a matinée était déjà bien commencée et le soleil, assez haut dans le ciel, quand les ex-naufragés convergèrent en deux groupes vers la rue des Temples où ils avaient rendez-vous avec les représentants des deux factions auxquelles ils avaient décidé de s'allier, à savoir le gouvernement du Sargave et la Société des Éclaireurs.



Le premier groupe, constitué d'Ellawa et de Hogo, entra dans la ville par la porte est. Après leur chasse matinale, ils étaient passé dans l'Outremur et son champ de cabanons et huttes en bois pour livrer les quelques carcasses d'animaux qu'ils avaient pu collecter au petit matin. Le butin de leur chasse était bien maigre en comparaison avec le nombre d'habitants... que pouvaient faire l'équivalent de deux sangliers sauvages pour une population qui devait certainement compter deux ou trois milliers d'individus. Malgré tout, ils persévérèrent dans leur action et entreprirent d'offrir cette viande aux Mwangis.

Dans un premier temps, les locaux avaient observé le manège des deux ex-naufragés d'un oeil bizarre. Même après le barbecue qu'ils avaient organisé quelques jours plus tôt, les Mwangis montraient une certaine méfiance à l'égard de ces étrangers à la générosité inexplicable. Sans doute que plusieurs d'entre eux redoutaient que cette générosité ne soit un appât attaché à une contre-partie qui leur serait révélée plus tard. Puis, finalement, la faim ou l'envie prenant le pas, certains des locaux s'étaient avancés pour bénéficier des dons offerts par leurs bienfaiteurs ; d'abord une personne, puis deux, puis quatre, puis plusieurs autres. Tant et si bien qu'à un moment, Hogo dut intervenir pour séparer deux mères de famille qui semblaient quasiment prêtes à en venir aux mains pour s'assurer d'obtenir leur part. Le rôdeur coupa un morceau de viande en deux et en donna une partie à chacune des femmes...



Le second groupe, quant à lui, était passé par les docks où ils avaient rendu visite à Kassata Lewynn, la capitaine libre, à bord de son vaisseau l'Ultime Effort. Ensuite, ils avaient fait un léger détour par la forge du nain Dohrfak. Ce dernier fut tout d'abord étonné de voir autant de monde débarquer dans sa petite échoppe, posant déjà la main sur le manche de la hachette qui pendait à sa ceinture, mais il adopta une attitude plus décontractée lorsqu'il reconnut Tiriji.

La gnome lui expliqua qu'une longue expédition dans la jungle allait bientôt être mise sur pied et que celle-ci nécessiterait certainement des accompagnateurs aux talents divers, dont un forgeron expert. Le nain se gratta la barbe tout en réfléchissant à la proposition... demandant qui serait de la partie exactement et qui organisait l'expédition. Le fait que le gouvernement du Sargave soit l'un des organisateurs sembla amuser le forgeron. « Pour sûr, ce s'rait un beau pied-de-nez à la Daugustana ! » s'exclama-t-il.

Les ex-naufragés avaient déjà eu au moins deux occasions d'entendre le nom de Dame Madrona Daugustana, la matriarche d'Éléder, qui, même si elle ne portait aucun titre officiel, gouvernait en pratique la ville d'Éléder. La Dame en question était à la tête d'une des familles les plus influentes et, de ce fait, rares étaient les événements qui se déroulaient à Éléder sans son consentement. Dohrfak avait expliqué brièvement à Tiriji qu'il avait dû quitter son atelier du centre-ville à cause d'une histoire de taxes qui avait mal tourné... et il avait déjà pu communiquer à la gnome tout le "bien" qu'il pensait de la Dame qu'il tenait sans doute comme responsable de ses malheurs. Il finit par demander un délai de réflexion mais annonça que l'offre le tentait plutôt bien...



Le général Havelar et Amivor Glaur étaient déjà sur place avant que les deux groupes d'aventuriers n'arrivent sur place. Comme à son habitude, le général était accompagné de son aide de camp, alors que l'Éclaireur, lui, était seul. Ils discutaient sur le pavé, juste devant l'entrée du petit temple d'Abadar.

Comme la plupart des autres temples de la rue du même nom, le lieu de culte d'Abadar ne payait pas vraiment de mine à côté de l'imposante forteresse qui se dressait au bout de la rue, l'ancien temple d'Aroden aujourd'hui principalement dédié à Iomédae. Lorsque les aventuriers arrivèrent sur place, le général les salua et Amivor Glaur indiqua qu'ils avaient déjà expliqué au prêtre d'Abadar de quoi il s'agissait et que ce dernier les attendait à l'intérieur.

L'intérieur du temple d'Abadar consistait en une simple pièce allongée comportant un autel de pierre gravé disposé au fond, sur une estrade, et une quinzaine de bancs de bois. Le long des murs, on pouvait apercevoir plusieurs niches d'une cinquantaine de centimètres sans doute destinées à accueillir des statuettes ou d'autres objets de valeurs et signes de richesse à exposer, mais la majorité d'entre elles étaient vides, sans doute parce que le temple ne disposait d'aucun garde attitré et d'aucune protection digne de ce nom.

Le prêtre était un homme d'une petite trentaine d'années, d'origine mwangie, paré d'une tenue cérémonielle qui, à elle seule, devait sans doute valoir une petite fortune. Il portait une ceinture de soie colorée à laquelle pendait une clef en or trop grande pour correspondre à une véritable serrure. Lorsque les aventuriers pénétrèrent dans le lieu sacré, il était occupé à déposer soigneusement un encrier et une plume sur l'autel, à côté de quatre parchemins identiques.

Il se tourna vers les arrivants et indiqua « Ah, juste à temps... je viens à l'instant de terminer les copies du document que vous m'avez donné. », ce à quoi Amivor Glaur répondit « C'est le document que le capitaine d'aventures Finze Bellaugh a rédigé hier pendant la réunion. ». Le prêtre d'Abadar reprit « Je m'appelle Adonassu Teklile ; permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue dans ce modeste temple d'Abadar. Si vous voulez bien vous approcher de l'autel et apposer votre nom ou votre marque sur chacun de ces quatre documents... » tout en désignant d'un geste de la main les parchemins.

« L'un d'eux reviendra aux représentants du gouvernement ; un autre ira à la Loge des Éclaireurs ; et un troisième sera pour le groupe d'explorateurs. Quant à la quatrième copie, elle sera conservée bien au soin par l'Église d'Abadar. » précisa le prêtre pendant que, l'un après l'autre, le général Havelar et l'Éclaireur Amivor Glaur apposèrent leur signature sur chacun des quatre documents.

Le prêtre d'Abadar surveilla attentivement tout le rituel, s'assurant que chacun des représentants marque bien chacune des copies de l'accord. Il se tourna ensuite vers les aventuriers et les invita à faire de même avant de procéder à la bénédiction rituelle et à la remise des accords si personne n'objectait à signer le texte.

Hogo resta silencieux dés qu'ils entrèrent dans le temple d'Abadar. Lorsque le contrat leur fut présenté, il le lut comme le reste de ses compagnons. Prêt à signer, il regarda ses compagnons pour voir si l'un d'entre eux avait quelques objections à formuler.

Quand Sébrysse proposa à ses compagnons ex-naufragés de retourner au Club pour partager les dernières nouvelles, le général Havelaar l'interrompit d'un léger raclement de gorge. « Prêtresse, si vous me permettez, nous avions prévu hier que nous irons visiter l'entrepôt après la signature des contrats ? Ceci dit, si vous et vos compagnons avez besoin d'un moment pour parler, nous pouvons attendre. »

Directement après cette proposition, le général fit signe à ses hommes d'aller se placer de l'autre côté de la rue, pour permettre aux aventuriers de discuter entre eux. Amivor suivit le général alors qu'il allait rejoindre ses hommes et se mit à discuter avec lui.

Quand les ex-naufragés eurent terminé leur discussion (ce qui veut dire que vous pouvez répondre à Sébrysse et/ou partager des informations), le général leur proposa de le suivre et il se dirigea vers le quartier du port. Au loin, on pouvait apercevoir la silhouette de l'Ultime Effort, qui affichait fièrement les couleurs de Port Entrave et des Capitaines Libres. La partie principale du port d'Éléder formait comme une baie autour de laquelle on avait construit des quais et des pontons un peu dans tous les sens et avec des matériaux divers. Contrairement aux quais en bois où les naufragés avaient débarqué une petite semaine plus tôt, ceux qui se trouvaient dans la partie principale du port étaient principalement construits en pierre ; on en apercevait même quelques-uns garnis de marbre ou d'autres pierres exotiques.



Le Général ne s'approcha cependant pas de ces quais-là ; il poursuivit son chemin vers le nord pour atteindre la rive qui correspondait au quartier appelé "Nord-Côte". Peu à peu, les quais et pontons de pierre cédèrent la place à des constructions en bois qui, contrairement à celles du Bas-Port, qui étaient parfois un peu branlantes et toujours artisanales, semblaient être bien robustes et construites par des artisans doués. Une autre différence notable était le fait que, contrairement aux docks qui accueillaient les navires marchands et les visiteurs, ceux-ci étaient bien moins encombrés : pas de caisses, tonneaux, barriques et autres paquetages déposés sauvagement ici, juste quelques espaces de stockage ordonnés contenant des caisses identiques et visiblement triées. Un ordre tout militaire...

Le Général s'arrêta devant un large bâtiment au haut toit et indiqua « Voici l'entrepôt dont je vous ai parlé hier. » Il se retourna ensuite vers le quai tout proche et indiqua d'un geste de la main un navire affichant les couleurs du Sargave. Il s'agissait d'une embarcation de belle taille, même si elle était loin de pouvoir rivaliser avec l'Ultime Effort ou les grands vaisseaux de guerre des Capitaines Libres, sans doute capable d'accueillir deux ou trois douzaines de passagers et membres de l'équipage. Sur la coque de bois foncé, des lettres au format régulier indiquaient "Le Fer de Lance".

« Et voici le vaisseau de l'expédition qui ira visiter la Lame des Contrebandiers. » ajouta-t-il. Autour et sur le Fer de Lance, on pouvait apercevoir une petite dizaine de miliciens occupés à charger des ballots de provisions, à récurer le pont ou, de manière générale, à préparer le vaisseau au départ. Il était difficile de trancher avec certitude : s'agissait-il seulement de la ruse évoquée la veille à la Loge des Éclaireurs ou le gouvernement du Sargave affrétait-il réellement une expédition sur la Lame des Contrebandiers ?

Le général laissa ses compagnons examiner le spectacle pendant une bonne poignée de secondes puis proposa « Quand vous serez prêts, je vous ferai visiter l'intérieur de l'entrepôt. »

Modifié par un utilisateur jeudi 13 juillet 2017 21:01:12(UTC)  | Raison: Non indiquée

Hogo suivit ses compagnons sans vraiment prendre part aux discussions. Il hocha de la tête au général pour montrer qu'il était prêt à faire la visite de l'entrepôt.

Le Général et Arnivor entreprirent de répondre aux questions de Sébrysse avant de se diriger vers l'entrepôt. « L'expédition vers la Lame sera prête d'ici une poignée de jours... et, a priori, le Fer de Lance sera le seul navire à y participer. » dit Amivor en se tournant vers le Général. Ce dernier opina du chef puis ajouta « Les marins et les Éclaireurs à son bord auront pour ordre de changer de cap, voire de revenir vers Éléder s'ils aperçoivent qu'ils sont suivis, afin de faire perdre du temps à d'éventuels curieux et d'éviter de se retrouver seuls sur la Lame face à un groupe d'assaillants. »

Ce fut alors au tour d'Amivor de hocher la tête. « L'expédition se basera sur le rapport rédigé par Gélik et comprendra un certain nombre de spécialistes en plus des miliciens. » ajouta-t-il en se tournant vers le gnome qui semblait bomber le torse de fierté. Le Général reprit ensuite la parole. Il scruta les alentours du regard puis indiqua « Quant au reste... peut-être vaut-il mieux en discuter à l'intérieur ? » tout en invitant les ex-naufragés et l'Éclaireur à l'accompagner.

Il se dirigea alors vers l'entrée de l'entrepôt, où étaient stationnés deux gardes en uniforme de miliciens. Ces derniers portèrent la main au front à l'approche du groupe, saluant principalement le général Havelaar. Le Général se contenta d'acquiescer en réponse, alors que quelques pas derrière lui, Aminor porta deux doigts à son front et adressa aux gardes un salut qui semblait beaucoup moins conventionnel et militaire que le leur. Les deux gardes échangèrent un rapide regard légèrement surpris mais choisirent de ne rien dire. Aminor affichait un petit sourire en coin en pénétrant dans l'imposant bâtiment de bois.

L'entrepôt qui avait apparemment été choisi pour abriter les préparatifs de l'expédition ressemblait aux autres entrepôts qui l'entouraient... on y retrouvait un style architectural tout militaire, dénué de fioritures inutiles, tout comme dans les quatre ou cinq clones qui l'entouraient. Le groupe pénétra à l'intérieur en passant par une porte de taille normale, mais ils ne manquèrent pas d'apercevoir un autre portail, deux ou trois fois plus grand celui-ci, un peu plus loin, un portail suffisamment large et haut pour laisser passer un chariot rempli et les montures qui le tiraient.

L'intérieur de l'entrepôt était constitué d'une immense salle découpée en sections par des piquets de bois juchés sur des petits trépieds assez faciles à déplacer et marquant les coins des différentes parcelles. Chacun des piquets était orné d'un symbole gravé : ici un cercle, là-bas un triangle, plus loin une sorte de lune allongées, ... autant de marques permettant même aux illettrés de repérer une section en fonction du symbole associé. Certaines des parcelles étaient déjà occupées par des caisses ou des barriques, mais la plupart d'entre elles étaient actuellement vides. En s'approchant, les visiteurs purent remarquer que la majorité des caisses, elles aussi, étaient vides pour le moment. Ce n'était toutefois guère surprenant : les miliciens n'avaient pas eu le temps de commencer à rassembler des biens en une nuit…

Le Général Havelar désigna d'un geste de la main un escalier situé dans le fond de l'entrepôt et montant vers une petite salle construire en hauteur contre le mur du fond et permettant d'avoir une vue d'ensemble de tout le bâtiment. Plusieurs hommes s'affairaient autour de l'endroit. Ces derniers ne portaient pas l'uniforme et semblaient plutôt occupés à prendre des mesures, à discuter et à gesticuler pour expliquer des détails de construction. « J'ai recruté quelques charpentiers pour modifier la salle de logistique qui servait pour surveiller les entrées et sorties dans l'entrepôt en une salle de réunion et une petite chambre. Si messire Hémiphon Vancaskerkin l'accepte, il pourra travailler et séjourner dans cet endroit, qui sera sous surveillance jour et nuit. »

S'arrêtant à peu près au milieu de l'entrepôt, le groupe reprit la discussion sur les sujets abordés précédemment. C'est Amivor qui commença. « Comme convenu, nous avons rassemblé des fonds pour vous permettre de vous équiper... ce qui est aussi important que la préparation de l'expédition. Après tout, c'est votre groupe qui partira en premier et ouvrira la voie. » Le général fit un signe à son aide de camp et ce dernier invita deux miliciens attendant un peu plus loin à s'approcher, emmenant avec eux un coffret métallique. L'aide de camp les attendit puis ouvra le coffre à l'aide d'une clef qu'il avait en sa possession. À l'intérieur se trouvait 5 bourses de cuir qui devaient chacune contenir une bonne cinquantaine de pièces.

Tout en invitant les ex-naufragés à se servir, le Général enchaîna. « Dans chacune de ces bourses, vous trouverez 50 pièces de platine, la somme convenue sauf erreur de ma part. Vous pouvez l'utiliser comme bon vous semble pour compléter votre équipement. Sachez également que vous aurez accès à l'armurerie de la milice, où vous pourrez vous procurer des armes et armures ou de l'équipement standard. Gratuitement bien entendu. Pour cela, vous pouvez vous adresser à mon aide de camp, le lieutenant Soldado. »

« Quant aux récompenses additionnelles prévues — je parle des boussoles d'Éclaireurs —, Finze Bellaugh est actuellement occupé à les fabriquer. Nous devrions être en mesure de vous les remettre d'ici deux ou trois jours. En attendant, sachez que vous avez accès aux ressources et connaissances de la Société des Éclaireurs. Si vous avez des questions sur un sujet ou l'autre, n'hésitez pas à me les transmettre et je vous ferai part de toutes les informations dont la Société dispose. »

« Aussi, » interrompit le Général, « nous n'avons pas oublié la proposition de mettre à votre service des miliciens qui pourront vous assister pendant votre expédition. Ils seront prêts à temps. Maintenant, nous pouvons sans doute discuter de divers détails sur la suite ? » proposa-t-il. Amivor hocha la tête et indiqua « Personnellement, il y a deux sujets que j'aimerais bien aborder : le recrutement des suivants et une proposition qui pourrait faciliter l'expédition. »

Le général leva la main comme pour demander à Amivor de patienter quelques secondes et se tourna vers Sébrysse. « Votre suggestion de prendre de l'avance en partant de Kalabuto me semble dangereuse... la ville de Kalabuto n'est pas du tout sûre. Officiellement, elle est bien sûr aux mains du Sargave mais, en pratique, elle subit de nombreux assauts extérieurs… et intérieurs de la part de certains groupuscules de sauvages provenant des jungles à l'est et au sud. » Tout en secouant la tête négativement, le général ajouta « Mon avis, en tant que responsable de la sécurité de l'expédition, est qu'il serait plus sûr que vous ouvriez la voie dès Éléder. Bien entendu, les alentours proches d'Éléder sont plutôt sûrs mais, déjà, les collines Bandu à l'est peuvent abriter de nombreux dangers. Il me semble donc plus prudent de vérifier la piste que l'expédition principale suivra. »

Le Général consulta du regard Amivor qui se contenta de hausser les épaules et de soupirer légèrement. « J'aurais tendance à être d'accord, » dit-il. Il se passa la langue sur les lèvres, comme pour les humidifier, puis expliqua « Ce n'est pas la première expédition que la Société lance dans le Sargave et dans la jungle. Et… malheureusement, il faut se rendre à l'évidence : plusieurs de ces expéditions ont rencontré des problèmes quasiment dès le départ, alors qu'elles se trouvaient encore sur le territoire dit "colonisé". Il y a des villages isolés, des communautés isolés, d'humains ou d'autres créatures... et nul part n'est vraiment certain. Et… l'implication du Consortium dans cette histoire rend la chose encore plus dangereuse... »

Le Général inclina la tête légèrement sur le côté, comme si la dernière remarque de l'Éclaireur avait attiré son attention plus que le reste et il observa Amivor pendant quelques longues secondes. Amivor n'avait apparemment pas prévu d'en dire plus mais, sous l'insistance du Général, il expliqua « Rien de tout cela n'a pu être prouvé bien sûr... mais Finze Bellaugh et moi-même sommes convaincus que certains des problèmes rencontrés par quelques-unes des expéditions précédentes ont été… fabriqués, ou mis en place, ou causé par des sources proches du Consortium. Il suffit d'une rumeur lâchée dans une communauté superstitieuse, au sujet d'un groupe d'étrangers qui va passer par là dans un ou deux jours, ou encore d'un pot de vin ou d'autres machinations pour transformer un village sympathique en un cauchemar d'hostilité…D'où l'importance d'avoir des éclaireurs à la fois capables de faire face aux menaces, de repérer les dangers à éviter… et de jouer les diplomates si nécessaire... »

Au bout du discours de l'Éclaireur, le général hocha la tête pensivement. Il proposa ensuite de passer au sujet du recrutement cité par Amivor. Il s'adressa aux ex-naufragés. « Vous avez mis certaines conditions sur le recrutement des porteurs. Si vous le voulez, peut-être pouvez-vous vous occuper de cette campagne de recrutement. Du moins, prendre les décisions sur la manière de faire et le message à communiquer - nos hommes pourront se charger de la logistique et du recrutement pratique. Après tout, j'ai entendu dire que vous avez déjà eu quelques contacts — de bons contacts — avec la population d'Outremur ? »

Et, se tournant vers Tiriji, il ajouta « Nous nous occuperions de recruter des spécialistes divers pour accompagner l'expédition, vous n'auriez pas à faire ça vous mêmes... mais nous sommes naturellement prêts à considérer vos recommandations, comme ce forgeron que vous avez évoqué. »

Peu à l'aise dans cet environnement trop "civilisé" à son gout et surtout très rigide, Ellawa suivait sans mot dire en serrant les dents. Elle avait une respiration courte et rapide et elle patientait comme elle pouvait. L'Éclaireur et le Général montraient de la bonne volonté, elle devait respecter ces efforts. Dans l'ombre de Hogo, elle se rassurait avec la compagnie de Simurgh, laissant son esprit errer dans la jungle et les chasses à venir qui les attendaient. Lorsque le rôdeur shoanti eut fini de parler, elle pris à son tour la parole, se demandant si ces hommes dits civilisés prenaient en compte l'avis d'une femme.

« Le Consortium a envoyé des Recruteurs qui mettent tous les moyens pour recruter en masse, quelle que soit la population. Les habitants de l'Outre-Mur sont tellement miséreux, on se demande pourquoi... Qu'ils sont prêts à tout pour une poignée d'argent. Ce sera pour eux un travail toujours mieux que la mine, même s'ils seront traités comme des esclaves et seront les premières victimes en cas d'hostilités avec des autochtones ou des bête sauvages. Je ne vois pas comment nous pourrions les intéresser de quelques façons que ce soit, pour servir ceux qui les laissent dans leur misère, sauf payer plus cher que le Consortium, ce qui serait absurde. »

Elle regarda ailleurs, se rendant compte qu'elle fixait le général droit dans les yeux comme si c'était lui le responsable de tout ça. Elle soupira - « Mais on peut essayer, il y aura peut-être de bonnes volontés. »

Hogo regarda ses compagnons un à un pour voir leurs réactions avant de répondre, « Lentement mais sûrement... moi ça me convient pour progresser au milieu des dangers que cache la jungle. »

« Hmm… vous voudriez donc tenter de combattre le Consortium via des rumeurs ? » demanda le Général sur un ton dans lequel transparaissait une certaine hésitation. Il jeta un coup d'oeil dans la direction d'Amivor qui se contenta de hausser légèrement les épaules.

« Dans tous les cas, nous pouvons recevoir les candidats ici. Pour information, il s'agit de l'entrepôt militaire numéro 3. Je peux charger mes hommes de rédiger un texte à annoncer et d'aller le proclamer dans l'Outremur... mais, comme vous avez posé des conditions spécifiques sur le traitement des accompagnateurs Mwangis, si vous préférez prendre en charge l'une ou l'autre de ces tâches, ou les deux... vous n'avez qu'un mot à dire. » La balle était dans le camp des ex-naufragés : selon les mots du général Havelar, ils pouvaient gérer eux-mêmes le recrutement ou laisser les miliciens s'en occuper.

« Bien. L'autre sujet que j'aurais voulu aborder concerne le groupe principal de l'exploration. Selon nos accords, vous vous occuperez donc de repérer les dangers et de tracer le chemin que ce groupe principal suivra. » Se tournant vers Ellawa, Amivor ajouta « Dans cette tâche, je ne doute pas que vous pourrez tirer grand avantage des conseils précieux de ceux d'entre vous qui connaissent bien la jungle et la meilleure manière d'y survivre. »

« Pour faciliter le trajet, je pense qu'il serait judicieux d'avoir également dans le groupe principal une personne qui pourra donner des conseils pratiques et éviter de commettre des erreurs grossières. » L'Éclaireur poussa un court soupir et précisa « Hémiphon aurait sans doute pu jouer ce rôle mais... sa condition physique ne lui permet guère d'accompagner l'expédition. Cependant, des précédentes expéditions de la Société nous ont appris l'existence d'une sorte d'ermite ou de mystique qui pourrait nous venir en aide. »

« Si vous êtes d'accord, je vais rassembler au plus vite les informations dont nous disposons au sujet de cet individu et vous pourriez lui rendre visite et tenter de le convaincre d'aider l'expédition ? Vu la concurrence, autant placer le plus d'atouts de notre côté. » Amivor fronça les sourcils et secoua la tête, comme pour indiquer qu'il n'étais pas certain à 100% de ce qu'il avançait. « Je dois encore discuter logistique avec le général puis contacter plusieurs personnes pour rassembler tout le matériel nécessaire pour l'expédition mais j'espère pouvoir rassembler ces informations d'ici demain ou après-demain. De mémoire, je pense que l'homme en question vit sur la côte à une journée au nord d'Éléder. »

Tout en désignant d'un geste du menton les bourses qui venaient d'être distribuées aux ex-naufragés, Amivor termina en précisant « Cela vous donnera le temps de faire quelques achats et de vous préparer à repartir en aventure ! Aussi, tant que je serai occupé à consulter les archives de la Société, si vous avez d'autres questions dont les réponses risquent de s'y trouver, c'est le moment de m'en faire part. Ah. Et vos boussoles d'Éclaireurs devraient être prêtes aussi avant que vous ne partiez à la recherche de l'ermite. »

« Très bien, nous procéderons de la sorte alors. » conclut le général tout en se dirigeant vers la sortie de l'entrepôt. « J'enverrai mes hommes au Club au début d'après-midi pour escorter Hémiphon ici et amener le nécessaire dont il aura besoin. Quant à ce forgeron dont vous avez parlé, vous pouvez l'envoyer ici. »

Une fois la porte d'entrée traversée, un fort coup de vent souffla sur le quai, comme c'était régulièrement le cas dans le port d'Éléder, et dans doute dans tous les ports du monde. Celui-ci amena avec lui une forte odeur de poisson et de traitement chimique. Le général se contenta de faire brièvement une moue, mais Amivor Glaur s'exprima plus clairement. « Splendide voisinage que celui que vous nous avez choisi, Général ! » lança-t-il tout en se tournant dans la direction d'où le vent venait. Le Général répondit « Il y a plusieurs entreprises de traitement de baleines dans cette direction et, parfois, quand le vent souffle de par là... nous pouvons profiter de l'odeur des traitements qu'ils y effectuent... »

Havelar ajouta, sur un ton si neutre qu'il était difficile de déterminer s'il s'agissait d'une plaisanterie ou d'une remarque tout à fait sérieuse, « Mais tout cela n'est rien à côté de ce qui vous attend, monsieur Glaur. Attendez de vous retrouver aux côtés d'une troupe de gens qui ont séjourné pendant plusieurs longues semaines dans l'humidité étouffante de la jungle… »

Puis le général Havelar se retourna vers son aide de camp varisien, le lieutenant Soldado. « Je vous laisse avec mon aide de camp, qui prendra note de tout l'équipement que vous voudriez obtenir de notre armurerie. Tant qu'il s'agit d'équipement standard, le tout vous sera livré ce soir au Club. Si vous avez d'autres questions pour moi, je serai dans l'entrepôt. » conclut-il avant de rentrer dans le bâtiment.

Le lieutenant Soldado prit la place du général. Il avait dans ses mains une planchette de bois sur laquelle était étendu un parchemin, ainsi qu'une plume et une petite fiole d'encre. « Voilà, je suis prêt à prendre note de l'équipement que vous voudriez obtenir. »

Ellawa suivait Hogo comme son ombre. Une fois que le rôdeur shoanti en eut terminé avec le lieutenant, elle fit à son tour sa petite liste, pensant déjà à l'expédition et au groupe - « Il va falloir un hamac pour chacun d'entre-nous, ça nous fera gagner du temps pour dresser le campement. Dans la jungle il ne faut pas dormir en contact avec le sol si vous ne voulez pas être envahis par les petites bêtes. Donc toujours suspendu. Je préconise aussi une trousse de premiers secours et une trousse d'antidotes, à moins que Sébrysse ait déjà tout ce qu'il faut. »