« Euh… oui… très bien, je ferai passer le message. » bredouilla le serveur en regardant le Shoanti qui venait de lui délivrer son message alarmiste rebrousser chemin. Derrière son comptoir, l'aubergiste poussa un soupir à fendre les murs lorsqu'il vit ceux qu'il espérait être de futurs clients repartir.

« Reviens ici demain soir » répondit Éries « et, si j'ai appris quelque chose de nouveau, je te le dirai. Aucune promesse cependant… » Elle hésita un instant puis ajouta sur un ton légèrement taquin « Ah... et quand vous aurez besoin d'un guide, il vous suffira de descendre dans les égouts comme tu l'as fait aujourd'hui. On te repérera assez rapidement ! »

Grau était repassé le lendemain en début d'après-midi pour indiquer qu'il avait pu avoir une entrevue avec la Maréchale et que celle-ci avait accepté de rencontrer les aventuriers le soir-même. Le sergent avait évoqué la question d'envoyer un pigeon voyageur à Orisini, ce à quoi la Maréchale avait répondu que c'était déjà fait et, qu'en fait, c'était Orisini qui l'avait contacté. La Maréchale avait préféré ne pas organiser une rencontre officielle à la Citadelle mais plutôt une entrevue plus discrète. Pour cela, Grau avait suggéré la Poissonnerie, celle-là même où plusieurs aventuriers s'étaient rencontrés il y a bien longtemps de cela, celle-là aussi où Zellara avait trouvé la mort…

Peau-de-Pierre, qui avait fait quelques allez-et-retours entre la maisonnette de la rue Lancet et le terrain quasi désert qui avait servi de campement aux Shoantis, avait apporté la nouvelle à Kar'Uz. Ces derniers jours, le chamane à l'humeur assombrie par des présages aussi sinistres que sibyllins, avait choisi de se retrancher sous sa tente ; il accepta toutefois d'accompagner le groupe pour la rencontre du soir.

Ainsi, c'est bien après la tombée du soir que le groupe fit chemin le long des quais en direction du nord et de la Poissonnerie. L'endroit, qui n'avait plus été utilisé depuis un bon bout de temps pour les tâches qui lui avaient donné son nom, sentait plutôt un mélange d'épices et de produits chimiques… les restes des nombreuses expériences réalisées par Fergus et Abbaër lors de leur recherche d'un remède au Voile Sanglant. L'intérieur avait été nettoyé il y a peu de temps et la plupart des meubles datant de l'époque de Lamm avaient été retirés.

C'est dans la plus grande des salles du rez-de-chaussée, là où les petits Lamas, les esclaves-enfants de Lamm, devaient s'entasser pour dormir, que la rencontre avait été prévue. On y avait aménagé une grande table entourée de plusieurs chaises en bois. Le moment venu, on frappa à la porte. C'était le sergent Grau Soldado qui arrivait, seul. Il mit un doigt sur la bouche et s'avança vers la salle où la réunion était prévue puis se tourna vers Kar'Uz et posa un parchemin devant lui.

Suite à l'insistance du sergent, le Shoanti ouvrit délicatement le document. Il ne s'agissait pas d'un formulaire ordinaire mais bel et bien d'un sortilège. Prudemment, le chamane se mit à en déchiffrer les symboles ; cela ressemblait à un sort de protection contre la divination. La magie était un peu au-dessus de ses capacités mais, avec l'aide du parchemin, il pourrait certainement parvenir à lui faire prendre effet.

Pas de jet à faire, réussite automatique si Kar'Uz accepte de lire le parchemin

Lorsque Kar'Uz se mit à réciter les premières syllabes magiques inscrites sur le parchemin, l'encre de celle-ci disparaissant au fur et à mesure de ses incantations, une sorte de petit cube grisâtre apparut dans l'air devant lui. À chaque son prononcé, il semblait que le bloc magique grandissait, tant et si bien que, bien vite, il atteint la taille d'un poing fermé, puis celle d'une tête, puis il commença à s'agrandir et à englober la table ainsi que les chaises et les personnes rassemblées autour d'elle. À peine ces dernières ressentirent-elles un léger picotement lorsque la surface grisâtre de la création magique les traversa.

À l'apogée de l'incantation, le cube, qui devenait de plus en plus translucide en s'agrandissant, devait quasiment encadrer tout le bâtiment. Ses parois étaient désormais quasiment invisibles, à un tel point que même ceux qui avaient suivi sa progression en regardant à travers l'un des interstices séparant les planches des murs, ne parvenaient plus qu'à deviner sa position exacte. Finalement, lorsque le dernier trait encré sur le parchemin disparut, Kar'Uz se tut ; le sanctuaire était en place ; celui-ci devait protéger ce qui se passait à l'intérieur de la Poissonnerie contre toutes les intrusions extérieures.

Grau, qui avait suivi la scène en faisant de grands yeux étonnés attendit que le silence soit revenu avant de dire « Eh bien, on dirait que la Maréchale a mis les petits plats dans les grands. Ce genre de trucs ne doit pas être très courant… » Les membres du groupe les plus adeptes en choses magiques ne purent que confirmer silencieusement les dires du sergent. Ce dernier reprit ses esprits et ajouta « La Maréchale m'a demandé de venir vous remettre ce parchemin et de m'assurer que vous l'utilisiez… elle devrait arriver bientôt. »

En effet, quelques secondes plus tard à peine, on frappait à nouveau à la porte… cette fois-ci, c'était la Maréchale, encapuchonnée dans une épaisse cape brun foncé qui la rendait quasiment méconnaissable. Elle avait sans doute dû patienter à proximité et attendre de voir les marques visibles du sortilège avant de venir. La femme qui avait d'habitude des traits francs et des mouvements dynamiques transpirait la lassitude marrée d'une touche de désespoir. Les aventuriers l'avaient déjà rencontrée plusieurs fois par temps de crise et avaient déjà pu voir d'épaisses cernes souligner ses yeux, mais ce n'était rien à côté de l'état dans lequel ils la trouvèrent ce soir-là.

Elle s'assit à la table, sa cape s'écartant pour révéler l'armure qu'elle portait et l'épée qui pendait à sa ceinture, puis prit une profonde respiration avant de rabattre en arrière la capuche qui recouvrait son visage.

« Korvosa se meurt… » commença-t-elle avant de se raviser. « Non, c'est faux… Korvosa est en train d'être assassinée. Assassinée par sa reine. »

« Les preuves que vous avez mis à jour sous l'Hospice étaient déjà terribles mais…le spectacle d'aujourd'hui… » La maréchale secoua la tête d'un air triste et s'efforça de chasser les larmes qu'on sentait quasiment perler à la commissure de ses yeux. « La mort de Marcus… Elle possède désormais un contrôle quasiment total sur la ville. »

La Maréchale resta silencieuse pendant quelques longues secondes, les yeux dans le vague, mais personne n'osa l'interrompre. « Je ne peux rien faire contre elle, pas officiellement… si c'était le cas, elle n'hésiterait sans doute pas une minute avant d'ordonner à ses Vierges Grises d'exécuter mes hommes… la Garde… jusqu'au dernier. »

« Mais elle doit être stoppée, d'une manière ou d'une autre… » Relevant la tête pour fixer les aventuriers dans le yeux, elle précisa « Et je ne vois personne d'autre que vous qui soit capable d'y parvenir. »

La Maréchale se racla la gorge ; elle était apparemment parvenue à chasser la tristesse qui l'avait envahie lorsqu'elle avait mentionné la mort du commandant Endrin. « La Reine a dû se parer de protections magiques extrêmement robustes… Marcus… son attaque aurait dû faire mouche, et la tuer sur le coup. » Secouant la tête tristement, elle ajouta « J'aurais dû me douter qu'il allait tenter de prendre les choses en main… En l'absence du Sénéchal, il s'était dit que le poids du contre-pouvoir lui revenait… si seulement il avait trouvé un moyen moins radical. Si seulement tout cela avait pu être évité… »

Après une autre courte pause, la Maréchale sortit de sous sa cape un minuscule morceau de parchemin enroulé de manière à former un fin cylindre de papier. « Ce matin, j'ai reçu des nouvelles de mon ami Vencarlo Orisini. C'est en fait la première fois qu'il me contacte depuis que la Reine a placé l'île sous quarantaine. Son message amène un nouvel espoir, quoique ténu. »

Dépliant le minuscule parchemin qui avait dû être transporté dans une bague de pigeon voyageur, la Maréchale expliqua « Il y indique qu'il a découvert un élément d'importance vitale en ce qui concerne la Reine. Il ne rentre pas dans les détails mais laisse penser que cela a à voir avec de la magie noire et un pacte infernal. Si… s'il ne s'était pas passé ce qui s'est passé hier, j'aurais eu du mal à le croire mais… cette histoire de pacte pourrait expliquer bien des choses. Et, si tout cela est vrai, cela veut dire que nous devons agir avec une extrême prudence. »

Montrant du doigt un passage griffonné en lettres minuscules sur le parchemin, Kressida Croft ajouta « Vencarlo parle de vous dans son court message. Apparemment, vous avez fait forte impression sur lui. Il me demande de vous envoyer à lui, dans le Vieux Korvosa, pour qu'il puisse partager avec vous sa découverte. Malheureusement, Vencarlo est toujours sur l'île… et, aux dernières nouvelles, la Reine a bien l'intention de laisser tous les habitants du Vieux Korvosa pourrir sur place, périr du Voile Sanglant ou s'entretuer… En même temps, c'est peut-être une chose positive, si vous acceptez de vous rendre sur place : en effet, en supposant qu'elle se mette à vous rechercher, il y a de grandes chances que ce quartier en quarantaine ne soit pas le premier endroit qu'elle fasse fouiller. Du moins tant que vous garderez profil bas et que vous ne vous faites par remarquer des Vierges grises. »

Une fois encore, la Maréchale fit une pause de quelques secondes avant de reprendre. « Après cela… Eh bien, après cela, une fois que vous aurez trouvé Vencarlo, j'ai bien peur qu'il soit plus sage pour vous de quitter Korvosa. La ville n'est plus sûre pour vous… et pour ceux qui vous côtoient. Il nous faudra sans doute analyser la situation et en apprendre plus pour savoir comment briser la Reine de manière efficace… Je crois que Vencarlo possède des contacts dans les villages plus loin au nord, comme Harse. Il devrait être capable de vous aider à vous y abriter pendant un moment. »

Puis Kressida Croft redevint silencieuse à nouveau. Cette fois-ci, il était clair que ce n'était plus une simple pause. Elle laissait le temps aux aventuriers de digérer tout ce qu'elle venait de leur apprendre… et de choisir leur ligne de conduite.

Il a quand même fallut du temps, et un meurtre sous ses yeux pour qu'elle s'en rende compte!!!
Théobald lui en voulait toujours il n'oubliait pas cette conversation houleuse qu'elle avait eu avec le commandant!! Il ne voulait pas émettre des hypothèses, mais pour lui c'est là que tout avait basculé dans une situation incontrôlable!! Il se ressaisit et se concentra sur les paroles de la maréchale.

Mais la colère se raviva lorsque la maréchale fit encore allusion au fait de devoir quitter la ville. « Décidément vous vous êtes fait passer le mots à vouloir quitter la ville!!

Abbaër, je pense qu'il faudra se mouiller quoi qu'il advienne, Eries m'a indiqué un endroit pour passer et être le plus discret possible. On peu également faire un semblant de radeau pour y mettre les affaires critiques!!

Ensuite nous aviserons là bas, mais pour ce qui est de quitter la ville, il va falloir me trouver une sacrée bonne raison!!! »
L'inquisiteur soupira très fort!
Maréchale, savez vous ce qu'ils ont fait de son corps?? A t'il eu les honneurs dont il méritait??

Suite aux évènements funestes qui avaient suivi le discours de la reine, Fergus s'était retranché dans son laboratoire. Il avait ressenti le besoin de s'entourer de ses fioles et de ses expériences pour ne pas avoir à penser à ce qui s'était passé. Et il n'en était sorti que lorsque Abbaër l'avait convié à une expérience ésotérique qui dépassait le jeune alchimiste. Lui qui ne jurait que par l'expérience et la validation de faits naturels s'était trouvé face à une séance de divination réalisée par un fantôme. Et même si Abbaër l'avait un peu mis au courant de ce qu'il se passait, Fergus trouva cette expérience quelque peu perturbante. Si bien qu'il se retira une fois de plus dans son laboratoire, comme pour réaffirmer sa foi en l'étude des choses réelles.

De temps en temps, il recevait la visite d'Abbaër qui lui apportait une aide précieuse. Ils ne seraient pas trop de deux pour pouvoir fournir à la population de Korvosa les produits dont elle aurait besoin pour panser ses plaies physiques. Fergus pensait aussi que, même s'il marchait sur les plates-bandes des temples, ces derniers ne pourraient s'affranchir des ordres donnés par la reine et par ses suppôts qu'étaient les Vierges Grises. Lui, au moins, pourrait fournir les remèdes que sa conscience lui dictait de donner sans avoir à se justifier auprès d'une autorité qu'il ne légitimait pas.

Ce n'est que lorsque la maréchale vint leur rendre visite à la poissonnerie qu'il sortit de son laboratoire pour écouter ce qu'elle avait à dire. Mais n'ayant que peu de contacts en ville et ne sachant à qui demander de l'aide en dehors d'Abbaër et de ses compagnons, il préféra rester muet, écoutant avec attention ses camarades.

La Maréchale réfléchit un instant puis répondit aux questions de Kar'Uz. « Non, je ne connais aucun moyen vraiment sûr pour atteindre l'île d'Endrin… j'aurais suggéré de peut-être tenter de la rejoindre par barque depuis le nord, mais ce plan comporte trois difficultés majeures : tout d'abord, il vous faudrait partir de la côte bien plus au nord, et véhiculer tout votre matériel jusque là risque de ne pas être très discret ; ensuite, il faudra traverser une grande étendue d'eau sans être repéré, donc dans le noir le plus complet ; puis, finalement, trouver un point d'accès à l'île, alors que toute la plage nord est murée… »

Puis Kressida Croft s'excusa en secouant la tête négativement. « Non, avec tous les événements récents, je n'ai guère eu le temps de pratiquer des recherches historiques au sujet de Korvosa. Ceci dit, je sais que la région — pas Korvosa directement mais les villes et villages situés plus loin au nord et au nord-ouest — ont connu des attaques répétées de dragons rouges au cours des dernières décennies. » La Maréchale se tapota le menton du doigt en prenant un air pensif. « Je n'en mettrais pas ma main à couper mais je pense que le ou les dragons en question n'ont jamais été vaincus… du moins, pas de manière certaine. Mais, à ma connaissance, il n'y a plus eu d'attaque de dragon depuis au moins une bonne trentaine d'années. »

En écoutant le plan suggéré par Théobald, Grau prit la parole, s'adressant à la fois au groupe et à la Maréchale. « Maréchale, si vous le permettez… les Vierges grises ont réquisitionné plusieurs escouades de gardes pour surveiller les abords de l'île d'Endrin. » commença-t-il, ce à quoi la Maréchale opina du chef. « Si nous savons exactement à quelle heure et à quel endroit vous allez traverser le canal, nous pourrions peut-être nous arranger pour que je sois assigné à cette tâche, ce qui me permettrait de distraire les Vierges grises pendant votre traversée ? Ce ne sera pas la première fois qu'il y aura eu des mots échangés entre les Vierges et des gardes, après tout… »

La Maréchale indiqua que c'était sans doute possible… mais elle précisa « Les alliés sur lesquels nous pouvons compter sont plutôt peu nombreux. Il vous faudra rester prudent et ne pas exagérer au cours de cette diversion, sergent. Mais pourquoi pas… » Puis, se tournant vers le groupe, elle ajouta « La décision finale vous revient. »

La Maréchale indiqua qu'elle ne savait pas où le corps du Commandant avait été emmené. Après sa mort et le départ de la Reine, les nobles qui avaient assisté à la scène s'étaient empressés de partir et les Vierges grises de faction avaient contraint tout le monde à quitter l'estrade. « Je n'en suis pas certaine, mais je pense que des Vierges grises ont dû empoigner son corps. J'imagine qu'ils ont fait tout ce qui était possible pour empêcher le moindre espoir de résurrection… »

Le fait d'évoquer à nouveau la mort du Commandant Endrin avait fait ressurgir une vague écrasante d'émotions chez la Maréchale. Elle fut heureuse de se changer les idées en écoutant les paroles réconfortantes de Kar'Uz. Elle se contenta de saluer ses mots d'un hochement de tête avant de dire « Je vous remercie. Je vois que Mille-Os a choisi sagement celui qui le représenterait en son absence, et je suis très heureuse de pouvoir compter sur votre aide. Qui sait comment Korvosa pourra se tirer de cette situation ? Mais l'appui de ceux qu'elle a longtemps combattus ne peut que nous redonner espoir. »

Après avoir répondu aux questions des uns et des autres, la Maréchale indiqua « Si vous avez besoin de matériel, transmettez-en la liste au sergent Soldado. » Puis, se tournant vers Grau, elle ajouta « J'ai parlé avec le lieutenant Péverell ; il vous fournira tout ce que vous demanderez. Je vous fais confiance pour organiser la livraison de manière aussi discrète que possible. »

« Au fin fond des ténèbres, dans la plus noire des nuits ou dans la plus glaciale des ombres, il restera toujours une lumière pour éclairer, un coin de jour pour se réveiller ou un feu pour réchauffer. Quand tout semblera être brisé, quand il ne restera plus rien à espérer, tourne toi vers la lumière de Sarenraé. »

Arlandeth marqua une pause dans sa courte prière et continua sur un ton un peu plus grave.

« Nous sommes donc tous d'accord pour franchir la ligne qui nous mènera sur le chemin inconnu de l'exil. Si nous partons, il nous faudra revenir plus fort que ce que la reine et ceux qui l'entourent sont actuellement. Une gageure des plus difficile d'après ce qu'on a pu en voir. C'est un engagement de tout à chacun envers soi et envers les autres. Je suis guidé par la lumière de Sarenraé et il est de mon devoir de protéger la ville contre cette vilenie qui s'est installée ici. Aussi je suis prêt à accepter le défi qui s'impose à nous. »

« Il va falloir que je récupère ma monture... » lâcha Peau de Pierre à voix haute, pensif.

La Maréchale hésita quelques instants avant de prendre la parole. « Même si ce serait naturellement une bonne chose pour Korvosa que ceux qui font régner la terreur et dirige grâce à la violence se retrouvent en prison, n'oubliez pas qu'il vous faudra avant tout faire profil bas si vous le pouvez. Si vous vous faites remarquer de trop sur l'île d'Endrin, vous serez une cible plus facile. Vous… et ceux qui seront avec vous. »

La Maréchale hocha la tête en réponse à l'inquisiteur, puis esquissa un sourire… peut-être le premier depuis un bon bout de temps. « Je comprends, » dit-elle. « Mon attitude peut vous paraître passive et lente mais cela fait plusieurs années que je dois gérer des relations difficiles avec des décideurs qui, bien souvent, ne se basent que sur leurs propres intérêts. Et le tout au sein d'un système où, avec suffisamment d'argent, on peut acquérir un sauf-conduit pour quasiment n'importe quel crime. »

« Se laisser emporter par son énervement et foncer dans le tas n'est pas une tactique victorieuse. C'est un peu comme essayer de faire rentrer sa main dans de l'eau. » Joignant le geste à la parole, elle ouvrit sa main droite et la plaça à quelques centimètres au-dessus de la table, paume tournée vers le bas. Elle fit descendre sa main rapidement contre la table. « Si vous essayez de le faire trop violemment, vous vous ferez mal et vous ne pourrez plus rien faire. » Puis elle releva la main et la fit descendre vers la table tout doucement cette fois-ci. « Cependant, si vous prenez le temps et que vous y allez de manière résolue, l'eau s'écartera pour vous laisser y rentrer. »

Kressida Croft poussa un soupir. « Bien sûr, toutes ces allégories ne seront sans doute plus d'application pendant très longtemps. Je crains que les choses ne dégénèrent rapidement ici… le spectacle d'hier a convaincu les nobles qu'ils avaient tout intérêt à ne mettre aucun bâton dans les roues du Trône Écarlate. Aucun de ces couards n'élèvera sa voix contre les décisions à venir… »

« Mais, en même temps, le temps n'est sans doute pas à la rébellion… du moins, pas pour moi. Je dois penser à mes hommes. Si la Reine détruit la Garde comme elle a dissout la Zibeline, il ne restera plus rien… Mais si je parviens à garder ne fût-ce qu'une once de contrôle et d'influence, cela pourra se révéler utile au moment venu. »