, mes oreilles ne pouvaient se détacher des propos tenus par Yasmus. Ses propos se chargeaient peu à peu de colère et de rage. Il reprocha d’abord à Elianthrope la mort de Calyope. Il s’emporta lorsque le mage lui expliqua ne rien savoir de la mort de la fée. Il rugit quand ce dernier lui présenta ses regrets. Alors, Yasmus ordonna à son garde du corps de s’emparer de la fée et de la broyer entre ses énormes mains. « Je te présenterai mes regrets, cher mage, lorsque ta protégée ne sera plus qu’une masse de chair informe. Je ne peux te promettre qu’ils seront sincères. »

Elianthrope semblait à ce point misérable, tellement impuissant, qu’il ne pensait même pas à utiliser sa magie pour sauver sa fée. Il restait figé, les bras ouverts, suppliant le gnome de ne pas commettre l’irréparable. Yog tenait déjà la frêle créature dans ses mains… Je devais agir. J’avais trop longtemps étouffé cette voix en moi qui refusait que soit fait le moindre mal à un être vivant. Je pouvais m’accommoder des souffrances qu’éprouvait Elianthrope. En revanche, chaque fibre de mon corps hurlait devant le spectacle de cette frêle fée, victime expiatoire d’un vieillard aigri. Je cherchai des yeux un objet quelconque qui put me servir à empêcher le funeste destin de la fée. Et là, alors que l’angoisse et les remords me submergeait, je la vis. VivePointe, mon épée. Oh, il ne s’agissait pas de cette fine lame ouvragée telle que vous la voyez battre mon flan aujourd’hui. Oh non, loin de là. Emporté par l’urgence, je m’emparai d’une tige métallique qui se trouvait sur l’étal d’une veille femme vendeuse de médiocres colifichets faits d’ossements de rongeur et d’autres bizarreries.

Je me précipitai alors vers la montagne de muscles qui s’apprêtait à me transformer en complice de meurtre sans même vérifier que je disposais bien d’une arme adaptée. A vrai dire, le bout de métal se glissa naturellement dans ma paume et devins sans effort de ma part le prolongement de mon bras. Je frappai la brute au visage, lui lacérant le visage.

Elianthrope se ressaisit alors et sans que j’aie le temps d’y comprendre quoi que ce soit, je fus submergé par une vague de puissance magique qui me terrassa.

A mon réveil, j’étais allongé dans mon lit au temple de Néthys. Sur ma table de nuit, la tige de métal brillait de reflets irisés dans la lumière du petit matin qui perçait par la lucarne. A mon chevet, le Maître Mage Elianthrope m’observait en silence.

« Avant les récents événements, j’aurais sans nul doute exigé que tu fus renvoyé de notre école. L’enlèvement de Morle est un acte révoltant. Mais ton acte et ses conséquences ont secoué mes certitudes. Je peux comprendre pourquoi tu as fait ce que tu as fait. Je ne suis pas certain que j’aurais agi autrement à ton âge. C’est d’ailleurs à ce même âge que j’ai provoqué la mort de Calyope. J’étais jeune et inconscient à l’époque mais je n’ai jamais cherché à savoir d’où venait mes outils. La leçon de Yasmus était dure mais elle ne sera pas oubliée. »

Le mage se tut et je crus apercevoir une larme discrète perler au coin de son œil. Il se leva pour observer par la lucarne la cité en contre-bas.

« Morle ne t’en veux pas. Elle m’a même demandé de te remercier pour lui avoir sauvé la vie. »

Encore une pause. Puis en franchissant la porte, il me dit : « Tu dois malgré tout être puni. Je conserverai la carte menant à la Traboule. Tu ne pourras me la demander que le jour où tu en seras digne. Et tu n’auras qu’une seule occasion de le faire. Assure-toi donc d’être prêt ».

« Comment saurais-je que je suis prêt ? » tentai-je.

Il ne me répondit pas.

Et en dix ans, je n’ai jamais osé lui demander de me rendre la carte.

Je n’ai jamais vu la Traboule.

Le 31 Kuthona 4711 - Office des mémoires

"Pharasma vous attend. Allez ! Présentez-vous à Elle !"

Et les notes envoutantes du thrène joué par Mesmerian de Gueyll s'envolèrent dans la nef, emportant avec lui les pleurs, les souvenirs ...

Ils étaient quatre ce matin froid.

Mesmerian de Gueyll et moi avions recueilli les témoignages et les histoires des vies que les vivants avaient apportés avec les corps.

Le premier était un chasseur venu du Rost, du nom de William. Il était tout jeune encore, et venu à Havre à la fin de l'automne. Il a été fort présomptueux en tenant de réveiller un ours hibernant. Ses compagnons avaient rassemblé ses morceaux. Ils craignaient que l'animal l'ait maudit et voulaient une prière. Le jeune William n'avait pas d'autre histoire pour eux, pas même le nom d'un village ou de parents. Il était mort courageusement.

Le second était un homme de Restov, du nom de Vladimir, venu avec sa fille et son petit fils nouveau né. Sa fille avait fait une mésalliance et un mariage secret qui avait ruiné sa réputation. Il avait choisi sa fille plutôt que ses affaires et était venu à Dana pour construire une nouvelle vie. Il avait recommencé au bas de l'échelle, comme manouvrier sur les nombreux chantiers initiés par le Seigneur Béryl, et était vite devenu contremaître, travaillant plus que son dû. Un soir, il s'est senti mal et est allé se coucher tôt. Il ne s'est pas réveillé. Sa fille travaillait au lavoir et n'avait pas vraiment peur pour elle et son fils.

La troisième était une prostituée. Ce sont ses "collègues" qui l'ont amenée. Elles s'étaient cotisées pour lui offrir une cérémonie "décente", presque propitiatoire. J'ai eu du mal à les faire parler d'elle. Elle se nommait Tanya. C'était une bonne "gagneuse", prête à se bagarrer bec et ongles pour ce qu'on lui devait, sans attendre de cadeau de la vie, sans faire de cadeau non plus, pour autant qu'elles savaient. C'est son dernier "client", un bucheron ivre qui lui a flanqué une trempe et lui a rompu le cou. Il avait été attrapé par la milice et avait été remis aux mains d'Akiros.

Puis cette fillette est arrivée avec sa poupée, qui a juste demandé aux autres prostituées où était sa maman, qu'elle n'était pas revenue de son travail et qu'on l'y avait envoyée ici sans rien lui dire ... les filles en sont tombées des nues, puis se sont tournées vers moi comme si j'allais tout résoudre.

J'ai beaucoup parlé avec la fillette aussi, qui m'a raconté tout l'amour de sa mère, qui lui avait interdit de dire de qui elle était ... Elles venaient d'une bourgade du Brévoy. Elle savait que son père était parti il y a longtemps, vers le Sud, avec une caravane, et allait revenir. Venir à Havre était une manière de prendre de l'avance sur son retour. Et puis elles avaient eu faim et froid toutes les deux. Sa maman avait trouvé un travail et rapportait à manger tous les soirs ... Les filles en étaient toutes retournées.

La dernière était une grand mère. Toute sa famille l'avait amenée, ses enfants, petits enfants, petits neveux, tous. Ils ont parlé d'elle très longtemps, de sa jeunesse, de son époux et de leur amour, de leurs enfants, de la ferme, ... de l'incendie, de son courage, du courage et de l'espoir qu'elle a insufflé à toute sa famille en l'encourageant à profiter de cette aubaine d'une vie nouvelle à Dana, et de sa fin, entourée de tout l'amour des siens.

...

Ils étaient tous là dans la nef, gens bigarrés et émus, à écouter la mélodie que leurs histoires avaient inspirée à Mesmerian de Gueyll.

Puis ce fut à moi à nouveau ...

"Pharasma nous jugera tous, à l'aune des choses grandes et petites que nous avons accomplies durant notre vie. Elle jugera, et dira nos faits tels que nous les avons accomplis.

Ayez des vies grandes ! Faites les extraordinaires, des travaux des jours, des malheurs et des bonheurs !

Pharasma les entendra tous, et les dira, tous.

Elle nous attend.

Pharasma jugera ceux qui sont partis ce jour, à l'aune des choses grandes et petites qu'ils ont accomplies, celles dont nous nous souvenons, et celles qui ont été. Elle les jugera tous, petits et grands. Et les âmes pesées iront alors, libres, vers leur dessein.

Alors, prions pour eux tous, pour chacun, laissons nos souvenirs d'eux les accompagner comme autant de témoignages de qui ils furent et de ce qu'ils ont accomplis."

Les prières durèrent un temps, puis ceux qui le souhaitaient parlèrent encore, pour dire ou redire une anecdote, un témoignage, une parole.

Ensuite, nous partîmes en cortège vers le cimetière, où Mesmerian de Gueyll joua encore une fois dans la bise glaciale et où les défunts furent inhumés.

Puis ils partirent ... tous, sauf la fillette, qui ne savait pas trop où aller, et qui avait enfin compris que sa maman ne reviendrait jamais plus.

"Viens. Nous allons voir le Seigneur Béryl et voir avec lui qui pourra s'occuper de toi en attendant le retour de ton père."
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